Le Camp Action Climat vous appelle à rejoindre la lutte contre le système capitaliste responsable du changement climatique et du chaos social et humain qui en
résulte !
SONDAGE
Pétition en soutien à Charles Hoareau et contre la criminalisation du mouvement social et de la résistance
syndicale.
Signer la pétition contre la ligne THT Cotentin-Maine
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Leur monde et
le nôtre
On dirait un mauvais roman policier : une veuve multi-milliardaire, héritière d’une des plus grandes fortunes du pays ; une dispute familiale glauque comme savent en sécréter les
familles bourgeoises lorsqu’elles se déchirent autour d’un héritage ; un maître d’hôtel indiscret qui enregistre les conversations privées de sa milliardaire de patronne pour donner les
cassettes à la fille en procès avec la mère ; une île aux Seychelles ; de l’argent planqué en Suisse ; un artiste à ce qu’il paraît doué, qui l’est en tout cas pour les
affaires puisqu’il a réussi à se faire offrir pour un milliard d’euros de cadeaux...
Et il y aussi les ministres, dont l’un, ministre du Budget en son temps, a réussi à caser sa femme dans l’officine chargée de gérer la fortune professionnelle de la milliardaire...
En décortiquant l’affaire Bettencourt-Woerth, la presse apporte chaque jour de nouvelles révélations. Lorsqu’il était ministre du Budget, Woerth prétendait faire du combat contre l’évasion
fiscale sa marque de fabrique. Cela la fichait déjà mal que son épouse soit embauchée comme conseillère fiscale d’une des plus grosses contribuables ou du moins qui devrait l’être. Cela la
fiche encore plus mal lorsque le bras droit de la milliardaire reconnaît quelques tricheries fiscales ! Ce bras droit s’est vu épingler la légion d’honneur à sa boutonnière par Eric
Woerth, peu de temps après avoir embauché sa femme !
Et voilà qu’un hebdomadaire fait état d’un déjeuner entre Eric Woerth et Robert Peugeot peu après que celui-ci, victime d’un cambriolage, se soit fait voler 500 000 euros en lingots d’or.
Excusez du peu ! Eric Woerth aurait-il conseillé à Peugeot de réduire la valeur déclarée pour réduire son impôt sur la fortune ? Jamais de la vie, proteste Woerth, Robert Peugeot
est simplement un ami avec qui il est normal de déjeuner !
Mais, justement ! Toutes ces affaires braquent au moins un petit rayon de lumière sur leur monde, le monde des grands bourgeois avec leurs serviteurs politiques, le monde de ceux qui
dirigent la société, le monde de ceux qui peuvent faire des cadeaux d’un milliard ou se faire dérober 500 000 euros en lingots d’or sans que cela écorne leur fortune.
En étant l’actionnaire principale du premier groupe mondial de cosmétiques, L’Oréal, madame Bettencourt pèse sur la politique. Pas parce que son défunt mari avait été ministre lui-même, mais
parce que des ministres, elle peut se les acheter ou se les fabriquer sur mesure.
Car, dans son écurie, il n’y a pas que l’épouse de Woerth. Il y a aussi Luc Chatel, l’actuel ministre de l’Éducation nationale, qui a commencé sa carrière comme chef de produit chez L’Oréal
pour y devenir DRH. Même s’il dément avoir été poussé à la politique par les Bettencourt, cela crée tout de même des liens. Des liens entretenus au fil des ans par de l’argent versé par la
famille aux grands partis politiques susceptibles de se retrouver au gouvernement. Aux partis de droite de préférence car le coeur de la famille est tout naturellement de ce côté-là. Mais
sans être sectaire pour autant : Bettencourt, le défunt mari, était lié d’amitié avec Mitterrand dans un parcours commun qui les avait conduits de l’extrême droite d’avant-guerre à la
Résistance.
Voilà le beau monde qui nous gouverne. Un beau monde où l’argent coule à flots au point d’éclabousser de temps à autre un ministre mais qui est impitoyable vis-à-vis du pauvre qui ne peut
plus payer sa facture de gaz ou son loyer.
Toute cette affaire tombe mal pour Eric Woerth qui est en pointe dans l’attaque du gouvernement contre les retraites. Elle lui coûtera peut-être sa carrière car la solidarité témoignée par
ses collègues ne les empêchera pas de lui faire des crocs-en-jambe. Mais, au-delà des avatars du moment, tout ce beau monde est lié par une profonde complicité, une complicité de classe.
Celle de cette haute bourgeoisie qui sait que ses richesses, ses hôtels particuliers, ses îles paradisiaques, sa capacité à s’acheter les services des hommes politiques, tout cela vient de
l’exploitation. Tout cela vient des salaires dérisoires payés aux conditionneuses des usines de L’Oréal et de l’usure des ouvriers sur chaîne de Peugeot-Citroën. Il vient aussi des euros
volés aux retraités poussés à travailler plus longtemps et qui, grâce à Woerth et Cie, ont de moins en moins de chances d’obtenir une retraite à taux plein.
Alors, Éric Woerth, coupable ou pas de complicité avec madame Bettencourt dans une affaire de fraude fiscale ? Ils sont en tout cas, chacun à sa place, les rouages et les profiteurs d’un
système dont les crimes vont bien au-delà d’une affaire fiscale.
Nous vivons une période étrange, un peu partout on peut lire, entendre, que le capitalisme est en crise et qu’il se pourrait que ce soit le début d’une agonie. Ceci est une réflexion
générale, cependant des individus un peu plus perspicaces laissent entendre que cette crise est simplement systémique, pourtant il s’agit là encore d’un euphémisme pour nous expliquer que
les financiers spéculateurs sont en train d’essayer d’épurer le système de quelques pourritures qui gênaient son fonctionnement, avec la complicité des états, le tout sur le dos du
lampiste.
C’est même encore plus subtil puisque l’on a laissé croire pendant un moment au retour de l’étatisation, étatisation en réalité fictive par laquelle la finance a réussi à se garantir,
sans débourser un liard, des avatars que pourraient amener une spéculation trop risquée. Mais le summum de la manipulation fut pour la dette des états européens, prétexte qui une fois de
plus a servi à ce que les spéculateurs puissent prendre tous les risques étant maintenant couverts par la garantie complice des états. Ce n’est d’ailleurs pas encore entièrement tout
réglé puisqu’il semble que les bourses font un peu « la gueule » n’ayant pas la totale assurance qu’elles pourraient tout se permettre sans y laisser quelques plumes. Soyons
rassurés, elles vont y arriver…
Le constat que l’on peut tirer de cette courte analyse est que le capitalisme n’a jamais été aussi puissant. Il serait vain et inconscient de croire que les crises, fort bien orchestrées,
étaient des soubresauts d’agonie, au contraire l’hégémonie mondiale de la finance n’en est que plus forte ; l’exemple de la multiplication d’achats de terres en est un exemple, mais
cela est encore plus probant avec la mise en place des métropoles globales, voire la privatisation des villes comme c’est la cas aux USA où leur nombre particulièrement significatif est
de 20 000 environ, ainsi que l’ouverture de nouveaux marchés avec sous le couvert d’une fausse écologie, etc. Le capitalisme est en train de gagner sur tous les tableaux. La finance
gouverne ce monde, c’est malheureusement un triste constat, même si parfois en son sein il y a une sorte de guéguerre comme c’est le cas actuellement entre l’Euro et le Dollar, guerre
d’obédience pour l’hégémonie mondiale, mais quand il s’agit de plumer le prolétaire, là tout le monde est d’accord…
Alors le monde du travail Européen se pose des questions, ne comprend pas pourquoi l’industrialisation va disparaître et laisser au chômage un nombre important de travailleurs sans que
cela pose problème au système capitaliste, la baisse des pouvoirs d’achats étant théoriquement dommageable pour les économies.
C’est pourtant simple à comprendre, le travail est devenu essentiellement la variable d’ajustement du capital et il se trouve que dans la plupart des pays européens le niveau de vie de
l’ouvrier est devenu trop élevé pour que les actionnaires puissent tirer des bénéfices substantiels de la production. Donc, on délocalise vers des pays où le code du travail est succinct,
et les salaires plus bas, pour ne pas être gêné par des grèves intempestives et avoir la rentabilité maximum.
Par conséquence les multinationales vont abandonner pendant un temps les pays développés afin d’y diminuer le pouvoir d’achat et les contraintes de l’encadrement du travail. L’Europe
consommera moins, mais peu importe pour les spéculateurs puisque les marchés en pleine expansion, indiens, chinois, brésiliens, vont compenser amplement le manque à gagner de la vielle
Europe. Le capitalisme mondialisé va en tirer le maximum de profit en créant un autre secteur consumériste, consommation prétendue créatrice de richesses, jusqu’à ce que l’évolution trop
importante de ces pays soit elle-même freinée car le niveau de vie aura suffisamment progressé, des salaires devenus plus substantiel diminuant de fait la rentabilité du capital. A partir
de ce moment là, on reviendra dans les pays européens appauvris et où les salaires seront bas, et l’on recommencera à faire travailler les chômeurs de nos pays sur des bases salariales
moindres, un code du travail pratiquement inexistant, des conditions que le capital trouvera alors rentable.
C’est une sorte de mouvement perpétuel permettant au capital de fructifier dans toutes les conditions. Système qui fait totalement abstraction des peuples pour ne servir qu’une oligarchie
dominante.
Néanmoins, il n’est pas si facile que cela d’appauvrir un peuple, surtout lorsque l’on a crée le conditionnement consumériste et qu’à partir d’un certain moment on ne peut remplir le
caddie qu’à moitié, d’où un profond ressentiment. Alors on tente des expériences pour voir la réactivité des peuples, surtout jusqu’à quel point la stratégie du consentement a fait son
effet. Ce fut d’abord aux USA avec les « subprimes » qui ont mis des milliers de gens à la rue, maintenant se sont les retraites qui sont sur la sellette remettant au travail
des personnes d’un âge particulièrement avancée. Naturellement, dans ce pays où le capitalisme est pratiquement une affaire de gènes peu de réactions sont venues contrarier ce ballon
d’essai. Alors on se tourne vers l’Europe pour voir si là aussi les peuples sont mûrs pour accepter toutes sortes de balivernes.
Etait toute désignée la Grèce qui avait fait un peu n’importe quoi, mais aussi pour une autre raison, c’est que le gouvernement est socialiste et qu’il est intéressant de savoir jusqu’à
quel point les socialistes vont être consentant au système. D’autant que Papandreou est président de l’International socialiste ce qui pourrait mouiller encore plus ceux-ci dans
l’acceptation de la loi des marchés comme ce fut le cas avec Strass-Khan au FMI et Lamy à OMC ; ce qui prouve que les partis socialistes européens sont les faire-valoir du
capitalisme (d’ailleurs Portugal et Espagne tous deux socialistes ne sont-ils pas aussi les premiers visés afin de mettre définitivement sous l’éteignoir des régimes qui pourraient à la
limite contester). On a donc mis les Grecs au pain sec et à l’eau afin de voir comment ils allaient réagir, en définitive cela donnera aux spéculateurs une petite idée de jusqu’où ils
pourront aller pour contraindre les peuples. Vont naturellement suivre la plupart des autres pays européens si l’expérience se révèle positive, comme il n’y a pas de fumée sans feu on
entend déjà les rumeurs parlant d’austérité, en France, voire en Allemagne.
Il en ressort que la contestation pour contrer les désastres de la loi des marchés ne doit pas être essentiellement catégorielle, voire locale, mais plus générale puisqu’il s’agit en
effet de se « débarrasser » du capitalisme mondialisé, seule alternative possible pour le bien-être des peuples. D’ailleurs, la radicalité doit être de mise car certaines
solutions intermédiaires proposées actuellement pourraient amener le pire…
Le meilleur exemple étant la pétition qui demande à ce que l’on taxe les produits financiers, plus précisément les transactions financières.
Là, il s’agit d’une inconscience particulièrement caractérisée. En effet, il est évident que les actionnaires qui verront leurs bénéfices diminués par une quelconque taxe, ou autres
formes contraignantes, vont tenter par tous les moyens de récupérer les pertes. Et, sans être particulièrement devin, ils vont se tourner vers la productivité et par conséquence la
variable d’ajustement qu’est le travail. On connaît quels sont les moyens à leur disposition, forcer à travailler plus pour le même salaire, augmenter la rentabilité, voire diminuer les
salaires, mais ce dont on est sur c’est qu’ils vont réduire la masse salariale, ce qui va forcément faire augmenter le chômage dont « on paiera les allocations avec les recettes de
la taxe ».
Donc, on tourne en rond, en détruisant encore plus le tissu social, et de surcroît, on fait « avec » le système, apportant ainsi une caution involontaire au principe
capitalisme ; un accompagnement de plus en quelque sorte. Il faut écarter ce genre d’aberration !
Non, la seul solution c’est de sortir du capitalisme, et le seul combat efficace sera celui-là !
Au fur et à mesure où, semaine après semaine, quasi quotidiennement, la crise générale du capitalisme contemporain nous apporte son lot de nouvelles plus calamiteuses les unes que les
autres, c’est la véritable nature de cette crise qui se révèle. Loin d’être seulement une crise économique, fût-elle structurelle, c’est à une véritable crise de civilisation que nous sommes
confrontés.
L’expression est certes galvaudée depuis qu’elle a servi à désigner tout et n’importe quoi (surtout n’importe quoi, d’ailleurs !), en permettant le plus souvent de masquer la manière
dont elle s’articule avec la dimension économique de la crise : avec la crise dans laquelle la reproduction du capital comme rapport de production se débat depuis maintenant plus d’un
tiers de siècle. Par crise de civilisation, j’entends néanmoins que la situation critique dans laquelle le capital est durablement et sans doute même définitivement engagé (et nous avec lui,
pour l’instant du moins) conduit à compromettre, inexorablement, toutes les conditions de la vie en société et jusqu’aux acquis les plus fondamentaux de la civilisation.
Quelques exemples des tendances régressives du capitalisme contemporain
Ce catastrophisme fera sans doute sourire le lecteur, qui en a entendu d’autres dans le genre. Quelques exemples pris dans l’actualité la plus récente lui feront, je l’espère, toucher du
doigt et ce que je veux dire et la gravité de ce qui est en question.
Commençons par la nouvelle « réforme » des retraites qui se prépare en France (et ailleurs), en fait un nouveau pas en avant vers la destruction programmée de l’assurance
vieillesse, avec à la clef et la nécessité de prolonger la durée de la vie active et l’appauvrissement de la partie la plus âgée de la population, dès lors qu’elle n’exercera plus d’activité
professionnelle.
Tout le monde sait que la condition humaine se définit, notamment, par la conscience qu’a chaque homme, de sa mortalité, de la finitude de son existence. Il en est résulté, très tôt dans
l’histoire et même la préhistoire des sociétés humaines, des rêves d’immortalité dont toutes les religions ont fait leur beurre, en promenant d’illusoires paradis post mortem. De manière plus
matérialiste, mais autrement plus efficace, les hommes ont obstinément travaillé depuis des millénaires à améliorer leurs conditions matérielles d’existence : les progrès de la
productivité du travail, ceux de l’hygiène publique, ceux de la connaissance scientifique et de la pratique médicale se sont conjugués pour permettre d’augmenter l’espérance de vie moyenne
des populations humaines, c’est-à-dire le pourcentage de ceux des humains capables d’atteindre de grands âges tout en faisant reculer les limites de ces derniers.
Le capitalisme a eu partie liée avec ces progrès, dont il a étendu le champ et accéléré le rythme. Et, pourtant, non seulement il en aura limité les pleins bénéfices à la partie de la
population mondiale concentrée dans les formations dominantes (les soi-disant « Etats développés »), et encore de manière très inégale ; mais aujourd’hui, il fait directement
obstacle à la poursuite de ce mouvement, y compris au sein de ces formations. L’augmentation de l’espérance de vie, qui devrait résonner comme une bonne nouvelle, y apparaît comme une
catastrophe parce qu’elle oblige à consacrer une part grandissante de la richesse sociale à l’entretien de personnes économiquement (mais non socialement) improductives et que cette
contrainte entre directement en contradiction avec les exigences de la reproduction du capital et les intérêts de ses propriétaires. Autrement dit, la survie du capitalisme exige aujourd’hui
de sacrifier la réalisation en cours d’un des plus vieux rêves de l’humanité et des plus beaux acquis de la civilisation : le prolongement de la vie et l’entretien de nos vieux.
Prenons un deuxième exemple, proche du précédent. C’est un autre rêve de l’humanité que celle d’une vie « sans maladie », d’une santé aussi constante et parfaite que possible. Et
c’est un autre acquis de la civilisation que d’avoir progressé dans cette voie et que d’avoir étendu le bénéfice de ces progrès au plus grand nombre. Inutile de rappeler que l’institution
d’une prise en charge publique, par le biais de l’impôt et de la cotisation sociale, de la lutte contre la maladie y aura largement contribué. Que des progrès restent à réaliser, là encore,
sur un plan mondial, c’est l’évidence même ; comme est évidente la disponibilité actuelle en moyens matériels et personnels à cette fin. Là encore, seule l’incompatibilité de leur
mobilisation avec les exigences de la reproduction du capital (qui impose non seulement un partage inégal de la richesse sociale mais encore un usage souvent nuisible de celle-ci) stérilise
cette possibilité. Et c’est ainsi qu’on vient nous expliquer que la prise en charge sociale de la maladie et des malades est devenue dispendieuse, qu’il faut mettre fin à la « dérive des
dépenses de santé » (quid de la dérive des revenus des professionnels de la santé, des profits des groupes pharmaceutiques et des intérêts des fonds de placement propriétaires des
cliniques privés dont ces dépenses réputées inflationnistes sont pourtant la condition soigneusement tue sinon cachée ?) et « rationner l’accès aux soins » au détriment d’une
part grandissante de la population, en commençant par la plus paupérisée ?
Veut-on un troisième exemple, qui n’est pas non plus sans rapport avec les deux précédents ? Le travail est d’abord une nécessité naturelle, inscrite dans notre condition
biologique ; au fil des siècles et au gré du développement de rapports d’exploitation de l’homme par l’homme, il est devenu une contrainte sociale ; et certains y voient même une
obligation morale, contractée à l’égard de nos tiers proches ou de la société dans son ensemble. Quoi qu’il en soit, précisément parce qu’il est inscrit à l’horizon de l’existence de la
plupart d’entre nous (j’exclus de ce nous les rentiers qui vivent à nos crochets), le travail s’est toujours accompagné du rêve de la fin du travail, qui compte ainsi lui aussi parmi les plus
archaïques de l’humanité.
Là encore, à défaut de pouvoir le réaliser tel quel, du moins les hommes se sont-ils avancés sur la voie de la réduction de la quantité de travail et donc de la durée du travail que chaque
humain doit fournir pour assurer la reproduction matérielle des sociétés dont il est membre, en en augmentant la productivité. Et, sous ce rapport aussi, le capitalisme s’est montré
progressiste en développant considérablement les forces productives de la société. Mais, là encore, sur un mode de plus en plus contradictoire, puisque l’économie grandissante de travail
vivant (le travail des hommes par opposition au travail mort des machines) que réalise l’accroissement de la productivité du travail se traduit, dans le cadre des rapports capitalistes de
production, par une augmentation constante du chômage et de la précarité salariale. Une fois de plus, comme la fée Carabosse, le capital compromet la réalisation d’un antique rêve
d’émancipation en cauchemar.
Allez, un dernier exemple pour faire bon compte. L’ensemble des « rêves » précédents s’articule sur celui de rendre les hommes « maîtres et possesseurs de la nature ». En
développant l’appareillage industriel du travail humain ainsi que les connaissances scientifiques qui en sont pour partie la condition, le capitalisme aura également contribué à la
réalisation de ce dernier rêve. Tout en le transformant là encore en cauchemar dès lors que ce projet de domination de la nature revient à traiter cette dernière comme un immense réservoir de
matières premières et d’énergie dans lequel on pourrait puiser sans tenir compte de sa finitude ainsi que comme un immense dépotoir dans lequel on pourrait rejeter les résidus et déchets de
la production industrielle, sans tenir davantage compte de la finitude des écosystèmes à les absorber. La catastrophe écologique qui en résulte n’est nullement accidentelle ni par conséquent
évitable : elle est inscrite dans le productivisme inhérent à la reproduction indéfinie du capital tout comme dans le caractère aveugle et incontrôlable d’un procès social de production
divisé entre de multiples capitaux indépendants et rivaux les uns des autres [1].
Le communisme ou la mort !
Je pourrais multiplier les exemples, en montrant comment le capitalisme contemporain compromet de même d’autres acquis de la civilisation, tels que l’élévation du niveau intellectuel et
culturel de la population obtenue par l’intermédiaire de la diffusion de l’accès à l’écrit ou encore l’autonomie affective et réflexive de l’individu. Mais plutôt que de multiplier ainsi les
exemples, tentons d’en dégager le sens général ainsi que les conséquences à en tirer sur le plan politique.
Il y a en gros un siècle, Rosa Luxembourg avait bien défini ce qui allait être l’enjeu du XXe siècle en posant le dilemme suivant : le socialisme ou la barbarie. Et, en effet, faute
d’avoir su réaliser le socialisme et pour l’avoir lamentablement parodié sous la forme de la social-démocratie et atrocement défiguré sous la forme du stalinisme, le siècle écoulé n’a pas été
avare de barbaries. Aujourd’hui, au terme d’un siècle d’élargissement et d’approfondissement de l’emprise du capitalisme sur l’humanité, l’enjeu s’est lui-même radicalisé : ce sera le
communisme ou la mort ! Ou bien nous serons capables de dépasser le capitalisme en réalisant le projet communiste d’une société réconciliée avec elle-même ainsi qu’avec la nature (pour
faire bref), ou bien les tendances mortifères du capitalisme à l’œuvre dans les régressions précédemment pointées iront jusqu’à leur terme.
La première condition pour conjurer cette perspective est bien de prendre conscience que de telles tendances sont ici à l’œuvre et d’en mesure la violence potentielle. Or on est encore très
loin du compte y compris parmi ceux qui dénoncent les régressions précédentes et se mobilisent contre elles, sans pour autant deviner de quoi elles sont grosses. La plupart d’entre eux
jugeront sans doute que j’exagère voire que je délire en parlant de telles tendances. Qu’ils réfléchissent un moment aux faits suivants :
• Instituer un allongement de la durée de cotisation et donc d’activité pour pouvoir prétendre à une pension à taux complet, alors même que les carrières professionnelles sont par ailleurs de
plus en plus raccourcies par l’allongement du délai d’accès à un premier emploi stable et la multiplication, en cours de vie active, des périodes de chômage, n’est-ce pas programmer sciemment
le raccourcissement de l’existence des retraités par usure au travail d’un grand nombre et par baisse de leurs revenus pour tous ?
• Que peut bien signifier le fait que l’on ait calculé que « (…) un peu plus de la moitié des dépenses de santé du régime général est destinée aux malades de 55 ans et plus de 30% à ceux
de 70 ans et plus » et que « Le montant moyen de dépenses médicales représente 5238 euros chez les seniors contre une moyenne nationale de 1793 euros. »
[2] ? Sinon qu’on induit ainsi l’idée que les « seniors » coûtent cher non seulement à l’assurance-vieillesse mais encore à l’assurance-maladie et qu’on ferait
d’une pierre deux coups si l’on pouvait abréger leur existence ? Et pour en rajouter une touche, méditons le ballon d’essai suivant d’un Alain Minc, toujours à la pointe de l’entreprise
de déconstruction de l’Etat-providence : « J’ai un père qui a 102 ans. Il a été hospitalisé pendant 15 jours en service de pointe, il en est sorti. La collectivité française a
dépensé 100.000 euros pour soigner un homme de 102 ans. C’est un luxe immense, extraordinaire, pour lui donner quelques mois, ou j’espère, quelques années de vie. Je trouve aberrant que quand
le bénéficiaire a un patrimoine ou quand ses ayants droit ont les moyens, que l’Etat m’ait fait ce cadeau à l’œil. Et donc, je pense qu’il va bien falloir s’interroger sur le fait de savoir
comment on récupère les dépenses médicales sur les très vieux en ne mettant pas à contribution ou leur patrimoine quand ils en ont un ou le patrimoine de leurs ayants droit. Ce serait au
programme socialiste de le proposer. » [3]
• Que peut bien signifier que les gouvernants s’entêtent (en France du moins) à maintenir en activité des réacteurs nucléaires à bout de souffle (initialement programmés pour durer trente
ans, on projette de les faire fonctionner quarante ans voire au-delà) ou à construire des réacteurs de « nouvelle génération » (type EPR) dont on sait qu’il présente des risques
spécifiques d’accidents graves (type Tchernobyl) sinon que c’est là une manière de dire aux populations qu’elles doivent accepter de courir de tels risques ? Tout comme il faudra que les
générations futures acceptent de vivre pendant des centaines et même des millions d’années à côté ou au-dessus de poubelles débordant de déchets nucléaires.
• Que peut signifier la récurrence des « marées noires » (la dernière en date qui vient de se déclencher dans le golfe du Mexique promet de dépasser toutes les précédentes réunies)
et le fatalisme avec lequel elles sont accueillies par ces mêmes gouvernants et leurs hérauts médiatiques sinon que la poursuite de la « croissance économique » (= la reproduction
du capital) vaut bien qu’on lui sacrifie le milieu marin tout entier s’il le faut ?
Jaurès disait que le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage [4]. Aujourd’hui le capitalisme n’est plus mortifère seulement sur les champs de bataille qu’il multiplie
pourtant un peu partout sur la planète. C’est par l’ensemble des dimensions de sa dynamique de reproduction qu’il est déjà actuellement mortifère ou qu’il s’apprête à devenir de jour en jour
davantage. Il devient urgent d’en faire naître et d’en aiguiser la conscience dans le mouvement social.
Quelques mots d’ordre radicaux, (mais pas trop, tout de même !)
A cette fin, je propose que soient diffusés dans les prochaines mobilisations des slogans qui, loin de s’opposer aux tendances mortifères en question, surenchériront sur ces dernières de
manière à les rendre les plus explicites et intelligibles possible. Par leur caractère à la fois absurdes et monstrueux, ces slogans doivent amener à prendre conscience du nihilisme radical
et de la profonde barbarie qui animent le capitalisme contemporain. Ce qui n’exclut pas de recourir à l’humour noir pour faire rire jaune ! La liste suivante en fournit quelques exemples
qui n’ont aucune prétention à l’exhaustivité. Je fais confiance dans l’imagination des militants pour en inventer d’autres :
• Institution d’une durée légale maximale de vie pour tous ! L’idéal serait la fixation de cette durée à 65 ans puisque cela permettrait de supprimer l’assurance vieillesse (par
euthnasie), ce qui fera plaisir à la patronne du MEDEF, Laurence Parisot. Mais, pour ne pas trop choquer le public (j’entends déjà d’ici l’indignation des Thibaut – CGT –, Mailly _ FO – et
Chérèque –CFDT) et ménager une transition, on peut envisager de partir de l’espérance de vie actuelle (disons 80 ans) et de diminuer l’âge en question d’un semestre par an jusqu’à atteindre
65 ans en 2040. C’est raisonnable, non ?
• Institution d’un capital santé pour tous, c’est-à-dire d’un montant global de prise en charge de soins sur l’ensemble de l’existence, depuis la naissance, au-delà duquel il appartiendra à
chacun de payer intégralement les soins auxquels il voudra recourir… s’il peut. On laissera le soin aux « partenaires sociaux » de fixer ce montant, en veillant cependant à ce qu’il
ne soit pas trop élevé. Selon le principe bien connu que « Les soins, ce n’est pas obligatoire, même et surtout quand on est malade ! ».
• Rétablissement de l’esclavage. On a beaucoup trop et injustement décrié l’esclavage qui présente pourtant bien des avantages. Car l’esclave est assuré, outre sa ration de coups de fouet ou
de bâton, d’être nourri, logé et blanchi (même médiocrement) et de ne jamais connaître les affres du chômage et de l’inactivité. Chacun pourra donc choisir librement de devenir esclave plutôt
que de rester travailleur salarié ou chômeur, en ayant la possibilité de se vendre lui-même au plus offrant et de racheter ultérieurement sa propre liberté le cas échéant. Evidemment, il
conviendra d’instituer une bourse aux esclaves, où le cours de chaque catégorie d’esclaves devra fluctuer selon les règles imprescriptibles d’« une concurrence libre et non
faussée ». La Croix Rouge et Amnesty International seront autorisés à enquêter et à rapporter sur les conditions de vie des esclaves, en veillant à ce qu’ils ne soient soumis à aucun
traitement inhumain ni dégradant.
• Institutions de primes de risque écologique. Les personnes qui accepteront de vivre et de travailler dans des conditions écologiquement dangereuses ou a fortiori dégradées se verront
gratifiées d’une augmentation de leur capital santé et d’un allongement de leur durée légale d’existence…
• Et pour résumer le tout : « La vie est un luxe que tout le monde n’est pas (plus) en droit de se payer ! »
(*) Alain Bihr vient de publier aux Editions Page deux, dans nouvelle collection « Empreinte », La logique méconnue du Capital.
1. Voir l’article : « Le capitalisme peut-il se mettre au vert ? » publié dans la revue La Brèche, numéro 5, mars 2009.
2. Etude de l’impact du vieillissement de la population sur les depenses de sante, CNAMTS
3. Déclaration faite à l’émission "Parlons Net", France-Info, 7 mai 2009.
4. Les véritables propos de Jaurès sont les suivants : « Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand est à l’état
d’apparent repos, porte en elle la guerre, comme une nuée dormante porte l’orage ». Textes choisis, Editions Sociales, 1959, p. 88.
On présente souvent les marxistes comme hostiles et intransigeants face à la religion se revendiquant de la célèbre formule de Marx : « La religion est l’opium du
peuple ».
Pour comprendre l’attitude du marxisme envers la religion, il faut d’abord nous pencher sur l’analyse matérialiste du système. L’homme se pense et pense son rapport au monde dans un système.
C’est ce qu’explique Marx lorsqu’il écrit que « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur
conscience. » [1] Autrement dit, cette société dans laquelle nous vivons nous permet de nous penser, et nous construisons notre
conception du monde à partir de celle-ci et non l’inverse. Le matérialisme historique s’oppose à la philosophie classique qui pense le monde à partir de l’idée. Lorsque Descartes écrit le
fameux cogito : « Je pense donc je suis », il théorise que le monde qui nous entoure n’est jamais indépendant de notre pensée. La seule certitude de l’homme c’est
qu’il doute de tout ce qui l’entoure. Si on ne peut être sûr que ce qui nous entoure est réel on ne peut en revanche douter de notre existence puisque le fait de douter la prouve. Le
matérialisme historique se construit en opposition frontale à cette conception puisqu’il suppose l’acceptation du monde matériel indépendamment de notre pensée : j’ai non seulement la
certitude que le monde existe en dehors de ma pensée de celui-ci, mais aussi que ma conscience se détermine en fonction de lui et non, comme dans la vision cartésienne, lui en fonction
d’elle.
La conception classique du monde aboutit à l’acceptation de la religion, comme l’écrit John Molyneux : « L’idéalisme philosophique et la religion sont intimement liés. Si
l’esprit a la priorité sur la matière, quel esprit cela peut-il être sinon celui de Dieu ? » [2]. Le matérialisme
historique dénonce ainsi l’évidence de la religion. Il est incompatible avec celle-ci puisque si la matière précède l’esprit, l’esprit divin n’a plus de sens. Mais alors, en tant que
matérialiste, comment expliquer la religion ? On ne peut pas se contenter de rejeter la religion comme une illusion. Il faut donc être en mesure d’en donner une lecture matérialiste.
Contestations du système
Si notre conscience se construit en fonction du monde, il faut donc conclure que c’est la société qui produit la religion. La religion est une réponse à l’aliénation humaine. En tant que
produit du système, elle est la réponse à un besoin pour l’être humain opprimé dans un système d’en sortir partiellement. La religion naît et se développe à partir de l’oppression des hommes.
Elle permet de limiter cette sensation d’oppression et les peines qui en découlent en faisant espérer une autre vie après la mort sans souffrances. La religion permet à l’être humain de
croire à une autre société que celle dans laquelle il vit et elle lui donne de l’espoir dans un monde désespéré.
Beaucoup ont entendu et entendent encore l’expression « opium du peuple » comme la définition que donne Marx de la religion. Si, en effet, Marx définit la religion comme un
opium, l’analyse qu’il en fait ne se limite pas à cette comparaison : « La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation
contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du
peuple. » [3] Autrement dit, la religion est contradictoire : elle est un opium visant à apaiser une partie de la
population, renforçant en cela le système dans lequel nous vivons, mais elle est aussi le début d’une contestation du système. En effet tout en maintenant des illusions sur la religion,
l’homme peut critiquer et remettre en cause le système qui l’oppresse et combattre pour son renversement. C’est pourquoi Marx écrit qu’elle est à la fois : « l’expression
de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle ». En tant que marxistes nous devons combattre la religion en tant que facteur d’aliénation de
l’homme : « Le dépassement de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence de son véritable bonheur. » [4] Mais ce dépassement n’implique pas la suppression de la religion comme préalable nécessaire à l’émancipation sociale. Si nous sommes pour l’abolition du
salariat, nous ne le combattons pas frontalement : nous pensons que c’est dans la lutte contre le système qui le génère que peuvent se créer les conditions de son dépassement. De la même
manière nous ne pouvons supprimer la religion en la niant mais nous pouvons mettre en place les conditions qui mèneront à son inutilité et à sa disparition. L’erreur à ne pas commettre
aujourd’hui est de stigmatiser les croyants au lieu de tenter de réduire sur eux l’emprise de ceux qui détiennent et vivent de ce pouvoir religieux, de la même manière que nous cherchons, au
quotidien, à affaiblir le pouvoir politique et économique. En d’autres termes, ce ne sont pas les fumeurs d’opium que nous devons combattre mais ceux qui vendent l’opium tout comme ceux qui
entretiennent un système dans lequel la religion est nécessaire.
Comment à la fois considérer la religion comme un symptôme de la société et une contestation de celle-ci ? Comment les marxistes doivent-ils lutter contre la religion sans rejeter une
partie de la population ? Nous ne pouvons détacher la religion de notre vision du système, et les deux doivent être combattus mais aussi analysés ensemble. Pour Lénine, si les marxistes
promeuvent une compréhension scientifique du monde, « cela ne veut pas du tout dire qu’il faille mettre la question religieuse au premier plan ». Au contraire,
« Il serait absurde de croire que, dans une société fondée sur l’oppression sans bornes et l’abrutissement des masses ouvrières, les préjugés religieux puissent être dissipés par la
seule propagande. Oublier que l’oppression religieuse de l’humanité n’est que le produit et le reflet de l’oppression économique au sein de la société serait faire preuve de médiocrité
bourgeoise. Ni les livres ni la propagande n’éclaireront le prolétariat s’il n’est pas éclairé par la lutte qu’il soutient lui-même contre les forces ténébreuses du capitalisme. L’unité de
cette lutte réellement révolutionnaire de la classe opprimée combattant pour se créer un paradis sur la terre nous importe plus que l’unité d’opinion des prolétaires sur le paradis du
ciel » [5].
La religion face au système : Comprendre et combattre l’islamophobie
À diverses époques, différentes religions ont été stigmatisées et ses croyants persécutés. Ce phénomène est toujours lié à des intérêts politiques et économiques. Aujourd’hui pour diverses
raisons politiques, on voit se développer dans les sociétés occidentales une islamophobie grandissante accompagnée du rejet et d’un racisme envers les personnes d’origine arabe.
L’Islam est aujourd’hui une religion victime de nombreuses discriminations depuis la loi interdisant le voile dans les écoles publiques françaises, en passant par l’interdiction récente du
burkini dans certaines piscines municipales ou encore par le débat actuel lancé par le gouvernement sur le port de la burka en lien avec celui lancé sur l’identité nationale. Cette
discrimination ne touche pas seulement la France mais l’ensemble du monde occidental (cf. : récemment la loi contre la construction de minarets en Suisse). À tout bout de champ, dans les
médias, à travers les discours d’hommes politiques, l’Islam est associé au terrorisme et à l’intégrisme religieux. On se souvient de certaines formules de Nicolas Sarkozy proférées, lors de
la campagne présidentielle, à l’égard de la communauté musulmane : « Je ne veux plus de filles excisées, plus de filles mariées de force, plus de moutons égorgés dans les
baignoires. »
Mais comment expliquer et comprendre le développement de l’islamophobie dans les sociétés dites occidentales ? Il se trouve que la grande majorité des peuples qui détiennent les réserves
mondiales de pétrole est musulmane. Alimentée par la théorie du choc des civilisations, cette raison devint suffisante pour développer ce qui, aux États-Unis, fut nommé « guerre
contre le terrorisme ». Cette guerre idéologique et politique sans limites a conduit à des guerres biens réelles au Moyen Orient – notamment en Irak et en Afghanistan – et à la
stigmatisation des populations du monde arabe. Ces guerres, justifiées idéologiquement de la même manière que l’étaient les guerres coloniales par l’importation de la démocratie et du modèle
occidental, ont rencontré d’importantes résistances sur place. Or, la résistance des peuples du Moyen Orient à l’impérialisme s’est souvent exprimée sous la forme de l’Islam. Pour citer John
Molyneux qui analyse la montée de l’islamophobie : « Si les gens qui peuplent le Moyen Orient ou l’Asie centrale avaient été bouddhistes, ou si le Tibet contenait des champs
pétrolifères comparables à ceux de l’Arabie saoudite ou de l’Irak, nous serions aujourd’hui confrontés à une floraison de bouddhophobie. » [6] Dès lors, la meilleure façon de rendre ces guerres acceptables est le développement d’un racisme latent par l’idée que l’islam serait une religion arriérée et
dangereuse, incapable de se renouveler et de se réadapter. C’est ce que l’on entend dans la bouche des médias, de nombreux hommes politiques de droite comme de gauche, c’est cette théorie que
développent les théoriciens du choc des civilisations et qui a donné lieu à un livre écrit par Huntington que Bush, durant la guerre en Irak et en Afghanistan, invoquait pendant ses discours
pour justifier les attaques et les envois de troupes supplémentaires [7]. Les principales critiques que l’on entend à l’égard de l’Islam
portent sur le lien particulier qu’entretiendrait l’islam avec le sexisme. Il est important quand on parle de ce lien de chercher à comprendre l’origine du problème. Encore une fois, je
m’appuierai sur l’analyse de John Molyneux : « Ce n’est pas la conscience religieuse musulmane qui détermine la position des femmes dans la société musulmane, mais la situation
réelle des femmes qui modèle les croyances religieuses musulmanes. L’Islam est née dans la péninsule arabique. Pendant des siècles, cette grande ceinture a été essentiellement pauvre,
sous-développée et rurale, et le demeure aujourd’hui à un degré très important. D’autres sociétés, de l’Irlande à la Chine, porteuses de niveaux de développement et de structures sociales
similaires, exercent une oppression semblable sur les femmes et sur les gays. » [8] L’idée que l’Islam serait une religion
particulièrement sexiste et que le voile se limite à l’incarnation de ce sexisme, permet à la classe dirigeante de stigmatiser non seulement les musulmans mais l’ensemble de la population
arabe. Ainsi, le prétexte du voile, de la burqa et de l’extrémisme religieux permettent non seulement de justifier et de banaliser une forme détournée de racisme mais aussi de faire des
musulmans un bouc-émissaire idéal face aux problèmes économiques dans la société. Cette technique n’est pas nouvelle, et de même que certains analystes ont fait une comparaison entre la crise
de 1929 qui a précédé la seconde guerre mondiale et la crise que nous vivons actuellement, on peut comparer la montée croissante et inquiétante de l’islamophobie au développement de
l’antisémitisme qu’a connue la société à une autre époque « de crise ».
Les marxistes dans le NPA et la religion
Aujourd’hui, une grande partie de la population est croyante. Nous ne pouvons le nier, et nous devons à partir de ce fait considérer que les révoltes actuelles sont menées par des
travailleurs dont une partie est croyante. La révolution ne peut s’envisager sans cette partie de la population. En tant que matérialistes nous ne pouvons pour autant adopter une foi
religieuse. Toutefois, on ne peut la combattre par des discours, des articles ou des tracts mais par une pratique commune : le militantisme. Le NPA est un parti qui regroupe aussi bien
des marxistes que des militants aux trajectoires très diverses. Il vise à rassembler tous ceux et celles qui veulent se battre pour engager une confrontation concrète contre le système
capitaliste dans son ensemble. Si le NPA a pour objectif d’être un parti de masse il est inévitable que dans ses rangs une partie des travailleurs soit croyante. Rejeter des travailleurs sous
le seul prétexte qu’ils sont croyants serait une erreur. D’une part, cela reviendrait à abandonner des populations ouvrières aux discriminations que leur fait subir la classe dirigeante, ce
dont pourraient profiter des organisations qui instrumentalisent la religion et le politique que l’on prétendrait combattre. De la même manière, cela ne permettrait pas de combattre le
racisme autour duquel la classe dirigeante essaye aujourd’hui d’unir les travailleurs qui ne sont pas victimes de cette stigmatisation. Enfin, cela reviendrait à croire que les croyances
religieuses seraient par essence incompatibles avec toute volonté de transformation de la société.
Alors que le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie était à l’époque un parti ouvertement marxiste, Lénine défendait pourtant que même un prêtre y aurait sa place. Du moment qu’
« il s’acquitte consciencieusement de sa tâche dans le parti sans s’élever contre le programme du parti, nous pouvons l’admettre dans les rangs de la social-démocratie, car la
contradiction de l’esprit et des principes de notre programme avec les convictions religieuses du prêtre, pourrait, dans ces conditions, demeurer sa contradiction à lui, le concernant
personnellement. ». Plus généralement, poursuivait-il, « nous devons non seulement admettre, mais travailler à attirer au parti social‑démocrate tous les ouvriers qui
conservent encore la foi en Dieu ; nous sommes absolument contre la moindre injure à leurs convictions religieuses, mais nous les attirons pour les éduquer dans l’esprit de notre
programme, et non pour qu’ils combattent activement ce dernier. » [9]
La lutte contre la religion est subordonnée à la lutte des classes et un parti anticapitaliste comme le NPA se doit d’intégrer tous les éléments du prolétariat qui sont prêts à combattre le
système, y compris ceux qui conservent des idées religieuses.
À Lire...
Le texte de Marx d’où est tirée la fameuse citation sur l’« opium du peuple » est l’Introduction à la Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel. Fort
heureusement, le texte est beaucoup plus beau que le titre ! On peut le lire sur Internet à l’adresse suivante : http://www.marxists.org/francais/ma...
De nombreux écrits de Marx et Engels sur la religion ont été rassemblés dans un livre publié en 1968 aux Éditions Sociales. On le trouve encore parfois en librairie, mais on peut aussi le
télécharger sur http://classiques.uqac.ca/classique...
Lénine a écrit deux textes courts et faciles à lire sur la question : « Socialisme et religion » (http://www.marxists.org/francais/le...) et « De l’attitude du parti ouvrier à l’égard de la religion »
(http://www.marxists.org/francais/le...). Ce dernier expose de
façon particulièrement claire et utile l’attitude qui doit être celles des révolutionnaires marxistes : la subordination de la lutte contre la religion à la lutte de classes. On peut
d’ailleurs en savoir plus sur l’attitude des bolcheviks en lisant sur notre site « Les bolcheviks, l’Islam et la liberté religieuse » de Dave Crouch (http://quefaire.lautre.net/archives...).
Parmi les textes récents, celui de notre camarade Michaël Lowy, « Opium du peuple ? Marxisme critique et religion », est une excellente introduction générale. (http://www.npa2009.org/content/opiu...). Celui
de Gilbert Achcar est plus long, et aborde la question de l’attitude des révolutionnaires envers la religion de peuples colonisés (http://www.npa2009.org/content/marx...). Sur notre site, le texte de John Molyneux
« Pas seulement un opium » est un excellent résumé de l’approche marxiste envers la religion, et une critique utile de l’athéisme borné (http://quefaire.lautre.net/archives...).
Sur la question de l’Islam politique, Chris Harman a écrit au milieu des années 90 un texte fondamental, « Le prophète et le prolétariat » (http://tintinrevolution.free.fr/fr/...). À l’occasion du débat autour de l’exclusion de jeunes filles
portant un foulard de l’école publique, Antoine Boulangé a écrit une brochure qui reste d’une brûlante actualité : « Foulard, laïcité et racisme » (http://quefaire.lautre.net/ancien/a...).
Enfin, à propos des débats suscités par la candidature d’une camarade voilée au Danemark, on relira avec profit l’article de Nina Trige Andersen paru dans le numéro 10 de l’ancienne formule
de cette revue, « Les musulmans, la gauche et les féministes auto-proclamés » (http://quefaire.lautre.net/que-fair...).
Comme l’a montré la rencontre de cette semaine entre Elie Wiesel et Obama, avec des amis comme ça Israël n’a pas besoin d’ennemis.
Vous les colons de Pisgat Ze’ev, vous qui vous êtes imposés à Shekh Jarrah, vous qui convoitez Silwan, vous qui vous êtes infiltrés dans les quartiers musulmans, et vous aussi, Nir
Barkat, Maire de cette ville nationaliste, pouvez cesser de vous inquiéter : Jérusalem toute entière vous appartient pour toujours. Le prix Nobel de la paix, Elie Wiesel a été à la
Maison Blanche voir son ami, Barack Obama, en mission pour un autre ami, Benjamin Netanyahu, et en sortant il a dit qu’il avait bon espoir qu’Obama suive son conseil de reporter les
pourparlers sur Jérusalem.
Avec des amis comme ça, Israël n’a pas besoin d’ennemis. Soixante deux ans après avoir déclaré son indépendance, Israël a encore besoin de colporteurs juifs influents -parfois Wiesel et
parfois Ron Lauder- pour aller intercéder après du Noble Maître. Quarante trois ans après le début de l’Occupation, tous ces gens unissent leurs efforts dans un seul but : la
maintenir.
Il n’y a pas beaucoup de Juifs qui, comme Wiesel, trouvent porte ouverte à la Maison Blanche et que le Président écoute. Et que fait Wiesel de cette chance unique ? Il demande à
Obama de reporter les pourparlers sur Jérusalem. Il ne lui parle pas de la nécessité de mettre fin à l’occupation, ni d’établir une paix juste (et un Israël juste), ni de l’horrible
injustice qui est faite aux Palestiniens. Non, il lui parle de maintenir l’occupation.
Et lorsqu’il est invité à déjeuner par le Président, au lieu de profiter de son soit disant ascendant moral pour supplier son hôte de ne plus tolérer la mauvaise volonté d’Israël, il
marchande un report. Il l’a fait apparemment pour le bien d’un pays dont le Premier Ministre, il y a juste un an, a fait un discours sur la solution de deux états mais n’a rien fait
depuis pour la mettre en œuvre. Un pays que la Syrie supplie presque de faire la paix et un pays contre qui les Palestiniens ont arrêté depuis longtemps de perpétrer des attentats. Mais
ce pays refuse de faire la paix. Et voyant tout cela qu’est-ce que cet ami recommande ? de reporter. De reporter et reporter encore, comme Netanyahu qui l’a envoyé lui a demandé de
le faire.
Cet homme dont le comité du prix Nobel a dit :" C’est un messager pour l’humanité ; son message est un message de paix, de pardon et de dignité humaine", fait juste le
contraire. Pas de paix, pas de pardon, pas de dignité humaine, en tous cas pas pour les Palestiniens. Après la ridicule campagne de publicité américaine faisant valoir que Jérusalem est
citée dans la Bible (plus de 600 fois) et pas une seule fois dans le Coran, peut-être que malheureusement le Président du changement va écouter l’avis de son ami, le survivant de
l’Holocauste, et détruire toute chance de paix.
Wiesel fera le nécessaire et Obama reportera. Environ un quart de million de Palestiniens vivront sous occupation israélienne encore une génération. Un quart de million ? Non, trois
millions et demi parce que pour Obama, Wiesel et en fait tout le monde, il est clair qu’il n’y aura pas de paix si on ne divise pas Jérusalem.
Et qu’en sera-t-il si Obama reporte les pourparlers sur Jérusalem comme le lui demande son ami ? Et les reporter jusqu’à quand ? Encore 43 ans ? Ou peut-être 430 ans ?
Et qu’arrivera-t-il en attendant ? 100 000 colons de plus ? Le Hamas au gouvernement en Cisjordanie aussi ? Et pourquoi ? Parce que Jérusalem n’est pas mentionnée dans
le Coran, les Palestiniens qui y vivent n’ont pas le droit de décider de leur sort ?
Et qu’en est-il de la sainteté de Jérusalem, troisième ville sainte de l’Islam après la Mecque et Medina ? Quel est le rapport entre la sainteté et l’indépendance, de toutes
façons ? Que se passera-t-il si les pourparlers sont reportés et qu’ils parlent de l’eau comme le souhaite Netanyahu ? Aucune de ces questions n’a été posée a l’ami.
Comme c’est triste que ce soient ces gens-là qui soient considérés par les Juifs comme des modèles ! On dirait qu’ils croient que le soutien automatique et aveugle à Israël et ses
caprices est le signe d’une vraie amitié - que maintenir l’occupation sert les buts d’Israël et ne menace pas son avenir. Ils écoutent leur conscience et dénoncent les injustices dans le
reste du Monde, mais quant il s’agit d’Israël, on dirait qu’un voile leur tombe sur les yeux et on ne les entend plus.
Si j’étais Elie Wiesel un illustre survivant de l’Holocauste, un lauréat du prix Nobel, je dirais à mon ami de la Maison Blanche, au nom de la paix, de l’avenir d’Israël et de la paix
dans le monde : "Je vous en prie, Monsieur le Président, soyez ferme. Israël dépend de vous plus que jamais. Il est si isolé que sans le soutien américain il disparaîtrait. C’est
pourquoi, Monsieur le Président", je dirais à Obama, en mangeant la nourriture kosher qu’on me servirait, "soyez un vrai ami pour Israël et évitez lui la catastrophe".
Analyse du « Document d’orientation sur la réforme des retraites »
Le gouvernement vient d’adresser aux syndicats et au patronat son « Document d’orientation sur la réforme des retraites ».
Il persiste et signe dans son intention d’aggraver encore les conditions de travail des salariés et celles dans lesquelles ils pourront prendre leur retraite. Trois dimensions caractérisent ce
projet : le gouvernement ment, il manipule l’opinion et il fait preuve d’une mauvaise foi sans pareille.
Mensonges
Le gouvernement affirme que « la véritable cause du déséquilibre de nos régimes de retraites est la démographie ». C’est doublement faux. Le Conseil d’orientation des retraites a indiqué dans son
rapport d’avril 2010 que la principale raison de l’aggravation des déficits sociaux était la crise financière : en 2006, donc avant la crise, le déficit de l’ensemble du système de retraite était
de 2,2 milliards d’euros ; en 2008, il atteignait 10,9 milliards et il devrait être de 32,2 milliards en 2010.
D’autre part, l’allongement de l’espérance de vie ne devient une catastrophe que si on refuse de mettre en débat la richesse produite, sa nature, son évolution et la manière dont elle est
répartie.
Manipulations
Le gouvernement affirme s’engager à « écarter toute solution qui baisserait le niveau de vie des Français ou augmenterait le chômage ». Or, prétendre inciter les salariés à travailler plus
longtemps, que ce soit en reculant l’âge légal de la retraite ou en augmentant la durée de cotisation, entraîne inéluctablement une baisse du niveau des pensions, malgré tous les serments qui
prétendent le contraire. C’est déjà le résultat des contre-réformes de 1993 et de 2003, ce sera le cas avec celle de 2010 si elle est effective.
Alors que le chômage continue d’augmenter, le travail forcé des seniors se substituera à l’emploi des jeunes. Le « travailler plus » des uns se traduira par l’exclusion et la précarité des
autres, jeunes, femmes, non diplômés. La reconnaissance de la pénibilité du travail semble se limiter pour le gouvernement aux salariés déjà « cassés » par leur travail, qu’on ne contraindra
(peut-être) pas à travailler plus longtemps…
Toute alternative au « travailler plus » est a priori exclue sans possibilité de discussion : toute augmentation des cotisations est interdite. On nous dit que les déficits des régimes de
retraite se chiffreront par dizaines de milliards d’euros, voire plus de 100 milliards en 2050 : mais on refuse d’accompagner l’évolution démographique par une augmentation des cotisations au fur
et à mesure que la richesse s’accroît. Pourtant la seule application du taux de cotisation patronale aux dividendes distribués comblerait immédiatement tout le déficit actuel de la Caisse
nationale d’assurance vieillesse, le régime général de la Sécurité sociale.
Quant à la « contribution supplémentaire de solidarité sur les hauts revenus et les revenus du capital sans restitution au titre du bouclier fiscal », elle restera largement symbolique au regard
des sommes nécessaires. Le flou règne sur ces nouveaux financements, mais le choix de reculer l’âge légal de la retraite et/ou de rallonger la durée de cotisation est présenté comme ferme et
définitif.
Mauvaise foi
Le gouvernement réaffirme l’impératif de solidarité et sa confiance dans le système par répartition. Mais il organise en même temps la baisse inéluctable du niveau des pensions parce que de moins
en moins de salariés pourront satisfaire aux nouvelles obligations de travailler plus longtemps. Il ouvre ainsi la voie à tous ceux qui, comme le Medef ou les compagnies d’assurance, veulent
élargir le champ des retraites complémentaires par capitalisation auxquelles pourront souscrire les titulaires de hauts revenus ou de hauts salaires. Les inégalités sociales en seront encore
aggravées, dans la société et au sein même du salariat.
Loin de consolider la solidarité du système par répartition, le document gouvernemental met au programme des prochaines années une « réforme systémique » pour transformer notre système en un
système « par points » ou « par comptes notionnels ». Le Conseil d’orientation des retraites, dans son rapport de janvier, a montré comment une logique individualiste viderait alors de tout son
sens le système par répartition. Les pensions seraient calquées sur les contributions personnelles de chaque salarié cotisant : adieu au principe de solidarité qui inspire les fondements de la
Sécurité sociale. Alors même que – comme le reconnaît le Conseil d’orientation des retraites – cette réforme systémique n’aurait aucune efficacité face à un choc économique ou démographique.
La logique profonde de la réforme annoncée des retraites n’est donc pas de préserver la solidarité mais au contraire de rassurer les marchés financiers : à l’image de ce qui se passe en Grèce, en
Espagne et maintenant partout en Europe, le gouvernement veut montrer sa détermination à faire payer la réduction des déficits publics aux salariés et à la population, en laissant intacts les
revenus et le pouvoir de la finance.
L’association Attac, initiatrice, avec la Fondation Copernic, d’un appel pour « Faire entendre les exigences citoyennes sur les retraites » qui se traduit aujourd’hui par de multiples actions de
sensibilisation de la population sur l’enjeu des retraites, participera à toutes les initiatives qui seront prises dans les jours et les semaines à venir pour faire échouer le projet du
gouvernement.
Les événements qui se déroulent sous nos yeux en Grèce et leurs conséquences économiques politiques et sociales sont d’une grande importance. Il s’agit d’un conflit de classes exemplaire.
Que voyons-nous ? Face au capital et ses patrons, ses banquiers, ses spéculateurs, ses agences de notation, ses marchés financiers, ses institutions financières comme le FMI de
Dominique Strauss-kahn, la Commission européenne, la BCE, les dirigeants des États de l’Union, les parlementaires etc. etc., se dresse courageusement le peuple grec notamment les
travailleurs. Il s’agit d’un combat inégal entre le capital et le travail. D’un côté des parasites en tout genre qui, comme des vautours, dévorent encore ce qui reste de leur proie
grecque, de l’autre des hommes et des femmes qui luttent pour leur emploi, leur salaire, leur retraite, leur école, leur hôpital...
Les marchés financiers profitant de la situation, stimulés par les agences de notation, exigent pour leurs éventuels prêts à la Grèce des taux d’intérêt exorbitants. Les milliards
apportés par les États européens et le FMI ont été empruntés sur les marchés à 1,4 ou 1,5 % et prêtés à la Grèce à 5 % ! « /En aidant la Grèce, on s’aide nous-mêmes.
Les 6 milliards/ d’euros prêtés à la Grèce par la France /on ne les a pas trouvés dans les caisses de l’Etat. On les emprunte à un taux d’environ 1,4 ou 1,5% et on les prête aux Grecs à
environ 5%. Donc nous ferons un gain là-dessus. C’est bon pour le pays, c’est bon pour la Grèce, c’est surtout bon pour la zone euro. Il faut rassurer les marchés » /déclarait M.Eric
Woerth, ministre français des affaires sociales (1) ; c’est la notion capitaliste de l’aide ! Marchés financiers, gouvernements européens, FMI , tels des
vampires pompent ainsi généreusement la richesse du peuple grec.
La crise grecque montre également et d’une manière éclatante la faillite de toute la construction européenne. Ses institutions se sont révélées incapables de réagir et d’apporter la
moindre solution à un pays pourtant membre de l’Union. La BCE, la Commission européenne, le Conseil européen, l’Eurogroupe et le Parlement européen sont comme tétanisés, paralysés face à
cette crise. En revanche elles sont très promptes et actives pour imposer au peuple grec les différents plans dits d’austérité. Elles exécutent servilement les ordres des spéculateurs
parasites et des requins de la finance internationale. Faut-il rappeler qu’en dehors du Parlement européen, aucune institution ne possède la légitimité démocratique. Dans ces conditions,
elles ne peuvent agir que sous le contrôle et les exigences des marchés financiers. Jean-Claude Junker président de l’Eurogroupe n’a-t-il pas déclaré d’ailleurs que /« Si les marchés
mettent en cause la crédibilité de la démarche grecque, des mesures additionnelles devront être prises. La zone euro n’interviendra que lorsque cela aura été fait » ? /C’est
exactement ce qui s’est passé : après le premier plan d’austérité, les marchés financiers et les agences de notation avec la complicité des États de l’Union ont estimé que ce premier
plan n’était pas suffisant pour mettre la Grèce à l’abri d’un défaut de paiement. Le 6 mai 2010, le parlement grec vota un deuxième plan détruisant un peu plus ce qui reste encore des
services publics et poussant les travailleurs grecs à la misère. « /Nous pouvons garantir que le pays ne fera pas faillite »/ a lancé le ministre des Finances*, *Georges
Papaconstantinou. Signalons au passage que ce plan, « d’une sévérité inédite »(3) selon la presse bourgeoise elle-même, a été voté grâce aux voix des
socialistes du Pasok et de... l’extrême droite !
Pendant que les parlementaires discutaient de la manière la plus efficace pour étrangler les travailleurs grecs afin de satisfaire les marchés financiers, l’Union Européenne, le FMI etc.
des dizaines de milliers de manifestants scandaient « /FMI et UE nous volent un siècle d’acquis sociaux »//, ou encore //« Non à la destruction des droits des
travailleurs », // //« La crise ce sont les dirigeants qui doivent la payer : les voleurs, les spéculateurs »// etc. /
Entre les deux plans, les taux d’intérêt des obligations d’État grec à dix ans se sont envolés. Ils ont atteint des niveaux historiques à 12,506 % le 7 mai 2010 alors qu’ils ne sont
qu’ à 2,727 % en Allemagne et de 3,030 % en France (4). A quand le troisième plan ?* *L’ enrichissement de quelques uns n’a d’égal que la souffrance du
plus grand nombre. Vive l’Union Européenne !
Les bourgeoisies européennes sont donc déterminées à exploiter le peuple grec jusqu’à la moelle épinière. Les gouvernements européens de droite ou socio-démocrates, au solde de ces
classes dominantes, ne reculeront devant rien pour briser la résistance des travailleurs grecs. Ils n’hésiteront pas à utiliser tout leur appareil répressif pour imposer leur volonté et
garder leurs privilèges. Aujourd’hui c’est le peuple hellénique qui paie très cher les conséquences de la crise du capitalisme dont seule la bourgeoisie est responsable. Demain, sera
peut-être le tour des travailleurs espagnols, portugais, irlandais, italiens, français etc. Le capital ne connait pas de frontières. Dans sa logique et ses lois, il ne connait que le
profit. Nicolas Sarkozy, par la voix de son premier ministre François Fillon, prépare déjà les travailleurs à supporter les conséquences des « réformes » qu’il comptait imposer
avec ou sans les marchés financiers. Le gouvernement français peut même utiliser la situation grecque pour accélérer sa politique de destruction des acquis sociaux afin que la richesse
reste concentrée entre les mains d’ une minorité de la population.
La classe ouvrière européenne n’a pas d’autres choix que de se préparer au combat que lui impose le capital si elle ne veut pas que sa situation, déjà dégradée, ne s’aggrave encore
davantage. Mais ce combat ne peut être gagné que dans l’unité de l’ensemble des travailleurs européens. L’union de tous les prolétaires d’Europe est donc une nécessité vitale.
Cette fois il ne s'agit pas de raffinage de denrées nourricières pour produire de l'éthanol mais de méthanisation de ces mêmes productions agricoles à partir de
laquelle on va obtenir du gaz méthane. Si ce procédé peut être une bonne solution pour nos déchets périssables qui vont ainsi produire de l'énergie tout en ne posant plus de problème de stockage
ou d'incinération, ainsi que la production d'éthanol dans le cas de surproduction agricole, cela reste un détournement inconcevable de l'agriculture lorsque l'on va cultiver volontairement pour
nous alimenter en énergie, que ce soit pour les agro-carburants comme pour le méthane !
Les solutions alternatives doivent d'abord commencer par la réduction de nos consommations d'énergie ce qui diminuera dans un premier temps la notion de
productivisme. Le concept d'énergie renouvelable ne doit pas non-plus tomber dans la même erreur de ce qui amena la suractivité humaine, dont on ne peut que constater les ravages au fil des
jours. Il est évident qu'il est préférable de favoriser le photovoltaïque sur le toit des immeubles, voire sur les maisons individuelles que subventionner la prolifération de grandes étendues
cultivables transformées en champs de capteurs solaires. Dans le même ordre d'idée, de l'énergie à n'importe quel prix, il y a un autre secteur tout à fait discutable : c'est l'éolien
terrestre, mais surtout pour sa rentabilité aléatoire…, si ce n'est d'enrichir que celle des promoteurs du partenariat public/privé ; en l'occurrence les grandes multinationales qui par ce
biais réduisent à leur merci des municipalités devenant tributaires du bon vouloir du diktat capitaliste. On reconnaît là la continuité d'un productivisme dévastateur que l'on va tenter
d'atténuer sous le nouveau leitmotiv fumeux du capitalisme appelé pompeusement la « croissance verte ».
On pourrait citer moult exemples tant ils commencent à faire florès, mais nous prendrons celui de la méthanisation qui pourrait devenir de plus en plus d'actualité,
d'autant que pour l'Europe, entre autres, les agro-carburants observent une certaine pose due à deux conjonctures, un regard plus perspicace de la part des utilisateurs sur l'arnaque des
« biocarburants » (appellation trompeuse utilisée pour mieux faire vendre, la mode du préfixe « bio » servant d'appel commercial) et aussi, de la part des
raffineurs, une mise en veilleuse momentanée que l'on doit à un prix du pétrole un peu moindre. C'est d'ailleurs l'une des raisons de la baisse du prix des céréales (la demande est moindre, les
cours chutent), ce qui ne va pas perdurer lorsque le pétrole augmentera. On peut donc constater que le prix ne nos aliments dépend de moins en moins de la demande alimentaire, mais des
fluctuations du marché de l'énergie, et c'est là que le drame est en préparation.
Alors, pour produire de l'énergie, on veut aussi méthaniser en achetant des terres afin d'y semer des céréales pour en tirer au final du méthane. On pourrait croire
que cela se passe en Afrique du Sud ou plus généralement en Afrique subsaharienne où les multinationales investissent à tour de bras pour produire des agro-carburants, ou dans les marécage de
Malaisie qui sont surexploités par des plantations de palmier à huile œuvre de Nestlé et consort, sans oublier la déforestation industrielle de l'Amazonie. Non cela se passe à notre porte, dans
la Creuse à proximité de Guéret, sur les bords de la Gartempe où la société Abiodis veut acheter 300 hectares de terres pour produire des céréales qui seront méthanisés dans l'usine de Guéret. Il
n'y a pas besoin d'être grand clerc pour deviner que l'on va avoir affaire à de l'agrobusiness hyper productiviste afin de sortir des rendements maximums d'une terre qui ne sera qu'un
support ; les engrais, pesticides, insecticides, voire les OGM étant les bases de cette agriculture.
Voilà, cette course à l'énergie prétendue verte va transformer encore plus le monde agricole en une sorte d'usine à produire des carburants, des méthanes, des
amidons pour les polymères, etc. et ceci et de surcroit entre les mains d'industriels productivistes qui vont finir par faire disparaître totalement l'agriculture paysanne si nous n'y mettons pas
un frein.
C'est ce qu'ont essayé de faire lors de la séance plénière du conseil régional du Limousin le 20 avril des élus conscients et responsables en déposant une motion
s'opposant à la vente des terres. Le résultat sans surprise demandera néanmoins quelques explications. Pour rappel : l'UMP et le PS ont voté contre, Europe-Ecologie et ADS se sont abstenus,
« Limousin, terre de Gauche » a voté pour.
L'UMP, défenseur de la croissance capitaliste, qu'elle soit verte ou pas d'ailleurs, peu importe pourvu que le capital exulte, était dans son jardin et on ne peut
que remarquer une fois de plus qu'ils vont favoriser l'industrie capitaliste, qu'ils vont maquiller de « bio » pour mieux faire passer la pillule.
Les socialos de plus en plus incompétents, farouches promoteurs du fumiste développement durable ne pouvaient faire autre chose que d'emboiter le pas aux
capitalistes rois du libre échange et des marchés, ce qui les classe dans la même catégorie que les amis à Sarkozy. C'est à se demander s'ils savent ce que veut dire écologie hormis pour bien
paraître dans les salons et tromper le gogo, ceci avec la bénédiction des écolos bobos de la nébuleuse Europe écologie.
La nébuleuse, voilà le cas intéressant, car ces faux-culs se sont abstenus ! Pour nous faire voir la veille d'élection un « hélicolo » tartuffe
consommer quelques milliers de litres de carburant pour filmer une planète en décomposition, ils savent faire… Pousser des cris d'orfraie quand on a mis la boite de conserve dans la mauvaise
poubelle, ils savent faire…Par contre, quand il s'agit de s'attaquer aux vrais problèmes, raison de plus lorsqu'ils ne sont pas médiatisés ou plus simplement médiatiques, et qu'ils peuvent être
des freins à la fumeuses croissance verte, là, il n'y a plus personne. Car surtout, ce qu'ils oublient de dire c'est qu'ils ne sont pas anticapitalistes, anti-productivistes surtout, ou du moins
lorsqu'ils abordent le sujet du bout des lèvres ; enfumage puisque c'est pour ne pas paraître trop en retard avec les vrais écologistes qui eux le sont car éradiquer le capitalisme est un
concept incontournable pour sauver la planète. Dans d'autres temps nous aurions cité Coluche qui avait un mot très adapté à ces personnages et leurs agissements, nous ne le citerons pas, nous
dirons plus poliment : des baratineurs électoralistes s'adaptant aux contextes qui les arrangent, et menteurs de surcroît ! On comprend mieux le rapproche qui pourrait se faire avec le
PS, on va assembler les tartufes, ça nous promet un spectacle peu ragoûtant qui va cependant encore tromper le naïf….
Par contre, nous devons remercier les élus de « Limousin, terre de gauche » d'avoir voté pour cette motion qui, de plus, proposait une réflexion très
intéressante en évoquant un engagement sur la maitrise du foncier. Il y aurait d'ailleurs beaucoup à faire sur ce sujet dans le milieu agricole, ne serait-ce que pour l'obédience discutable des
Chambres d'agriculture ou de la SAFER (Société d'Aménagement Foncier et d'Etablissement Rural), pour ne citer que ces deux instances.
On peut faire une petite remarque, pas anodine dans sur le fond, quant aurait-il été si Limousin, terre de Gauche était rentré dans l'exécutif avec le
PS ?
Nonobstant, comme il y a des élus particulièrement intelligents dans ce mouvement, ils auraient voté contre le projet et pour la motion, nous en sommes persuadé,
mais la position aurait été probablement plus difficile à soutenir, donc la situation actuelle totalement indépendante du PS favorise bien la liberté d'expression sans arrière pensée. Cela aurait
sans doute aussi posé la même interrogation si « Tous ensemble, la Gauche vraiment ! » des Pays de Loire avait eu suffisamment de voix pour s'accoquiner avec le PS au second tour,
puisque Notre-Dame-des Landes, enjeux écologique et sociétal considérable, eut été un problème difficilement surmontable et une ambiguïté lors de la cohabitation.
Bref, des hommes sensés ont pris la bonne décision en soutenant la motion dont ils étaient aussi les instigateurs. L'espoir est qu'ils servent d'exemples et que
nous soyons vraiment vigilants sur cette lancée pour que l'ultralibéralisme débridé -avec son corolaire le productivisme capitaliste pour lequel les exploiteurs veulent absolument s'accaparer de
tout pour continuer à nous faire faire croire que l'on pourra indéfiniment produire de l'énergie sans détruite la planète- soit combattu sans concession !!!.
L’argumentation de tous ceux qui proclament qu’il serait nécessaire de réformer les retraites, c’est à dire de la quasi totalité des hommes politiques de la bourgeoisie, droite et gauche
confondues, des économistes et des commentateurs qui leur emboîtent le pas, se veut de bon sens : l’allongement de la durée de la vie imposerait une telle réforme. Mais c’est une
escroquerie, car s’il est vrai que le nombre d’actifs a diminué, le problème n’est pas là.
Si les caisses de retraite sont menacées de déficit, la raison essentielle ne réside pas dans l’augmentation à venir du nombre des retraités, mais dans la diminution des rentrées destinées à
alimenter ces caisses de retraite. Une diminution qui ne cesse de s’aggraver depuis près de quarante ans, et qui se détériore encore plus vite depuis l’explosion de la crise financière en
2007.
Pour maintenir ses profits, le patronat a réduit depuis des années les effectifs des entreprises, faisant produire autant, voire plus, par moins de travailleurs. Les plans de licenciements,
les fermetures d’entreprises, se sont multipliés, entraînant ces dernières années une augmentation massive du chômage. Et celle-ci est devenue une nouvelle arme aux mains des patrons pour
refuser toute augmentation des salaires, en prétendant que ceux qui ont la chance d’avoir un emploi devraient s’estimer heureux.
La stagnation des salaires des travailleurs qui ont gardé leur emploi (c’est-à-dire leur diminution de fait si l’on tient compte de l’inflation), les pertes salariales de la plupart de ceux
qui ont retrouvé un travail, les maigres allocations de chômage de ceux qui y ont droit, la misérable aumône du RSA, sans compter le nombre grandissant de ceux qui ne sont plus indemnisés, de
ceux qui essaient de survivre en courant de « petit boulot » en « petit boulot », ou avec des temps partiels imposés, tout cela explique les difficultés prévues pour
l’avenir des caisses de retraite.
Or, qui est responsable des bas salaires, si ce n’est le patronat ? Qui est responsable des licenciements et du chômage, si ce n’est ce même patronat ? Qui est responsable de la
généralisation de ces emplois qui obligent à vivre avec quelques centaines d’euros par mois, sinon le patronat et le gouvernement à son service ? La démographie n’est pour rien
là-dedans. Et la justice la plus élémentaire voudrait que ce soient les responsables de cet état de fait, les industriels et les banquiers, dont les profits sont florissants malgré la crise,
qui supportent les frais de cette situation.
Mais l’État, le gouvernement, sont au service de ces industriels et de ces banquiers. Et les seuls qu’ils envisagent de faire payer, ce sont les travailleurs.
Le camp des gens qui nous gouvernent, c’est celui du patronat. On en a encore eu un exemple quand, le 13 avril, Peugeot-Citroën, qui avait pourtant reçu des millions d’euros de dons du
gouvernement, sans compter des milliards d’euros de prêts, prétendument destinés à « défendre l’emploi », a annoncé la fermeture de son site de Melun-Sénart. Décision aussitôt
entérinée par le gouvernement, sous le fallacieux prétexte qu’il ne s’agissait pas d’un site de production.
Mais les travailleurs auraient tort de compter sur une hypothétique victoire de la gauche aux prochaines élections pour s’opposer aux attaques que le gouvernement peaufine contre les
retraites. Aucun gouvernement de gauche n’a remis en cause les décisions qui avaient été prises par la droite contre les retraites. Et il ne le fera pas plus dans l’avenir. Le président d’un
« laboratoire d’idées » socialiste, un proche de Strauss-Kahn, formule ainsi sa position sur le problème des retraites : « Il va falloir demander des efforts à
quelqu’un : les retraités ou les actifs » ! Mais ce prétendu socialiste n’imagine même pas de demander des efforts aux industriels et aux banquiers responsables de la
situation.
« Sauver le régime des retraites » comme ils disent, en garantissant à chacun la possibilité de partir à soixante ans, avec un montant décent, il n’y a qu’une lutte déterminée des
travailleurs, de l’ensemble des travailleurs, qui pourra l’imposer.
« Dans tous ces écrits, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste. Pour Marx, comme pour moi, il est absolument impossible d’employer une expression aussi
élastique pour désigner notre conception propre » (*) F. Engels
Didier Migaud et Michel Charasse ont été nommés par Sarkozy, l’un premier président de la Cour des comptes, l’autre au Conseil constitutionnel. L’un est député socialiste, l’autre est un
ancien ministre et ami de Mitterrand. Mais Sarkozy a recruté également Michel Rocard pour effectuer plusieurs missions, entre autres, pour réfléchir au grand emprunt national et servir
d’ambassadeur de France chargé des négociations internationales relatives aux pôles Arctique et Antarctique. Jack Lang, lui, a été envoyé à Cuba comme émissaire spécial du président et en
Corée du Nord pour « mission d’information ». Eric Besson, qui a quitté Ségolène Royal et le PS juste après les résultats du premier tour des
présidentielles de 2007, est nommé d’abord Secrétaire d’État avant de devenir Ministre de l’immigration. Martin Hirsch était confortablement installé dans son fauteuil de Haut Commissaire
aux Solidarités Actives et à la Jeunesse avant de quitter le gouvernement le 22 mars 2010. Jean-Marie Bockel occupe le poste de secrétaire d’État auprès de la ministre de la Justice et
des libertés. Bernard Kouchner, ministre des gouvernements socialistes de Michel Rocard à Lionel Jospin, travaille aujourd’hui pour Sarkozy en tant que ministre des Affaires étrangères et
européennes. Le cas de Dominique Strauss-kahn est plus délicat et moins flagrant. Sarkozy n’avait, si l’on peut dire, que soutenu activement sa candidature à la présidence du Fonds
Monétaire International (FMI). Il ne s’agit là que de la personnification d’une collaboration de classes d’un courant politique ancien, celui de la social-démocratie.
Ces hommes qui se déclarent toujours de « gauche » occupent des postes de ministres, de secrétaires d’État, de présidents ou membres d’institutions importantes pour aider
Sarkozy à appliquer une politique entièrement au service des classes dominantes. Répudier et renier ses propres principes politiques est devenu une habitude chez les socio-démocrates. Et
ce renoncement se fait naturellement sans état d’âme et sans scrupule. Il est difficile de distinguer sérieusement aujourd’hui un dirigeant social-démocrate d’un dirigeant de droite,
tellement leurs idées et leurs pratiques politiques se confondent. Privatisations, destruction des services publics, précarisation et « flexibilisation » de l’emploi, baisse des
charges pour les entreprises, cadeaux fiscaux accordés aux plus riches, réduction des dépenses publiques, mépris des couches populaires et soumission au patronat sont quelques aspects de
leur gestion commune du libéralisme. Leur vénération du marché et du profit les rend insensibles et indifférents aux injustices, aux inégalités et à l’irrationalité du capitalisme qui
produit en même temps richesses pour une minorité et misère pour la majorité de la population. La guerre reste pour eux , comme pour la bourgeoisie, l’un des moyens qu’ils utilisent au
niveau international pour régler les conflits.
Les socio-démocrates ont depuis longtemps renoncé à vouloir changer le monde. Ils se sentent plus à l’aise, tellement le mot révolution leur fait peur, dans la gestion de la brutalité et
de la barbarie du capitalisme qu’ils considèrent comme un système naturel et donc inéluctable.
Déjà en 1891, après la chute de Bismarck, les socio-démocrates allemands ont abandonné leur programme révolutionnaire contre un programme de réformes démocratiques. Depuis, les
socio-démocrates au pouvoir en Europe, avec des différences de degré et non d’essence, n’ont cessé de mener des politiques de collaboration de classes.
En 1914 ils ont voté, au Reichstag, les crédits de la guerre impérialiste avec ces termes : « Nous n’abandonnerons pas la patrie à l’heure
du danger ». Avec ce vote, les dirigeants socio-démocrates allemands ont contribué à déclencher l’une des plus meurtrières guerre de l’histoire : 9 millions de morts !
La Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) se rallie, elle aussi, à l’effort de guerre et à « l’Union sacrée » juste après l’assassinat de
Jean Jaurès en juillet 1914 ! Socio-démocrates et classes dominantes sont ainsi unis pour mener ensemble cette terrible guerre.
Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, figures emblématiques de la classe ouvrière allemande, sont assassinés en 1919 sur ordre de la social-démocratie.
Ces évolutions ont brisé l’unité du mouvement socialiste. En France, le congrès de Tours de 1920 a consacré la rupture entre les révolutionnaires et les réformateurs (socio-démocrates)
qui ont gardé le nom de la SFIO jusqu’à la fin des années soixante avec la création du parti socialiste. Et on va taire par pudeur les positions honteuses de la social-démocratie
concernant la colonisation.
Aujourd’hui, cette collaboration de classe est encore plus flagrante ; elle est même revendiquée et assumée : « Les différences entre la droite et la gauche sont
obsolètes » disait T. Blair (1). La « troisième voie » n’a t-elle pas été présentée justement comme le dépassement de la gauche et de la droite ?
Subjugués par le marché et la mondialisation capitaliste, les socio-démocrates anglais vont jusqu’à emprunter à M Thatcher ses convictions politiques et économiques. Le Labour party est
devenu le New Labour pour mieux marquer leur adhésion au néolibéralisme. Cette thatcherisation du parti travailliste a été facilitée, entre autres, par la défaite
des mineurs anglais qui avaient mené un combat héroïque contre Thatcher et l’État britannique en déclenchant l’une des plus dures et des plus longues grèves (1984/1985) de l’histoire de
la classe ouvrière anglaise. Les lois conservatrices anti-syndicales n’ont pas été remises en cause par Blair lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 1997. L’Employment
Act de 2002 ne cherchait, au contraire, qu’à étouffer les revendications des salariés et développer le partenariat (partnership) c’est-à-dire la paix sociale
entre travailleurs et patrons.
La politique étrangère menée par la social-démocratie anglaise et son avatar la troisième voie, est surtout marquée par l’alignement inconditionnel sur les États-Unis. La guerre en Irak,
qui a fait près de deux millions de morts, est un exemple éloquent de cette coopération étroite entre les républicains américains et les socio-démocrates anglais. Blair n’était-il pas
d’ailleurs le meilleur soutien de Bush dans cette boucherie irakienne ? L’autre allié de T. Blair n’est que le social-démocrate allemand Gerhard Schröder. La collaboration de classes
passe cette fois non pas par la troisième voie, mais par « le nouveau centre » !
De 1998 à 2005, Schröder a mené des politiques économiques et sociales en faveur du patronat que même le gouvernement Kohl ne pouvait réaliser. Le marché du travail a été flexibilisé et
précarisé par les réformes de l’Agenda 2010 et les lois Hartz (2003/2005). Les indemnités chômage ne sont versées que sur 12 mois seulement au lieu de 32 auparavant. Les chômeurs de
longue durée, qui sont tenus d’accepter n’importe quelle offre d’emploi, ne reçoivent qu’une allocation minimale de 350 euros mensuel. Les pensions de retraite ont été diminuées etc.
Schröder a ainsi précarisé et paupérisé l’ouvrier allemand. Par contre, il a fortement baissé les impôts pour les plus riches. Ainsi le taux marginal d’imposition est passé de 53 à
42 %.
En 2005, la collaboration de classe s’est concrétisée par la formation de la « grande coalition » formée du SPD et de l’Union chrétienne-démocrate CDU-CSU.
Là encore, il est difficile de distinguer le SPD des partis bourgeois avec lesquels il gouverne. Il est devenu au fil du temps, par sa politique antisociale, un instrument efficace au
service de la bourgeoisie allemande.
Le SPD, comme les Verts d’ailleurs, a engagé la Bundeswehr (l’armée allemande) dans la guerre au Kosovo et en Afghanistan. C’est cette même armée qui est responsable
du massacre de Kunduz en 2009 qui a coûté la vie à 142 personnes dont de nombreux civils. En France, le Parti socialiste (PS) ne fait pas exception à cette complicité de classes chère aux
socio-démocrates européens. Si des politiques en faveur des classes dominantes ont été menées dès 1983, c’est surtout le gouvernement Jospin (1997-2002) qui s’est le plus éloigné des
classes populaires. Jospin ne disait-il pas lui-même « mon programme n’est pas socialiste » ? Son gouvernement s’est illustré effectivement par un
nombre impressionnant de privatisations et d’ouvertures de capital d’entreprises publiques : France Télécom, Air France, EADS, Crédit lyonnais, Thomson Multimédia, GAN, CIC, Crédit
Foncier de France (CFF), Caisse nationale de prévoyance (CNP) etc. etc. En terme de recettes liées à ces privatisations, Jospin a fait mieux que ses deux prédécesseurs de droite Juppé et
Balladur réunis ! Les conséquences de cette vente massive au privé sont désastreuses pour les salariés et les citoyens usagers des services publics : suppressions de postes par
milliers, restructuration et dégradation de la qualité du service rendu. Le « new management », introduit dans ces entreprises privatisées notamment à
France Télécom, a poussé nombre de salariés au suicide.
Dominique Strauss Kahn et Laurent Fabius, deux ministres du gouvernement Jospin, ont adopté des mesures fiscales très avantageuses en faveur des stocks options. Laurent Fabius a également
mené une politique fiscale très favorable pour les entreprises et les classes aisées. Par contre lorsqu’il s’agit des intérêts des ouvriers, le gouvernement Jospin semble indifférent. Son
dynamisme et son volontarisme à servir le patronat n’a d’égal que son impuissance à défendre les ouvriers :« l’État ne peut pas tout » déclarait
Jospin lorsque Michelin avait annoncé le licenciement de 7500 salariés !
Sarkozy prépare en ce moment un plan pour venir à bout de ce qui reste encore du régime de retraite par répartition. Pour lui faciliter la tâche, François Hollande expliquait le 28 mars
2010 « qu’il faut sans doute allonger la durée des cotisations ». Martine Aubry disait-elle autre chose lorsqu’elle a déclaré, avant de se rétracter,
« je pense qu’on doit aller, qu’on va aller très certainement, vers 61 ou 62 ans » ?
Cette collaboration interne de classe, se prolonge également sur le plan externe. La guerre impérialiste en Yougoslavie était menée, main dans la main, par Chirac et Jospin derrière
l’OTAN.
Dans un communiqué conjoint du 24 mars 1999, on apprend que « le président de la République, en accord avec le gouvernement, a décidé la participation des forces
françaises aux actions militaires, devenues inévitables, qui vont être engagées dans le cadre de l’Alliance atlantique » (2). Le 23 mars c’est à dire le jour
même où les attaques aériennes contre la Yougoslavie furent décidées, Jospin déclarait à l’ Assemblée nationale « la France est déterminée à prendre toute sa part à
l’action militaire devenue inévitable ». Même détermination, même collaboration de classe et même soumission à l’impérialisme américain !
« Les armes vont parler » disait François Mitterrand pour annoncer la première guerre du Golfe en 1991. Lorsqu’il s’agit de défendre ses intérêts, la
bourgeoisie ne recule devant aucun moyen y compris le plus abject, la guerre. Et elle n’éprouve aucune difficulté à entraîner dans son sillage la social-démocratie.
Au sud de l’Europe, les socio-démocrates se distinguent, eux, par un zèle particulier à servir les classes dominantes. Ainsi le Pasok (parti socialiste grec) et le Parti socialiste
portugais, tous les deux au pouvoir, ont décidé avec la complicité de leurs parlements et contre leurs populations, des plans d’austérité dirigés contre les classes populaires : gèle
des salaires et des retraites, hausse de la TVA payée essentiellement par les pauvres, privatisations massives (au Portugal), suppressions ou réductions de certains acquis sociaux,
réductions des dépenses publiques etc. (3). Au moment où le capitalisme connaît une crise profonde, ces partis socialistes au pouvoir tentent par tous les moyens de le
sauver ! Étrange socialisme que celui de la social-démocratie !
En Espagne l’âge de départ à la retraite a été repoussé. José Luis Zapatero, socialiste lui aussi, a condamné ainsi les salariés espagnols à travailler jusqu’à l’âge de 67 ans ! Le
premier ministre espagnol a également apporté son soutien(avec d’autres socialistes européens) à la candidature de José Manuel Barroso à la présidence de la Commission européenne. Non
seulement l’ancien premier ministre portugais est à la tête de l’une des institutions les plus libérales, qui a détruit tout ce que des générations entières ont construit comme progrès
social en Europe, mais il est aussi l’organisateur du sommet (aux Açores portugaises avec George W. Bush, Tony Blair et José Maria Aznar), où fut décidée la guerre en Irak.
Aujourd’hui, plus qu’hier encore, la social-démocratie est très éloignée des intérêts des classes populaires. Au pouvoir, elle déploie un zèle singulier pour servir les riches et les
puissants. S’il lui arrive de jeter quelques miettes aux dominés, c’est pour mieux cacher sa vraie nature et se présenter comme une alternative aux représentants des dominants. Elle a une
lourde responsabilité dans l’étouffement des mouvements sociaux et elle est toujours prompte à participer aux guerres impérialistes. En un mot, elle est, à l’intérieur comme à
l’extérieur, au service de la classe dominante. Il est peut-être temps de songer à construire une alternative en dehors de ce courant politique qui constitue un véritable obstacle au
changement et au dépassement du capitalisme.
(2) Communiqué des autorités françaises, le 24 mars 1999, Documents d’actualité internationale, 1999, no 9, p 342 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IM...
Insecticides naturels ou fertilisants bio s’échangent sans problème ailleurs en Europe. Pas en France. Se procurer un tel produit pour entretenir son potager ou protéger son champ y
est puni par la loi. Le purin d’ortie ou l’huile de neem sont considérés comme des produits toxiques au même titre qu’un pesticide de synthèse. Qu’importe, particuliers et paysans pratiquent
la désobéissance civile.
L’annonce avait fait sourciller les multinationales de l’agro-business comme Syngenta, Bayer ou BASF. En septembre 2008, Michel Barnier, alors ministre de l’Agriculture et de la Pêche, présente
le plan « Ecophyto 2018 » en Conseil des ministres.
S’inscrivant dans la suite du Grenelle de l’environnement, ce plan vise à réduire de 50 % l’usage des pesticides, en 10 ans « si possible ». « C’est un nouveau
modèle agricole français qui se construit », s’enthousiasmait à l’époque Michel Barnier.
Un an et demi plus tard, les impasses réglementaires continuent de se dresser devant les agriculteurs, arboriculteurs et jardiniers en quête d’alternative aux pesticides. « Nous avons
l’impression que les services de la protection des végétaux s’inquiètent beaucoup plus des préparations naturelles peu préoccupantes que des produits chimiques et toxiques qui peuvent être
cancérigènes », s’indigne Jean Sabench, responsable de la commission pesticides à la Confédération paysanne.
« L’industrie a gagné »
« Préparations naturelles peu préoccupantes » ? Ce terme est issu de la Loi sur l’eau et désigne les préparations à base de composant naturel comme la prêle, l’ortie, la fougère, l’argile, le vinaigre blanc ou le petit lait. Utilisées
pour renforcer la capacité des plantes, ces préparations prennent la forme d’extrait fermenté, de décoction, d’infusion ou de macération. Le purin d’ortie en est devenu l’emblème quand, fin 2005,
la Loi d’orientation agricole contraint ces produits à subir les mêmes tests, contrôles et procédures que les produits « phytopharmaceutiques » – un qualificatif juridique appliqué aux pesticides chimiques – en vue d’obtenir une autorisation de mise sur le
marché national.
En 2006, la mobilisation des associations permet d’amender la loi. Les préparations naturelles pourront bénéficier d’une procédure simplifiée. Mais le décret du ministère de l’Agriculture publié
en juin 2009 continue d’exiger l’inscription sur la liste européenne des produits « phytopharmaceutiques ». « Au dernier moment, l’industrie a gagné car l’administration a mis
une contrainte supplémentaire inadmissible », explique Jean Sabench. Problème pour les structures de l’agriculture bio : les études exigées avant la commercialisation sont
excessivement coûteuses. « Le ministère de l’Environnement voulait nous aider à financer les études. Quand ils ont vu le nombre de préparations et le coût global ils nous ont dit qu’ils
n’avaient pas les moyens de le faire », raconte l’agriculteur de la conf’.
Désobéissance civile
Producteur de fruits bio dans la Loire, Jean-Luc Juthier assure ne pas pouvoir vivre de son travail sans ces produits-là. « En agriculture biologique, on connait certaines impasses
techniques avec le puceron ou le ver de la cerise par exemple. Nous avons donc décidé de continuer à utiliser ces préparations dans la transparence avec les services de l’État et nos organismes
certificateurs. C’est en quelque sorte de la désobéissance civile. » Une situation difficilement tenable sur le long terme. « Il y a eu un contrôle chez un revendeur d’huile de
neem (utilisée comme insecticide bio), commente Guy Kastler de l’Association pour la promotion des produits naturels peu
préoccupants. L’administration lui a demandé de le détruire comme un déchet industriel toxique alors que depuis des siècles les populations indiennes utilisent les graines et les feuilles
de cet arbre comme cosmétique ou vermifuge pour les enfants. » Le 3 avril dernier à Saint-Chamond (Loire), des agriculteurs, jardiniers, élus et consommateurs ont décidé de poser le
problème sur la place publique en épandant symboliquement de l’huile de neem sur les plantes.
Pour les défenseurs des préparations naturelles peu préoccupantes, cet acharnement juridique trouve sa source dans le procès autour de l’huile de neem. En 1995, l’Office européen des brevets
accorde à une entreprise américaine, W.R. Grace, un brevet sur les vertus fongicides de cette huile. Immédiatement, une procédure d’opposition est entamée par une coalition internationale
comprenant notamment la Fédération internationale de l’agriculture biologique. Les opposants démontrent que le pouvoir fongicide de l’huile de neem est une connaissance ancienne et répandue chez
les agriculteurs indiens et ne peut donc constituer une invention. Au terme d’une longue bataille juridique et technique, l’Office européen revient finalement sur sa décision en mai 2000 et confirme l’annulation du brevet en 2005.
« Depuis ce procès, il y a une fixation sur l’huile de neem », assure Guy Kastler. « Tout le monde peut faire du purin d’ortie ou broyer du neem et faire de l’huile.
Cela relève du domaine public, poursuit Jean Sabench. Mais pendant les discussions au ministère de l’Agriculture, nous nous sommes heurtés à l’industrie des pesticides, qui a
continuellement pratiqué une opposition frontale. »
L’exception française
Première consommatrice de pesticides en Europe, la France continue aujourd’hui de classer les préparations naturelles dans les « phytopharmaceutiques ». D’autres pays européens, soumis
aux mêmes directives et règlements, reconnaissent et classent ces préparations dans une catégorie à part. En Allemagne par exemple, les substances de base acceptées par le règlement européen bio
n’ont pas besoin d’être inscrites sur la liste européenne. Plus de 400 préparations sont ainsi commercialisées dans ce pays. « En Espagne, il suffit de vérifier que les préparations
naturelles sont peu toxiques et efficaces et l’on peut faire l’inscription à peu de frais, explique Jean Sabench. Nous réclamons une réglementation qui soit également logique en
France. »
Les associations, syndicats et collectivités locales mobilisées demandent l’adoption en France d’un amendement à la loi Grenelle 2 affirmant que les préparations naturelles peu préoccupantes ne
sont pas des pesticides et permettant leur commercialisation et leur utilisation effectives. Dans les ministères, les lobbies s’agitent. Arriveront-ils une fois de plus à imposer leur morbide
point de vue ?
Une centaine de grands patrons d’entreprises cotées en Bourse bénéficient d’un précieux régime de retraite complémentaire, les fameuses "retraites chapeaux". Grâce à elles et pour
parer à une baisse de leur rémunération, ils seront à l’abri du moindre besoin pour leurs vieux jours. Car c’est en millions d’euros que les prestations faiblement soumises à l’impôt leur
sont versées. Une injustice qui rime avec folie des grandeurs, à l’heure où le droit à la retraite du plus grand nombre est remis en cause.
Pas question d’augmenter les cotisations patronales pour financer le régime des retraites. Cela handicaperait la compétitivité des entreprises, dixit la patronne du Medef, Laurence Parisot.
Les grandes entreprises cotées en bourse ne se privent pourtant pas de provisionner des dizaines de millions d’euros pour financer de faramineuses retraites complémentaires à leurs
dirigeants, ces « retraites chapeaux » qui défraient régulièrement la chronique. Comme si malgré leurs salaires souvent excessifs, leurs stock-options, et leurs parachutes dorés,
les PDG à la retraite risquaient de galérer, tel un smicard qui voit sa pension baisser irrémédiablement.
La « retraite chapeau », c’est un régime de retraite complémentaire qu’une grande entreprise offre à ses dirigeants pour compléter le régime de base. C’est le Conseil
d’administration qui en fixe les modalités et les conditions d’obtention. Exemple : un dirigeant de la World Company perçoit un salaire annuel d’un million d’euros. Lors de son départ en
retraite à 60 ans, et même si son ancienneté ne dépasse pas quelques années, son entreprise lui assure un taux de remplacement de sa rémunération (salaire, primes, jetons de présence…) de
50%. Elle lui versera donc directement une rente qui viendra largement compléter, à hauteur de 500.000 euros par an, les pensions versées par la Sécurité sociale et la caisse de retraite des
cadres (celles-ci sont soumises à un plafond). Et ce, jusqu’à son décès. Comme vous allez le constater, la réalité dépasse allègrement cette modeste fiction.
400 fois le minimum vieillesse
Selon l’Autorité des marchés financiers, une centaine de dirigeants d’entreprises cotées (CAC 40 et SBF 120) bénéficient en France de ce régime très spécial. Dans notre tableau ci-dessous,
nous avons regroupé les montants des retraites chapeaux versées à 24 dirigeants de grandes entreprises. Ces informations sont publiques mais dispersées dans les volumineux bilans financiers
des grands groupes, divulguées ici ou là, au gré des révélations sur les faramineuses rémunérations des patrons, par un article dans la presse économique ou dans des blogs juridiques et
financiers. Chaque année, ces 24 dirigeants reçoivent ensemble près de 30 millions d’euros en pension retraite !
(1) La Justice a annulé fin 2008 la provision d’environ 30 millions d’euros destinée à la retraite chapeau de Daniel Bernard.
(2) Jean-René Fourtou a renoncé en 2005 à sa seconde retraite chapeau octroyée par le Conseil d’administration de Vivendi.
Lindsay Owen-Jones, l’ancien PDG de L’Oréal, reçoit ainsi une pension annuelle de 3,4 millions d’euros. Soit 400 fois le minimum vieillesse ! Deuxième sur le podium de ces retraites
qu’on ne peut même plus qualifier de dorées, l’ancien PDG de Vinci, Antoine Zacharias touche 2,2 millions d’euros. Il est talonné par Igor Landau et Jean-René Fourtou, tous les deux anciens
dirigeants d’Aventis. L’argument patronal pour justifier ces mégas pensions est toujours le même : il faut « fidéliser » les dirigeants en intégrant ces retraites chapeaux dans
leurs contrats et les protéger d’une chute brutale de revenus lors de leur départ en retraite. Cette justification ne tient pas un instant lorsqu’on connaît les différentes et colossales
rémunérations de ces dirigeants en activité. La moyenne de la rémunération brute globale des patrons du CAC 40 atteignait avant la crise 2,2 millions d’euros annuels (chiffres de 2006). Et ce
n’est qu’une moyenne.
Rente à vie
Pendant les dix années qui ont précédé sa retraite, la rémunération d’Antoine Zacharias, champion des stock-options, s’est ainsi élevée au total à 250 millions d’euros. En lui assurant une retraite conséquente, on ne peut que saluer la charitable initiative de Vinci pour
éviter l’indigence à son ancien PDG. Sans sa retraite chapeau, celui-ci aurait sans doute été obligé d’hypothéquer son pavillon de banlieue pour errer de centres d’hébergements en hôtels
meublés tout en pratiquant la mendicité. Sa généreuse pension le protègera de ces désagréments. Mais qu’en est-il des 90.000 autres salariés du groupe de BTP dont le salaire mensuel moyen est
de 2.750 euros ? Le misérable régime général, c’est bon pour la plèbe !
« L’ex PDG d’Airbus a également réussi à négocier une retraite ’’chapeau’’ de pas moins de 100.000 euros par mois. Avec à peine plus de 60 ans, il peut ainsi espérer amasser une
rente cumulée de 30 millions d’euros sur les 25 prochaines années. Si ce chiffre de 100.000 euros par mois a été par la suite démenti par l’interessé, ce dernier n’a pas infirmé l’information
du versement par Airbus d’une retraite chapeau conséquente », observe, en octobre 2007, Le Figaro à propos de Noël Forgeard qui a laissé, comme chacun sait, Airbus (EADS) dans une situation loin
d’être admirable.
Des provisions par millions
Pour financer les retraites chapeaux de ces hauts dirigeants, les grandes entreprises provisionnent des sommes considérables : 40 millions à Vinci, 32,9 millions à la Société générale, 28,6 millions à BNP Paribas, 13 millions à Veolia pour la retraite chapeau du seul Henri Proglio (quand il prendra sa retraite après son passage à EDF),
entre 8 et 11 millions au groupe PPR (Fnac, Conforama, Gucci…) pour Serge
Weinberg, 3 millions à Solendi, une entreprise qui gère le « 1% logement »…
Bizarrement, on n’entend pas Laurence Parisot monter au créneau pour défendre la « compétitivité » des entreprises menacées par les retraites chapeaux. Pourtant, ces provisions
représentent un pourcentage non négligeable de la trésorerie : 5% du bénéfice net 2010 de la Société Générale, 2,2% du bénéfice net 2010 de Veolia dans le cas d’Henri Proglio. Et
calculées sur l’espérance de vie moyenne après 60 ans, ces provisions devront être ré-alimentées si un ex-PDG vit plus vieux que prévu. Et ce, quelle que soit la situation financière de
l’entreprise dans 10, 20 ou 30 ans. Une garantie durable dont ne bénéficient pas la grande majorité des salariés.
Le cas Daniel Bernard, ancien PDG de Carrefour, demeure emblématique. Lors de son départ en 2005, les actionnaires apprennent qu’il va bénéficier à ses 60 ans d’une retraite complémentaire
annuelle de 1,243 million d’euros par an, correspondant à 40% de sa dernière rémunération. « Compte tenu d’une espérance de vie moyenne de 85 ans, cela représentait donc la coquette
somme de 31 millions d’euros. Outre cette confortable retraite, Daniel Bernard avait obtenu le versement d’une clause de non-concurrence, équivalent à trois années pleines de salaires, soit
9,4 millions d’euros », précise Le Nouvel Observateur. Soit près de 40 millions… Manque de chance, trop pressé de profiter de sa rente viagère, Daniel
Bernard s’en va à 58 ans. La nouvelle direction de Carrefour conteste la retraite chapeau devant la Justice. La pension sera finalement annulée en appel fin 2008. Rassurez-vous, privé de ses droits à la retraite, le malheureux Daniel Bernard a su
rebondir : il a pris la présidence d’une chaîne de bricolage britannique Kingfisher (Castorama…), est administrateur d’Alcatel (100.000 euros en 2009 pour participer aux réunions) et de
Capgemini.
Trois ans de cotisation : 1,2 million de pension
Autre cas insolite : celui de Jean-René Fourtou. Il figure deux fois dans notre tableau, et ce n’est pas une erreur ! Car les retraites chapeaux peuvent se cumuler. Aventis s’est
engagé à lui verser une pension de 1,6 million d’euros après son départ en 2002. Puis Vivendi Universal, dont il est PDG de 2002 à 2005, lui promet, pour à peine trois années de labeur, une
retraite complémentaire de 1,2 million [1]. Dans un magnifique accès de sobriété, l’ancien triple PDG (Rhône-Poulenc, Aventis, Vivendi)
renonce à toucher sa seconde retraite complémentaire. « Je considère que celle que je touche comme ancien président d’Aventis est suffisante », déclare-t-il, en 2005,
devant l’assemblée générale des actionnaires, craignant d’être éclaboussé par le scandale de la retraite chapeau de son collègue de Carrefour. Quelle délicate attention ! Il reste
cependant Président du Conseil de surveillance de la multinationale et touche à ce titre une rémunération d’un million d’euros annuel. Et après Aventis, Vivendi lui assure un bien-être
minimum pour plusieurs générations : « Au total, en trente mois, il avait virtuellement amassé 27 millions d’euros au moment de son départ, essentiellement en stock-options (son
dernier salaire s’élevait à 3,4 millions d’euros). De quoi goûter paisiblement sa semi-retraite de président du conseil de surveillance (un million d’euros par an) », rappelle le
quotidienLes Echos.
La discrète multinationale Air Liquide, fournisseur de gaz « rares » (hydrogène, azote…) pour l’industrie, est aussi particulièrement généreuse avec ses anciens dirigeants. Son
président d’honneur, Édouard de Royère, empoche chaque année une modeste pension de retraite équivalente à 188 allocations de solidarité aux personnes âgées (minimum vieillesse). Édouard de
Royère est également membre du Conseil d’administration du groupe financier Fimalac, propriétaire à 60% du groupe Fitch et de son agence de notation financière du même nom (Fitch Rating).
Celle-là même qui, avec les agences Moody’s et Standard & Poors, évalue les États en fonction de leurs dettes publiques. C’est elle qui a récemment abaissé la note de la Grèce,
précipitant le pays dans la crise… et l’obligeant à affaiblir son système de protection sociale, dont son régime de retraite. C’est, entre autre, pour éviter un tel sort, que le gouvernement
Sarkozy accélère la remise en cause de l’assurance vieillesse. Remise en cause qui, bien évidemment, ne concerne pas les retraites chapeau.
Vous frisez l’exaspération ? Ce n’est pas terminé. Les montants provisionnés par les entreprises pour financer ces retraites chapeaux sont très faiblement imposés. Les contributions de
l’entreprise ne sont pas soumises aux cotisations sociales, ni à la CSG ou à la CRDS. Elles n’alimentent donc pas les caisses de retraite. Jusqu’à fin 2009, elles étaient imposées entre 6% et
12%. Quant aux pensions versées aux dirigeants, elles étaient taxées à 8%. Considérées comme une rente viagère, elles bénéficient d’un abattement de 10% pour le calcul de l’impôt sur le
revenu. Le Premier ministre François Fillon a annoncé en avril 2009 qu’il taxerait les retraites chapeaux « de façon confiscatoire ». En 2010, la taxation de ces provisions a été doublée (entre 12% et 24%) et une contribution de 30% est mise en place pour les rentes dépassant
huit fois le plafond de la Sécurité sociale, soit au-delà de 276.960 euros annuels. On reste très loin d’une mesure confiscatoire. À l’aune de la réforme des retraites, ces mégas privilèges
ne sont, pour l’instant, pas menacés. La baisse des pensions du retraité moyen – qui touche 1.288 euros par mois [2] – est, elle, déjà programmée. Vous avez dit inégalités ?
Ivan du Roy
Notes
[1] Montant cité dans le rapport parlementaire du député Philippe Houillon sur les rémunérations des dirigeants, juillet 2009.
À chaque fois que je rentre dans la banlieue où j'ai grandi, dans le neuf-un, je suis frappé par plusieurs choses: (1) tout est bien propre avec des fleurs partout malgré les voitures
qui brûlent, (2) les zones commerciales à l’américaine (des magasins/entrepôts construits à la va-vite autour d’un parking) remplacent les dernières forêts, (3) on voit que les gens ont de
moins en moins d’argent et les supermarchés ont supprimé les produits les plus luxueux au profit des gammes premier prix, (4) la laideur commerciale et l’indigence des publicités
omniprésentes sont d’une violence extrême et (5) il y a plein de gens vraiment très gros partout. Plus que gros. Carrément obèses, en fait.
Il y a quatre ans, j’avais été mixer mon premier disque à Detroit. Là-bas, la laideur structurelle de la ville et l’obésité des gens faisaient partie de l’exotisme. Mais chez moi,
dans le neuf-un, la violence de cette pauvreté culturelle et visuelle mélangée à l’épidémie d’obésité m’a énormément choqué. Je ruminais ma déception quand je suis tombé sur
plusieurs livres et articles sur la nourriture, l’obésité, les classes sociales et la révolution verte. Comme d’habitude, il faut savoir séparer le bon grain de l’ivraie, même si ce
n’est pas facile.
Une des théories en vogue dans le Nord de l’Europe est que l’obésité est une maladie mentale. Ce serait une sorte d’anorexie à l’envers, mixée à des comportements
d’addiction, de faiblesse morale et de dérèglements comportementaux. Au lieu de laisser les laboratoires nous mener en bateau et nous concocter des pilules magiques qui font maigrir
sans aucun effet secondaire, les médecins et psychologues se voient en grands prêtres du contrôle de soi, à mettre en place des thérapies pour empêcher les gens de se bâfrer comme des
cochons.
Un truc de paresseux
C’est vrai que je me sens mal à l’aise quand je vois à Amsterdam ces touristes américaines obèses qui se remplissent de mégamenus XL de frites, de hamburgers et de wraps (contenant au
moins une demi-feuille de laitue) mais qui font une crise d’asthme si la serveuse leur sert un coca normal au lieu du coca light qu’elles ont demandé.
Voir des obèses manger trop, c’est presque aussi insoutenable que ces publicités pour les fondations de protection des animaux où ils vous montrent des chiots malheureux dans des
cages. Il y a quelque chose d’obscène dans ce gavage d’obèses.
Cependant, même si on a envie de crier que ces Américains sont obèses parce qu’ils sont paresseux et gourmands, je me demande s’il y a là une explication valable. Car qui connaît les
États-Unis sait que plus on est pauvre, plus on est soit super maigre, soit super gros. Les corps des Américains signent leur appartenance à une classe sociale, bien avant leur accent
ou leurs vêtements. Les riches ont des corps athlétiques et des dents parfaites, les pauvres n’ont ni l’un ni l'autre, et la classe moyenne essaye de limiter les dégâts pour ne pas
trop ressembler aux pauvres.
Quand on sait à quel point la méritocratie américaine est un mythe, et que la richesse comme la pauvreté sont avant tout hérités, on se dit qu’il doit y avoir autre chose que la
volonté personnelle qui fait que les riches sont beaux et les pauvres sont moches. Donc l’idée que les gros le sont parce qu’ils sont paresseux, aussi évident que cela paraisse, ça me
paraît quand même très douteux.
Les psy ont beau essayer de nous vendre leur thérapie anti-morfales, je n’y crois pas.
Un truc de classe
Un des bouquins essentiels de la décennie dont j’ai déjà parlé dans la
Revue n°10 de Minorités est The Spirit Level, Why More Equal Societies
Almost Always Do Better de Richard Wilkinson et Kate Picket. On y découvre un lien statistique direct entre les maladies et les inégalités. Pour résumer rapidement, plus une
société est inégale, plus les gens sont gros, dépressifs et violents. Plus une société est égalitaire, plus ses membres contrôlent leur propre vie : moins de criminalité, moins
de violences, moins d’adolescentes enceintes, moins de viols, moins d’obésité, moins de maladies, moins d’extrême-droite...
Notre couple de sociologues anglais avoue cependant ne pas pouvoir vraiment expliquer dans les détails comment cela est possible: tout montre que les inégalités sont un facteur de
stress individuel et collectif qui a des conséquences dramatiques, mais ils ne parviennent pas vraiment à mettre la main sur des articles scientifiques qui expliqueraient pourquoi
vivre dans une société inégalitaire produit de l’obésité.
Finalement, je suis tombé sur un article de chercheurs, repris ensuite dans
Slate, qui ont réussi à démontrer quelque chose de vraiment intéressant: l’obésité n’a pas de lien
direct prouvable avec la quantité de nourriture ingérée, et elle n’est pas la cause de toutes les maladies en général associées à un important surpoids. L’obésité est en fait un
symptôme d’empoisonnement alimentaire.
Pour résumer, le corps humain se protège de la nourriture de merde en stockant les éléments qu’il ne sait pas dégrader ou transformer à l’extérieur du corps, dans la couche de gras
externe. Plus on mange de la merde, plus on se retrouve à dégouliner de gras sur le ventre, les seins et les fesses. Et puis, au bout d’un dizaine d’années, quand le corps n’arrive
plus à se défendre et n’arrive plus à stocker toutes ces horreurs dans le gras externe, les organes internes sont touchés, et les maladies associées à l’obésité se font sentir.
Nation malbouffe
Dans Fast Food Nation, un livre très bien fait que j’avais dévoré en une traite, Eric Schlosser
explique comment l’industrialisation de l’alimentation américaine est allée de pair avec une économie de bas salaires, d’un prolétariat ultra mobile et corvéable à merci, et la
construction d’une Amérique inégalitaire où les infrastructures payées par tous sont au service des intérêts de quelques industriels.
Il raconte l’exploitation des adolescents par les chaînes d’alimentation rapide, l’indigence des contrôles d’hygiène, la très très mauvaise qualité des ingrédients utilisés par
l’industrie alimentaire, la cruauté envers les animaux et les travailleurs sans papiers (dont les restes peuvent se mélanger dans votre hamburger), mais aussi le mensonge
généralisé.
Le premier mensonge est celui de la composition des produits vendus: gras de très mauvaise qualité, graisses trans (désormais interdites dans certains États ou villes), bas morceaux,
additifs en tous genre. Le plus frappant est celui de l’odeur et du goût: pour cacher que nous bouffons littéralement de la merde, la viande est dotée d’un parfum « viande bien saisie
sur le barbeque», les frites pré-cuites sont parfumées aux bonnes-frites-qui-n’existent-plus, la mayonnaise est parfumée au fromage et la bouillie de restes de poulets passés à la
centrifugeuse pour augmenter la quantité d’eau est, elle aussi, parfumée au poulet.
Quand à l’umami, ce cinquième goût découvert par les Japonais, celui qui nous fait adorer le poulet frit ou la viande
bien saisie, il ne doit rien aux ingrédients ou à la cuisson: il vient d’additifs chimiques destinés à tromper votre palais.
Non seulement on nous vend de la merde dans des jolis emballages, mais on trompe notre instinct et notre odorat.
Une histoire qui traîne beaucoup sur le net et dans les journaux est celle de cette
américaine qui a laissé traîner dehors un Happy Meal™, ce menu concocté avec amour par McDonald pour les enfants, juste pour voir. Ignoré par les champignons, les bactéries et les
insectes, il n’avait pas bougé un an après. Si même les bactéries et les champignons n’en viennent pas à bout, et que les mouches (qui ne sont pas connues pour être de fines bouches)
s’en désintéressent, comment peut-on imaginer que notre corps puisse le dégrader pour y trouver les éléments dont il a besoin? Je sais que ça a refroidi beaucoup de parents autour de
moi qui ont lu cette histoire.
Empoisonnement collectif planifié
Il suffit de se promener dans n’importe quel supermarché américain, néerlandais ou britannique pour réaliser à quel point la bouffe industrielle domine: il est presque impossible de
se concocter un repas avec des produits non transformés exempts d’additifs destinés à tromper vos sens. Manger sainement demande des ressources pécuniaires et organisationnelles que
les pauvres ne peuvent pas se permettre.
Cette évolution, on la retrouve désormais dans ma banlieue d’origine: les magasins de primeurs ont fermé depuis longtemps, remplacés par des boutiques télécom, les supermarchés font
de plus en plus de place pour les plats préparés par l’industrie alimentaire (avec des marges très intéressantes) au détriment des produits frais non transformés (dont la marge est
bien moindre). Vendre un poireau à quelques dizaines de centimes pour faire une soupe rapporte énormément moins que vendre un litre de soupe à plusieurs euros, surtout quand elle
consiste surtout en de l’amidon, des exhausteurs de goût, des gras de mauvaise qualité et du sel.
Tout à coup, les statistiques des sociologues commencent à faire sens: les sociétés inégalitaires (États-Unis et Royaume-Uni en tête) sont celles où la pauvreté est la plus violente,
mais aussi où l’industrie alimentaire a le plus développé d’alimentation à bas prix pour satisfaire les besoins caloriques des plus pauvres. Car leur revenu disponible y est aussi
bien moindre que dans les société plus égalitaires.
Les pays européens qui suivent cette pente facile de l’inégalité sont aussi ceux qui sont les plus touchés par l’industrialisation de l’alimentation, réponse économique à la baisse
des salaires réels et la violence organisationnelle qui est exercée sur les familles. Dans une société où les gens n’ont plus beaucoup l’occasion de manger ensemble parce qu’on leur
demande d’être flexibles tout en les payant moins, la malbouffe industrielle est une réponse normale.
Manger bouger point FR
Alors quand je vois ces campagnes gouvernementales « manger bouger » après des publicités pour de la malbouffe à la télé, je commence à voir rouge. On laisse les classes moyennes se
paupériser, on transforme leurs villes en centres commerciaux vulgaires uniquement accessibles en voiture où la seule nourriture possible est de la merde parfumée, et on nous dit
qu’il faut bouger sinon on va tous être gros.
Maintenant qu’on sait que nos corps deviennent obèses parce qu’on nous fait ingérer des produits toxiques, et qu’on mange de la merde car c’est l’organisation optimale si on veut
maximiser les profits de quelques uns tout en maintenant les salaires des autres aussi bas que possible sans que les gens aient faim, ça ne vous fait pas tout drôle d’entendre
dire partout que si vous bougiez un peu votre cul vous seriez moins gros?
Ce qui m’énerve encore plus, c’est qu’on sait désormais que le modèle américain de développement est une catastrophe: une nature à bout de souffle, des villes laides où l’on vit mal,
des classes moyennes paupérisées qui sont obligées de vivre à crédit parce que travailler ne nourrit plus son homme, et un quasi-monopole de l’alimentation industrielle qui a conduit
à une obésité pandémique et une morbidité inconnue jusque là, même chez les enfants.
Donc on sait. Mais rien n’est fait, on continue comme ça.
Tout va bien, le pays se modernise. Vous reprendrez bien un peu notre merde parfumée?
Mais n'oubliez pas de vous bouger le cul, bande de gros paresseux.
Laurent Chambon est docteur en sciences politiques, spécialiste des minorités en politique et dans les médias, il a siégé pour le Parti travailliste à Amsterdam Oud-Zuid de 2006 à
2010, est chercheur à l'Université de Poitiers pour le projet MinorityMedia et est co-fondateur de Minorités.
Ce sont des sentences, des "raccourcis" certes, mais qui parlent. A mon sens, bien sûr.
Dans ce cas précis, c'est une antinomie "provocante" pour le papisme...
On pourrait faire un développement pour chacune de ces sentences, mais c'est un autre sujet !
#3
De la Panouse Vivien(samedi, 08 mai 2010 18:26)
Vous écrivez :
"Face à un antisémite, je suis juif". Là c'est OK : les antisémites sont contre les juifs etc...C'est donc clairement être du côté de la victime.
" Face à un stalinien, je suis trotskiste". Là c'est OK : le trotskisme est le bon côté de l'ex-socialisme soviétique, le stalinisme son mauvais côté.
"Face à une armée, je suis fusillé pour l'exemple." Encore OK : on a tranché la vie d'un mec parce qu'il a commis une faute miltaire, ce n'est pas bien.
"Face à Tsahal, je suis palestinien.". Toujours d'accord : la peur de disparaître sous le nombre et sous la haine conduit les Israéliens à oppresser les Palestiniens. Et il ne faut pas être du côté
des oppresseurs.
Mais "Face au pape, je suis capote", non : trop de gens bien en place et pratiquant de sales affaires ont intérêt à ce que l'Eglise s'occupe seulement de problèmes de sexe (comme Benoît XVI l'a fait
dans son voyage en Afrique ) ou de questions internes (du genre de l'ouverture en direction des intégristes). Ce qu'ils redoutent, c'est qu'elle critique l'injustice et le pouvoir de l'argent. Mais
si de votre côté il y a l'équation "pape=anti-capote", alors...
Comme je le disais précédemment, ce sont des sentences et donc c'est réducteur. Bien entendu qu'il ne faut pas réduire le pape à la "capote"... je suis anticlérical et je ne pense pas que
l'oligarchie catholique romaine critique le pouvoir de l'argent : celle-ci a toujours été du côté du pouvoir contre les peuples. Je ne stigmatise pas les individus (prêtres ou autres) qui, eux, ont
pu faire des choses positives tout au long de l'histoire...
Scores élevés
du FN :
une surprise ?
Les résultats du 1er tour des élections régionales l’avaient déjà montré: l’extrême droite, et en premier lieu le Front National, a obtenu des résultats significatifs. Avec 12% des
suffrages au niveau national, celui-ci reste solidement ancré dans le paysage politique, malgré l’émergence de listes concurrentes en grande partie issues de ses propres rangs (comme le Parti
de la France de Carl Lang). Si des listes comme Alsace d’abord (4, 98%) et la Ligue du Sud en région Provence-Alpes-Côte-D’azur (2, 69%), portées notamment par les Identitaires qui confirment
leur implantation dans certaines régions, obtiennent des scores non négligeables, le FN conserve néanmoins son statut de premier parti d’extrême-droite.
Avec respectivement 20, 29% des voix en PACA, 18, 31% dans le Nord-Pas-de-Calais et 14, 01% en Rhône-Alpes, les trois principales figures du FN que sont Jean-Marie Le Pen, sa fille Marine, et
Bruno Gollnisch, réalisent des scores importants, avec des moyens financiers et des capacités militantes pourtant nettement plus faibles que dans les années 90. En s’emparant de la question
sociale, Marine Le Pen a confirmé son implantation dans une région considérée comme un bastion historique de la gauche (elle finit 2ème dans le Pas-de-Calais), et a ainsi marqué
des points dans la bataille pour la succession à la tête du FN, malgré le bon score de son rival Bruno Gollnisch.
Le second tour n’a fait que confirmer ces (bons) résultats: non seulement le recul de l’abstention par rapport au premier tour (de 53, 6 à 48, 9%) n’a pas désavantagé le FN, mais celui-ci
progresse même nettement partout où il s’est maintenu (jusqu’à 26, 5% dans le Vaucluse et 24, 4% dans le Pas-de-Calais). Il obtient ainsi une moyenne de près de 18% des voix ainsi qu’un total
de 118 conseillers régionaux. Si il perd des voix par rapport aux régionales de 2004, il améliore ses scores dans une bonne partie des régions où il s’est maintenu, notamment dans le
Nord-Pas-de-Calais.
Le fait que le FN soit non seulement en capacité de se maintenir au second tour dans 12 régions, mais aussi d’améliorer ses scores au second, a fait mentir ceux qui, y compris à gauche,
prétendaient au lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy que le FN était un parti moribond. Qui peut s’en étonner? Si la stratégie du candidat à la présidentielle Sarkozy, qui avait repris
une bonne partie des thèmes de campagne «traditionnels» du FN avait porté ses fruits en 2007 (en «siphonnant» une partie de l’électorat du FN), sa politique sécuritaire, anti-sociale et
raciste n’a fait que renforcer les idées de l’extrême droite, qui a su profiter de l’incapacité du «président du pouvoir d’achat» à apporter des réponses à la crise.
Pour détourner la colère des couches populaires victimes de la crise économique et sociale provoquée par sa propre politique, Sarkozy et l’UMP ont renforcé un peu plus un climat de racisme et
de stigmatisation des musulmans, amplifié notamment lors du débat sur «l’identité nationale» mené par Eric Besson, responsable l’année dernière encore de l’expulsion de 30000 étrangers. Les
petites phrases sur les «Auvergnats», sur des candidats comme Ali Soumaré (que le candidat UMP du Val d’Oise disait avoir confondu avec «un joueur de l’équipe réserve du PSG»), le projet de
loi sur la Burqa, mais aussi les petites phrases d’un Georges Frêche (réélu avec plus de 54% des suffrages dans le Languedoc-Roussillon) ne peuvent que légitimer un peu plus les idées de
l’extrême-droite et donner confiance à ses militants les plus radicaux, qui depuis quelques mois multiplient les actes racistes ou les agressions contre des militants du mouvement social…
Le NPA, tout en continuant à mener une politique anti-raciste, de solidarité entre les travailleurs et entre les peuples contre la politique de Sarkozy et du patronat, appelle à la reprise de
mobilisations unitaires face à une extrême-droite de «retour» sur la scène électorale et face à sa frange la plus radicale.
On les croyait temporairement stigmatisés suite à leur responsabilité dans la crise financière. Loin de faire profil bas, les marchés financiers repartent à l’assaut de ce qui reste
du « modèle social européen ». Objectif : faire payer les populations en menant une offensive sans précédent contre les salaires, les services publics et les droits sociaux,
avec la complicité des gouvernements. Si la Grèce est aujourd’hui dans le collimateur, tous les pays européens sont concernés.
Photo : Répression des manifestations contre le plan d’austérité, Athènes,
5 mars 2010 (droits réservés)
Le 27 janvier 2010, l’état grec lève sans difficulté 8 milliards d’euro d’emprunt sur les marchés financiers. La demande pour ces obligations était cinq fois plus importante que l’offre
proposée. Le 4 mars, la Grèce réussit à nouveau à emprunter 5 milliards d’euros. « Preuve qu’en dépit de la conjoncture extrêmement néfaste, l’économie grecque reste
forte », déclare-t-on au ministère des Finances à Athènes. Ces deux épisodes laissent perplexes compte tenu de la kyrielle de déclarations alarmistes sur la possible faillite des
finances publiques de la péninsule hellénique.
Fonds spéculatifs, Hedge Funds et banques d’affaires joueraient-ils à la spéculation, tout en sachant qu’un État ne peut pas faire faillite et que les contribuables passeront tôt ou
tard au guichet pour éponger les dettes ? Ne serait-ce pas là une opportunité politique pour donner un sérieux tour de vis à l’État « providence » en le démantelant encore
plus ? Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne et Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe, ont complimenté Athènes pour les efforts de rigueur déployés par
le gouvernement social-démocrate de Georges Papandréou. Selon Jean-Claude Trichet, le gel des salaires et celui des retraites sont des mesures « convaincantes » pour
réduire un déficit estimé à 30 milliards d’euros. Avec une question : qui doit payer la crise ? Les populations ou les acteurs des marchés financiers ?
Hausse des prix, baisse des salaires et chômage de 18%
Beaucoup moins convaincue par ces mesures, la population grecque craint de payer le plan de rigueur par une longue récession. « Ces mesures sont cruelles, injustes et
partiales », s’indigne Stathis Anestis, de la Confédération générale des travailleurs grecs (GSEE). « Les travailleurs ne doivent pas payer seuls la crise par une baisse
des salaires et la remise en cause d’acquis sociaux. Le pays subit une attaque sans précédent qui ne concerne pas seulement la Grèce, mais aussi d’autres pays visant à la suppression des
droits sociaux. » Pourtant, les dirigeants syndicaux continuent à soutenir le gouvernement Papandréou tout en subissant une pression très forte de leur base pour qu’ils s’opposent
aux mesures de rigueur. Les grèves de 24 heures proposées par les deux principales centrales syndicales (GSEE et Adedy) en laissent plus d’un dubitatifs. Le 3 mars, un rassemblement devant le
Parlement a rapidement dégénéré. Yannis Panagopoulos, dirigeant de la GSEE, a été molesté par des jeunes manifestants et a dû être évacué alors qu’il entamait son discours.
Le Parlement grec votait, en procédure d’urgence, un texte intitulé « Mesures d’urgence pour faire face à la crise financière ». Objectif : regagner la crédibilité des
marchés en économisant 4,8 milliards d’euros en 2010. Outre le gel des pensions de retraite des fonctionnaires et des salaires du public comme du privé, les 13ème et 14ème mois versés aux
fonctionnaires seront amputés de 30% et 60%. La TVA passe de 19 à 21%, les taxes sur l’alcool augmentent de 20%, le prix des cigarettes de 63%. Le prix de l’essence monte de 8 centimes au
litre, et le diesel de 3 centimes, alors qu’un mois plus tôt le prix des carburants avait déjà augmenté de 25 centimes. Et ce n’est pas fini : « De nouvelles solutions devront
être envisagées en 2011 et 2012 », prévient le Finlandais Olli Rehn, commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires. « Le renforcement des restrictions
budgétaires va briser toute reprise de la consommation et de l’activité, commente Agnès Benassy-Quéré directrice du CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations
internationales), au moment où le taux de chômage pourrait atteindre 18% suite à l’expiration des programmes d’emplois publics financés par l’Union européenne. »
Où est passée la solidarité européenne ?
L’électrochoc subi par la population grecque ne comporte aucune contrepartie. Ni le FMI (Fonds monétaire international), ni les États européens n’ont prêté de l’argent. Ces derniers y sont
contraints par le traité de Maastricht : celui-ci prévoit une clause qui interdit à un État membre de répondre des engagements financiers d’un autre. Le 15 mars à Bruxelles, les
ministres des Finances de l’Eurogroupe (de la zone euro) sont tombés d’accord. Des prêts bilatéraux d’un montant de 20 à 25 milliards d’euros pourraient être consentis à la Grèce en cas de
besoin. « Mais nous pensons que la question ne se posera pas » a d’ores et déjà annoncé Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe et Premier ministre du Luxembourg.
Aucun calendrier, aucun montant, aucun taux d’intérêt n’est rendu public. Jean-Claude Juncker a évoqué des taux élevés afin d’ « inciter fortement » la Grèce à retourner au
plus vite vers les marchés financiers pour trouver de l’argent. Les 11 millions de Grecs apprécieront cette grande solidarité. Cette solution « dont n’aurait pas besoin la
Grèce » devra néanmoins être avalisée par les dirigeants européens lors d’un prochain sommet, sans doute les 25 et 26 mars.
Grande absente du dispositif : la Banque centrale européenne (BCE). Cette dernière a le droit de prêter de l’argent aux banques privées, mais ses statuts l’empêchent d’acheter
directement des obligations d’État. « On a aujourd’hui cette chose absolument inouïe que, quand vous vous appelez la République française, vous devez payer 3,4% ou 3,5% d’intérêts
alors que si vous vous appelez BNP-Paribas, vous allez payer 0,5% », s’insurge l’économiste Jacques Sapir, « le fait que la BCE n’ait pas aligné les taux auxquels les État peuvent emprunter sur les
taux auxquels elle prête aux banques, c’est aujourd’hui scandaleux. »
Cette situation illustre également les choix politiques qui ont présidé à la construction européenne : mettre à la disposition des banques privées un véritable marché européen de la
dette publique. Car la BCE peut en revanche racheter à des banques les obligations d’Etat qu’elles détiennent, à condition qu’elles soient bien notées. « C’est l’acquisition directe
de titres souverains par la BCE qui est interdite. Mais pas l’acquisition tout court. Celle-ci n’est pas seulement possible : elle est quotidienne », écrit Frédéric Lordon. « Les titres de la dette publique, abondamment détenus par les banques, sont l’un des
instruments privilégiés de leur refinancement auprès de la banque centrale. Et pour cause : quoi qu’on daube à leur sujet, ils demeurent les plus sûrs ». Parmi les institutions
financières qui ont spéculé sur la dette grecque, on trouve les américains Goldman Sachs ou JP Morgan, et en Europe, BNP-Paribas ou la Kommertzbank. Selon la banque des règlements
internationaux, les banques françaises détiendraient 75,4 milliards de dollars d’obligations grecques.
Les agences de notation contre-attaquent
La crise grecque a été déclenchée après la décision de deux agences de notations (Fitch et Standard & Poor) de dégrader la note de la dette grecque en décembre 2009. « Attention,
la Grèce ne pourra faire face à ses échéances de remboursement » : tel est le message envoyé aux marchés. Cette décision est amplifiée par l’annonce concomitante de la BCE de
renforcer ses critères de rachat de titres, sous-entendant qu’elle refuserait les obligations helléniques. Parallèlement, la valeur des « CDS » - des titres financiers qui assurent
un créancier en cas de défaillance de l’emprunteur (l’Etat grec en l’occurrence) - adossés à la dette grecque s’envole. Rappelons que ces mêmes agences de notation et CDS avaient été montrés
du doigt pour leur rôle dans la crise lors des sommets du G20 à Washington en 2008 puis à Londres en 2009. Que s’est-il passé depuis pour les réglementer ? Absolument rien.
La Grèce est par ailleurs loin d’être le seul État confronté à des déficits élevés. Vingt-trois des vingt-sept pays de l’UE sont sous le coup d’une procédure pour déficit excessif. Devant une
telle déroute, on peut s’interroger sur les règles édictées par le traité de Maastricht. « Les objectifs de 3% du PIB pour le déficit et de 60% du PIB pour la dette n’ont aucun
fondement économique », assènent François Denord et Antoine Schwartz [1], « ils expriment une conception libérale de
l’action publique. Celle qui prône un État respectueux du principe d’équilibre budgétaire, solvable, pouvant se présenter auprès des investisseurs et des marchés. »
Il faut dire que la crise des subprimes est passée par là. Les États ont assuré à travers l’argent des contribuables la survie de la finance mondiale. Après avoir injecté des centaines de
milliards de dollars dans le système financier, les moyens publics se sont raréfiés à mesure que les marchés reprenaient du poil de la bête. Ceux-là même qui ont été sauvés par les États les
menacent aujourd’hui en utilisant l’argent qu’États et banques centrales leur ont prêté à des taux historiquement bas. « Ils ont commencé par l’Islande, l’Ukraine et la Hongrie et
montent en gamme avec la Grèce, explique l’économiste Julia Cagé dans une note publiée par la fondation Terra Nova, avec en perspective demain, l’Espagne, le Portugal, l’Italie et le Japon. »
Mesures draconiennes en Irlande, résistance en Islande
En Irlande, la situation n’est pas fameuse. Après avoir voté des économies budgétaires de 3 milliards d’euros en 2009, le gouvernement a mis en place un plan d’économie de 4 milliards pour
2010. La somme est colossale pour un pays de 4,5 millions d’habitants. L’État irlandais prévoit ainsi d’économiser 1 milliard en réduisant les salaires dans la fonction publique, 760 millions
dans les dépenses sociales et 2 milliards dans les dépenses de fonctionnement et d’investissement. Ces mesures draconiennes seront inévitablement accompagnée d’une hausse du chômage, de la
baisse des recettes fiscales et, par voie de conséquence, de l’aggravation des déficits publics.
Les Islandais ne s’y sont pas trompés. Le 6 mars, ils ont massivement rejeté par voie de référendum une loi qui prévoyait que l’Islande rembourse 3,8 milliards d’euros au Royaume-Uni et aux
Pays-bas pour indemniser les clients fortunés britanniques et néerlandais de la banque islandaise Icesave qui avaient perdu leurs avoirs lors de la crise financière. « Ce vote du
peuple islandais prend une signification particulière alors que le peuple grec essaie de résister à la violente purge que le gouvernement grec et l’Union européenne veulent lui imposer pour,
là aussi, lui faire payer le prix d’une crise dont il n’est nullement responsable. Une même politique d’austérité drastique touche, ou va toucher, tous les pays européens »,
prévient l’Union syndicale Solidaires le 8 mars.
Budgets sociaux dans le collimateur
Le lendemain, l’agence Fitch menace le Royaume-Uni, la France et l’Espagne de dégrader leur note si ces pays ne prennent pas des mesures de
réduction de déficit « plus crédibles ». Le message est clair : ce ne sont pas les Etats qui régulent la finance mais celle-ci qui fixe les grandes orientations de
leurs politiques budgétaires. Pour la France, qui a décidé de lever sur les marchés les 35 milliards du « grand emprunt », une telle mesure serait lourde de conséquences. Paris a
déjà émis 8,1 milliards d’euros d’obligations. Il reste près de 27 milliards à récupérer. Une dégradation de la note augmenterait le taux d’intérêt et creuserait le montant de la dette à
rembourser par les contribuables.
Pourtant, depuis près d’une décennie, la France fait de gros efforts pour plaire à l’orthodoxie des marchés. La révision générale des politiques publiques (RGPP) prévoit d’ici 2012, le non remplacement de 160 000 fonctionnaires et l’économie de 7,7 milliards
d’euros. Le 11 mars dernier, l’Insee a publié le résultat d’une étude démontrant que 360 000 emplois avaient été détruits en 2009 (600 000 depuis 2008). Dans le cadre de cette économie de
pénurie, les dysfonctionnements des services publics se multiplient : de la protection sociale (notamment les Caisses d’allocation familiale) à l’éducation, en passant par les hôpitaux
ou le Pôle emploi, la machine s’enraye au détriment des usagers, élèves ou patients. Quant aux chômeurs en fin de droit leur nombre est estimé par le Pôle emploi à un million d’ici la fin
2010, dont 400 000 se retrouveraient sans aucune ressource.
Faudra-t-il tailler encore plus dans les budgets sociaux pour satisfaire les marchés ? « Des solutions existent pour sortir du piège de la dette. Mais elles supposent un
affrontement avec le patronat et les marchés financiers. Tous les gouvernements européens sont aujourd’hui en train de préparer une politique d’austérité drastique pour faire payer la crise
aux salariés et plus largement aux populations, le tout sous le contrôle étroit de la Commission européenne et de la BCE. Il est aujourd’hui grand temps que les salariés européens se
mobilisent pour imposer d’autres orientations », souhaite l’Union syndicale Solidaires. La balle est dans le camp du mouvement social et syndical.
Nadia Djabali
Notes
[1] L’Europe sociale n’aura pas lieu, Raisons d’agir, avril 2009
Prêtres pédophiles : "une perversion individuelle doublée d'une perversion institutionnelle"
Interview de Christian Terras, rédacteur en chef de la revue catholique critique Golias par Bérénice Rocfort-Giovanni
Face aux récents scandales de pédophilie en Europe, le Vatican affirme avoir agi avec "rapidité et "détermination". Comment jugez-vous cette ligne de défense ?
- La réaction du Vatican s'explique par l'accumulation d'affaires depuis une quinzaine d'années. Aujourd'hui, le rythme s'accélère. La proportion de cas dévoilés en Europe est sans commune mesure
avec ce qui s'est passé aux Etats-Unis. Par conséquent, le Vatican s'arc-boute. Il botte en touche en disant: "c'est pareil dans le reste de la société". Ce sont les prétextes habituels pour ne
pas remettre en cause le fonctionnement de l'Eglise. Mais le constat ne suffit plus. Les vagues s'amoncellent et font chavirer la barque de Pierre. En pleine année sacerdotale, ces affaires
tombent très mal. Il n'y a pas pire image qu'un prêtre qui salit un enfant. Le Vatican est confronté à une tempête qu'il ne veut pas affronter.
Que faudrait-il alors modifier dans le fonctionnement de l'Eglise catholique pour prévenir les abus sexuels ?
- L'Eglise catholique, de par son idéologie très moralisatrice et dogmatique, n'est plus opérante dans la prise en compte de l'humanité et de la psychologie des hommes et des femmes. Elle
maintient dans un carcan les candidats au sacerdoce. Or, une mutation radicale devrait avoir lieu au niveau des personnels permanents, à savoir les prêtres et les évêques. Ils ne devraient plus
seulement être recrutés parmi les mâles célibataires. L'Eglise doit aussi revoir sa morale fondée sur la dichotomie bien/mal. Au-delà de la question du célibat, c'est une révolution culturelle
qui doit s'engager. Ce changement avait été envisagé avec le Concile Vatican II en 1962, mais il a ensuite été stoppé net en 1968, avec l'encyclique "Humanae vitae", qui interdit notamment la contraception. Ce texte, qui a constitué un véritable séisme, a persuadé l'opinion que l'Eglise était
incapable d'engager une réflexion sur la sexualité sans être culpabilisante.
Le célibat des prêtres est régulièrement pointé du doigt. Pensez-vous qu'il soit la cause principale des abus ?
- Le célibat est l'un des éléments qui pousse les prêtres à commettre des actes pédophiles, mais ce n'est pas l'unique explication. De nombreux candidats au sacerdoce présentaient une grande
immaturité sur le plan sexuel et camouflaient, inconsciemment, leur pédophilie. On a embarqué ces personnes dans une aventure pour laquelle elles n'étaient pas prêtes.
Pendant des années, l'Eglise a manqué de discernement et a couvert leurs transgressions, en se contentant de déplacer les prêtres pédophiles. La perversion individuelle s'est alors doublée d'une
perversion institutionnelle. Le système s'apparente à du crime organisé. La justice a rétabli des repères moraux.
On a du mal à comprendre que l'Eglise catholique, pour laquelle la morale est si importante, couvre de tels abus…
- Tout comme il existe une raison d'Etat, il y a une raison d'Eglise. Elle l'emporte sur le droit des victimes. Pour éviter le face-à-face avec la justice des hommes, l'Eglise
préfère s'arc-bouter sur une défense minimaliste. Elle refuse de remettre en cause le système qui a causé et cautionné les abus. Elle balade les familles de victimes.
Comment, dans ce contexte d'omerta, les langues ont-elles pu se délier?
- Un grand nombre de familles catholiques, très pratiquantes, ont été les victimes de prêtres en qui elles avaient une entière confiance. Lorsqu'elles ont demandé des comptes, les évêques se sont
contentés de déplacer les personnes incriminées. La prise de conscience des familles a alors été très douloureuse. Dans notre culture de sécularisation, le droit des enfants a émergé. Les parents
ont réussi à se détacher de la notion de sacralisation du prêtre et sont rentrés dans une dynamique associative, notamment aux Etats-Unis, dans les années 1990. Les victimes américaines ont ainsi
reçu des dédommagements très importants. Ce modèle a fait école en Europe. En France, le procès de l'abbé Bissey, en 2000, a été un électrochoc. Non seulement l'abbé Bissey a écopé de 18 ans de
prison, mais la justice a également sanctionné l'autorité hiérarchique, en la personne de l'évêque Pierre Pican. Par solidarité de caste, des évêques ont mis du temps à comprendre cette
condamnation. Il a fallu que justice soit rendue pour que l'Eglise prenne peu à peu conscience de la responsabilité institutionnelle. Les évêques signalent désormais de plus en plus les cas de
pédophilie.
Qu'a changé l'arrivée de Benoît XVI ?
- Benoît XVI est profondément affecté par ces scandales, car des faits se sont déroulés dans son pays d'origine, l'Allemagne. Son frère, Georg Ratzinger, faisait partie d'une chorale où des
membres disent avoir subi des abus. Par ailleurs, l'abbaye d'Ettal fait l'objet d'une enquête pour des actes de pédophilie présumés remontant aux années 70. L'abbaye dépend du diocèse de Munich,
dirigée à l'époque par le cardinal Joseph Ratzinger, l'actuel pape. Benoît XVI est donc touché à titre personnel.
D'une manière générale, ce pontificat a radicalisé une orientation très intransigeante en matière de morale et de sexualité. Mais de nombreux chrétiens se détachent désormais de cette vision. Ils
ne cautionnent pas les abus et n'hésitent plus à s'exprimer. L'Eglise devient un objet institutionnel comme un autre. Elle est confrontée à un effet boomerang, car souvent les victimes ne parlent
que plusieurs années après les faits. Le besoin de vérité est très vivace.
Le pape doit s'adresser prochainement aux catholiques d'Irlande. Qu'attendez-vous de son message ?
- J'ai peur que son discours ne soit qu'un acte de repentance. S'il reste dans un registre purement compassionnel et s'il dédouane l'Eglise, une fois de plus, le Vatican aura raté le rendez-vous
avec l'Histoire. Je crains que l'on ne puisse discerner dans les paroles du pape une remise en cause, pourtant nécessaire, de l'institution.
Ce que les milieux dirigeants de ce pays essaient d’inscrire dans la tête de chaque habitant·e depuis des décennies, ce que matraque la grande presse quotidiennement, c’est que le secret bancaire
est vital pour la place financière helvétique et pour la Suisse dans son ensemble : pour son économie, ses emplois et même son « identité » la plus profonde… En 1931 déjà, le conseiller fédéral
Jean-Marie Musy prononçait un discours sur « la question du contrôle des banques » devant un parterre de banquiers suisses réunis pour leur assemblée annuelle : « La fuite de capitaux déposés
dans nos banques, qui pourrait être la conséquence de l’institution du contrôle officiel, causerait à notre économie nationale un mal dont le peuple tout entier aurait à souffrir ».
Cette propagande a continué au cours des années avec une constance redoutable. Pour lui donner un vernis de scientificité, les milieux dirigeants et le patronat bancaire
s’appuient sur quelques études menées par des « experts ». Ainsi d’une publication du Professeur lausannois J.-C. Lambelet commanditée par les banques privées genevoises et parue en 2001, qui
affirme dans sa conclusion que si le secret bancaire était affecté, cela aurait des « conséquences catastrophiques » pour la Suisse. Le Prof. Lambelet, qui n’a pas froid aux yeux, avance même
qu’il faudrait « fermer Genève » en cas de levée du secret bancaire !
Or, au cours de 2009, les autorités fédérales ont été obligées d’affaiblir le secret bancaire de manière non négligeable, en renonçant à la distinction entre fraude et évasion
fiscales. S’en est-il suivi, comme le martelaient en chœur le Conseil fédéral et les milieux bancaires un écroulement de la place financière suisse ? Y a-t-il eu des faillites de banques en
cascade et un effondrement de l’économie ? Pire, Genève aurait-elle été rayée de la carte ?
Non seulement rien de tout cela ne s’est produit, mais en plus, selon le dernier rapport de la Banque nationale suisse, la somme totale des actifs étrangers sous gestion dans
les banques suisses en 2009 est restée quasiment stable. Les banquiers privés ont même reçu passablement de nouveaux dépôts (ce qui n’empêche d’ailleurs pas les banques, UBS en premier lieu, de
licencier pour accroître leurs marges de bénéfices).
Car où les riches fraudeurs trouveraient-ils des conditions aussi avantageuses qu’en Suisse ? Quel autre paradis fiscal possède une monnaie aussi puissante et des entreprises
de premiers rangs dans des secteurs aussi divers et essentiels que l’agroalimentaire, les technologies informatiques, la pharma, les assurances, l’horlogerie, la cimenterie, l’import-export,
l’industrie des machines, etc. En outre, les paradis fiscaux concurrents comme Jersey, Hong-Kong, Singapour ou le Liechtenstein sont aussi sous pression internationale et ne constituent donc
guère des alternatives à la Suisse.
Il faut savoir que la gestion de fortune, si elle engendre de gros bénéfices que se partagent les propriétaires et les dirigeants des banques, ne crée en revanche que peu de
postes de travail. Quand on sait qu’un gestionnaire de fortune administre un portefeuille de l’ordre de 200 millions de francs en moyenne, il n’y a pas besoin d’être très doué en économie pour
comprendre que les possibilités de création d’emploi sont limitées.
Non seulement toute la propagande autour d’un secret bancaire prétendument vital au pays s’est avérée n’être que du vent, mais il se pourrait bien que la vérité soit à chercher dans l’affirmation
opposée : le secret bancaire entraîne des coûts élevés, en particulier pour les salarié·e·s et les gens ordinaires, ceux et celles qui n’ont pas la chance d’être multimillionnaires.
La principale raison est assez simple à saisir : le secret bancaire offre aux riches résidant en Suisse la possibilité de frauder le fisc du pays. Rappelons que si la
distinction entre fraude et évasion est en train d’être supprimée pour les fiscs d’une série de pays, elle ne l’est pas pour le fisc suisse ! Le manque à gagner pour les collectivités publiques
se montent à plusieurs milliards par année, une somme que les salarié·e·s doivent doublement payer : par une charge fiscale plus élevée d’un côté et des plans d’austérité, de l’autre.
De plus, la défense du secret bancaire et d’une place financière axée sur la gestion de fortune a pour corollaire une politique monétaire nuisible aux salariés, car le maintien
d’un franc fort pénalise les exportations suisses dans un contexte de crise économique où les licenciements et les mesures de mise au chômage partiel dans l’industrie et les services se comptent
par millier.
Dans ces conditions, il est vraiment incompréhensible que le Parti socialiste et l’Union syndicale suisses ne prennent pas clairement position en faveur de la suppression du
secret bancaire en matière fiscale. Le Parti socialiste s’est à ce point rallié à la vision des classes dominantes qu’il ne prend même plus la peine de maintenir la division traditionnelle du
travail entre une direction du parti critiquant le secret bancaire et des ministres socialistes au Conseil fédéral le défendant bec et ongles !
C’est d’autant plus regrettable que, d’un point de vue internationaliste, le secret bancaire contribue à priver les Etats du Tiers-Monde de quelque 5 à 10 milliards de recettes
annuelles, somme qui permettrait de créer dans ces pays des centaines de milliers d’emploi. Cette réalité fait du secret bancaire non seulement une nuisance pour les salarié-es vivant en Suisse
mais encore un instrument honteux de l’exploitation économique des pays pauvres.
Les grandes fortunes des familles du business français !
Alors, que le Président déplore la
désindustrialisation du pays, que le chômage vient d'atteindre la barre symbolique des 10% de la population active et que Christine Lagarde vient de faire des promesses inconsidérées auprès de la Comission Européenne (qui pourraient en cas d'échec nous valoir la pire des cures
d'austérité)
Il est réjouissant de constater qu'il existe encore quelques "ménages" et familles qui résistent plutôt bien à la crise !
" Ils sont frères et sœurs, pour d'autres il s'agit d'un père, d'une mère, de leurs enfants ou encore d'une myriade d'oncles et tantes, de cousins plus ou moins
éloignés. Leur point commun ? Ils possèdent des pans entiers de l'économie française en étant actionnaires de ces grandes entreprises et en en actionnant leurs manettes. En coulisses ou en
occupant les plus hautes fonctions managériales. Découvrez ces puissantes familles du business français" - Ecrit le Journal du Net
L'expression moderne : "Familles du business français" nous rappelle une autre appellation, issue des années 30 : "les
deux cent familles"
L'expression "deux cents familles" désignait les deux cents plus gros actionnaires (sur près de 40 000) de la Banque de France pendant
l'Entre-deux-guerres. Avant la réforme de 1936, ils constituaient l'Assemblée générale de la Banque de France.
C'est Edouard Daladier, alors Président (Radical) du Conseil qui a lancé le slogan en 1934 : " Deux cents familles sont maîtresses de l'économie française et, en
fait, de la politique française. Ce sont des forces qu'un État démocratique ne devrait pas tolérer, que Richelieu n'eût pas tolérées dans le royaume de France. L'influence des deux cents familles
pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit. Les deux cents familles placent au pouvoir leurs délégués. Elles interviennent sur l'opinion publique, car elles contrôlent la
presse"
Dans La Banque de France au mains des 200 Familles (Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, 1936), Francis Delaisi recensait ces 200 familles, parmi lesquelles :
Famille Caruel de Saint-Martin (Manufacture de Tabacs) - Famille Darblay (Industrie) - Famille Davillier (Banque) - Famille Fould (Banque) - Famille Gradis (Commerce) - Famille Hottinguer
(Banque) - Famille Lazard (Banque) - Famille Louis-Dreyfus (Négoce de grains) - Famille Mallet (Banque) - Famille Mirabaud (Banque) - Famille Petiet (Industrie, UCPMI) - Famille Raphaël (Banque)
- Famille Robillard (Manufacture de Tabacs) - Famille Rothschild (Banque) - Famille Schlumberger (Industrie) - Famille Schneider (Industrie) - Famille Stern (Banque) - Famille Vernes (Banque) -
Famille Wendel (Industrie) - Famille Worms (Banque, Armement naval) - Source Wikipedia
Des noms qui sonnent encore à l'oreille, pour certains ! et dont les héritiers d'aujourd'hui, continuent à engranger quelques bénéfices ....
Mais qui sont aujourd'hui "ces puissantes familles du business français" qui détiennent une grande partie de l'activité économique du pays ?
Ces familles qui règnent sur le business français
Journal Du Net 3 mars 2010
Ils sont frères et sœurs, pour d'autres il s'agit d'un père, d'une mère, de leurs enfants ou encore d'une myriade d'oncles et tantes, de cousins plus ou
moins éloignés.
Leur point commun ? Ils possèdent des pans entiers de l'économie française en étant actionnaires de ces grandes entreprises et en en
actionnant leurs manettes. En coulisses ou en occupant les plus hautes fonctions managériales.
Découvrez ces puissantes familles du businessfrançais...
Redonner goût à la vie pour des patients atteints de longue maladie : depuis trois décennies, des collectifs d’artistes travaillent en ce sens au sein de centres hospitaliers.
Ces expériences sont aujourd’hui remises en cause par les logiques comptables et financières. Aux dépens du bien-être des patients et du personnel soignant.
Dans le secteur de la santé publique, la rentabilité de l’acte soignant est devenue la grande priorité. Les initiatives qui visent à créer du lien social à hôpital sont de plus en plus
difficiles à porter. L’art, la pratique d’une discipline, la médiation artistique et culturelle, l’accueil de compagnies en résidence constituent des expériences concrètes qui améliorent la
qualité de vie des patients. Elles sont malheureusement menacées par les logiques marchandes qui envahissent désormais l’hôpital.
Lieu de création atypique implanté dans un centre de gérontologie, le cas de la Blanchisserie est révélateur de cette évolution. En 1993, sur invitation du directeur de l’hôpital Charles Foix
à Ivry-sur-Seine, des collectifs d’artistes pluridisciplinaires rejoignent le centre de soins pour y investir l’ancienne blanchisserie désaffectée. Depuis ce lieu, ils ont imaginé et mis en
œuvre des interventions artistiques auprès des patients et du personnel soignant, dans les espaces de vie et les jardins de l’hôpital : déambulations musicales, ateliers d’art plastique,
biennales d’art contemporain, pique-niques bucoliques, expositions photographiques, fanfares, concerts, représentations théâtrales, spectacles de danse... Un véritable temps de respiration
pour les patients et le personnel soignant, source de rencontres. Les habitants des quartiers voisins ont également vécu cette transformation en participant aux évènements artistiques.
Humaniser l’hôpital : chimère ou véritable ambition ?
La question de l’amélioration des conditions de vie a toujours été une préoccupation de l’hôpital et a revêtu des formes très variées. L’exposition « L’humanisation à l’hôpital – mode
d’emploi » au Musée de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (jusqu’au 20 juin 2010), s’en fait d’ailleurs l’écho. D’emblée, cette
question a recouvert deux dimensions : la dimension matérielle – amélioration du cadre de vie en institution – et la dimension relationnelle qui consiste à accueillir et écouter
autrement le malade. En revanche, à quelques exceptions près, elles n’ont pas été développées dans les mêmes proportions, ni avec les mêmes moyens. Priorité était donnée, au 19ème siècle, à
la transformation des dortoirs, de 60 à 80 lits, en chambres doubles ou individuelles. Demain, ce souci de confort pourrait passer par la mise à disposition d’ordinateurs dans les chambres ou
par la possibilité de garder son animal domestique avec soi. Pour autant, la dimension matérielle ne répond pas à tous les aspects de la prise en charge du patient.
La réflexion autour de la dimension relationnelle à l’hôpital s’est considérablement enrichie dans les années 1970 et c’est notamment à cette période que la notion du droit des malades a fait
son apparition. De nouvelles initiatives visant à créer des passerelles avec la vie de la cité, à décloisonner les institutions hospitalières et à lutter contre l’isolement ont vu le jour. Le
cas du Forum Jean Vignalou, au sein de l’hôpital Charles Foix est exemplaire. En 1988, après plusieurs années de persévérance, le psychologue Sylvain Siboni et le docteur Beck, chef de
service, ouvrent ce lieu d’accueil de jour dédié aux patients atteints de la maladie d’Alzheimer et aux malades en situation de repli. Objectif : redonner goût à la vie. Plusieurs
ateliers, animés par une équipe d’éducateurs spécialisés, permettent aux malades d’accéder à l’information, de pratiquer la poésie, la peinture, la cuisine, de partager un repas en commun et
non seul dans sa chambre. Chaque jour est une petite renaissance.
Suivant ce même mouvement, des artistes se sont implantés en milieu hospitalier. C’est le cas notamment dans les hôpitaux psychiatriques de Ville-Evrard, de La Verrière (Institut Marcel
Rivière), d’Aix en Provence (centre Montperrin et son espace de création « 3bisF »), à
l’hôpital gériatrique d’Ivry-sur-Seine (Charles Foix) ou au centre polyvalent de Bligny (Théâtre du Menteur).
Chaque collectif tente à sa manière de « réinventer » la vie à l’hôpital, avec les patients et le personnel soignant. L’art, et plus spécifiquement la pratique artistique, est
vecteur de sens et de vie pour les personnes hospitalisées, comme pour celles qui ne le sont pas.
En 1999, témoins de la pertinence de ces initiatives et dans l’espoir de les développer, les ministères de la Santé et de la Culture co-signent la convention « Culture à
l’hôpital ». Son préambule énonce « la nécessité de faire de l’hôpital un lieu plus humain, ouvert à la cité ». Cette nouvelle « priorité » du secteur
médical et hospitalier se traduit « par des politiques nouvelles visant à améliorer l’accueil et l’accompagnement des personnes hospitalisées et de leurs familles et à assurer au
personnel soignant un cadre professionnel plus agréable. La culture peut jouer un rôle essentiel dans cette évolution. En dehors de tout objectif thérapeutique, elle participe à
l’amélioration de l’environnement des personnes et contribue à favoriser la relation de l’hôpital avec l’extérieur. »
Prendre soin n’est pas rentable
Une décennie plus tard, tout a changé au nom du pragmatisme comptable. Les projets culturels initiés 30 ans plus tôt ont bien du mal à survivre. Le cas de la Blanchisserie le montre
explicitement : au terme de quinze années d’activité, un changement d’orientation au niveau de la direction de l’hôpital public renverse la situation et entraîne le démantèlement
progressif du lieu. Aujourd’hui, le collectif mène une lutte pour redéfinir sa présence dans l’hôpital et sauver l’espace artistique. Ce cas n’est pas isolé. D’autres collectifs d’artistes
implantés dans des hôpitaux, comme celui de Ville-Evrard, subissent le même sort.
Pour le soignant, prendre un moment pour parler « de tout et de rien » avec son patient est devenu rare, cela ne rapporte pas. Pour être rentable, il faut au contraire produire de
l’activité, comme procéder à des examens ou opérer : faire donc fonctionner le matériel médical dans lequel l’hôpital a investi. Hospitalisation courte ou longue, pathologie aiguë ou
chronique, chacun demande pourtant de l’attention et souhaite que la machine s’arrête un instant. Le caractère mécanique et technique de l’hôpital peut devenir très anxiogène. Le soignant
doit pouvoir cesser toute activité si besoin, et rester un moment au chevet du patient, sans se soucier de la logique comptable. Or c’est précisément ce temps de l’écoute et de l’échange –
temps de parole et d’empathie qui échappe résolument à la catégorisation voulue de tout acte – qui est aujourd’hui en danger. Pourtant, la dimension relationnelle est au cœur du métier de
soignant : le médecin et l’infirmière traitent d’abord avec des personnes en état de fragilité et de dépendance. La disparition de ce lien humain génère une profonde perte de sens pour
la majorité du personnel soignant, questionnant ses fondements éthiques.
Logique marchande et perte de sens
Avec le lancement en 2007 de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), l’équilibre des comptes est devenu la priorité des administrations de l’Etat. A l’hôpital, cette
rationalisation des dépenses – déjà engagée dans les années 1990 – a pour effet pervers d’envisager l’acte soignant à l’aune de sa seule rentabilité. Symbole de cette approche économique de
la médecine et de l’institution, la tarification à l’activité (T2A) a remplacé la dotation globale comme mode de financement des hôpitaux publics. Sa logique est simple : à chaque
pathologie correspond une enveloppe, allouée par l’Etat, variable selon la durée du séjour. Plus la durée de l’hospitalisation s’allonge, moins l’hôpital perçoit d’argent des pouvoirs
publics. Cette nouvelle grille tarifaire contraint l’hôpital à considérer le patient d’abord en fonction de ce qu’il rapporte : les pathologies ayant recours à des techniques médicales
sophistiquées, et réclamant peu de jours d’hospitalisation, génèrent plus d’argent que les maladies chroniques, qui ne nécessitent pas ou peu d’opérations.
Cette logique pourrait conduire à l’exclusion de certains malades jugés pas assez « rentables », ou au refus de prendre en charge les surcoûts liés à des complications. En ligne de
mire : les personnes âgées, les malades en soins palliatifs et toutes les personnes atteintes de maladies longues. Cela apparaît, au regard de l’allongement de la vie, comme un véritable
aveuglement face aux réalités de demain. L’un des fondements du modèle français de cohésion sociale – héritière de l’Ordonnance fondatrice de la Sécurité Sociale en 1946 et construite autour
de l’idée que chaque individu qui vit en France doit avoir accès à la santé – est largement ébranlé.
Les suppressions massives d’emplois au sein de l’hôpital public ne font qu’aggraver la situation. Benoît Leclercq, directeur général de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris – les estime
entre 3 000 et 4 000 d’ici 2012. L’ensemble des syndicats professionnels s’accordent à dire que la qualité des soins et l’accueil des patients seront sévèrement touchés par cette réduction de
personnel. Ils rappellent qu’ils souffrent déjà, et dans de nombreux établissements, de problèmes liés aux sous-effectifs.
L’approche financière renverse le fonctionnement éthique de l’hôpital public, fondé sur les notions d’hospitalité et d’accueil de tous les malades. Par la même occasion, elle met à mal toute
tentative d’accompagnement par l’art et la culture des personnes hospitalisées et fragilise le lien qu’entretient l’hôpital avec la cité. L’hôpital fait partie de l’espace public et de la
« vie normale », le couper de sa dimension sociale et culturelle reviendrait à réduire la personne malade à un objet de soin et le soignant à un technicien. Laisser faire, c’est
reléguer au second plan ce qui fonde notre humanité.
Des adolescents de 14 ans en garde à vue, des enfants de 6 ans embarqués au poste de police, des « établissements pénitentiaires pour mineurs », des « centres éducatifs
fermés » pour jeunes, des « peines planchers » pour les « récidivistes » de 13 ans… Les enfants délinquants sont de plus en plus considérés comme des adultes. La
justice pour mineurs est-elle en train de perdre définitivement sa spécificité ? La délinquance juvénile a-t-elle vraiment « explosé » ? Retour sur une décennie durant
laquelle le discours politique a transformé les jeunes en menace.
Chaque année, 2000 mineurs passent par la case prison. Ce chiffre demeure - pour l’instant - stable. En mai 2009, 743 jeunes de moins de 18 ans étaient incarcérés. Les trois quarts sont
enfermés dans les quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt, les autres découvrent les nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), créés en 2002 par la Loi d’orientation et de
programmation pour la Justice (loi Perben). Sept EPM ont été construits [1] et peuvent accueillir 60 jeunes chacun. Si, malgré le discours
sécuritaire ambiant, on ne constate pas d’inflation du nombre de mineurs incarcérés, « les historiens de la justice relèvent que l’on n’a jamais construit des prisons qui sont
restées vides », prévient la journaliste Nathalie Dollé, auteur du livre « Faut-il emprisonner les mineurs ? ». Quel bilan peut-on dresser de cette politique
d’incarcération menée depuis presque une décennie alors que discours politiques et spectacles médiatiques pointent de plus en plus les « jeunes » comme un danger potentiel pour la
société ?
« Dans les quartiers pour mineurs, les jeunes deviennent fous »
Quelles sont les conditions d’incarcération des enfants ayant commis un délit ? « Les quartiers pour mineurs, c’est l’horreur. Ce sont des lieux de privation de droits. Les
mineurs sont censés aller six heures par semaine à l’école, mais cela ne se fait jamais. Ils passent seulement quatre heures par jour hors de leur cellule, ils deviennent fous. »
Mineurs, prévenus et condamnés sont mélangés. « Les groupes se reforment. Tout ce que l’on reproche à la prison comme école du crime s’applique aux quartiers pour
mineurs ». Les conditions d’incarcération ne sont pas meilleures en EPM. Malgré l’encadrement important, les tentatives de suicides se multiplient. « Dans les
quartiers pour mineurs, les espaces sociaux permettent aux petites bandes de se recomposer et font baisser la pression. C’est un mode de socialisation. Dans les EPM, tout est minuté. Il n’y a jamais de temps pour se poser », critique Nathalie Dollé. Michel Foucault ne disait-il pas que la vraie
tyrannie, c’est le minutage ? « De ce point de vue, les EPM sont un pur enfer. Alors que ces gamins ont déjà du mal avec les contraintes. »
Les jeunes incarcérés restent en moyenne 2,5 mois dans les EPM. Certains sont même de passage pour une semaine. Difficile dans ces conditions de mener une action éducative pertinente.
L’incarcération « est une rupture supplémentaire, renforce les risques de passages à l’acte violent tournés contre les autres ou contre eux-mêmes », déplore le Syndicat
national des personnels de l’éducation surveillée - Protection judiciaire de la jeunesse (SNPES-PJJ) [2]. « Le souci du soin et de l’éducation pour prévenir les mises en danger des détenus, est contradictoire de fait, avec la logique punitive du système
carcéral. » L’ancienne ministre de la Justice Rachida Dati déclarait que les EPM avaient pour but « de faire tourner la détention autour de la salle de classe ».
Le personnel de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) affirme au contraire que l’objectif de ces établissements « est bien d’augmenter l’incarcération » :
« Invoquer la salle de classe est une façon de minimiser le poids des murs, du système disciplinaire, de l’isolement et le but punitif de la prison. »
« Personne ne veut bosser dans les EPM »
Peut-on mettre en œuvre des mesures éducatives dans un cadre répressif ? « On a mis d’énormes moyens dans les murs et pour le personnel, comme les médecins. Mais on n’a pas
suffisamment réfléchi à la question : comment inventer un espace commun ? Symboliquement on ne peut pas mélanger un espace d’éducation et un espace de répression. Les éducateurs
tutoient les gamins, les surveillants non. Les gamins arrivent à jouer les uns contre les autres », détaille Nathalie Dollé.
Et surtout, le personnel fait défaut. Dans les EPM, l’encadrement pour un jeune est normalement de quatre adultes, surveillants et éducateurs. Or ce sont rarement des éducateurs de la
Protection judiciaire de la jeunesse qui sont recrutés, car ceux-ci ne veulent pas y aller. On y retrouve un personnel sans formation ni expérience. « Ce sont des personnes qui
viennent avec plein de bonne volonté, qui veulent s’occuper des gamins à problème. Du coup, dans une même équipe, on peut retrouver des gens qui viennent la PJJ, dépositaire d’une culture et
d’une histoire, et des gens pas du tout formés. Bilan ? Le taux de rotation est très élevé. »
Une société qui a peur ?
Troisième lieu « d’enfermement » : les Centres éducatifs fermés (CEF). 1845 enfant y ont été placés depuis mai 2003. Ces centres ne sont pas considérés comme une prison. On n’y
est donc pas officiellement incarcéré. Créés en 2003, les CEF s’adressent aux mineurs multirécidivistes faisant l’objet d’une mesure de contrôle judiciaire ou de sursis avec mise à l’épreuve.
Il sont prévus pour huit à dix mineurs. La durée du séjour est de six mois maximum, renouvelable une fois. Pourtant, si le jeune fugue du CEF – ce qui est fréquent et prévisible du point de
vue judiciaire - il se retrouve automatiquement en prison. Pas sûr que les adolescents trouvent du sens à tout cela. Alors que l’objectif est une future réinsertion sociale, on choisit de les
mettre à l’écart. « Pour apprendre à nager, on va à la piscine. Pour leur apprendre à vivre en société, on isole ces gamins. On veut les aider à se réinsérer, alors qu’avant ils ne
l’étaient pas forcément. L’idée ici, c’est plutôt de les exclure, pour "protéger" la société. » Selon les chiffres du SNPES-PJJ, un seul EPM de 60 places équivaut à six foyers
éducatifs de dix places, huit services d’insertion professionnels pour 250 mineurs ainsi que 10 services de milieu ouvert soit 1500 jeunes suivis. Le choix politique est clair.
« Dans une société économiquement rétractée, les déviants ne sont pas une priorité. En plus ils deviennent les boucs émissaires. Observer la façon dont on traite les enfants déviants
donne une bonne vision de l’état d’esprit de la société et des adultes », analyse Nathalie Dollé. Le basculement de notre société dans l’ultralibéralisme va de pair avec la mise en
avant de la responsabilité individuelle : chacun, qu’il soit chômeur, pauvre ou désoeuvré, est jugé intégralement responsable de son sort. Mais les mineurs ne sont pas, par définition,
responsables. « Aujourd’hui, les mineurs sont proportionnellement plus sanctionnés que les majeurs. C’est typique d’une société affaiblie : les plus faibles s’en prennent plein
la gueule. Il y a toujours eu ce petit jeu-là, cette peur de la jeunesse, dans toutes les sociétés. Sauf qu’avoir autant de dispositifs de coercition, c’est symptomatique. »
« Faire cesser cette spirale de la délinquance »
Cette peur correspond-elle à une réalité ? A l’heure où les faits divers scabreux impliquant des mineurs – des agressions dans les établissements scolaires à des cas de persécutions –
sont de plus en plus mis en exergue, le miroir médiatique de la société pourrait le laisser croire. Ceux qui souhaitent transformer les jeunes en boucs émissaires et en machine à faire peur
également. En octobre 2008, la ministre de la Justice de l’époque, Rachida Dati, déclare sur France 2 [3] : « Il y a environ
4 millions de mineurs entre 13 et 18 ans (...). Il y a 204 000 mineurs qui sont mis en cause pour des actes graves. Des mineurs délinquants (...), c’est des violeurs, des gens qui commettent
des enlèvements, des trafics de produits stupéfiants, qui brûlent des bus dans lesquels il y a des personnes. Les mineurs délinquants qui sont incarcérés ou placés en CEF y sont
majoritairement pour des actes de nature criminelle. Il est important de faire cesser cette spirale de la délinquance. » Le dossier de presse distribué lors du lancement de la commission Varinard sur
l’enfance délinquante [4] cite des chiffres effrayants, à l’appui de cette analyse stigmatisant cette jeunesse « dangereuse ».
La ministre oublie qu’on ne calcule jamais une population mais le nombre de jugements rendus. « Les récidivistes ne sont donc jamais pris en compte, chaque mineur jugé devenant un
nouveau délinquant, même s’il est un habitué des tribunaux. Les quelques études menées sur des échantillons localement exhaustifs démontrent qu’un jeune peut comparaître jusqu’à 15 fois
devant un juge pour des affaires différentes avant sa majorité. Comme, en moyenne, le volume des jugements rendus avant 18 ans semble deux fois plus important que celui des mineurs jugés, on
en arriverait ainsi à l’équation qu’un jeune délinquant comptabilisé en vaut deux et que donc le chiffre global des mineurs délinquants devrait être divisé de moitié », lit-on sur
le portail « Enfants en justice », mis en place par le ministère de la
Justice.
Le mineur, ennemi public n°1
En décembre 2008, Rachida Dati récidive et annonce une explosion des condamnations criminelles des mineurs de 13 ans. Celles-ci auraient augmenté de 763 % en 10 ans. Pourtant une note de la chancellerie fait état de 27 condamnations pour crime de mineurs de
13 ans, en 1997, contre 32 en 2007 [5], soit une augmentation de… 20%. D’où sort le chiffre de la ministre ? « La
délinquance juvénile reste une des questions sociales les plus manipulées, dans tous les sens », rappelle Nathalie Dollé. Pour Laurent Mucchielli, directeur de recherches au CNRS, le diagnostic de la ministre « n’est ni neutre, ni objectif, ni
fondé. Il apparaît au contraire totalement orienté, ne rend absolument pas compte de la totalité des éléments de connaissance statistique disponibles, dissimule tout ce qui ne
« colle » pas avec la démonstration souhaitée, et conduit au final à énoncer de telles déformations de la réalité que l’on peut parler de véritables contre-vérités induisant les
citoyens en erreur. »
Mais le tour est joué. « Au prétexte d’un « changement de nature » de la délinquance des mineurs, on fait basculer depuis quelques années des enfants vers l’âge adulte pour
pouvoir les punir comme des majeurs… », regrette Nathalie Dollé. En 2002, la loi autorise le placement des mineurs en détention provisoire, à partir de 13 ans. En 2004, on prolonge
la durée légale de garde à vue à 96 heures pour les plus de 16 ans. En 2007, c’est l’apparition des peines planchers, pour les récidivistes, à partir de 13 ans. En février 2010, l’Assemblée
nationale adopte un texte mettant fin au huis clos systématique dans les procès de mineurs, ce qui permettait de les préserver.
La fin d’une époque où l’enfant était protégé
Après la seconde guerre mondiale, l’ordonnance de 1945 relative à la justice pour mineurs pose le principe du caractère exceptionnel de l’incarcération. Après les camps, l’emprisonnement
n’est plus vu de la même manière… Pourtant, après la guerre, le taux de délinquance est des plus élevés. Mais la reconstruction ne se fera pas sans la jeunesse. Cette orientation est
fortement remise en cause depuis quelques années. « Trahissant l’esprit de l’ordonnance de 1945, le gouvernement fait le choix de répondre aux actes délictueux par la seule logique
de l’enfermement, écartant la nécessaire recherche des causes de ces passages à l’acte qui seule pourrait en éviter la réitération », dénonce le SNPES-PJJ.
Le syndicat condamne également « une politique qui réduit les jeunes délinquants à leurs seuls passages à l’acte, les enfermant ainsi dans une identité de délinquant ». Car
l’évolution récente marque une autre rupture. « Depuis 1945, on privilégie l’histoire de la personne, et on considère l’acte comme un symptôme. On s’intéressait donc à la
personnalité du gamin, pas seulement à son acte, pour agir sur les causes et pas sur le symptôme. C’est la vision d’une société qui a confiance en elle, qui estime qu’il s’agit d’une
responsabilité collective », considère Nathalie Dollé.
Le basculement est désormais net. D’une responsabilité collective, nous sommes passés à une société où chacun doit « se prendre en main », y compris les mineurs, quels que soient
leur environnement social, familial, les discriminations dont ils font l’objet, les blocages de la société. Paradoxe : « En parallèle, on revient à une idée du 19e siècle,
insistant sur le déterminisme : il y aurait des groupes à risques. Il faut une surveillance, des fichiers. On ne peut pas « soigner » mais il faut contenir le danger pour la
société », ajoute Nathalie Dollé. La méfiance généralisée par rapport à la jeunesse est entretenue - voire créée - par des discours sécuritaires. « Aujourd’hui on fait
venir des flics dans les cours d’école. Cela montre la faillite généralisée des adultes et une peur sociale démesurée. Des gamins de 10 ans se rendent compte qu’ils peuvent faire peur, ils ne
vont pas se gêner... ». En réponse à cela, on a fait disparaître le mot « enfant » des textes juridiques.
Agnès Rousseaux
Nathalie Dollé, Faut-il emprisonner les
mineurs ?, Larousse, Collection à dire vrai, 2010, 9,90 euros.
Notes
[1] A Lyon, Valenciennes, Meaux, Toulouse, Mantes-la-Jolie, Nantes et Marseille.
[2] Dans un communiqué condamnant les EPM
[3] Emission « À vous de juger » du 16 octobre 2008 sur France 2
[4] La Commission Varinard, installée officiellement le 15 avril 2008, par Rachida Dati, était chargée « de formuler des propositions pour
réformer l’ordonnance du 2 février 1945 »
Le cas Henri Proglio est l’arbre d’indécence qui cache une forêt de cupidité. En toute discrétion, vingt patrons et dirigeants de société du CAC 40 viennent d’encaisser une partie de
leurs gains en stock-options : près de 20 millions d’euros. Ces énormes plus-values ne doivent rien à l’utilité sociale de ces « élites » mais reposent plutôt sur
l’accaparement de richesses produites par d’autres.
La crise, quelle crise ? Vingt PDG et hauts dirigeants de grandes entreprises ont perçu près de 20 millions d’euros de plus-values grâce à la vente de leurs stock-options fin 2009.
Sur le podium de ces heureux gagnants : le PDG d’Alstom, Patrick Kron, avec 2,5 millions de gains, arrive largement en tête, devant le PDG de Vinci, Xavier Huillard, avec 2 millions,
talonné par le directeur financier de GDF-Suez, Gérard Lamarche, avec plus de 1,9 million d’euros (la plus-value de son supérieur, Gérard Metrallet, PDG de GDF-Suez, s’élève plus
modestement à 1,3 millions). Ces impressionnants revenus – qui s’ajoutent à leurs salaires, primes et retraites complémentaires [1] –
viennent-ils récompenser leur capacité à avoir créé et construit ces grands groupes industriels ?
Les trois PDG ont grandi dans le cocon de la haute fonction publique : Xavier Huillard au sein de la Direction départementale de l’équipement, Patrick Kron dans les méandres du
ministère de l’Industrie puis de Pechiney, alors nationalisée, Gérard Mestrallet à la direction du Trésor puis au sein de Suez, elle aussi nationalisée. Bref, ils savent administrer mais
n’ont rien créé. Leurs revenus reflètent-ils alors leurs incomparables compétences de gestionnaires qui savent allier performances économiques, bonnes pratiques sociales et politiques
environnementales ? Que nenni. Ces bonus illustrent plutôt leur étonnante capacité à gérer une organisation qui s’accapare les bénéfices que génèrent l’entreprise, en partie grâce à
l’argent des contribuables, sans pour autant en faire profiter leurs salariés. Une pratique qui dépasse largement le cas très médiatisé d’Henri Proglio, premier double PDG de l’Histoire
de France.
Contribuables embobinés
Au printemps 2007, avant la crise, la plus-value potentielle accumulée par les patrons du CAC 40 dépassait le milliard d’euros ! [2] Patrick Kron avait accumulé 14 millions de plus-values en 2008. Après avoir encaissé son pactole de 2009, il lui resterait toujours 10,5 millions d’euros
potentiels à empocher avec les actions qu’il n’a pas encore vendues. Ces revenus s’ajoutent bien évidemment à son salaire de dirigeant et à ses primes. Le PDG s’était augmenté de 33% en
2006, portant son salaire annuel à plus de 2,2 millions d’euros. Une augmentation moins médiatisée que les 4 millions d’euros de parachute doré que son prédécesseur Pierre Bilger s’était
accordé en laissant, en 2003, une entreprise exsangue. Sous la pression, l’ancien PDG y avait finalement renoncé.
Si le PDG d’Alstom gagne autant, c’est que ce polytechnicien a accompli des « miracles ». En 2006, Alstom vient tout juste d’éviter la faillite grâce à un plan de sauvetage de
l’Etat et à des milliers de suppressions d’emplois. L’Etat signe au groupe industriel un chèque d’un demi milliard d’euros en rachat d’actions et en prêts. Quatre ans plus tard, grâce aux
contribuables, Alstom est sauvé et ses performances boursières sont au top. A l’automne 2009, l’entreprise emploie moins de 15 000 personnes en France contre 27 000 cinq ans plus
tôt ! Elle va continuer de réduire ses « coûts », en supprimant notamment 2 000 emplois. Le « miracle » de
Patrick Kron, c’est d’avoir su multiplier chômeurs et subventions.
Salariés précarisés
La stratégie des dirigeants de Vinci, géant du BTP, est plus roublarde. Son ancien PDG, Antoine Zacharias, en a d’ailleurs fait les frais. Au printemps 2007, celui-ci avait accumulé près
de 255 millions de plus-values potentielles sur ses stock-options ! Poursuivi pour « abus de bien sociaux » par le tribunal de Nanterre, il sera jugé les 25 et 26 mars
prochains. Les émoluments de son successeur paraissent aujourd’hui bien modestes. Les profits de Vinci, et donc la fortune de ses dirigeants, s’appuient en partie sur les
« délégations de service public » et les « partenariats public privé » conclus avec l’Etat ou les collectivités territoriales.
Rien que pour l’année 2009, Vinci a obtenu la construction du Pont du Levant à Bordeaux (125 millions d’euros), l’édification des campus Paris rive gauche (273 millions) et de celui de
l’école polytechnique (100 millions), la mise en place d’une station d’épuration sur l’île de La Réunion (21 millions), la gestion des aéroports de Rennes et Dinard (45 millions de
chiffre d’affaires annuel) tout en augmentant sa participation dans ses filiales administrant déjà les aéroports de Grenoble, Chambéry, Clermont-Ferrand et Quimper. Vinci, ancienne
Société générale d’entreprises, ne fait que reproduire les pratiques de son ancien propriétaire, Vivendi (ex Compagnie générale des eaux), qui a bâti sa fortune sur la rente de l’eau.
Côté politique sociale, le groupe s’enorgueillit d’avoir recruté 10.000 « emplois durables » en France. Précisons que les contrats de 18 mois – qui peuvent être des CDD - sont
considérés comme « durables ». La situation sociale de l’entreprise semble très loin d’être paradisiaque. La précarité y est largement développée. Le turn-over des salariés est
de 32% selon le bilan social de l’entreprise. La grande majorité des départs sont des fins de CDD ou de contrats en alternance, sans compter un recours important à l’intérim (équivalent à
10% des effectifs). Autant de salariés qui ne participent pas aux bénéfices. Le taux d’absentéisme y est important. Dans l’activité « route », qui comprend une partie des
autoroutes anciennement publiques aujourd’hui privatisées, il atteint plus de 17 jours d’absence (plus de trois semaines de congé maladie) par an et par salarié. Soit le double du taux
d’absentéisme moyen dans le privé. « En 2007, chacun d’entre nous a rapporté en moyenne 9 000 euros de plus-value annuelle au groupe qui s’endette par sa boulimie de croissance
externe par le rachat d’entreprises », s’indignait la CGT, demandant, au vu des millions d’euros de primes et parachutes dorées que se sont accordés les membres du conseil
d’administration fin 2008, à ce qu’il n’y ait aucun salaire en dessous de 1600 euros.
Consommateurs floués
Quant à GDF-Suez, l’entreprise est en situation de quasi-monopole. Depuis 2004, alors que la privatisation progressive de Gaz de France commence, la multinationale ne cesse de critiquer
le tarif réglementé du gaz, fixé par l’Etat. Le tarif réglementé lui aurait fait perdre 1,6 milliards d’euros entre 2004 et 2008. Cela n’a pas empêché l’entreprise de réaliser en 2008 le
plus gros bénéfice de son histoire : 6,5 milliards d’euros, dont les trois quarts ont été reversés aux actionnaires (dont l’Etat). Ces « pertes » n’ont pas gêné outre
mesure le PDG Gérard Mestrallet qui, en plus de la vente de ses stock-options fin 2009, s’était accordé en 2008 une augmentation de 15% avec un salaire supérieur à 264 000 euros
mensuels [3]. Étrange coïncidence : l’année 2008 s’est soldée pour le consommateur d’une hausse de 15% de sa facture de gaz, sans
que le service rendu se soit amélioré.
La fédération de consommateurs UFC Que Choisir pointe la dégradation des réseaux de distribution, de GDF comme d’EDF : « Ces réseaux se dégradent insensiblement depuis des
années. Les transformateurs sont moins bien entretenus, les canalisations tardent à être remplacées (…). Le niveau de sécurité reste largement acceptable, mais l’ensemble devient plus
fragile et les pannes plus fréquentes. » En parallèle, un mouvement social mené au printemps 2009 dans les filiales de distribution de GDF et d’EDF, dénonçait les inégalités de
salaire, la dégradation des conditions de travail ou le recours de plus en plus massif à une sous-traitance aux dépens de la qualité. Ces grèves ont été brutalement réprimées en interne. La prédation des richesses publiques par la nouvelle oligarchie au pouvoir se poursuit en toute impunité, sous la protection du bouclier fiscal.
Ivan du Roy
Notes
[1] Xavier Huillard, PDG de Vinci perçevait en 2008 un salaire mensuel supérieur à 124 000 euros.
La dernière boulette en date du Tartarin de la Septimanie, nom que ce potentat d’Occitanie avait choisi pour remplacer celui du Languedoc-Roussillon est à la mesure du
personnage : puante. Mais elle n’est certainement pas l’ultime trouvaille langagière de cet autocrate qui règne sans partage depuis les années soixante-dix sur la ville de Montpellier
qu’il a transformée en fief inviolable. Au delà des foucades racistes sur les noirs de l’équipe de France, les harkis, les musulmans, et maintenant les juifs, à travers la personne de Laurent
Fabius, nous devons nous interroger sur ce qui constitue le fond de commerce électoral de ce champion toutes catégories des dérapages verbaux, trophée qu’il partage volontiers avec Jean-Marie
Le Pen. Son assise politique est réelle. Elle repose sur quelques recettes éprouvées et bien connues.
Le premier de ces ingrédients du « local - populisme » est bien entendu le clientélisme. Frêche sait faire plaisir à chaque communauté et, d’abord, à celles qui votent. Dans cette
région souvent à droite lors des élections nationales, il a su capter le vote des pieds noirs, avec ici un musée de la colonisation, là des paroles doucereuses sur l’Algérie Française ; son
implantation dans les milieux universitaires est forte, car il a su développer les potentialités de sa ville dans ce domaine, tout en utilisant son statut d’enseignant du supérieur ; il
veille sur l’électorat « gris » des personnes âgées ; il flatte les cadres qui se sont installés dans les pépinières technologiques de l’agglomération... Le clientélisme passe par
l’arrosage des associations, par l’embauche de personnel dans la municipalité ou dans les officines qui lui sont liées. L’objectif est toujours le même : posséder un vivier d’affidés
exprimant la sensibilité d’une partie ciblée de l’électorat. De ce point de vue, Frêche n’a rien inventé : il a simplement optimisé les possibilités du clientélisme en segmentant le marché
électoral au mieux de ses intérêts. Il a agit de la même manière sur le plan politique : Frêche a ses écologistes patentés, autour d’Yves Piétrasanta, ancien Vert, ancien conseiller général
radical de gauche, ancien maire de Mèze et conseiller régional. Il a ses communistes, avec l’ex-ministre des Transports, Jean Claude Gayssot, ses centristes du Modem.... Ces bons clients là sont
récompensés, mais ceux qui crachent dans la soupe, comme Hélène Mandroux, sont aussitôt insultés et vilipendés. Avec Frêche, il faut choisir son camp ; on est pour ou contre lui. Hors de
cette alternative, point de salut.
Deuxième ingrédient, le verrouillage du Parti Socialiste. Si 70 % de ses militants ont voté pour Georges Frêche aux régionales, ce n’est pas un hasard, mais le résultat d’une longue pratique de
« castration » démocratique au sein des fédérations de l’Hérault, de l’Aude et des Pyrénées-Orientales, au profit du cacique qui dirige d’une main de fer les aparatchiks locaux. Il ne
s’agit pas seulement ici d’achats de cartes, de morts qui votent, d’employés municipaux réquisitionnés pour faire des majorités ; les cadres sont sélectionnés sur un seul critère : la
fidélité au « Duce » de l’Hérault, leur capacité de soumission et leur patriotisme localiste. Cela permet de circonscrire toute volonté de se raccrocher à des courants politiques
qualifiés systématiquement de « parisiens » et de disposer ainsi d’une masse de manœuvres permettant d’imposer sa volonté au national. C’est ce qui s’est passé lors du vote interne pour
ces élections régionales. Mais une telle stratégie a aussi un effet national : grâce à ses milliers de voix, Frêche pèse sur la désignation du candidat à la présidentielle et sur les
équilibres internes au Parti Socialiste. Qui se souvient de son soutien à Ségolène Royal qui permit à cette dernière - avec l’aide de la Fédération des Bouches-du-Rhône, tenue de la même manière
par Guérini - de réaliser un score approchant des 50 % face à Martine Aubry ? Des gens, par ailleurs estimables comme Vincent Peillon, lui trouvent des vertus étonnantes. Tous les
présidentiables ou presque ont un moment joué un pas de deux avec la baronnie du Languedoc, d’où l’embarras actuel des dirigeants du PS.
Le « régional-souverainisme » est le concept politique qui lui permet de résister aux tempêtes qu’il déclenche régulièrement. Mieux, il les alimente grâce à cette idéologie de comptoir
qui fait office de substitution au socialisme. Frêche s’appuie sur un scénario particulier : au pouvoir depuis des lustres, il est considéré comme un grand aménageur, un grand gestionnaire.
En réalité, il a su comprendre avant les autres que la décentralisation permettait à des villes importantes de devenir des métropoles régionales. Il a été de toutes les modes urbaines les plus
productivistes ; sa réputation de « grand » maire est à la mesure de la démesure de ses constructions réalisées aux dépends de la périphérie, laquelle s’est souvent révoltée,
derrière le président du Conseil général de l’Hérault, contre un maire qui s’accaparait toutes les subventions. Sa recette éprouvée repose sur l’antagonisme entre les néo-languedociens et
l’ancienne société locale, plus liée à la terre et à la viticulture. Sa politique économique a provoqué un développement par l’extérieur de nouvelles entreprises à la recherche d’une ville assez
centrale du point de vue des communications et adaptée au mode de vie des cadres urbains. Si Montpellier attire bien les entreprises et les grands services publics, dans la réalité il y
accroissement de la ségrégation, sociale et spatiale et un vrai phénomène de « gentrification ». L’étalement urbain n’est pas vraiment contrôlé et Montpellier compte de nombreux
RMIstes, les laissés pour compte de la croissance qui ont cru au mirage de Montpellier-Technopole. Le clientélisme modernisé est un moyen de gérer les effets pervers de la croissance. En fait ,
le système frêchiste ressemble de plus en plus à celui de la Ligue du Nord en Italie, et aux mouvements xénophobes flamands ; il joue une petite musique contre les élites parisiennes et
cherche des boucs-émissaires locaux dans les populations pauvres. Ses petites phrases et ses coups de gueule qui « passent » mal à l’extérieur, sont aussi des éléments de la
communication à usage local qui permettent de souder les populations de la ville et de la région contre l’ennemi extérieur. La démagogie populiste finissant par payer, il s’enferme dans une sorte
de « lepeno-localisme » qui permet d’offrir aux populations locales l’illusion d’une revanche à bon compte contre des incarnations de ce qui est considéré comme déviant, marginal ou
lointain et de communier autour du « père de la région ».
Ainsi, Frêche peut continuer à faire tourner ce système longtemps, même si la gauche locale, avec Europe Ecologie et le Front de Gauche, tente de se ressaisir au prix de ruptures avec l’appareil
frêchiste et ses stipendiés. Ça ne se traduira en termes politiques que si le Parti Socialiste a réellement le courage de rompre avec les pratiques frêchistes. Pour nous, ce courage passe par
l’union d’une liste Europe-Ecologie/PS, dirigée par Jean Louis Roumégas, parce que les écologistes ont montré qu’ils ne céderaient en aucun cas au deuxième tour à la tentation d’un pseudo-vote
utile qui ferait perdre son âme à la gauche. Une fois de plus, une fois de trop. Un accord existe avec le Front de Gauche pour que la liste la mieux placée organise une liste de rassemblement au
second tour. Voilà une bonne occasion pour Martine Aubry de prouver sa stature de dirigeante nationale. Plutôt qu de s’arcbouter sur une tête de liste socialiste qu’elle accomplisse un geste fort
en n’empêchant pas les écologistes de construire le rassemblement. La gauche courageuse du Languedoc-Roussillon ne veut pas être l’enjeu d’une bataille pipée au sein d’un parti socialiste local
vérolé. Au delà de la présidence du Conseil Régional, ce qui se joue ici, c’est l’alternative entre une gauche avilie, salie par ses turpitudes, une gauche colonialiste et raciste et une gauche
de combat qui ne cède rien sur les valeurs !
se prépare à être très en deçà de ses potentialités"
"J’avais affirmé ma disponibilité et ma volonté de m’investir dans la bataille des régionales. Malheureusement, ce ne sera pas possible, ce que je regrette profondément. A l’issue d’un long
processus auquel j’ai participé avec la Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase), j’avoue ne pas y retrouver mes petits, comme on dit. Une fois de plus, l’autre gauche se
prépare à être très en deçà de ses potentialités et de la place qu’elle devrait occuper dans un contexte de crises sociale, économique et démocratique, face à une droite dure au pouvoir.
Après la division avec le NPA, les listes en préparation autour du Front de Gauche (constitué du PCF, du Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon et de la Gauche Unitaire composée d’ex du NPA)
se constituent dans de nombreuses régions en tournant le dos à l’esprit de rassemblement et à celui de novation. L’idée d’un élargissement et d’une impulsion nouvelle à partir de l’acquis des
européennes, où le Front de Gauche avait obtenu 6,8% - passant contre toute attente devant le NPA (5,2%) - est en passe de ne pas se traduire dans les faits. La lecture des mails quotidiens
de camarades de la Fase qui rapportent l’état des discussions en région est de ce point de vue assez éloquent, même s’il reste fort heureusement quelques bonnes nouvelles ! En Ile-de-France
et en PACA, pour prendre deux régions emblématiques, la construction des listes a même révélé une véritable « chasse aux sorcières » à l’égard des sensibilités composant la Fédération - les
communistes unitaires en ont particulièrement fait les frais.
Le rejet de la candidature de Patrick Braouezec était déjà une très mauvaise nouvelle tant elle fermait bien des possibilités pour une dynamique digne de ce nom en Ile-de-France, et même
au-delà. C’est le duo Pierre Laurent (tête de liste régionale) / Marie-George Buffet (tête de liste en Seine-St-Denis) qui a été mis en place et donnera le ton. Rien n’a été fait pour
contrebalancer cette construction autour du PCF. De ce point de vue, le veto émis sur ma candidature en Seine-Saint-Denis m’apparaît comme un symptôme. Loin d’être un simple règlement de
compte personnel (pour ma candidature dans les collectifs antilibéraux en 2006 face à Marie-George Buffet et ma venue sur Montreuil qui a violemment contrarié le député PCF Jean-Pierre Brard,
maire sortant - finalement battu par la verte Dominique Voynet…), elle participe clairement d’une volonté politique de fond : combattre celles et ceux qui revendiquent haut et fort la
création d’une nouvelle force. On peut d’ailleurs s’interroger sur où en sera, au lendemain des régionales, la « lune de miel » entre un Parti de Gauche qui poursuit l’objectif de construire
un Die Linke à la française et un PCF qui a décidément choisi de construire… le PCF.
Les faiblesses de la Fase, qui fonctionne avant tout comme un réseau et ne s’est pas donné les moyens de sa visibilité dans l’espace public pour construire un meilleur rapport de force, n’ont
pas permis de changer l’état d’esprit et d’aboutir à un meilleur dispositif de campagne. Ce constat amènera nécessairement à des remises en cause radicales pour la Fase.
A ce jour, il me paraît impossible d’avaler tant de couleuvres (qui pourrait soutenir une campagne dont les principaux animateurs ont émis un veto le concernant ?) et de souscrire à une
construction politique qui, globalement et sans sous-estimer quelques bonnes surprises régionales, a favorisé l’accord entre de petits appareils au lieu de rechercher les ingrédients pour
mener une campagne dynamique, ouverte sur la société, porteuse de souffle et d’espoir, de pluralisme et de renouvellement. Le fait que Mohammed Mechmache du Forum social des quartiers
populaires ait claqué la porte ou que l’hypothèse de la candidature de Leila Chaibi de L’appel et la pioche n’ait pas été retenue m’apparaissent comme des faits significatifs, qui
indiquent ce qui était possible et est en train d’échouer.
Le triple défi que nous devons relever pour être populaire et peser utilement reste donc largement devant nous : allier contenu radical sur une ligne de transformation sociale et écologique,
unité des forces de l’autre gauche et renouvellement/refondation du projet comme des formes. Dans Transformer à gauche que j’ai publié au Seuil en octobre dernier, ces points sont
développés. Nous avons donc du pain sur la planche. Ce travail au long cours reste absolument motivant."
Après les OGM, les nanotechnologies s’invitent dans notre assiette : les nano-aliments, traités avec des nano-pesticides et contenus dans des nano-emballages, se multiplient. A
la clé : de faramineux profits financiers pour les industriels et des risques environnementaux et sanitaires aujourd’hui impossibles à évaluer. Le tout dans une totale - et incroyable -
absence de règles et de contrôles.
Des aliments intelligents qui s’adaptent aux goûts du consommateur, des vêtements qui repoussent l’eau, des matériaux qui s’auto-réparent, de la « poussière intelligente » qui
enregistre discrètement les conversations... Bienvenue dans le nano-monde ! Un univers où la science bricole des particules invisibles au microscope et empile des atomes à l’échelle du
nanomètre, c’est-à-dire un milliardième de mètre [1]. Les nanotechnologies seront à la base d’une troisième révolution industrielle au cours
du 21e siècle, nous promet-on.
Une révolution qui passe aussi par nos assiettes. Car ces nanoparticules sont déjà présentes dans les aliments industriels, les pesticides agricoles, les emballages alimentaires, les récipients
de stockage... sans contrôle ni étiquetage. Des particules qui, du fait de leur minuscule taille, traversent les barrières biologiques et peuvent circuler dans tout l’organisme : la peau,
les tissus, le cerveau... Alors, prêts pour une nourriture « atomiquement modifiée », aux effets encore inconnus ?
Au moins 106 nano-aliments déjà commercialisés
Difficile de recenser les nano-aliments existants. Les fabricants ont bien compris que les incertitudes qui entourent aujourd’hui les nano-particules peuvent effrayer les consommateurs. Ils ne
communiquent pas clairement sur leur utilisation. Selon l’ONG les Amis de la Terre, c’est toute la chaîne alimentaire qui est aujourd’hui « contaminée ». Son rapport intitulé
« Du Laboratoire à nos assiettes : les nanotechnologies dans
l’alimentation et l’agriculture » dresse la liste de 106 produits alimentaires, du jus de fruit « fortifié » aux compléments alimentaires vitaminés en passant par un
« nano-thé ».
L’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) dénombre tous secteurs confondus 2 000 nanoparticules manufacturées déjà commercialisées, et plus de 600
produits de consommation concernés. Si ces chiffres sont difficilement vérifiables du fait de l’absence de traçabilité, des estimations situent le marché des nano-aliments à plus de 5 milliards
de dollars en 2005, avec des prévisions de 20 milliards de dollars pour 2010. Le groupe de consultants Helmut Kaiser prévoit que le recours aux nanotechnologies concernera, d’ici 2015, 40% des aliments industriels.
« Une technologie de confort pour les pays riches »
Du silicate d’aluminium pour empêcher l’agglutination des aliments en poudre, du ketchup épaissi avec du dioxyde de silicium, des vinaigrettes blanchies au dioxyde de titane... Les nano-aliments
nous apporteraient, selon leurs partisans, des avancées culinaires majeures : du chocolat ou des glaces sans lipides et sans sucre, qui conservent le même goût que l’original, une huile
(Shemen Industries) qui inhibe l’entrée du cholestérol dans le sang, un substitut alimentaire (Nanotrim de Nanonutra) qui brûle les graisses. Ou la possibilité de modifier le goût d’un aliment
selon nos désirs. Des industriels comme Nestlé cherchent à concevoir les « nano-aliments du futur ».
Le géant agroalimentaire Kraft Foods (Etats-Unis) fait partie de ces pionniers. En 2000, il a financé un consortium de 15 universités et laboratoires de recherche, Nanotek, pour concevoir de la
nourriture « intelligente » et personnalisée, tels des aliments qui contiennent des centaines de nano-capsules, remplies de saveurs, de nutriments, de couleurs différentes. Un four à
micro-ondes pourrait déclencher, selon la fréquence des ondes, telle ou telle capsule, selon les désirs du consommateur. Une nourriture interactive en quelque sorte, qui peut même se transformer
elle-même si une personne est allergique à un composant, ou libérer une dose de supplément nutritif si elle détecte des carences. Kraft Foods, le concepteur de ce projet, est propriétaire des
marques de chocolat Milka, Côte d’Or, Toblerone, Suchard, et de café Carte Noir, Grand’Mère, Jacques Vabre ou Maxell. Imaginez demain votre café de couleur rose et au goût banane qui vous délivre
votre dose quotidienne de vitamines C... Ou du chocolat qui libère des arômes de carotte tout en soignant votre gueule de bois. Formidable, non ?
Des nanos au goût d’OGM
Pourquoi ce déploiement de technologies ? « Sur le plan
alimentaire, on ne comprend pas à quoi ça sert, explique Rose Frayssinet, de l’ONG Les amis de la Terre. « C’est comme les usages dans le textile : à quoi servent des
chaussettes « sans odeur » avec du nano-argent ? Les nano-particules vont partir dans l’eau au bout de quatre lavages, et vont aller bouffer les microbes jusque dans les stations
d’épuration. Au vu de ce que ça coûte, quelle est l’utilité sociale de tout ça ? Ce sont des technologies pour le confort des plus riches ».
Certains voient les nano-aliments comme une « aubaine » pour les paysans du Sud. Leur credo ? Des nanos qui augmenteraient la productivité agricole et permettraient de lutter
contre la faim. Une promesse qui rappelle celles des lobbys biotechnologiques et leurs OGM. La comparaison ne s’arrête pas là : risques sanitaires et environnementaux, privatisation du
vivant ou de combinaisons d’atomes par des brevets industriels, mise sur le marché de produits dont l’innocuité n’est pas prouvée... Des nanocides (pesticides utilisant les nano-technologies)
intelligents qui nécessiteraient un dosage moins important que les pesticides actuels, et ne causeraient aucun mal aux insectes ? Le fait que ce soit des firmes comme Monsanto, Bayer ou
Syngenta qui les développent ne peut qu’inviter à rester très prudent sur le sujet...
Vers un nouveau scandale sanitaire ?
« Dans le cas des OGM, nous avons obligé Monsanto à rendre publiques des études partielles de toxicité dissimulées au public. Des études semblables n’existent pas sur la nocivité des
nanoparticules, souligne la Fondation Sciences citoyennes. Et les lanceurs d’alerte sont actuellement dissuadés par tous les moyens (poursuites en justice...) de briser la propagande
officielle ». Pour Rose Frayssinet, nous sommes face à un risque encore plus grand que les OGM. « Les OGM, c’est un secteur, alors que les nanotechnologies concernent tous
les secteurs. Les risques sont d’autant plus difficiles à analyser. On ne peut pas avoir une vision globale des implications ».
Difficile en effet de contrôler le comportement de nano-particules.
Elles ne répondent pas aux lois de la physique classique, mais à celles de la mécanique quantique. Construire des particules, atome par atome, manipuler la matière au niveau des molécules, c’est
entrer dans un monde d’incertitude radicale. Les propriétés des particules, comme leur toxicité ou leur persistance biologique, varient selon leur taille. De fait, les connaissances actuelles sur
les effets toxiques des nano-particules manufacturées sont très limitées.
« Les données disponibles indiquent que certaines nanoparticules insolubles peuvent franchir les différentes barrières de protection, se distribuer dans le corps et s’accumuler dans
plusieurs organes, essentiellement à partir d’une exposition respiratoire ou digestive », prévient une étude de l’Afsset, en 2006. Les nano-particules se diffusent dans
les alvéoles pulmonaires, le sang, la barrière hémato-encéphalique qui protège le cerveau, ou le placenta. Fin 2008, un nouveau rapport de l’Agence juge que la nano-toxicologie fournit
« des résultats encore peu nombreux, disparates et parfois contradictoires » et qu’il « n’est cependant pas possible d’exclure à cette date l’existence d’effets
néfastes pour l’homme et l’environnement ». Quant à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), après avoir rappelé que des études extérieures montrent de possibles altérations de l’ADN par les nano-particules [2],
elle confesse « l’impossibilité d’évaluer l’exposition du consommateur et les risques sanitaires liés à l’ingestion de nanoparticules. » Très rassurant...
Nano-particules : l’amiante du 21ème siècle ?
Une étude britannique démontre l’existence d’un effet indirect des
nanoparticules qui endommageraient « à distance » l’ADN [3]. Marie-Claude Jaurand, directeur de recherche à l’INSERM, pointe du
doigt les nano-tubes de carbone, matériau ultra-résistant utilisé dans l’industrie, pour leurs effets « similaires à ceux de l’amiante », concernant la production de lésions de l’ADN et la formation
d’aberrations chromosomiques. Face à ces risques, que font les instances compétentes ? Pas grand chose. Les instruments règlementaires sont inadaptés. Ministères et agences sanitaires sont
complètement dépassés (les documents les plus récents publiés sur le site du ministère de la Santé datent de 2007). L’évaluation des risques doit être totalement repensée.
Les systèmes d’autorisation de mise sur le marché reposent sur la composition chimique des produits. Pour les nanoparticules, cela ne suffit pas, car les effets dépendent aussi de l’organisation
spatiale des éléments atomiques et de leur taille. Un élément non toxique peut le devenir à l’échelon nanométrique. « Le dioxyde de titane et les dioxydes d’argent n’ont pas les mêmes
propriétés au niveau nanométrique et au niveau macroscopique, explique Rose Frayssinet. Ils n’ont pas les mêmes propriétés selon qu’ils mesurent 20 nano ou 60 nano. Pour étudier les
risques, il faudrait donc mener des études pour toutes les échelles ». Mais cela coûte cher. Et les outils manquent. « D’après les textes européens, dès qu’on modifie un
aliment, une étude d’innocuité est obligatoire. Mais personne ne sait le faire. Il y a encore un an, il n’y avait aucun filtre vraiment sûr pour récupérer les nano-particules. Sans compter que
les délais d’études étant très longs, les résultats arriveront après la mise sur le marché. On demande aux fabricants de travailler dans des salles blanches, avec des scaphandres. Et juste
derrière, on met les produits sur le marché. C’est aberrant ! ».
Concernant la production et la mise sur le marché, les industriels se réfèrent à
la directive européenne REACH. Celle-ci est pourtant insuffisante. Seules les substances chimiques produites en quantité supérieure à une tonne par an y sont soumises. Vu la taille des
nano-particules, cette quantité de production n’est pas toujours atteinte. Et pour le moment, aucune obligation d’étiquetage n’existe, même si le Parlement européen commence à se saisir de cette
question.
L’État finance sans s’inquiéter des conséquences
« No data no market » (pas de données, pas de marché). Telle est la position défendue par de nombreuses associations écologistes, qui espèrent être rejointes par les
syndicats de salariés. Elles demandent un moratoire sur les nano-produits. Et des procédures d’évaluation des risques adaptées. Les ONG souhaitent aussi débattre de l’utilité sociale des
nanotechnologies, en particulier dans le secteur alimentaire.
Le gouvernement français a lancé en 2009 le plan Nano-Innov, qui vise à placer la France parmi les pays les plus en pointe sur les nanosciences, en encourageant la recherche fondamentale à travailler « avec les entreprises
pour mettre au point des technologies, déposer des brevets, créer des produits ». 70 millions d’euros ont été consacrés l’an dernier à ce projet. En parallèle, aucun fonds n’est
dédié aux études toxicologiques et aux impacts sanitaires et environnementaux.
Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, a souligné à l’occasion du lancement de ce plan l’excellence de la recherche nationale sur les nanotechnologies (5ème
rang mondial [4]) mais se désole que seulement 290 brevets aient été déposés en 2005, ce qui représente moins de 2% des brevets mondiaux. Car
le secteur peut rapporter gros. La National Science Foundation (NSF) américaine évalue le marché des nanotechnologies à mille milliards de dollars en 2015. Selon la Fondation Sciences citoyennes,
les investissements en recherche et développement ont été quasiment multipliés par dix entre 1997 et 2003 (3,5 milliards d’euros), avec une prévision de croissance de 40 % par an.
« Les chercheurs nous disent souvent : il suffit qu’on parle de ’nanotechnologies’ dans nos projets pour avoir de l’argent pour mener des recherches », commente Rose
Frayssinet.
Les multinationales de la pharmacie et de l’agrochimie sont sur les rangs pour fabriquer davantage de nano-aliments. A l’opposé de systèmes alimentaires organisés localement et écologiquement
soutenables, se prépare une nouvelle révolution alimentaire, basée sur l’accaparement par quelques firmes privées des éléments constitutifs de la matière et de notre alimentation. Après la
malbouffe, nous voici transformés en cobayes de la nano-bouffe, avec le silence complice de l’État.
Agnès Rousseaux
Notes
[1] Taille de l’atome : 1 dixième de nanomètre, ADN : 10 nanomètres, protéines : 20 nanomètres.
[2] « Certaines nanoparticules peuvent traverser et/ou altérer les membranes plasmiques, nucléaires et mitochondriales, induire une
peroxydation lipidique et la génération d’espèces réactives de l’oxygène elle-même à l’origine d’un stress oxydatif pouvant altérer des protéines et l’ADN ( Hong 200657 ; Xia
200658 ; Beck-Speier 200559 ; Lewinski et al. 200860 ; Stone 200761 ; Hussain et al., 200562) ». Source : Nanotechnologies et nanoparticules dans l’alimentation humaine et animale - AFSSA
[3] « Nanoparticles can cause DNA damage across a cellular barrier » Gevdeep Bhabra et al., Nature Nanotechnology (en ligne le 5
novembre 2009)
[4] avec 3 526 publications en 2006, soit 5,6% des publications mondiales
Les agrocarburants seraient-ils la solution miracle pour limiter les émissions de CO2 et réagir à l’épuisement des ressources pétrolières ? S’ils représentent une manne
financière pour de grands groupes industriels, leur efficacité énergétique est loin d’être prouvée, et leurs conséquences sociales et environnementales sont déplorables. Pourtant, en
investissant des centaines de millions d’euros dans cette filière, l’Etat français continue de miser sur ce qui semble bien être une escroquerie.
La cause est entendue, il faut réduire la consommation mondiale d’énergie fossile. Pour freiner le dérèglement climatique et se préparer à la raréfaction des réserves de pétrole,
l’utilisation de ressources biologiques pour produire du carburant est considérée comme l’une des solutions-miracles. La France compte y consacrer plusieurs centaines de millions d’euros dans
les années qui viennent. Mais ce choix est-il vraiment judicieux ?
La canne à sucre et le maïs sont dorénavant distillés en éthanol. Palmiers à huile, colza et soja sont, eux, transformés en biodiesel. La deuxième génération d’agrocarburants proviendra de
n’importe quel résidu agricole : mauvaises herbes, parties des plantes impropres à l’alimentation, arbres et même l’huile de cuisine usagée. Bienvenue dans l’ère de l’indépendance
énergétique pour tous, dans un monde où communautés agricoles et pays pauvres pourront bénéficier de la manne de l’or vert ! Mais attention aux désillusions.
L’Union européenne a conçu en décembre 2008 une directive fixant le seuil d’incorporation des agrocarburants dans la production dédiée aux transports à 10% d’ici 2020 dont plus de 5% d’ici
2012. Face aux critiques très vives, l’UE a reformulé cette obligation en transformant « 10% de biocarburants » en « 10% d’énergies renouvelables » et a ouvert la porte
aux autres filières (éolien, solaire, hydraulique...). Les pays de l’Union ont donc le choix de la répartition entre la consommation d’agrocarburants [1] et la production d’électricité renouvelable pour atteindre leurs objectifs.
Le développement durable, pour les riches seulement
De nombreux mouvements tels que la Confédération paysanne, Peuples solidaires, le Réseau action climat ou Oxfam, dénoncent les agrocarburants. Du Brésil à l’Indonésie en passant par le
Sénégal, petits paysans et communautés locales sont expropriés et nombre de forêts rasées pour faire place aux millions d’hectares de plantations de palmiers à huile, de soja ou de jatropha.
Le Brésil est, depuis trente ans, en pointe dans la production d’éthanol à base de canne à sucre. Il est aujourd’hui le deuxième producteur d’agrocarburants derrière les États-Unis.
Si la canne à sucre est beaucoup plus efficace énergétiquement que le maïs, le colza ou la betterave utilisés dans les pays du Nord, les mouvements sociaux et écologistes locaux critiquent
les effets néfastes d’un modèle tourné vers l’agrobusiness. La monoculture intensive de canne à sucre dans les États côtiers (Nordeste notamment) contribue indirectement à la déforestation en
repoussant vers l’Amazonie d’autres types de productions, comme les vastes plantations de soja destinées à l’alimentation animale en Europe. Ce modèle, qui favorise les gigantesques
exploitations, a ainsi expulsé de leurs terres 5,3 millions de personnes entre 1985 et 1996, générant la disparition de 941 000 petites et moyennes exploitations agricoles.
Les conditions de travail dans les plantations de canne à sucre sont souvent déplorables, dans un pays où l’esclavage agricole est encore une réalité pour des dizaines de milliers de
personnes. En trente ans, les objectifs de productivité exigés des ouvriers agricoles travaillant dans les plantations de canne à sucre ont été multipliés par trois avec la mécanisation
(entre 12 et 15 tonnes de coupe par jour et par travailleur). Si l’objectif n’est pas réalisé, le travailleur est renvoyé. Ce n’est pas demain que petits paysans et ouvriers agricoles
bénéficieront du « développement durable » promis par l’avènement des agrocarburants.
L’or vert des multinationales
Au contraire des compagnies pétrolières, de l’industrie agroalimentaire, des entreprises de biotechnologie et des sociétés financières qui se frottent les mains. Les multinationales
états-uniennes Cargill ou ADM [2] (négociants en grains et en produits alimentaires de base) contrôlent la production de matières
premières agricoles sur de nombreux continents. Les entreprises de biotechnologie tels que Monsanto ou Syngeta investissent pour produire des plantes et des arbres répondant aux exigences des
fabricants d’agrocarburants. « La révolution des agrocarburants accompagne les OGM. Cargill s’est par exemple associé avec Monsanto pour produire une nouvelle variété de maïs
génétiquement modifié destiné à la fois aux agrocarburants et à l’alimentation animale, explique l’ONG Grain. Les nouveaux milliardaires et autres investisseurs, ainsi que les
contribuables du monde entier, qui y participent par les subventions que leurs gouvernements distribuent au secteur, injectent des sommes énormes d’argent frais dans ces réseaux
d’entreprises. Le résultat : une gigantesque expansion de l’agriculture industrielle mondiale et un contrôle renforcé des firmes. »
Au Guatemala, où la production d’agrocarburants est massive, les plantations sont aux mains de grands propriétaires et de multinationales qui entrent directement en concurrence avec
l’agriculture vivrière locale. Les paysans sont expulsés parfois très violemment et les cours d’eau détournés. Au Nord-Ouest de la Colombie où la guerre de l’huile de palme fait rage, les
petits paysans vivent depuis une dizaine d’année sous le régime de la terreur. Les populations sont évacuées de force de leur terre ou assassinées par les paramilitaires pour que des firmes y
fassent pousser des monocultures d’huile de palme, converties ensuite en agrocarburants. Le gouvernement colombien ferme les yeux sur ces exactions et soutient une révision de la loi
légalisant les expulsions. Au Brésil, le Mouvement des sans terre (MST) dénonce un « processus de recolonisation » des terres par des multinationales.
« Tout ceci n’est rien moins que la réintroduction de l’économie coloniale de la plantation redéfinie pour fonctionner selon les règles du monde moderne, néolibéral et
globalisé » assène l’ONG Grain. Sans oublier l’efficacité très contestable de plusieurs types d’agrocarburants : en Asie du Sud-Est, la production d’une tonne de biodiesel tiré
du palmier à huile dans les tourbières produit 2 à 8 fois plus de CO2 que la seule combustion de diesel de pétrole. Quant au Brésil, 80% des émissions de gaz à effet de serre du pays
proviennent de la déforestation, conséquence indirecte de l’extension de la canne à sucre pour augmenter la production d’éthanol.
Une niche fiscale d’un milliard d’euros
Ce bilan lamentable semble pourtant rester lettre morte auprès du gouvernement français et de plusieurs collectivités territoriales comme la région Picardie. En France, les agrocarburants
bénéficient depuis 1992 d’une exonération partielle de la taxe intérieure de consommation (TIC, ancienne TIPP). Pour l’année 2008, les montants de défiscalisation représentent un coût pour
les finances publiques estimé à 939 millions d’euros. Celui-ci pourrait atteindre 1,1 milliard d’euros cette année. Mais cela ne suffit pas pour cette filière de plus en plus gourmande. Début
octobre 2009, on apprend que l’État français s’apprête à lancer l’expérimentation à grande échelle des agrocarburants de deuxième génération, avant même d’avoir tiré le bilan de la première.
Le conseil d’administration de l’Ademe (Agence pour le développement et la maîtrise de l’énergie) valide un plan de développement des agrocarburants de deuxième génération baptisé
« BioTfuel » (prononcez « beautiful »), d’un montant de 112 millions d’euros. L’Ademe apportera une aide de 30 millions d’euros et la région Picardie, 3,2 millions.
Le projet expérimental est porté par un consortium comprenant le pétrolier Total, l’Institut français du pétrole (IFP), le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Sofiproteol (Établissement
financier de la filière des huiles et protéines végétales) et le groupe allemand Uhde (industrie chimique et nucléaire). Le consortium prévoit la construction de deux sites industriels, dont
un à Compiègne, l’autre sur un site de Total. La compagnie pétrolière - qui a dégagé 13,9 milliards d’euros de bénéfices en 2008 – recevra à ce titre 7,2 millions d’euros des contribuables
pour financer ce programme de recherche.
Quand l’énergie atomique est rebaptisée énergie alternative
En octobre 2009, l’Ademe a mis en ligne la synthèse d’un rapport très attendu sur les agrocarburants. Quelques jours plus tard, elle la retirait en toute discrétion, ne laissant que la
synthèse peu fidèle aux résultats de l’étude. Celle-ci montre que l’efficacité énergétique de plusieurs agrocarburants (comme celui issu du blé) est très médiocre, et que certaines filières,
comme celle du colza, produit davantage de gaz à effet de serre que le diesel fabriqué par une raffinerie pétrolière ! « La lecture complète de l’étude conduit à des conclusions
opposées à celles de cette synthèse, dénonce
Jean-Denis Crola, d’Oxfam France. Les agrocarburants y sont présentés sous un jour très favorable. En choisissant ce format, le gouvernement fait passer un message clair : la
politique de soutien aux agrocarburants ne changera pas et restera la seule action mise en place pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports. »
Plus inquiétant encore, le 14 décembre 2009, Nicolas Sarkozy a dévoilé la répartition des 35 milliards d’euros du grand emprunt, dont 22 milliards seront levés en 2010 sur les marchés
financiers. Parmi eux, 5 milliards seront consacrés au développement durable. « L’essentiel de l’effort portera sur les énergies renouvelables puisque nous allons affecter 2,5
milliards d’euros à l’Ademe qui sélectionnera ensuite les meilleurs projets présentés par les laboratoires dédiés aux énergies renouvelables, à l’Institut français du pétrole, au CNRS, dans
les universités ou au CEA, expliquait Nicolas Sarkozy devant un parterre de journalistes. Le CEA a un savoir-faire technologique inégalé dans le nucléaire mais nous permet aussi, ce
qui se sait moins, de figurer aux premiers rangs de la recherche mondiale dans le domaine solaire, dans les biocarburants ou le stockage de l’énergie. » Décision a été prise de
rebaptiser le CEA. Il s’appellera dorénavant le Commissariat à l’Énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA²). Ça promet.
Nadia Djabali
Notes
[1] Le terme « biocarburants » peut induire qu’il s’agirait de carburants « bio » et crée une confusion avec l’agriculture
biologique. Or les cultures destinées à produire du carburant n’ont rien de « bio » : emploi de pesticides, irrigation incontrôlée, déforestation… Nous employons donc le terme
agrocarburants (carburants issus de l’agriculture)
Quelle sera la situation de notre système de sécurité sociale en 2015 ? Déremboursement des médicaments pris en charge à 35%, des soins dentaires, des frais d’opticiens ou des
indemnités journalières... mais surtout des affections longue durée, par exemple les maladies cardiovasculaires ou certains types de diabète. Tels des médecins de Molière, le cabinet de
consultants Jalma, une référence dans le secteur de la santé, ne voit qu’une solution pour sauver le malade : la saignée. Une vision partagée par un grand nombre de responsables du
secteur des mutuelles, des assurances et de la Sécurité sociale. Avec un pactole de 16 milliards d’euros à la clé, pour le privé. Décryptage.
« Quel avenir pour l’assurance maladie ? ». C’est le titre du « livre blanc » édité par le cabinet Jalma, fin 2009. Jalma, c’est un cabinet de consultants
spécialisé dans le secteur de l’assurance. Il a pour clients les principales mutuelles, assurances et institutions de prévoyance, ainsi que des banques et des ministères. Bref, du lourd en
matière d’influence, un « leader » du secteur comme on dit. Son livre blanc indique les grandes orientations que souhaitent prendre les acteurs de l’assurance maladie d’ici 2015.
Quel avenir, donc, pour notre Sécu ? Malgré le point d’interrogation, la réponse semble limpide. Elle tient en quelques mots : moins d’assurance maladie obligatoire, donc moins de
sécurité sociale, et plus d’assurance maladie complémentaire… pour celles et ceux qui auront les moyens de se la payer.
Pour appuyer cette orientation, rien de tel qu’une bonne expertise soi-disant impartiale. Depuis une quinzaine d’années, les cabinets de consultants ont poussé dans le milieu des
« complémentaires santé », y compris chez les mutuelles qui s’affichent « militantes ». Ces consultants sont souvent payés 1000 euros par jour et leurs
« conseils » se révèlent bien pratiques pour les dirigeants mutualistes qui tentent de cacher derrière le masque de l’expertise externe leurs décisions les plus impopulaires :
plans sociaux élaborés à la hache, transformation des adhérents, sociétaires ou bénéficiaires en clients, rentabilisation des risques santé, sape de la Sécurité sociale. Des décisions que
leurs instances politiques, censées faire partie de « l’économie sociale » rechignent à assumer.
Ne dîtes plus patients mais clients
Parmi ces cabinets, Jalma, créé en 1997 par des anciens du courtier en assurance Gras Savoye, a un rôle particulier. Chaque année, il dresse un « panorama de l’assurance santé »,
véritable bréviaire libéral de la protection sanitaire et sociale. Ce rapport, qui s’appuie sur les conceptions des oligarques de la protection sociale, d’Axa aux mutuelles, pèse 150 pages et
coûte la bagatelle de 150 euros. En plus de ce livre blanc, ils se sont fendus cette année d’un sondage : le « 1er baromètre CSA/Jalma sur la perception par les français de leur
système de santé », histoire de mesurer l’« acceptabilité » des réformes envisagées auprès de l’opinion.
Rappelons tout d’abord que la différence entre le régime obligatoire - la Sécurité sociale - et les mutuelles et assurances complémentaires est fondamentale. Le régime obligatoire offre les
mêmes remboursements à tous et les cotisations sont proportionnelles au salaire de l’assuré. Le régime complémentaire propose une multitude de contrats divers et ses cotisations varient selon
l’âge de l’assuré, ses capacités financières et, pour les assurances, selon son état de santé. Si les mutuelles sont à but non lucratif, les assurances doivent rémunérer des actionnaires.
L’objectif des assurances est de restreindre le régime obligatoire pour rendre indispensable le régime complémentaire et, ainsi, accroître le nombre de leurs clients, et augmenter leurs
bénéfices qui seront ensuite redistribués à leurs actionnaires. Si les mutuelles, en tant que structures à but non lucratif, n’ont pas vocation à faire des profits, rappelons que bon nombre
d’entre elles ont fusionné, disparu ou se sont transformées purement et simplement en assurance. Axa, mutuelle il y a 25 ans, en est l’exemple le plus emblématique.
8 millions de patients stigmatisés
L’objectif affiché par le rapport est de lister des propositions pour résorber le déficit de l’assurance maladie (environ 18 milliards d’euros en 2009). Ses auteurs oublient de s’interroger
sur de nouvelles ressources. La question est rapidement évacuée au motif qu’une augmentation des impôts ou des cotisations sera nécessaire pour financer les retraites. Dans ce cas,
« difficile, voire impossible, d’augmenter dans la foulée les ressources pérennes de l’assurance maladie ». Débat réglé donc. Pas question évidemment de s’interroger sur
une réforme de la fiscalité qui prendrait en compte les stocks option, qui instaurerait une
véritable fiscalité écologique (taxer les produits néfastes pour la santé par exemple, comme les pesticides ou les
industries polluantes), ni d’envisager de nouvelles recettes grâce à une taxation des revenus financiers, voire de remettre en cause quelques niches fiscales pour riches.
Si on ne peut augmenter les recettes, il faut donc s’attaquer aux dépenses. En premier lieu, les « affections longue durée » (ALD), qui représentent le premier poste des dépenses de
la Sécurité sociale. Ces ALD sont prises en charge à 100 % par le régime obligatoire. Les bénéficiaires sont les personnes - au moins 8 millions en 2009 - atteintes de maladies diverses
et souvent chroniques : cancer, sida, maladies rares, diabète, et certaines personnes âgées atteintes de maladies dégénératives. 60 % des remboursements de l’assurance maladie
concernent 15 % des personnes assurées, qui sont en ALD. Selon le rapport, « 5% des assurés en ALD, soit 0,7% de la population [420 000 personnes], perçoivent en moyenne 70 000
euros de remboursement des régimes obligatoires » par an. Ce qui représente 25 % des prestations de la Sécurité sociale. Présenter les chiffres de cette manière est déjà un
choix politique en soit. Cela revient à amalgamer des types de pathologies très diverses. Et cela vise surtout à stigmatiser des personnes qui ont le tort de coûter cher car elles sont
malades.
Un pactole de 16 milliards d’euros pour le privé
Le rapport ne l’indique pas explicitement, mais pour tous les organismes complémentaires, le véritable magot est là. Sur le poste de dépenses des ALD, quelques pourcents transférés aux
complémentaires - pour le moment exclues de ce dispositif - représenteraient rapidement plusieurs milliards d’euros de chiffres d’affaires supplémentaires. Le rapport envisage deux scénarios
pour « sauver la Sécu ». Le premier est fondé sur « l’instauration d’un ticket modérateur de 10 % en trois ans à partir de 2011 [1].
Concrètement, la Sécurité sociale ne rembourserait aux malades en ALD que 95 % puis 90 % au lieu des 100 %. Le second scénario propose de « restreindre l’accès au
régime ALD selon les recommandations de la Haute autorité de santé ». Plusieurs ALD - maladies cardiovasculaires, affections liées à l’hypertension artérielle (comme le diabète) ou
la tuberculose seraient exclues des remboursements intégraux. Conséquence ? Des millions de personnes ne seraient plus prises en charge à 100% par la Sécu, ce qui provoquerait une hausse
sans précédent des cotisations aux complémentaires santé. Ce système défavorise les revenus les plus faibles. Les ménages avec un revenu égal ou inférieur au Smic sont ceux qui consacrent
déjà la plus grande part de leurs revenus - de 6% à 10% - pour adhérer à une complémentaire santé.
Pour atteindre l’équilibre ou s’en approcher, les deux scénarios prévoient aussi la remise en cause du remboursement par la Sécu de ce qu’ils considèrent comme relevant du petit risque :
le petit appareillage (bas de contention, matériel orthopédique par exemple), les médicaments à vignette bleue (pris en charge à 35 %), plus les soins dentaires, ou les frais
d’opticiens, déjà presque intégralement à la charge des complémentaires santé. Au total, selon ces deux scénarios, ce serait au moins 16 milliards d’euros qui seraient chaque année transférés
vers le régime complémentaire. Ces transferts devraient permettre aux complémentaires privées de doubler leurs cotisations d’ici 2015. Plus 100% en 5 ans, ça c’est de la croissance !
Rappelons que 7% de la population n’est pas couverte en complémentaire santé (ni CMU complémentaire) [2].
Problème : 95 % des Français sont favorables au principe de solidarité
Ce remède de cheval pour « sauver la Sécu » ne semble pas convaincre les Français, malgré les efforts déployés pour saper les principes de la solidarité nationale. Au grand
désespoir du commanditaire, 95 % des sondés considèrent que la prise en charge à 100 % des ALD est justifiée [3], alors que
4 % [4] estiment qu’elle n’est pas justifiée.
Comme les réponses ne correspondent pas à ce que les consultants souhaitaient entendre, une autre question est apparue dans le sondage : « Les affections de longue durée telles
que le diabète, l’hypertension ou insuffisance respiratoire sont aujourd’hui prises en charge à 100% par l’assurance maladie et constituent le poste de dépense qui augmente le plus vite. Pour
réduire cette dépense de santé pensez-vous qu’il est préférable de … ? » :
- Remettre en cause la prise en charge à 100% des assurés les plus aisés : 45 %
- Réduire la prise en charge à 95 % ou 90 % de tous les assurés (scénario 1) : 21 %
- Augmenter les impôts (tels que la CSG) et maintenir le système en l’état : 15%
- Supprimer la prise en charge à 100% uniquement de certaines affections (scénario 2) : 8%
- Ne se prononcent pas : 11% »
La question ne précisait malheureusement pas à partir de quel niveau de revenus l’assuré est considéré comme « aisé ». Cette subtilité permet aux auteurs de conclure leur
rapport par ces mots : « Respectueux du principe d’égalité, ils [les Français] privilégient la piste de la mise sous condition de ressources de la prise en charge à 100% en cas
de nécessité absolue. Il ne faut donc pas enterrer trop vite le bouclier sanitaire, qui pourrait devenir, sous une forme encore à définir, un outil essentiel des réformes à venir ».
La solution imaginée est simple : les personnes dont les revenus sont inférieurs à un certain plafond (mais qui pourrait baisser au fur et à mesure de l’évolution des déficits)
bénéficieraient d’un « bouclier sanitaire », c’est-à-dire le maintien de l’ALD à 100%. Tandis que le reste de la population « aisée » verrait son ALD en partie
transférée vers les complémentaires.
Quand l’on retrouve un certain Guillaume Sarkozy
Le débat est donc posé. En petit comité mais avec les gens qui comptent. Les propositions du rapport émanent bien des actuels dirigeants de notre protection sociale et non d’un « think
tank » néo-libéral. Dans ce rapport, presque tous les acteurs incontournables de la couverture santé en France, dont les « avis et recommandations » ont été intégrés,
figurent dans les remerciements. Ainsi Etienne Caniard, membre de la Haute autorité de santé et futur président de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), et Jean Pierre Davant, son président actuel. Les mutuelles de cette fédération couvrent 37 millions
de français. On retrouve aussi Daniel Havis, PDG de la Matmut, l’homme aux huit Porsche qui est aux valeurs mutualistes ce que le babybel est au fromage. Sont également remerciés Guillaume Sarkozy, DG du groupe Malakoff Médéric et frère du
Président, et Frédéric Van Roekeghem (dit Rocky), DG de la CNAM et, en
tant qu’ancien directeur des audits d’Axa, pas forcément très à l’aise avec le principe de solidarité en matière de santé… Ou encore Guy Vallancien, chef du département d’urologie à
l’Institut mutualiste Montsouris, médecin traitant de la Mutualité française et auteur d’un livre dont le titre laisserait rêveur n’importe quel ultra libéral : « La Santé n’est pas un droit »... Tout un
programme.
Ces oligarques se considèrent-ils solidaires des conclusions du Livre blanc ? Sont-ils favorables au doublement des cotisations des mutuelles ? Les dirigeants de la Sécurité sociale
sont-ils d’accord avec la suppression d’une partie des ALD, ou l’instauration d’un ticket modérateur pour les malades les plus fragiles ? C’est
l’Assemblée nationale qui vote l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), et donc le budget de la Sécurité sociale. A quel moment les élus se saisiront-ils de ces
questions ? Quand les dirigeants mutualistes iront-ils assumer devant leurs assemblées générales respectives de telles orientations à l’heure où même les États-Unis d’Obama tentent de
revenir au principe d’une couverture santé presque universelle ? En attendant, on peut suggérer une piste de ressources nouvelles pour la Sécurité sociale : taxer les prestations
des consultants qui désirent tant son retour à l’équilibre.
Mathieu Javaux
Notes
[1] 5% en 2011 et 5% supplémentaires à partir de 2013
[2] Selon la selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES)
Alors qu’une certaine gauche anti-libérale se mobilise en faveur du régime de la République Islamique ; alors que Chávez a chaleureusement félicité Ahmadinejad pour son élection et l’a
saluée comme la « victoire pour un monde nouveau », comme il l’avait soutenu fin 2005 dans ses campagnes négationnistes et antisémites notamment (ce « socialisme des
imbéciles » selon August Bebel), lors du concours des caricatures sur le judéocide et visant les juifs en tant que juifs (et non l’Etat d’Israël en tant qu’Etat sioniste et
colonialiste) ; alors que les thèses complotistes semblent une fois de plus proliférer dans un schéma binaire aussi faux et mystificateur qu’il pouvait l’être à l’époque des blocs et de
la guerre froide, nous savons qu’il existe en Iran d’autres paroles venues du bas de la société et se battant pour échapper à ces simplifications qui font le jeu à la fois de l’impérialisme
et du pouvoir des mollahs.
Dans le mouvement de masse qui secoue l’Iran, il existe une dimension de classe, des syndicats indépendants et des révoltes ouvrières, une dimension féministe et des combats pour l’égalité et
l’autonomie individuelle et collective qui peuvent aller contre les religions et les superstitions. En nous gardant de tout triomphalisme propice à des lendemains qui déchanteraient, ce sont
ces mouvement-là, qui ne s’alignent ni sur le régime ni sur aucun des blocs et fractions du régime qui aspirent à gouverner le pays, que ce soit ceux de MM. Moussavi ou Karoubi, que nous
devons soutenir et populariser.
Il est hors de question de s’aligner sur les campagnes hypocrites de l’Occident contre le « fondamentalisme » et pour les « droits de l’Homme » ainsi que sur ses
éventuelles tentatives d’intervention politique et militaire dans ce pays. Nous nous opposons à l’OTAN et à toutes les interventions de type impérialiste, présentes et passées, et au rôle de
l’Etat français et de son complexe militaro-industriel qui, après avoir soutenu la dictature sanglante du Shah, s’est empressé d’armer et de soutenir l’Irak de Saddam Hussein et de pousser ce
pays à attaquer l’Iran dans une guerre particulièrement meurtrière de huit longues années (1980-1988).
De même que sur le nucléaire, nous refusons d’entrer dans ce choix imposé et biaisé. Nous ne nous battons pas pour le « droit au nucléaire iranien » même au nom du combat
anti-impérialiste : nous nous battons pour la dénucléarisation totale, civile et militaire, de la planète ! Nous nous battons pour le démantèlement de toutes les installations, de
toutes les armes de destruction massive à commencer par celles des grandes puissances politiques et militaires qui en font l’un des éléments-clés de leur domination impériale. Nous devons
populariser toute information, analyse, prise de position s’inscrivant dans la perspective, de l’indépendance politique, de la lutte de classe, du combat contre toute forme d’exploitation
économique et de domination (oligarchique, étatique, patriarcale, religieuse…), du combat pour l’émancipation et pour le socialisme libertaire.
OCL (Organisation communiste libertaire) 3 juillet 2009
Le mouvement de révolte populaire qui secoue l’Iran depuis les résultats de la mascarade électorale ne porte pas la question de qui doit gérer le régime des mollahs.
Moussavi, ancien dirigeant de la république islamiste, responsable du massacre de milliers de prisonniers politiques dans les années 80, n’est en rien une alternative. Le mouvement de masse
commencé le 12 juin ne s’en prend d’ailleurs pas qu’à Ahmadinejad mais au régime islamiste lui-même. Ce blog a pour but de diffuser des informations sur la lutte en Iran et sur les courants
révolutionnaires qui y participent. A bas la république islamiste ! En Iran comme ailleurs, vive la révolution socialiste !
mais qui regarde les cartes de la France d'aujourd'hui ?
Par Michel FRANCOIS, conseiller municipal UDB
Saint-Herblain
A trois mois des élections régionales, qui s'intéresse aux cartes de la France ? Pas grand monde à en juger par les thèmes agités. La Documentation
française met pourtant en ligne sur son site de véritables bombes politiques, comme la
carte ci-contre, tout simplement légendée : Paris polarise et domine le territoire français. Dans sa sobre évidence, cette légende a presque plus de force que le célèbre
Paris nous pompe ! de l'UDB... C'est en tout cas la même pieuvre qui nous est dessinée. Que dit ou rappelle cette carte entre cent autres choses ?
Elle nous dit que la "région capitale", pompe la population (énorme demi-cercle sombre), les emplois qualifiés (seul et énorme demi-cercle orange
foncé), les revenus (seule surface régionale vert foncé).
Mieux : elle nous montre comment : par les voies de communication. Ici, ce sont les autoroutes et les lignes à grande vitesse, mais nous savons ce qu'il en est du
TGV bas-de-gamme ou de l'avion. Et nous voyons comment les "régions" épousent le plus souvent, comme par hasard, le tracé de ces voies, et se hâtent de privilégier leur axe
principal, lequel se confond avec la route de Paris ou la prolonge : Rennes - Brest, Saint-Nazaire - Le Mans, pour ce qui nous est le plus proche.
Ce qu'on ne devine même pas : les rares lents trains quotidiens qui relient Nantes à Quimper, pour ne pas parler de Brest, ou de Saint-Nazaire - Saint-Brieuc. Les maires de Rennes et de Nantes
peuvent bien entonner le Chant du Rapprochement : la carte fait à leur place le bilan du découpage qu'ils n'ont pas envie de remettre en cause.
L'écologie politique pourrait trouver dans des cartes comme celles-là une mine de thèmes de revendication et d'action, qui pourraient enfin la conduire loin de la défense des
schémas aériens d'hier et d'une complaisance étonnante à l'égard de "régions" construites par et pour la polarisation du territoire, du pouvoir et de l'argent autour de
Paris, et au profit de ceux qui y prospèrent derrière les journaux et les télés qu'ils y ont installés.
Et à se demander peut-être : mais ça, combien ça coûte à ceux qui habitent dans le jaune ?
Ou bien : est-ce que ça n'aurait rien à voir avec les élections régionales et la recentralisation ?
On pensait à tort que le résultat obtenu en 2005 par Evo Morales lors des élections de 2005, avec 53,7%, constituerait un record à jamais gravé dans l’histoire de la démocratie bolivienne.
Voilà que celui-là même que la majorité des médias occidentaux accusaient de conduire une « politique populiste » ayant pour effet de « diviser le pays », a récidivé avec plus de force
encore, au terme des élections générales réalisées le 6 décembre dernier, en atteignant cette fois 63%. Loin d’avoir souffert de « l’usure du pouvoir » après quatre années de mandat, le chef
d’État bolivien dispose désormais de la majorité au sein de la nouvelle Assemblée Législative Plurinationale, à la Chambre des Députés comme au Sénat – cette dernière jusqu’alors aux mains de
la droite.
Surtout, l’hégémonie du Mouvement vers le Socialisme (MAS) paraît ne plus avoir de limites : s’il était encore de rigueur, il y a quelques semaines encore, de décrire la Bolivie comme un pays
« fracturé », en permanence « au bord de la guerre civile » entre l’Occident andin et l’Orient amazonien, la percée réalisée par le parti de Morales dans des régions qui lui sont
traditionnellement hostiles lui permet d'obtenir la majorité absolue dans les départements de Tarija et Chuquisaca, et d’atteindre des résultats allant au-deà des 40%, à Santa Cruz notamment.
La victoire du MAS et de Morales, de fait, ne surprend que par son ampleur, tant ce succès était pronostiqué par tous les analystes politiques. L'opposition elle-même était divisée entre
l'ex-préfet de Cochabamba Manfred Reyes Villa, un ancien militaire autrefois lié au parti du dictateur Hugo Banzer, et Samuel Doria Medina, un riche entrepreneur qui assuma les fonctions de
ministre de l'Économie à la fin des années 1980, alors que la Bolivie achevait sa conversion au néolibéralisme.
De campagne, il n’y en eut pas vraiment. À cela, une cause toute politique : le vide programmatique d'une droite aujourd'hui cantonnée dans la dénonciation d’un supposé « totalitarisme du MAS
», tout en s’engageant à conserver la politique de redistribution des richesses entamée par le gouvernement Morales. Mais aussi une cause somme toute plus banale : une désorganisation
chronique de formations politiques qui ressemblent de moins en moins à des partis et de plus en plus à des fédérations hétéroclites de mécontents, dont les militants semblent peu disposés à
engager de fortes sommes dans une bataille vue comme perdue d'avance. Ce que confirmeront les chiffres, Reyes Villa obtenant finalement, avec 27%, un score un peu plus élevé que ce
qu’indiquaient les sondages, et Doria Medina, avec 6%, voyant son groupe parlementaire réduit à néant.
Le résultat atteint par le MAS place désormais Morales face à une série de défis, résumée en une formule répétée à plusieurs reprises par le président bolivien : « Au cours de ces quatre
dernières années, j'ai apprisà gouverner. Maintenant, je veux faire fructifier cette expérience pour gouverner le pays pour les cinq années à venir ». Face à une majorité si écrasante, reste
à s’interroger sur la direction que prendra le « processus de changement » bolivien qui, pour l’heure, paraît enserré dans un horizon strictement « modernisateur ». Le programme présenté par
le MAS, qui mêle nationalisme et productivisme, en est une illustration pertinente : modernisation économique, avec le « grand saut industriel » illustré par l’exploitation du lithium, du gaz
et du fer ; administrative avec une nouvelle gestion publique, et une décentralisation poussée via les autonomies départementales et indigènes ; et étatique, avec une reconstruction des
services publics.
Pour autant, si la victoire de Morales est évidemment accueillie comme un triomphe populaire, il n’en demeure pas moins que l’ampleur de ce succès laisse pointer bon nombre de dangers
(bureaucratisation, cooptation des mouvements sociaux, émergence d’une « droite endogène » bolivienne, etc.). Des risques qui, pour l’heure, n’entachent pas l’aura dont bénéficie le président
bolivien, qui reste plus que jamais le dépositaire des espoirs des secteurs les plus humbles de la population.
Le capitalisme est un système qui prospère sur le malheur et l’aliénation de la majorité de population et ne profite qu’à une infime minorité de possédants, réels ou
virtuels.
Depuis le krach financier, les Bourses et les banques se sont refait une petite santé, mais l’économie réelle subit encore l’impact monstrueux de cette crise. Et encore une fois, la note la plus
salée est payée par le salariat et, plus largement, le « précariat ». Les délocalisations continuent et les licenciements économiques battent des records. En France, près de 600 000 personnes ont
perdu leur emploi en 2009, pendant que des grands groupes ont vu le cours de leurs actions s’envoler. Nous n’attendions pas grand-chose des bonnes paroles de Sarkozy, qui s’était engagé à
« moraliser » le capitalisme, mais notre perplexité est immense devant la complaisance d’une partie des médias et l’apathie du plus grand nombre. Lorsque Sarkozy fait le distinguo entre
capitalisme financier et capitalisme tout court, il continue de défendre ce système économique basé sur la domination des possédants et la soumission des autres. L’escroquerie consiste à nous
faire croire que ce système peut être contrôlé, moralisé ou humanisé. Or, le capitalisme est intrinsèquement barbare : son organisation repose sur la compétition effrénée, l’accaparement des
biens et des services ; le libre échange commercial exacerbe la concurrence internationale au détriment des productions locales et le productivisme est un non-sens écologique.
Aujourd’hui nous vivons sous le règne du « néo-libéralisme » qui est soit la forme aboutie du capitalisme si l’on se place du côté de Wall Street, soit l’expression économique d’une phase
terminale pour le quidam moyen. Ce néolibéralisme a vu le jour au tournant des années 1980 et il s’est accéléré et décomplexé avec la chute du mur de Berlin et les mandats de Reagan et Thatcher.
Sous ces deux ères politiques, l’idée qu’il n’y avait pas d’autre alternative que le capitalisme s’est imposée. Avec la chute du Mur, l’utopie communiste et l’espoir qu’elle pouvait susciter ont
été engloutis dans l’effondrement du bloc de l’Est. Sans autres solutions ou systèmes viables, tous les excès du capitalisme sont permis ; qu’importe si un milliard de personnes souffrent de la
faim alors que la planète produit assez de denrées alimentaires pour nourrir 12 milliards d’individus (1) ; qu’importe si des multinationales engrangent des bénéfices colossaux
et licencient à tour de bras dans la foulée ; qu’importe si l’épidémie du sida continue de ravager l’Afrique, l’Asie et une partie de l’Amérique du Sud parce que les grands groupes
pharmaceutiques freinent la production des médicaments génériques ; qu’importe si le brevetage compulsif et hystérique des semences, du végétal, de l’animal, de la culture et du savoir continue.
Qu’importe, tout a un prix, tout doit être rentable, l’air, l’eau, la santé, la nourriture, les loisirs, la famille et les amis « facebookés » ou « twitterisées », dans une grande entreprise
d’abrutissement collectif.
L’aspiration à une vie meilleure a été remplacée par l’appât du gain. Le Loto et l’Euromillions sont devenus les seules échappatoires à nos vies précarisées par l’aliénation au travail ou à
l’absence de travail.
Pourtant, le désastre continue, car le capitalisme nous pousse à l’extrême individualisme, au détriment de notre dignité et de notre humanité. Ce que le capitalisme doit au désespoir, et
inversement, nous le voyons chaque jour autour de nous. Ce monde d’une froideur sidérante et cette actualité nous révulsent et nous révoltent : comment peut-on encore défendre un système qui
pousse des hommes et des femmes à se suicider à cause de leur travail, ou bien parce qu’ils n’en ont pas ? Le travail est devenu un calvaire pour beaucoup, une souffrance invivable. L’autre arme
du capitalisme est l’aliénation à la surconsommation et la dépendance au crédit qui,avec le nombre grandissant des dossiers de surendettement, fait lui aussi des victimes et des drames
innombrables.
Ces questions, nous les vivons dans nos entourages respectifs. Ici dans les quartiers populaires de Marseille, la misère n’est pas un effet de style ou une tournure littéraire. Elle est là,
glauque et dévastatrice, mais des signes d’espoir et de résistance commencent à pointer au loin. Des comités de chômeurs se forment, des marches contre la précarité s’organisent, des associations
de locataires se dressent contre les institutions et les bailleurs sociaux, des comités contre l’expulsion des étrangers et les expulsions locatives se battent tous les jours. Des collectifs
d’associations, comme le Collectif d’action et de réflexion populaire "Crap" (2) que nous avons rejoint, tentent de monter des chaînes de solidarité active. Toutes ces
initiatives sont comme de minuscules étincelles dans l’immense obscurité, mais elles sont porteuses de cette folie qu’est l’espoir d’un monde meilleur, plus juste, cet espoir qui fait que nous ne
nous résoudrons pas à abdiquer.
Quartiers Nord/Quartiers Fort
(association des quartiers Nord de Marseille)
1. Rapport de la FAO 2007.
2. Collectif d’associations, d’habitants, de syndicats, de médias alternatifs et de partis de la gauche radicale, regroupant une trentaine d’organisations marseillaises. Prenant
pour modèle le LKP guadeloupéen, ce collectif entend agir politiquement pour et avec les quartiers populaires.
Il y a déjà 20 ans, à la chute du Mur de Berlin et de l’Union Soviétique, Francis Fukuyama, un des maîtres-penseurs du néo-conservatisme américain, avait émis une hypothèse :
nous étions en train d’assister à la fin de l’histoire à la sauce hégélienne, telle que nous l’avions connue depuis l’Antiquité avec ses conflits, ses luttes pour le pouvoir, ses
confrontations de classe... Depuis, face à une histoire qui ne s’arrête jamais, il a reconnu s’être trompé. Vingt ans après, un autre néo-conservateur, du nom de Nicolas Sarkozy, supprime
purement et simplement l’histoire et la géographie des manuels de terminale S, au moment même où les élèves de cette classe d’âge obtiennent le droit de vote et doivent donc être armés pour
comprendre et interpréter, au-delà du zapping, le monde complexe qui est le leur.
Ce rapprochement entre deux « fins de l’Histoire » est moins incongru qu’il n’y paraît. Le président de la République aime bien canoniser Guy Môquet, Albert Camus, Jaurès ou Blum,
mais il n’aime pas l’Histoire avec un H majuscule ; il ne l’aime pas, parce qu’elle est l’exact contraire de sa vision du monde, qui mélange la dépendance atlantiste, le démantèlement de
l’Etat social et l’affaiblissement des collectivités territoriales, une conception individualiste et l’instrumentalisation électoraliste d’une xénophobie d’Etat. Depuis l’aspiration des
bourgeois des villes aux libertés communales face aux seigneurs, jusqu’aux lois de décentralisation de 1981, des valeurs républicaines inscrites depuis 200 ans aux frontons de nos mairies,
jusqu’au programme du Conseil National de la Résistance, des luttes anticoloniales au refus de la guerre d’Irak, une nette ligne de démarcation sépare cette France là de l’esprit délétère du
sarkozysme.
Au nom d’une intégration à marche forcée de la France dans la mondialisation, ce régime détruit les fondements même de l’identité de nation. Mais il n’est pas européen pour autant. Il y a
quelques années, dans « Penser l’Europe », Edgar Morin avait montré comment la culture européenne s’était construite à partir de la convergence et de la dialogique des cultures
latines, grecques, islamiques et des empires barbares. L’Europe actuelle est le produit d’un tourbillon historique qui a produit l’Humanisme de la Renaissance et la Raison du Siècle des
Lumières ; toutes choses étrangères aux affairistes qui nous gouvernent, soumis à ceux qui achètent et vendent du temps de cerveau disponible. L’enjeu de l’enseignement de l’Histoire et
de la géographie est là : Refuser la conception utilitariste des études, couplée à la marchandisation de l’enseignement, qui est en train de préparer un monde de plus en plus
inégalitaire, avec des élites sans références ni projet. La grande masse du peuple est livrée à la dictature de l’écran et de l’audimat sous toutes ses formes, télé, radio, Internet, où la
culture du divertissement et de la confusion régnent en maître absolu.
L’écologie mentale a aussi son écosystème : quand une partie de sa diversité disparaît, qu’il s’agisse de l’Histoire ou de la Géographie, de la Philosophie, du Latin ou des Lettres, ce
sont des pans entiers de l’humanité qui disparaissent. Je refuse le dérèglement de la citoyenneté, comme je refuse le dérèglement climatique. D’ailleurs, le fait que la décision d’en finir
avec l’Histoire pour les jeunes scientifiques, intervienne à l’ouverture du sommet historique de Copenhague est symbolique. Comment combattre le réchauffement climatique si on ne le place pas
dans une histoire de la longue durée, comme l’a fait Emmanuel Leroy Ladurie avec sa magistrale « Histoire du Climat » ? Comment saisir l’ampleur des conséquences sur la vie des
hommes, si on ne s’est pas imprégné de l’identité de la France de Fernand Braudel et de Marc Bloch ?
Un scientifique sans vision historique est hémiplégique. Le risque est grand de voir naître des générations de savants sans éthique, car devenus « hors sol », sûrs d’eux mêmes, ne
doutant jamais. Or, l’Histoire comme la philosophie, débouchent sur le doute - le fameux « que sais je ? » de Montaigne - et c’est une bonne chose. Les savants qui créèrent la
Bombe atomique, Einstein en tête, furent les premiers à dénoncer les conséquences du nucléaire. Ils n’évoluaient pas en chambre, mais ils étaient animées par une conscience historique,
participaient aux grands débats de l’époque, imprégnés d’un enseignement pluridisciplinaire et humaniste.
Nicolas Sarkozy avait tenté de recycler la « politique de civilisation », prônée par Edgar Morin, mais il conduit une politique de barbarie. Mettez côte à côte le débat sur
l’identité nationale, qui tourne à la xénophobie de sous-préfecture, la suppression de l’Histoire et Géographie en Terminale S, c’est à dire pour la moitié des élèves qui passent le
baccalauréat, la suppression d’un fonctionnaire sur deux, ce qui veut dire concrètement la mise à mal du service public de l’éducation, de la culture, de la santé, de la police, la
privatisation de la Poste, les atteintes multiples au droit à la Santé (franchises médicales, fiscalisation des revenus des accidentés du travail...), la généralisation des fichiers et de la
vidéo-surveillance sous toutes ses formes... Partout les limites sont franchies. La semaine dernière, des services de sécurité, sans mandat, ont perquisitionné mon bureau de député, sans
respect pour la sanctuarisation de l’Assemblée nationale. La police avait déjà franchi la porte des écoles pour expulser des enfants de sans papiers. Petit à petit, des traditions séculaires
sont violées, bafouées, piétinées, sans égard pour l’Histoire de la France des Droits de l’Homme qui n’existera plus que dans les téléfilms dont Nicolas Sarkozy sera le héros. Il faut sauver
l’Histoire et annuler cette décision inique et révélatrice d’un pouvoir qui s’assoit sur toute notre culture. Cette pétition d’historiens de toutes tendances n’est pas seulement juste, elle
est salutaire et doit rassembler tous ceux qui s’insurgent contre le matamore du Fouquet’s .
Noël Mamère, le 7 décembre 2009
PS/1. Le sommet de Copenhague ouvre donc aujourd’hui, 7 décembre 2009. Plus d’une centaine de chefs d’Etat sont attendus pour ce rendez-vous de l’Humanité avec
elle-même. L’urgence climatique, à part une poignée de négateurs, est reconnue comme un enjeu prioritaire par la communauté internationale. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres,
c’est-à-dire la signature d’un accord contraignant. Le risque est grand de voir la conférence accoucher d’un texte a minima, ne décidant rien de précis. C’est d’ailleurs ce que sont venus
dire les militants courageux de Greenpeace, la semaine dernière à l’Assemblée nationale : « des actes, Monsieur le Président ». Même l’Union européenne, qui est pourtant la
meilleure élève de Kyoto, propose des mesures inférieures aux propositions du GIEC. En fait, personne, ne veut payer, les Etats industrialisés comme les gros pollueurs des multinationales,
parce que la note suppose de changer de modèle de développement. Je ne suis pourtant pas pessimiste, parce qu’une immense vague de fond écologiste s’est levée. Elle va continuer à déferler
sur le monde. La course de vitesse entre l’ancien et le nouveau monde ne fait que commencer. Copenhague n’est qu’une étape.
PS/2. Bonne nouvelle. Evo Morales vient d’être réélu Président de la Bolivie, avec 63 % des suffrages. Quand on sait la manière dont la droite raciste, celle des
privilégiés des régions riches, a combattu le premier président d’origine indienne de ce pays, avec l’appui, à peine caché, des Etats-Unis, on peut saisir l’importance de cette élection, non
seulement pour le peuple bolivien mais pour toute l’Amérique latine.
PS/3. Mauvaise nouvelle : Obama engage les USA dans une vietnamisation de la guerre en Afghanistan. En accordant à ses généraux les demandes qu’ils
exigeaient, le Président américain vient de faire un pas de plus dans la sale guerre contre le peuple afghan. Alors que le danger représenté par Al Qaïda et ses alliés, les talibans
pakistanais, se trouve de l’autre côté de la frontière. L’occupation par l’OTAN de l’Afghanistan jette dans les bras de la rébellion, une partie, chaque jour plus grande, de la population
afghane révoltée par les bombardements meurtriers, les intrusions violentes de soldats étrangers et la corruption des milices des seigneurs de la guerre de Karzaï, le président soutenu à bout
de bras par les forces de la coalition. Tout cela va mal finir, je l’avais dit dès le premier jour de la guerre. Pour le moment, la France dit qu’elle n’enverra pas de troupes supplémentaires
au côté des GI. Très bien. Mais elle donnerait un signe politique fort en proposant un calendrier de retrait pour les engagés sur le terrain.
"Face à la crise économique, le programme des anticapitalistes
est antagonique avec celui des antilibéraux !"
Tendance CLAIRE du NPA 01/12/2009
Les gouvernements bourgeois sont bien obligés de constater que les « plans de relance », c’est-à-dire les plans de soutien au patronat, sont incapables de relancer vraiment l’activité. Les taux
d’intérêt des Banques centrales sont aujourd’hui quasi nuls, les Banques centrales injectent massivement des liquidités sur les marchés financiers, les États creusent le déficit public pour venir
en aide aux entreprises. Et pourtant rien n’y fait : le crédit ne redémarre pas et les gouvernements bourgeois ne disposent d’aucune réelle marge de manoeuvre supplémentaire.
Ils en sont donc à pleurnicher et à supplier les banquiers de distribuer des crédits aux entreprises. Alors que les banquiers se goinfrent de profits et de bonus, les dirigeants impérialistes
sont obligés de hausser le ton : « Nous exigeons que les institutions financières remplissent leurs devoirs », a par exemple déclaré Merkel samedi 28 novembre. Elle a aussi nommé un « médiateur »
chargé d’aider les entreprises à obtenir des crédits... Pathétiques gesticulations qui ont de plus en plus de mal à cacher leur impuissance à sortir les économies impérialistes du marasme.
Alors que les gouvernements sont obligés de reconnaître que la reprise n’est pas au rendez-vous (« la crise n’est pas finie », a indiqué Merkel samedi 28/11), leur seule remède est d’aller
toujours plus loin dans l’aide au patronat, en proposant notamment que l’État se porte garant des créances des banques. Pour inciter les banques à prêter, l’État va leur garantir que l’argent du
contribuable (c’est-à-dire essentiellement celui des travailleurs) viendra quoi qu’il arrive à leur secours si les emprunteurs font défaut !
Toute l’absurdité du système capitaliste s’étale sous nos yeux. Si le crédit et l’activité ne repartent pas, c’est parce que les économies impérialistes font face à une crise de rentabilité
profonde. Pour sortir de la crise, les gouvernements veulent toujours plus faire payer les travailleurs pour alimenter les profits. Depuis le début des années 1980, suite aux grandes défaites
ouvrières, le taux d’exploitation a augmenté constamment, opérant comme une contre-tendance à la loi de la baisse tendancielle du taux de profit inhérente au développement de l’accumulation
capitaliste (où la quantité de travail vivant, seul créateur de la valeur, est de plus en plus faible par rapport à la quantité de moyens de production nécessaire pour produire). Mais cette
surexploitation n’a pas suffi et ne suffira pas à nous sortir du marasme économique et du chômage de masse. Elle ne fera qu’aggraver nos conditions de vie. Pour qu’il y ait une vraie reprise
économique dans le cadre du système, il faut qu’il y ait au préalable une destruction / dévalorisation massive du capital, ce qui ne peut être le cas que suite à une guerre ou à une vague
gigantesque de faillites qui mettent des millions de travailleurs au chômage.
Les antilibéraux keynésiens (PCF, PG) nous font croire qu’il y a une alternative dans le cadre du capitalisme : il faudrait donner du pouvoir d’achat aux salariés, ce qui augmenterait la
consommation, et donc la production. Cette pseudo-alternative est une escroquerie intellectuelle visant à faire croire qu’on pourrait, grâce à une autre politique économique, sortir de la crise
économique sans toucher aux fondements du capitalisme : la division de la société en classes, avec d’un côté les propriétaires privés des moyens de production et de l’autre les travailleurs qui
sont obligés de leur vendre leur force de travail pour survivre. Il n’y a pas de solution « antilibérale » à la crise : ces recettes ne feraient que l’aggraver. En effet, le moteur de l’économie
capitaliste est le profit. Les mesures antilibérales ne feraient que peser sur la rentabilité des entreprises, ce qui bloquerait encore davantage l’investissement et l’accumulation, aggravant
ainsi le chômage de masse.
Les anticapitalistes (conséquents) doivent dénoncer cette imposture antilibérale. En 1981, Mitterrand a déjà mis en oeuvre ces recettes. Faute de s’attaquer au coeur du système capitaliste, cela
a abouti à un fiasco, qui a obligé le gouvernement à corriger le tir et à mener une politique d’austérité décuplée au service des intérêts du capital : la seule politique possible dans le cadre
du système capitaliste. Aujourd’hui, si l’ensemble des gouvernements de la planète capitaliste mène des politiques contre les intérêts des travailleurs, ce n’est pas par « méchanceté » ou par
servilité à l’égard de tel ou tel capitaliste, c’est parce que ces politiques sont celles qui sont dictées par le fonctionnement même du capitalisme.
Chercher, pour des raisons « tactiques » (dans le meilleur des cas...), à constituer des alliances programmatiques avec les antilibéraux aux élections, est donc une faute politique grave, qui ne
peut que faire reculer la conscience des masses, et donner du crédit aux antilibéraux. C’est pourtant le choix défendu par les positions A et C lors de la consultation nationale interne du NPA,
qui aboutit à mettre au placard les mots d’ordre qui ne sont pas compatibles, de façon trop visible, avec le maintien du système capitaliste, pour se rallier au programme des antilibéraux.
Nous devons utiliser les élections régionales comme une tribune pour expliquer qu’il n’y pas de solution capitaliste à la crise, pour polémiquer contre les idées antilibérales en montrant leur
inconséquence. Pour détacher les travailleurs des illusions réformistes et les faire progresser vers l’anticapitalisme conséquent, il ne faut pas commencer à faire une campagne commune avec eux,
en mettant sous le boisseau nos analyses et en s’alignant sur leurs recettes.
Nous devons expliquer que, pour satisfaire nos revendications, nous n’avons pas d’autre choix que de prendre le pouvoir pour faire tourner l’économie sur d’autres bases que celles du profit,
consciemment et donc en fonction de nos besoins. Il ne s’agit pas d’aménager, de corriger ou de compléter le système. C’est malheureusement le sens, par exemple, de l’amendement défendu par la
direction du NPA qui propose de mettre en avant, lors de la campagne, « la mise en place d’un grand service public bancaire ». Or, il ne s’agit pas d’avoir un pôle public bancaire : il s’agit
d’exproprier l’ensemble du système bancaire privé, afin de constituer un monopole bancaire piloté par les travailleurs. D’une façon générale, il s’agit d’expliquer qu’il faudra que les
travailleurs auto-organisés prennent le pouvoir, au travers de leurs propres institutions, et exproprient l’ensemble des grands groupes capitalistes. C’est la seule solution à la crise conforme
aux intérêts des travailleurs.
Gaston Lefranc
> Pour le débat "Anticapitalisme ou antilibéralisme ?" voir ICI
Grand emprunt :
aux riches pour donner aux riches...
Début décembre, le gouvernement doit statuer sur le « grand emprunt », une nouvelle manière de racketter les fonds publics au profit des industriels et de la finance.
Sarkozy l’avait annoncé solennellement devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, le 22 juin dernier.
Opposant « bon » et « mauvais » déficit, il avait confirmé sa volonté de poursuivre les réformes qui s’attaquent aux droits sociaux et aux services publics pour privilégier les « dépenses
d’avenir ». Il était alors question, pour ce grand emprunt national, de 100 milliards d’euros et d’une souscription publique auprès des particuliers.Le montant en sera finalement de 35 milliards,
dont 22 milliards seront levés sur les marchés financiers, le reste étant constitué par les montants remboursés à l’État par les banques. Sarkozy, qui voulait en faire une manifestation large
d’union sacrée face à la crise, a dû en rabattre sur le projet initial tant son gouvernement et lui-même sont impopulaires, tant il est évident, dans de larges couches de la population, que cet
emprunt, dans la continuité des plans de relance, ne serait destiné qu’à servir l’intérêt de ceux-là mêmes qui sont responsables de la crise.
Mais il a tout de même réussi à y associer des personnalités de gauche et les confédérations syndicales. C’est l’ancien Premier ministre socialiste, Rocard, qui a présidé, avec Juppé, de l’UMP,
la commission chargée d’étudier les détails de l’emprunt, et toutes les confédérations syndicales se sont prêtées complaisamment à la concertation à laquelle les invitait Sarkozy, en tant que
« partenaires sociaux », avec le Medef, comme elles le font sur bien d’autres sujets. Or si certaines, comme la CGT, estiment ne pas avoir été entendues, ce n’est pas le cas du Medef, qui peut
s’estimer satisfait sur toute la ligne.
Les milliards du grand emprunt seront en effet principalement consacrés à la recherche et au développement de « technologies d’avenir », dépenses parmi celles qui coûtent le plus cher aux
entreprises sans assurance de rentabilité immédiate. Mais l’État va les prendre à sa charge sans exercer aucune contrainte en contrepartie.
Deux à trois milliards pourraient ainsi être utilisés pour construire un réseau à très haut débit en fibre optique dans les zones moyennement ou peu peuplées du pays. Un investissement lourd que
l’État assurera en confiant la réalisation aux industriels du secteur, auxquels il offre par la même occasion un marché énorme. 800 millions sont réclamés par Airbus pour financer les recherches
en matière de « transports d’avenir ». Les 16 milliards qui seraient consacrés aux universités et à la recherche – encore un vœu du Medef –, s’inscrivent dans le cadre des réformes qui renforcent
les partenariats entre le privé et le public, la constitution de campus d’excellence, toutes choses qui conduisent à la privatisation de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Il y a eu beaucoup de critiques, dans les médias et dans la classe politique, mais la grande majorité d’entre elles porte sur l’ampleur des déficits que cet emprunt va encore creuser et sur la
nécessité de réduire, de comprimer… les dépenses publiques, d’accentuer les politiques d’austérité, de supprimer un plus grand nombre de postes de fonctionnaires, de sabrer encore dans les
régimes de retraite. Le Medef et le gouvernement sont les premiers à le dire.
Le ministre du Budget, Éric Woerth, a promis à plusieurs reprises des « ajustements très importants » des dépenses publiques dans les prochaines années, et il a annoncé tout dernièrement, en lien
avec le grand emprunt, qu’il allait demander des « efforts de productivité » aux opérateurs publics tels que l’Institut géographique national (IGN), la Météo, les Agences régionales de santé ou
l’Institut national du cancer.
Le gouvernement sert exclusivement les intérêts des gros actionnaires de l’industrie et des sociétés de finance. C’est essentiellement cette politique qui augmente la dette à des rythmes tels que
l’État français va devoir lever
250 milliards d’euros tous les ans à partir de 2010 sur les marchés financiers, c’est-à-dire en empruntant aux mêmes que ceux qu’il a subventionnés grassement, en leur offrant ainsi une nouvelle
source d’enrichissement.
C’est une politique qui conduit à sa faillite.
À la catastrophe annoncée, il n’y a qu’une réponse qui corresponde à l’intérêt collectif : l’annulation de la dette publique, l’expropriation des banques et des sociétés de finance pour
constituer un service bancaire unique sous contrôle de la population.
Il est sans doute parfois possible de trouver des « militants », terme un peu bizarre j’en conviens, du Modem qui peuvent avoir envie de venir ou revenir vers la gauche, vers les
valeurs anti-libérales qui animent la mouvance écologiste depuis des lustres. Mais imaginer que Bayrou, Lou Ravi du Béarn, puisse avoir une once de pensée de gauche, un minuscule atome crochu
avec ceux qui contestent les formes prédatrices et destructrices du capitalisme et de l’idéologie de la croissance, revient à croire avec des semaines d’avance au Père Noël. Imaginer que
celui qui fut l’« efficace » ministre de la droite à l’éducation nationale et à la Recherche de la droite (1993-1997), puisse comprendre ce que sont la décroissance ou une
croissante respectueuses des écosystèmes et des citoyens, relève de l’illusion d’optique, et de la tromperie sur la marchandise. Imaginer encore que sa compagne de route, Corinne Lepage,
ministre de l’environnement d’Alain Juppé puisse, au delà de ses discours « parfaits », épouser les valeurs et les refus politiques des Verts, relève de la méthode Coué. Les
avocats, c’est bien connu, ne font qu’épouser le temps d’une plaidoirie, les errances de leurs clients...
S’en prendre à Nicolas Sarkozy, ne constitue pas un programme écologiste, juste une posture de l’illusion présidentielle. François Bayrou n’est qu’un homme politique prêt à faire feu de tout
bois (même vert) pour soutenir ses ambitions et faire oublier les dernières élections, il l’a prouvé avec la misérable façon dont il a traité Cohn-Bendit pendant la campagne électorale des
Européennes ; il a trouvé un nouveau créneau d’illusionniste et l’adopte pourvu qu’il soit un peu vert puisque c’est la mode. Il l’a prouvé aussi en ne débitant sur l’environnement, les
énergies renouvelables, sur l’agriculture, sur la préservation de la biodiversité et sur l’Europe que des propos convenus et quelques idées picorées avec précaution chez les Verts ; mais
en oubliant leurs dimensions de critique véhémente de l’économie. Il ne fait qua psalmodier en public les mêmes antiennes ronflantes que celles de la droite productiviste à laquelle il
appartient encore, juste dépité de ne pas être calife à la place du calife avec l’appui de ses derniers amis du Medef.
Alors il est à la fois inutile et dangereux de s’acoquiner avec ces requins de la magouille politicienne. Les Verts n’ont pas vocation à sauver ce type d’espèces menacées. Ils ne doivent pas
se prêter à ce type de réhabilitation d’un homme et d’un fantôme de parti en quête de la légitimité à la mode.
José, Dany, Karima, Jean-Paul et tous les autres, nous ne vous avons pas envoyé à Bruxelles pour que vous pactisiez avec des escrocs politiques qui n’ont comme objectif que de se déguiser en
vert pour quelques mois. Ce n’est pas en avalant des couleuvres que l’on résout la question de la biodiversité.
François Bayrou, il suffit de se référer à ses actes et à ses écrits, n’a jamais remis en cause la suprématie du nucléaire et quand il fut ministre de l’éducation il n’a pas levé un seul
petit doigt pour que l’écologie et l’environnement entrent efficacement dans les programmes scolaires et universitaires. L’écologie n’est pour lui qu’une idée porteuse...
Cécile Duflot devrait savoir que, quel que soit son réel talent pour sortir les Verts de leur querelles internes, à force de faire le grand écart, on finit pas s’infliger des claquages dont
on ne se remet jamais vraiment. Pour une fois, je trouve que ce qui reste du PS, le Parti de Gauche et le PC, ont eu raison de se refuser de se participer au sauvetage et à la réhabilitation
verte d’un courant de droite à la recherche d’une légitimité nouvelle.
François Bayrou a compris depuis quelques semaines, les communicants qui l’aident lui ont expliqué, que la réunion de Copenhague serait un excellent créneau pour se refaire une virginité à
partir de l’échec qui se profile. Alors le forum de samedi ne peut que lui servir de rampe de lancement pour les élections régionales surtout pour la présidentielle, sa seule véritable
obsession. Alors il est non seulement inutile mais aussi dangereux de lui faire la courte échelle.
Que les Verts et Europe-Ecologie débauchent et recrutent à gauche, oui, mais pêcher dans les eaux troubles des droites ne pourra que décontenancer les électeurs et surtout tous les citoyens
qui ont puisé dans le succès des européennes, une nouvelle raison d’entretenir des actions durables et quotidiennes de résistance.
Quelle est la situation de la planète quelques mois avant la Conférence des Nations Unies à Copenhagen sur le
Changement Climatique ? Premier constat : tout s’accélère bien plus vite que prévu. L’accumulation de gaz carbonique, la montée de la température, la fonte des glaciers polaires et des
« neiges éternelles », la désertification des terres, les sécheresses, les inondations : tout se précipite, et les bilans des scientifiques, à peine l’encre des documents séchée,
se revèlent trop optimistes. On penche maintenant, de plus en plus, pour les fourchettes les plus élevées, dans les prévisions pour l’avenir prochain. On ne parle plus - ou de moins en moins - de
ce qui va se passer à la fin du siècle, ou dans un demi-siècle, mais dans les dix, vingt, trente prochaines années. Il n’est plus seulement question de la planète que nous laisserons à nos
enfants et petits-enfants, mais de l’avenir de cette génération-ci.
Un exemple, assez inquiétant : si la glace du Groenland fondait, le niveau de la mer pourrait monter de six
mètres : cela veut dire l’inondation, non seulement de Dacca et autres villes maritimes asiatiques, mais aussi de…New York, Amsterdam et Londres. Or des études récentes montrent que la surface de
la calotte glaciaire du Groenland au dessus de 2000 mètres ayant fondu est supérieure de 150% à la moyenne mesurée entre 1988 et 2006 [1].
Selon Richard Alley, glaciologue de la Penn State University, la fusion de la calotte du Groenland, qu’on avait l’habitude de calculer en centaines d’années, pourrait se produire en quelques
décennies [2].
Cette accélération s’explique, entre autres, par des effets de rétroaction (feed-back). Quelques exemples : 1)
la fonte des glaciers de l’Arctique - déjà bien entamée- en réduisant l’albedo, c’est à dire le degré de réflexion du rayonnement solaire (il est maximal pour les surfaces blanches) – ne peut
qu’augmenter la quantité de chaleur qui est absorbée par le sol ; des scientifiques ont calculé que la réduction de 10% de l’albedo de la planète aurait l’effet équivalent d’une augmentation
de cinq fois du volume de CO2 dans l’atmosphère [3]. 2) la montée de la
température de la mer transforme des surfaces immenses des océans en déserts sans plancton ni poissons, ce qui réduit leur capacité à absorber le CO2. Ce phénomène s’est accéléré, selon une étude
récente menée par des océanographes du National Atmospheric and Oceanic Administration, quinze fois plus vite que prévu dans les modèles existants [4].
D’autres possibilités de rétroaction existent, encore plus dangereuses. Jusqu’ici peu étudiées, elles ne sont pas
incluses dans les modèles du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat), mais risquent de provoquer un saut qualitatif dans l’effet de serre : 1) les 400 milliards
de tonnes de carbone pour le moment emprisonnées dans le perglisol (permafrost), cette toundra congelée qui s’étend du Canada à la Sibérie. Si les glaciers commencent à fondre, pourquoi le
perglisol ne fondrait pas lui-aussi ? En se décomposant, ce carbone se transforme en méthane, dont l’effet de serre est bien plus puissant que le CO2. 2) Des quantités astronomiques de
méthane se trouvent aussi dans les profondeurs des océans : au moins un trillion de tonnes, sous forme de clathrates de méthane. Si les océans se réchauffent, il est possible que ce méthane
soit libéré dans l’atmosphère, provoquant un saut dans le changement climatique. Par ailleurs, ce gaz est inflammable : des chercheurs Russes ont observé, dans la Mer Caspienne, des
émissions de méthane sous forme de torches enflammées qui montent à des centaines de mètres [5]. Selon l’ingénieur chimiste Gregory Ryskin, une
éruption majeure du méthane océanique pourrait générer une force explosive 10 mille fois plus importante que ce que produirait l’ensemble du stock d’armes nucléaires de la planète [6]. Mark Lynas, qui cite cette source, tire la conclusion qu’une planète avec six degrés de plus serait bien pire que l’Enfer décrit par Dante dans la
Divine Comédie… Ajoutons que, selon le dernier rapport du GIEC, la montée de la température pourrait dépasser les six degrés, considérés jusqu’ici comme le maximum
prévisible.
Tous ces processus commencent de façon très graduelle, mais à partir d’un certain moment, ils peuvent se développer
par sauts qualitatifs. La menace la plus inquiétante, de plus en plus envisagée par les chercheurs, est donc celle d’un runaway climate change, d’un glissement rapide et incontrôlable du
réchauffement. Il existe peu de scénarios du pire, c'est-à-dire dans le cas où l’augmentation de la température dépasse les 2°-3° degrés : les scientifiques évitent de dresser des tableaux
catastrophiques, mais on sait déjà les risques encourus. A partir d’un certain niveau de température, la terre sera-t-elle encore habitable par notre espèce ? Malheureusement, nous ne
disposons pas en ce moment d’une planète de rechange dans l’univers connu des astronomes…
La discussion de ces « scénarios du pire » n’est pas un vain exercice apocalyptique : il s’agit de
réels dangers, dont il faut prendre toute la mesure. Ce n’est pas non plus du fatalisme : les jeux ne sont pas encore faits, et il est encore temps d’agir pour inverser le cours des
événéments. Mais il nous faut le pessimisme de la raison, avant de laisser toute sa place à l’optimisme de la volonté.
Les solutions des élites dirigeantes
Qui est responsable de cette situation, inédite dans l’histoire de l’humanité ? Ce sont les êtres humains, nous
répondent les scientifiques. La réponse est juste, mais un peu courte : les êtres humains habitent sur Terre depuis des millénaires, la concentration de CO2 a commencé à devenir un danger
depuis quelques décennies seulement. En tant que marxistes, nous répondons ceci : la responsabilité en incombe au système capitaliste, à sa logique absurde et myope
d’expansion et accumulation à l’infini, à son productivisme irrationnel obsédé par la recherche du profit. En effet, tout l’appareil productif capitaliste est fondé sur l’utilisation des énergies
fossiles – pétrole, charbon – émettrices de gaz à effet de serre ; le même vaut pour le système de transports routiers, surtout au cours des dernières décennies, et pour la voiture
individuelle.
Quelles sont donc les propositions, les solutions, les alternatives proposées par les « responsables », les
élites capitalistes dirigeantes ? C’est peu de dire qu’elles ne sont pas à la hauteur du défi. On peut ranger leurs positions en trois grands groupes :
1) Les autruches : ceux qui prétendent que la terre est plate et que le changement climatique n’a pas de source
« anthropique », n’est pas lié aux activités humaines : ce serait par exemple le résultat des tâches du soleil, ou autres explications farfelues. C’était, il n’y a pas longtemps, la position de l’administration Bush. Elle a été défendue par un certain nombre - décroissant - de scientifiques, certains lourdement
subventionnés par l’industrie pétrolière [7]. On a tenté de silencier l’opinion de scientifiques « gênants » comme James Hansen, le
responsable climatique de la NASA. Cette cécité climatique est une bataille d’arrière garde, en perte de vitesse.
2) Les partisans du « business as usual » : certes, le problème existe, mais il peut être résolu par
le volontariat des entreprises, et par des mesures techniques, sans qu’il soit nécessaire de prendre des décisions contraignantes chiffrées. Cette posture peut se combiner avec une sorte
d’ « opportunisme » affairiste : puisque le réchauffement global est inévitable, essayons d’en tirer le mieux pour nos affaires.
Un exemple est éclairant : la fonte de la banquise arctique en été. Le phénomène se produit bien plus vite que
prévu : selon les dernières observations scientifiques (février 2008), on prévoit sa complète dissolution non plus vers 2050 mais vers 2013 ! Comment expliquer cet emballement ?
Selon le scientifique Jean Claude Gascard, coordonnateur du programme européen d’étude de l’Arctique, il est essentiellement dû à la baisse de l’albédo : l’océan absorbe plus de chaleur que
la glace, qui le réfléchit comme un miroir. Par un effet de rétroaction, cette fonte provoque donc une nouvelle montée de la temperature de l’océan. Les choses bougent donc beaucoup plus vite que
ce que tous les modèles avaient prévu. Nous vivons ce qui devait se produire dans trente ou quarante ans. Tout le monde est au travail pour comprendre pourquoi les modèles ne suivent pas [8].
Or, que font les gouvernements limitrophes de la région, USA, Russie et Canada ? Ils se disputent, à coups
d’expéditions militaires patriotiques, le tracé des zones respectives de souveraineté, en vue de la future exploitation du pétrole qui gît actuellement sous les glaciers…
Un autre exemple intéressant, qui concerne cette fois la Commission Européenne : un rapport confidentiel
[8] attirait l’attention sur le danger d’une inondation de certains pays, tels que la Hollande, comme résultat probable de l’élévation du
niveau de la mer. Ce rapport considérait l’hypothèse d’un déménagement massif de la population concernée, ce qui créerait des opportunités extraordinaires pour l’industrie du
bâtiment…
Quelles sont les mesures techniques pouvant faire front à la menace ? On trouve ici une grande diversité de
propositions. Certains relèvent de la « géo-ingénierie » la plus délirante : semer des fertilisants sur les océans, pour favoriser l’essor du plancton ; diffuser dans la
stratosphère des myriades de fragments de miroirs, pour réfléchir la chaleur solaire… L’imagination technocratique est assez fertile. Une autre voie, plus classique, consiste à proposer l’énergie
nucléaire, qui est censée ne pas produire pas d’émissions, comme alternative. Sauf que, pour remplacer l’ensemble des énergies fossiles, il faudrait construire des centaines de centrales
nucléaires, avec un nombre inévitable d’accidents – un, deux, trois, plusieurs Tchernobyls ? - et une masse astronomique de déchets radioactifs - certains avec une durée de milliers d’années
- dont personne ne sait que faire. Sans parler du risque majeur de prolifération militaire des armes atomiques.
Mentionnons aussi le dernier remède miracle, parrainé par les USA et le Brésil, mais qui intéresse aussi
l’Europe : remplacer le pétrole -de toute façon destiné à s’épuiser- par les biocarburants. Les céréales ou le maïs, plutôt que de nourrir les peuples affamés du Tiers Monde, rempliront les
tanks des voitures des pays riches. Selon la FAO (Food and Agriculture Organisation) des Nations Unies, les prix des céréales ont déjà considérablement augmenté, en partie à cause de la forte
demande de biocarburants, vouant à la faim des millions de personnes des pays pauvres [10]. Ajoutons que, selon un nombre grandissant de
scientifiques, le bilan carbone de la plupart de ces agro-carburants n’est pas vraiment favorable, leur production générant - par les fertilisants, les transports, etc - autant d’émissions qu’ils
sont censés économiser (par rapport au pétrole). Sans parler de la déforestation que la production agro-capitaliste de ces carburants est en train de provoquer, déjà, au Brésil et en Indonésie.
Ce n’est encore qu’une tentative, assez vaine, de sauver un système de transport irrationnel fondé sur la voiture et le camion.
La plus intéressante de ces solutions-miracle techniques est la capture et séquestration du carbone, qui concerne
surtout les centrales électriques. Reste que pour le moment on ne connaît que quelques rares expériences locales, et beaucoup d’experts mettent en doute l’efficacité de la méthode.
3) Les accords internationaux contraignants. C’est le cas de Kyoto, portée notamment par les gouvernements européens.
Kyoto représente, à certains égards, une vraie avancée, par le principe même d’accords internationaux avec des objectifs chiffrés et des pénalités. Cela dit, son dispositif central, le
« Marché des Droits d’Emission » s’est révélé bien décevant : l’Europe, c’est-à-dire le groupe de pays le plus engagé, n’a réussi, pendant dix ans, à réduire les émissions que de
2% ; on voit mal comment elle pourra atteindre en 2012 l’objectif déclaré de 8%, un objectif si modeste qu’il n’aurait pratiquement aucune incidence sur l’effet de serre [11]. Cet échec n’est pas un hasard : les quotas d’émission distribués par les « responsables » étaient tellement généreux, que tous les
pays ont fini l’année 2006 avec des grands excédents de « droits d’émission ». Résultat : le prix de la tonne de CO2 s’est effondré de 20 euros en 2006 à moins d’un euro en 2007….
L’autre dispositif de Kyoto, les « Mécanismes de Développement Durable » - échange entre droits d’émission au Nord et investissements « propres » dans les pays du Sud - n’a,
de l’avis général, qu’une portée limitée, parce qu’il est invérifiable et sert à couvrir toutes sortes de combines et abus [12].
Une des vertus de Kyoto cependant consiste à porter la question du changement climatique sur le terrain politique.
Voici une bonne nouvelle : l’ex dirigeant du gouvernement conservateur d’Australie, John Howard, un ami de Georges Bush et un négateur obstiné du réchauffement de la planète - vient de
perdre les élections au profit de son adversaire travailliste qui s’est engagé à signer les accords de Kyoto : c’est la première fois dans l’histoire d’un pays que la question du changement
climatique joue un rôle important dans une élection.
En décembre 2009 aura lieu à Copenhagen la Conférence des Nations Unies sur le Changement Climatique. Peut-on
attendre un réveil tardif de la part des oligarchies dominantes ? Rien n’est à exclure, mais toutes les propositions officielles jusqu’ici - le rapport Stern(13] en est un exemple éclairant - sont parfaitement incapables de renverser le cours des choses, parce que obstinément enfermées dans la logique de l’économie de marché
capitaliste. Comme le constate Hervé Kampf, journaliste au quotidien Le Monde, dans son intéressant ouvrage Comment les riches détruisent la planète : « le système social
qui régit actuellement la société humaine, le capitalisme, s’arc-boute de manière aveugle contre les changements qu’il est indispensable d’opérer si l’on veut conserver à l’existence humaine sa
dignité et sa promesse » [14].
Pour affronter les enjeux du changement climatique, et de la crise écologique générale, dont les exemples que nous
avons exposé sont l’expression la plus menaçante - il faut un changement radical et structurel, qui touche aux fondements du système capitaliste : une transformation non seulement des
rapports de production (la propriété privée des moyens de production) mais aussi des forces productives (les moyens techniques et les savoir-faire humains servant à produire). Cela implique tout
d’abord une véritable révolution du système énergétique, du système des transports et des modes de consommation actuels, fondés sur le gaspillage et la consommation ostentatoire, induits par la
publicité. Bref, il s’agit d’un changement du paradigme de civilisation, et de la transition vers une nouvelle société, où la production sera démocratiquement planifiée par la
population ; c’est à dire, où les grandes décisions sur les priorités de la production et de la consommation ne seront plus décidées par une poignée d’exploiteurs, ou par les forces aveugles
du marché, ni par une oligarchie de bureaucrates et d’experts, mais par les travailleurs et les consommateurs, bref, par la population, après un débat démocratique et contradictoire entre
différentes propositions. C’est ce que nous désignons par le terme ecosocialisme.
L’alternative écosocialiste
Qu’est-ce donc l’écosocialisme ? Il s’agit d’un courant de pensée et d’action
écologique qui fait siens les acquis fondamentaux du socialisme - tout en le débarrassant de ses scories productivistes. Pour les écosocialistes la logique du marché et du profit - de même que
celle de l'autoritarisme bureaucratique de feu le « socialisme réel » - sont incompatibles avec les exigences de sauvegarde de l’environnement naturel. Tout en critiquant l'idéologie
des courants dominants du mouvement ouvrier, ils savent que les travailleurs et leurs organisations sont une force essentielle pour toute transformation radicale du système, et pour
l’établissement d’une nouvelle société, socialiste et écologique.
L'éco-socialisme s'est dévéloppé surtout au cours des trente dernières années, grâce
aux travaux de penseurs de la taille de Manuel Sacristan, Raymond Williams, Rudolf Bahro (dans ses prémiers écrits) et André Gorz (idem), ainsi que des précieuses contributions de James O'Connor,
Barry Commoner, John Bellamy Foster, Joel Kovel (USA), Juan Martinez Allier, Francisco Fernandez Buey, Jorge Riechman (Espagne), Jean-Paul Déléage, Jean-Marie Harribey, Pierre Rousset (France),
Elmar Altvater, Frieder Otto Wolf (Allemagne), et beaucoup d'autres, qui s'expriment dans un réseau de revues telles que Capitalism, Nature and Socialism, Ecologia Politica,
etc.
Ce courant est loin d'être politiquement homogène, mais la plupart de ses répresentants
partage certains thèmes communs. En rupture avec l'idéologie productiviste du progrès - dans sa forme capitaliste et/ou bureaucratique - et opposé à l'expansion à l'infini d'un mode de production
et de consommation destructeur de la nature, il représente une tentative originale d’articuler les idées fondamentales du marxisme avec les acquis de la critique écologique.
James O’Connor définit comme ecosocialistes les théories etles mouvements qui aspirent à subordonner la valeur d’échange à la valeur d’usage [15], en organisant la production en fonction des besoins sociaux et des exigences de la protection de l’environnement. Leur but, un socialisme écologique,
serait une société écologiquement rationnelle fondée sur le contrôle démocratique, l’égalité sociale, et la prédominance de la valeur d’usage [16]. J’ajouterais que : a) cette société suppose la propriété collective des moyens de production, une planification démocratique qui permette à la
société de définir les buts de la production et les investissements, et une nouvelle structure technologique des forces productives ; b) l'écosocialisme serait un système basé non seulement
sur la satisfaction des besoins humains démocratiquement déterminés mais aussi sur la gestion rationnelle collective des échanges de matières avec l'environnement, en respectant les
ecosystèmes.
L’écosocialisme développe donc une critique de la thèse de la « neutralité » des forces productives qui a
prédominé dans la gauche du 20ème siècle, dans ses deux versants, social-démocrate et communiste soviétique. Cette critique, pourrait s’inspirer, à mon avis, des remarques de Marx sur la Commune
de Paris : les travailleurs ne peuvent pas s’emparer de l’appareil d’Etat capitaliste et le mettre à fonctionner à leur service. Ils doivent le « briser » et le remplacer par un
autre, de nature totalement distincte, une forme non-étatique et démocratique de pouvoir politique.
Le même vaut, mutatis mutandis, pour l’appareil productif : par sa nature, et sa structure, il n’est
pas neutre, mais au service de l’accumulation du capital et de l’expansion illimitée du marché. Il est en contradiction avec les impératifs de sauvegarde de l’environnement et de santé de la
force de travail. Il faut dont le « révolutionnariser », en le transformant radicalement. Cela peut signifier, pour certaines branches de la production - les centrales nucléaires par
exemple - de les « briser ». En tout cas, les forces productives elles-mêmes doivent être profondément modifiées. Certes, des nombreux acquis scientifiques et technologiques du passé
sont précieux, mais l’ensemble du système productif doit être mis en question du point de vue de sa compatibilité avec les exigences vitales de préservation des équilibres
écologiques.
Cela signifie tout d’abord une révolution énergétique : le remplacement des énergies non-renouvelables et
responsables de la pollution, l’empoisonnement de l’environnement et le réchauffement de la planète - charbon, pétrole et nucléaire - par des énergies « douces » « propres »
et renouvelables (eau, vent, soleil) ainsi que la réduction drastique de la consommation d’énergie (et donc des émissions de CO2).
Mais c’est l’ensemble du mode de production et de consommation - fondé par exemple sur la voiture individuelle et
d’autres produits de ce type – qui doit être transformé, avec la suppression des rapports de production capitalistes et le début d’une transition au socialisme. J’entends par socialisme l’idée
originaire, commune à Marx et aux socialistes libertaires, qui n’a pas grand chose à voir avec les prétendus régimes « socialistes » qui se sont écroulés à partir de 1989 : il
s’agit de « l’utopie concrète » - pour utiliser le concept d’Ernst Bloch - d’une société sans classes et sans domination, où les principaux moyens de production appartiennent à la
collectivité, et les grandes décisions sur les investissements, la production et la distribution ne sont pas abandonnées aux lois aveugles du marché, à une élite de propriétaires, ou à une clique
bureaucratique, mais prises, après un large débat démocratique et pluraliste, par l’ensemble de la population. L’enjeu planétaire de ce processus de transformation radicale des rapports des
humains entre eux et avec la nature est un changement de paradigme civilisationnel, qui concerne non seulement l’appareil productif et les habitudes de consommation, mais aussi l’habitat, la
culture, les valeurs, le style de vie.
Quel sera l’avenir des forces productives dans cette transition au socialisme – un processus historique qui ne se
compte pas en mois ou années ?
Deux écoles s’affrontent au sein de ce qu’on pourrait appeller la gauche écologique :
1) L’école optimiste, selon laquelle, grâce au progrès technologique et aux énergies douces, le développement des
forces productives socialistes peut connaître une expansion illimitée, visant à satisfaire « chacun selon ses besoins ». Cette école ne prend pas en compte les limites naturelles de la
planète, et finit par reproduire, sous l’étiquette « développement durable » le modèle socialiste ancien.
2) L’école pessimiste qui, partant de ces limites naturelles,
considère qu’il faut limiter, de façon draconienne, la croissance démographique et le niveau de vie des populations.
Il faudrait prendre la voie de la décroissance, au prix du renoncement aux maisons individuelles, au chauffage, etc. Comme ces mesures sont fort impopulaires, cette école caresse, parfois, le
rêve d’une « dictature écologique éclairée ».
Il me semble que ces deux écoles partagent une conception purement quantitative de la
« croissance » ou du développement des forces productives. Il y a une troisième position, qui me paraît plus appropriée, dont l’hypothèse principale est le changement
qualitatif du développement. Il s’agit de mettre fin au monstrueux gaspillage de ressources par le capitalisme, fondé sur la production, en grande échelle, de produits inutiles ou
nuisibles : l’industrie d’armement est un exemple évident. Il s’agit donc d’orienter la production vers la satisfaction des besoins authentiques, à commencer par ceux qu’on peut désigner
comme « bibliques » : l’eau, la nourriture, le vêtement, le logement - auxquelles il faut ajouter, bien entendu, la santé, l’éducation et la culture.
Comment distinguer les besoins authentiques de ceux artificiels et factices ? Ces derniers sont induits par le
système de manipulation mentale qui s’appelle « publicité ». Pièce indispensable au fonctionnement du marché capitaliste, la publicité est vouée à disparaître dans une société de
transition au socialisme, pour être remplacé par l’information fournie par les associations de consommateurs. Le critère pour distinguer un besoin authentique d’un autre artificiel, c’est sa
persistance après la suppression de la publicité...
La voiture individuelle, par contre, répond à un besoin réel, mais dans un projet ecosocialiste, fondé sur
l’abondance des transports publics gratuits, celle-ci aura un rôle bien plus réduit que dans la société bourgeoise, où elle est devenue un fétiche marchand, un signe de prestige, et le centre de
la vie sociale des individus.
Certes, répondront les pessimistes, mais les individus sont mus par des désirs et des aspirations infinies, qu’il
faut contrôler et refouler. Or, l’écosocialisme est fondé sur un pari, qui était déjà celui de Marx : la prédominance, dans une société sans classes, de l’ « être » sur
« l’avoir », c’est à dire la réalisation personnelle, par des activités culturelles, ludiques, érotiques, sportives, artistiques, politiques, plutôt que le désir d’accumulation à
l’infini de biens et de produits. Ce dernier est induit par le fétichisme de la marchandise inhérent au système capitaliste, par l’idéologie dominante et par la publicité : rien n’indique
qu’il constitue une « nature humaine éternelle ».
Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de conflits, entre les exigences de la protection de l’environnement et les
besoins sociaux, entre les impératifs écologiques et les nécessités du développement, notamment dans les pays pauvres. C’est à la démocratie socialiste, libérée des impératifs du capital et du
« marché », de résoudre ces contradictions.
Oui, nous répondra-t-on, elle est sympathique cette utopie, mais en attendant, faut-il rester les bras croisés ?
Certainement pas ! Il faut mener bataille pour chaque avancée, chaque mesure de réglementation des émissions de gaz à effets de serre, chaque action de défense de
l’environnement.
Le combat pour des réformes eco-sociales peut être porteur d'une dynamique de
changement, à condition qu'on refuse les arguments et les pressions des interêts dominants, au nom des "règles du marché", de la "competitivité" ou de la "modernisation".
Certaines demandes immédiates sont déjà, ou peuvent rapidement devenir, le lieu d'une
convergence entre mouvements sociaux et mouvements écologistes, syndicats et défenseurs de l'environnement, "rouges" et "verts". Ce sont des demandes qui souvent « préfigurent » ce que
pourrait être une société éco-socialiste :
- le remplacement progressif des énergies fossiles par des sources d’énergie
« propres », notamment le solaire ;
- la promotion de transports publics - trains, métros, bus, trams - bon-marché ou
gratuits comme alternative à l'étouffement et la pollution des villes et des campagnes par la voiture individuelle et par le système des transport routiers.
- la lutte contre le système de la dette et les "ajustements" ultra-libéraux imposé par
le FMI et la Banque Mondiale aux pays du Sud, aux conséquences sociales et écologiques dramatiques : chômage massif, destruction des protections sociales et des cultures
vivrières, destruction des ressources naturelles pour
l'exportation.
- défense de la santé publique, contre la pollution de l'air, de l'eau (nappes
phréatiques) ou de la nourriture par l'avidité des grandes entreprises capitalistes.
- développement subventionné de l’agriculture biologique, à la place de
l’agro-industrie.
- la
réduction du temps de travail comme réponse au chômage et comme vision de la société privilégiant le temps libre par rapport à l'accumulation de biens. [17]
La liste des mesures nécessaires existe, mais elle est difficilement compatible avec le néo-libéralisme et la
soumission aux interêts du capital… Chaque victoire partielle est importante, à condition de ne pas se limiter aux acquis, mais mobiliser immédiatement pour un objectif supérieur, dans une
dynamique de radicalisation croissante. Chaque gain dans cette bataille est précieux, non seulement parce qu’il ralentit la course vers l’abîme, mais parce qu’ils permet aux individus, hommes et
femmes, notamment aux travailleurs et aux communautés locales, plus particulièrement paysannes et indigènes, de s’organiser, de lutter et de prendre conscience des enjeux du combat, de
comprendre, par leur expérience collective, la faillite du système capitaliste et la nécessité d’un changement de civilisation.
1Travaux de Marco Tedesco, de la NASA, cités dans Le Monde du 14.12.2007.
2Cité par Fred Pearce, The Last Generation, Reading, Eden project books, 2006,
pp.83,90.
3Calculs d’experts du Scripps Institution of Oceanography de San Diego, Californie, cités par Fred Pearce, The
Last Generation, p. 168.
4Le Monde, 5.2.2008, p.8
5 Cités par Fred
Pearce, op.cit. p.157.
6Cité par Mark Lynas, Six Degrees. Our Future on a Hotter Planet,London, Fourth Estate, 2007, p.251.
7On trouve un chapitre éloquent au sujet de cette
climate change denial industry dans le livre de Georges Monbiot, Heat : how to stop the planet bruning, London, Allen Lane, 2006
8Le Monde, 23.2.2008, p.7
9« Changement
Climatique et Sécurité Internationale », rapport réalisé par Javier Solana et la commission européenne, présenté au Conseil le 13 mars 2008.
10FAO, La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2008, p 98
ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/011/i0100f/i0100f06.pdf
11Cf. Le Monde, 7.12.07, p.7.
12Sur les limites de Kyoto et, en général, sur la crise du changement climatique, je renvoie à l’excellent dossier rédigé et
organisé pour la revue Inprecorr (n° 525, mars 2007) par Daniel Tanuro, sous le titre « Le capitalisme contre le climat ».
14Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète, Paris, Seuil, 2007, p. 8.
15La valeur d’usage d’une marchandise correspond à son utilité, sa capacité à satisfaire un besoin, alors que sa valeur
d’échange est représentée par son prix relatif.
16James O’Connor, Natural Causes. Essays in Ecological Marxism, New York, The Guilford Press, 1998, pp.
278, 331.
17 Voir Pierre Rousset, "Convergence de combats. L'écologique et le social", Rouge, 16 mai 1996, pp.
8-9.
A quand la chute du mur de l'argent ?
Hillary Clinton, Gordon Brown, Dimitri Medvedev, et Nicolas Sarkozy se sont précipités à Berlin pour fêter, avec Angela Merkel, les 20 ans de la chute du mur. Poutine manquait au tableau, lui qui
est un exemple des réussites de cette fin du « bloc soviétique » , qui l’a fait passer d’obscur lieutenant-colonel du KGB, qu’il était en 1989 en Allemagne de l’Est, au rang
d’homme fort d’une Russie rentrée dans le giron du monde capitaliste, de l’argent roi et de la corruption.
Ce mur, construit pour arrêter l’hémorragie de ceux qui quittaient l’Est pour l’Ouest, où le niveau de vie était nettement plus élevé, faisait de ce demi pays qui n’avait de communiste que le nom
et où toute opposition politique était réprimée, une prison pour les peuples. La frontière entre les deux Europe, dont le mur de Berlin n’était qu’un maillon, était une monstruosité. Mais les
grandes puissances qui en fêtent la fin, ne sont-elles pas celles qui avaient décidé, d’un commun accord à l’issue de la guerre mondiale, de couper l’Europe en deux ?
Dans l’Allemagne réunifiée les inégalités demeurent avec des salaires toujours plus faibles à l’est qu’à l’ouest et un taux de chômage plus fort. Et surtout elles s’accroissent entre les riches
et les pauvres dans l’ensemble du pays, comme ici en France, avec la crise.
La fin du bloc de l’Est a surtout été une fête pour les financiers de Wall Street (la « Rue du mur »… et de l’argent), des bourses de Paris, Londres ou Tokyo qui peuvent faire valser
leurs capitaux d’un bout à l’autre de la planète, exploiter la main d’œuvre en Roumanie, Russie ou Chine. Mais elle a plus facilité la libre circulation des marchandises et des capitaux que celle
des peuples.
Car pour un mur de perdu, dix de retrouvés.
730 kilomètres de mur ont été érigés par le gouvernement d’Israël pour séparer les ghettos de misère où il cantonne la population palestinienne, des colonies israéliennes implantées en
Cisjordanie. Un mur dont, vendredi dernier, les habitants du petit village palestinien de Nilin ont symboliquement abattu un pan.
Et c’est un rideau de fer de 1 200 kilomètres de long, longé par un no man’s land bardé de dispositifs électroniques, caméras, senseurs terrestres, que construisent les Etats-Unis à la
frontière du Mexique pour empêcher l’immigration clandestine. Le mur de Berlin a fait 137 morts entre 1961 et 1989. Mais plus de 5 000 émigrants sont morts en tendant de passer du Mexique
aux USA au cours de 15 dernières années, tués par les garde-frontière, ou décédés en tentant de passer par les zones montagneuses et désertiques moins surveillées.
Les gouvernements de France, d’Angleterre, d’Espagne, d’Italie n’ont pas besoin de murs pour faire la chasse aux immigrés venus des pays du sud. Ils ont les mers. Le 25 septembre dernier, une
petite embarcation, avec 60 émigrants de Guinée et du Sénégal, a chaviré, entre le Maroc et l’Espagne. Les 11 survivants ont été aussitôt réexpédiés en Afrique. En août, 73 autres, venus
d’Ethiopie et d’Erythrée, étaient morts de faim et de soif sur un bateau au large de la Sicile. Le gouvernement italien a instauré un délit d’aide à l’immigration clandestine pour les pêcheurs
qui viendraient à secourir ces embarcations d’infortune. Comme le gouvernement français a fait de l’aide aux réfugiés de Calais un délit. Et Sarkozy et Brown organisent en commun des charters
pour renvoyer des émigrés afghans vers leur pays d’origine, là où la France, l’Angleterre et les USA, entretiennent une guerre sanglante.
Murs, barbelés, chasses à l’homme n’empêchent pas des millions de femmes et d’hommes, quittant les pays où les grandes puissances et leurs trusts entretiennent la misère, d’affluer au risque de
leur vie vers les pays riches pour y trouver de quoi faire survivre leurs familles. D’autant que les patrons d’ici sont trop contents de pouvoir les sous-payer parce que sans droits. Jusqu’à ce
que ceux-ci, travailleurs comme nous tous, se rebiffent collectivement pour imposer leurs droits, comme les 5 000 travailleurs sans papiers actuellement en grève en région parisienne.
Pour en finir avec ces barrières que les gouvernants érigent un peu partout dans le monde pour protéger les possédants de la misère qu’eux même engendrent, il faudra en finir avec les banques,
les grands trusts qui dominent le monde.
Entretien avec la féministe égyptienne Nawal El Saadawi
Nawal El Saadawi, née en 1931, est une écrivaine féministe et militante, médecin de formation, née dans le village de Tahla, sur les bords du Nil. Elle a écrit
plusieurs livres consacrés à la condition des femmes dans le monde musulman, dans lesquelles domine une critique radicale du système patriarcale, par exemple dans « Elle n’a pas sa place au
paradis » (1972) ou dans « Femme au degré zéro » (1975) pour ne citer que deux de ses ouvrages parmi les plus connus.
Dans votre pays, votre travail est des plus controversés. Vous avez été emprisonné par le président Anouar al-Sadate en 1981. Plus récemment, vous avez reçu des menaces de mort. Qu’est-ce qui
malgré ces risques vous a poussé à écrire ?
J’écris avant tout pour le plaisir de l’écriture, plaisir dans lequel s’enracinent mes convictions sociales et politiques. Et ce depuis l’enfance, où j’ai éprouvé le besoin de tenir un journal
intime, car je ne pouvais pas croire en un Dieu injuste. Je ne pouvais pas croire en Dieu parce qu’il aimait mon frère plus que moi, alors je lui écrivais de longues lettres… Plus tard, mon
premier livre [Mémoire d’une femme docteur, 1958] a été écrit à partir de mon expérience de médecin : c’était un geste de protestation contre la circoncision des femmes dont je voyais les dégâts
dans mon cabinet, et contre les « reconstructions » forcées d’hymen au moyen de points de suture avant les mariages. Ce livre m’a valu de perdre mon travail.
Cela fait plusieurs décennies que vous menez des combats féministes. Mais l’excision par exemple est encore monnaie courante en Egypte. Avez-vous l’impression que la condition des femmes dans
les pays musulmans s’est améliorée ?
L’histoire avance en zigzag, avec un pas en avant, puis deux en arrière, puis deux ou trois en avant et à nouveau un en arrière. Mais elle va de l’avant cependant. La vie de ma fille en Egypte
est ainsi bien meilleure que la mienne. Elle a beaucoup plus de liberté. Elle vit seule. Elle n’est pas mariée. Elle est contre le mariage. Elle a acquis beaucoup de droits grâce aux luttes que
nous avons menées. Bien sûr aujourd’hui, il y a un retour de bâton, avec le regain d’influence des religions au sein de la politique : le fondamentalisme chrétien aux Etats-Unis, le
fondamentalisme juif soutenant Israël, l’intégrisme islamiste. On voit bien que la religion est une idéologie politique. Les livres saints sont des livres politiques. Et dans toutes les
religions, Dieu hait les femmes : « j’ai créé l’homme à mon image, et les femmes en inférieure. » Je ne peux rester silencieuse face à cette tromperie.
Mais qu’en est-il de la spiritualité, par opposition aux religions organisées ?
La spiritualité aussi est idéologique. C’est un mot postmoderne utilisé pour brouiller les esprits. En réalité, sous ce mot de spiritualité, il y a surtout le fait que les gens en ont marre du
capitalisme dont la cupidité s’accroît avec la crise. Mais la solution ne sera pas trouvée dans la quête spirituelle telle qu’on nous la vend aujourd’hui.
Quel est le rôle de l'écrivain-e dans tout cela ? Est-ce que l'écrivain-e doit s’engager ?
Oui, l’écrivain·e doit promouvoir l’éthique la plus haute et les valeurs humaines fondamentales : la justice, la liberté, l’égalité. La plupart des écrivains en Egypte sont proches du
gouvernement, voire travaillent pour lui. Ils veulent être riches et recevoir des prix. Naguib Mahfouz, qui a travaillé pour le gouvernement, a eu le prix Nobel. J’ai été nominée, mais les
dissidents créatifs n’ont jamais le prix Nobel. Le Prix Nobel lui aussi est idéologique. Naguib Mahfouz était un bon écrivain, il possédait un art consommé de la narration, mais son travail ne
conduit pas les lecteurs et lectrices à un niveau plus élevé de conscientisation. C’était un homme de l’establishment.
Vous signez votre dernier roman qui va paraître en arabe du nom de votre mère, El Saïd. Pourquoi ?
Je n’ai jamais rencontré mon grand-père, le père de mon père. Pourquoi devrais-je porter le nom d’un homme qui m’est étranger ? En Egypte, il y a deux millions d’enfant nés hors mariage, et pour
un enfant, avoir le nom de sa mère est déshonorant. Alors, avec d’autres, j’ai commencé un mouvement contre cette coutume. Toute ma vie, j’ai honoré ma mère. Mon premier livre était dédicacé à
« la femme qui m’a donné la vie et qui a vécu pour moi sans me donner son nom ». De même, ma fille a signé ses articles Mona Nawal, du nom de sa mère. Elle a été trainée devant les tribunaux
égyptiens et accusée d’apostasie pour avoir signé ainsi. Mais elle a gagné son procès.
En tant que féministe égyptienne, que pensez-vous de l’idée défendue par certaines féministes occidentales qui veulent respecter l’authenticité culturelle des pratiques comme l’excision ou le
voile ? Croyez-vous dans le relativisme culturel ?
Le relativisme culturel est une idée erronée. Mutiler des enfants va à l’encontre de toute humanité. Pour ce qui est du port du voile, le plus souvent, il ne s’agit pas pour les femmes d’un libre
choix. Elles se voilent en raison de la pression sociale, de même que les femmes occidentales qui se maquillent le font très souvent à cause de la pression sociale, et non par choix.
A ce propos, c’est comme pour la semi-nudité en Occident, qui est due à la pression sociale qui s’exerce sur les femmes, dans les diners mondains par exemple. Je ne suis pas
contre en soi le fait de dénuder certaines parties de son corps, mais alors il faut que tout le monde soit nu, les hommes aussi, et non pas en veston cravate ; ils devraient montrer leur
décolleté eux aussi !
Cet entretien est paru pour la première fois dans une version plus étendue en juin 2009 sur le site d’information américain « Double X ».
Il faut l’admettre, La gestion actuelle de la crise écologique mène l’humanité dans une impasse. Sa survie même est menacée. Alors que la prise de conscience citoyenne grandit et que
les mouvements sociaux s’organisent, les dirigeants de ce monde veulent nous faire croire qu’ils ont maintenant pris les choses en main et que nous pouvons avoir confiance en l’avenir.
Malheureusement, malgré des déclarations ambitieuses (1), les solutions proposées par les gouvernements, les institutions internationales et les grandes entreprises, en restant inscrites dans
un modèle capitaliste et productiviste, ne constituent en rien une alternative. Pendant ce temps, les équilibres écologiques continuent de se dérégler et la majorité est maintenue dans la
pauvreté et l’exploitation. Des alternatives à la crise écologique globale existent pourtant. Mais pour pouvoir être qualifiées de sérieuses, celles-ci devront impérativement marquer une
rupture radicale avec le modèle de développement actuel et la logique du profit.
L’humanité en danger
Si le monde est un village, ce village devient inhabitable pour un nombre grandissant d’habitants. Sans rentrer dans une enchère catastrophiste, il est important, avant de proposer des
alternatives, d’ouvrir les yeux sur l’ampleur des défis à relever.
Les mers et océans, source de toute vie, sont sur-pollués et surexploités. L’eau douce devient
une denrée rare : plus d’un milliard de personne n’a pas accès à l’eau potable. Les forêts, poumons de planète, sont coupées massivement : selon la FAO, environ 13 millions
d’hectares (l’équivalent de la surface de l’Angleterre) de forêts disparaissent annuellement, soit 1 terrain de football toutes les quinze secondes. La nourriture est gaspillée : alors que 100 000 personnes meurent quotidiennement de faim ou de ses suites immédiates et que plus d’un milliard de personnes souffrent de
manière chronique de la faim, entre 30 et 40% des aliments achetés aux États-Unis et en Angleterre ne sont pas consommés ! (2) Les sols, qui abritent 80% de la biomasse, et qui permettent à l’homme de se nourrir, meurent à grande vitesse : 24 milliards de tonnes de sols fertiles disparaissent
chaque année. Un tiers de la superficie des terres émergées du globe (4 milliards d’hectares) est menacé par la désertification (3). Les déchets inondent la planète : environ 2,5 milliards de tonnes de déchets sont produits chaque année (4), soit plus que la production mondiale de
céréales (environ 2 milliards de tonnes par an). La perte de biodiversité se poursuit inexorablement : une espèce sur huit des plantes connues est
menacée d’extinction. Chaque année, entre 17 000 et 100 000 espèces disparaissent de notre planète, et un cinquième de toutes les espèces vivantes pourrait disparaître en 2030.
(5) Les catastrophes « naturelles » et « sanitaires » augmentent, en fréquence et en intensité : cyclones
dévastateurs, canicules meurtrières, sécheresses, inondations, maladie de la vache folle, grippe aviaire, grippe porcine, … Le réchauffement du climat, s’il
ne doit pas cacher les autres menaces écologiques, constitue sans doute la menace la plus importante pour l’espèce humaine et les écosystèmes, car il renforce et accélère la majorité des
phénomènes cités plus haut. Les conséquences humaines du réchauffement climatique sont déjà une réalité, en particulier pour les populations du Sud : pour les années 2000-2004, un
habitant sur 19 a été affecté par une catastrophe climatique dans les pays en développement. Le chiffre correspondant pour les pays de l’OCDE est de 1 sur 1 500 (6). Et
nous sommes au début d’un processus qui risque de s’aggraver : suite à la montée des océans, 150 millions de personnes se verront dans l’obligation de migrer d’ici 2050. Le nombre de
personnes touchées par la famine pourrait augmenter de 600 millions et le nombre de celles touchées par la malaria de 300 millions.
S’il ne se sert à rien de tomber dans le fatalisme, il faut cependant être réaliste. Le constat est dramatique, les défis sont gigantesques et l’urgence est maximale. Comme Jacques Chirac
l’a dit il y a tout juste 7 ans : « Notre maison brûle et nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! Prenons garde que le XXIème siècle ne
devienne pas, pour les générations futures, celui d’un crime de l’humanité contre la vie (7) ». 7 ans plus tard, la « maison » continue pourtant de
brûler, et l’incendie, plutôt que de diminuer, s’amplifie et s’étend.
Pour des alternatives non capitalistes
Quelles sont les principales « solutions » prônées par les gouvernements, les institutions internationales, les grandes entreprises pour inverser cette tendance mortifère et
sauver les écosystèmes ? Plus de croissance, mais de la « croissance soutenable ». Plus de marché, avec le marché de l’eau ou encore le marché du carbone. Plus de science
et de technologies « vertes » (agrocarburants, puits de carbone, micro-algues,…) pour limiter la concentration de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère. Plus d’OGM pour
résoudre le problème de la faim dans le monde. Plus de taxes pour pousser les consommateurs à ne pas consommer moins mais à consommer mieux. Toutes ces mesures, même si elles ne sont pas
toujours intrinsèquement mauvaises, ne pourront en aucun cas résoudre la crise écologique. La raison est simple : elles ne remettent pas en cause l’impératif de croissance, dicté par
la logique du profit.
Alors que le monde connaît la crise mondiale la plus importante depuis les années 1930, l’objectif prioritaire de tous les gouvernements et des grandes institutions telles que le FMI et
le G20, reste de retrouver la croissance économique. Selon la théorie dominante, la croissance économique est la solution, la fin et le moyen. Quand Nicolas Sarkozy déclare
« Le développement durable, c’est n’est pas moins de croissance, c’est plus de croissance ! » (8), tout est dit. C’est une
aberration. Dans un monde fini, rechercher la croissance à tout prix ne peut aboutir qu’à un désastre écologique.
Et pas seulement écologique. Rappelons-le, la logique d’accumulation du capital, la logique croissantiste et productiviste, est à l’origine de toutes les crises planétaires actuelles
(sociale, économique, financière, énergétique, climatique, migratoire…). Ces crises ont un caractère systémique et nécessitent donc des réponses systémiques. D’où la nécessité
d’alternatives non capitalistes, qui s’inscrivent dans une perspective de construction d’un modèle dont l’objectif prioritaire soit la sauvegarde des écosystèmes et la justice sociale.
Ensuite, il faut réfléchir aux mesures concrètes à mettre en place pour atteindre cet objectif. Si certaines mesures peuvent impliquer une croissance de la production et donc du PIB,
comme par exemple la construction d’infrastructures de santé ou la formation de médecins, d’autres provoqueront inévitablement une décroissance du PIB. On pense ici particulièrement à la
question de l’armement, plus grosse dépense au niveau mondial (1 339 milliards de dollars en 2007) ! Il s’agit de passer d’un raisonnement quantitatif à un raisonnement qualitatif.
Réduire drastiquement la demande mondiale d’énergie et développer massivement les énergies renouvelables
Si l’on veut limiter à 2C° l’augmentation de la température moyenne de l’atmosphère et éviter la catastrophe climatique, les objectifs sont clairs : la production mondiale de GES
doit diminuer de 50% à 85% d’ici 2050. Pour les pays industrialisés, principaux émetteurs de GES, il s’agit de réduire les émissions de 80% à 95% d’ici 2050 (par rapport à 1990), en
passant obligatoirement par une réduction intermédiaire de 25% à 40% d’ici 2020.
Pour relever ce défi gigantesque, il faut combiner forte réduction de la consommation d’énergie et développement massif des énergies renouvelables. En matière d’économie d’énergie, il
faut avant tout travailler sur la question de l’habitat et des transports. Les habitations, responsables d’une partie importante de la consommation finale d’énergie et des émissions de
CO2 (9), doivent être isolées. Les entreprises privées, ne s’intéressant qu’aux profits et donc à la demande solvable, sont incapables de mener à bien cette mission. Il
est donc nécessaire de mettre en place des services publics, transparents et démocratiques, qui auraient pour objectif l’isolation de tous les bâtiments.
Au niveau des transports, il faut, d’une part, développer des transports collectifs efficaces, de qualité et tendant le plus possible vers la gratuité. D’autre part, il s’agit, quand cela
est possible, de relocaliser l’économie. On connaît tous et toutes les exemples aberrants des tomates, des pots de yaourts, qui, pour limiter les coûts de production et donc maximiser les
profits, parcourent des milliers de kilomètres avant d’être mis en vente. Contrairement au discours dominant qui veut faire passer le protectionnisme comme l’ennemi numéro un, il est
nécessaire de favoriser les productions locales et de repenser le protectionnisme, mais dans un esprit de coopération et non de compétition.
Remplacer les énergies fossiles par les énergies renouvelables est techniquement possible : comme le souligne Daniel Tanuro, « le flux d’énergie solaire qui
atteint la terre est égal à 8 000 fois la consommation énergétique mondiale. Compte tenu des technologies actuelles, 1/1000 de ce flux peut être converti en énergie
utilisable ». (10)
Pourquoi alors la part des renouvelables dans la production globale continue-t-elle de stagner ? La raison est double : premièrement, les transnationales du secteur de l’énergie
fossile ne veulent pas se détourner de la poule aux œufs d’or que représente le marché des combustibles fossiles. On estime à environ 1 500 milliards de dollars les profits annuels
réalisés par ce secteur. Selon ce critère, dominant dans le modèle capitaliste, le marché des renouvelables n’est pas à la hauteur. Deuxièmement, les grandes transnationales énergétiques
ne sont pas friandes de l’énergie solaire, car on se l’approprie plus difficilement. Or la propriété privée est la condition du profit et la base même du fonctionnement du système
capitaliste. On comprend alors mieux pourquoi les agrocarburants, véritable scandale écologique et humain, sont de loin préférés à la révolution solaire.
Combiner justice fiscale, justice sociale et justice climatique
On le voit bien, le marché et l’initiative privée ne sont pas capables de relever les défis environnementaux et sociaux. Seuls des investissements publics massifs et orientés dans la
« bonne » direction, pourront faire avancer l’humanité vers une réelle alternative. Pour financer ces investissements et ces services publics, une autre fiscalité est possible
et nécessaire. Contrairement à la nouvelle taxe carbone en France qui veut faire payer les plus pauvres et non les principaux responsables (11), il faut une fiscalité qui
s’attaque de front aux inégalités sociales : impôt sur les grosses fortunes, taxe sur la spéculation et les plus-values boursières, augmentation de la progressivité de l’impôt,
relèvement de l’impôt sur les sociétés, mais aussi réduction radicale du temps de travail, sans perte de salaire et avec embauche compensatoire, font partie intégrante des solutions à
mettre en œuvre pour résoudre la crise écologique et sociale. Elles constituent des outils nécessaires qui permettront aux gouvernements de financer des projets socialement utiles et
respectueux de la nature, tandis que les individus auront les ressources et le temps d’agir et de pratiquer la citoyenneté. Justice fiscale et justice climatique vont de pair.
De la même manière, la justice climatique ne pourra pas devenir une réalité si l’on ne se préoccupe pas des questions de pauvreté et d’inégalités. Rappelons-le, les rapports de domination
Nord-Sud sont une des causes principales de la destruction de la nature : grâce à l’outil de domination qu’est la dette, les puissances du Nord, en complicité avec les classes
dominantes du Sud, peuvent imposer des politiques qui amènent au bradage des ressources naturelles, à la destruction de l’environnement, mais aussi à l’exploitation des peuples et à la
déstructuration du tissu économique et social. Les gouvernements et les citoyens du Sud se voient alors privés de moyens pour mettre en place des actions respectueuses de l’environnement.
L’annulation de la dette, tout comme le transfert massif et gratuit de technologies propres vers le Sud, sont indispensables.
Combiner actions individuelles et revendications globales
Trop souvent, on a tendance à réduire l’écologie à une question de pratiques individuelles. Vous voulez sauver la planète ? Consommez équitable, triez vos déchets, éteignez la
lumière quand vous quittez une pièce, … Parce que nous serions tous responsables de la destruction de l’environnement, nous avons le pouvoir et le devoir d’agir en changeant nos
comportements individuels. Si ces actions à titre individuel sont nécessaires et utiles, il ne faut pas se leurrer sur leur capacité à inverser les tendances actuelles. Surtout, il ne
faut pas oublier que si nous sommes tous responsables, nous ne sommes pas tous également responsables. Il faut donc prendre garde que la nécessaire prise de
conscience individuelle ne dédouane le système économique dominant et n’occulte l’essentiel débat sur les alternatives systémiques.
Renforcer les mouvements sociaux et la démocratie
Pour que ces alternatives se mettent en place concrètement et pour que les gouvernements du Nord et du Sud mettent la priorité dans des projets socialement utiles et respectueux de la
nature, les mouvements sociaux ne pourront pas rester les bras croisés. Ils devront agir et, via des mobilisations massives, imposer une réelle participation à l’ensemble du processus de
prises de décisions politiques. Ne nous trompons pas, les dirigeants de ce monde ne sont ni inconscients, ni aveugles. Ils sont tout simplement au service des capitalistes financiers et
industriels, qui ont des intérêts opposés à ceux de la majorité. Les rapports de force seront déterminants. A l’heure actuelle, ces rapports ne sont toujours pas en faveur des peuples.
Malgré certains discours « radicaux », l’offensive néolibérale se poursuit. Pourtant, le mouvement social s’organise et, au Nord comme au Sud, des victoires, certes partielles
et insuffisantes, montrent que rien n’est inéluctable. L’exemple de Fribourg en Allemagne (12), mais aussi et surtout la lutte des peuples indigènes d’Amérique latine,
notamment avec leur concept de « buen vivir », nous montrent une voie intéressante à suivre pour qu’une nouvelle relation naissent entre les êtres humains et la nature.
Olivier Bonfond
(CADTM Belgique)
olivier@cadtm.org
www.cadtm.org
(1) Barack Obama et Gordon Brown se sont récemment prononcés pour une réduction de 80% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050.
(8) Extrait du discours prononcé le 20 mai 2008 par le Président français Nicolas Sarkozy,
(9) Dans l’Union européenne, l’isolation des bâtiments permettrait de diminuer de 42% les coûts énergétiques et les émissions de CO2.
(10) Daniel Tanuro, « Le diable fait les casseroles, mais pas les couvercles : défense du climat et anticapitalisme », 26 janvier
2007, http://www.mondialisation.ca/index....
(11) Voir Aurélien Bernier « La taxe carbone, ou l’écologie antisociale », 27 août 2009, http://www.m-pep.org/spip.php?artic.... Comme A. Bernier l’indique dans la conclusion « la taxe carbone n’est
pas intrinsèquement mauvaise. Elle est comme tous les outils de fiscalité environnementale qui sont utilisés toutes choses égales par ailleurs : injuste et donc inacceptable. Il
faut prendre le problème à l’envers. C’est une répartition équitable des richesses qui permettra de promouvoir ou d’exiger des comportements plus écologiques. Il faut taxer le capital
et augmenter les revenus du travail avant de mettre en place des contraintes environnementales que les citoyens pourront alors assumer. »
(12) Pour plus d’informations, lire Philippe Bovet, « Objectifs ambitieux à Fribourg », Manière de voir n°81
"Le syndrome Nicolas Hulot" (chronique France Culture)
PAR Clémentine AUTAIN
Sincèrement, le personnage public de Nicolas Hulot n’a jamais été ma tasse de thé… Comme beaucoup, j’apprécie de longue date l’émission « Ushuaïa » mais l’icône populaire souvent trop lisse
et consensuelle à mon goût m’a agacée plus d’une fois. Du coup, en allant voir le film qu’il a réalisé avec Jean-Albert Lelièvre, j’ai à vrai dire été bluffée. Certes, depuis quelques temps,
les déclarations fracassantes de Hulot contre le capitalisme m’avait interpellée, mais en me laissant plutôt perplexe sur la sincérité de ce tournant idéologique. Mais là, avec Le
syndrome du Titanic, Nicolas Hulot nous livre au cinéma un témoignage touchant et percutant du monde tel qu’il ne va pas. On pourrait se moquer de sa lucidité nouvelle, dire qu’il a
découvert le fil à couper le beurre. Un procès à mon avis sans intérêt. Car la force de ce film, c’est d’articuler les enjeux sociaux et écologiques dans une démonstration grand public qui
cerne l’essentiel. Le syndrome du Titanic est tout simplement un documentaire de salubrité publique. Le propos est simple mais pas simpliste : il nous dit, nous rappelle les
inégalités, notamment entre le Nord et le Sud, l’horreur des guerres, le gaspillage qui mène tout droit à la destruction de la planète, l’homogénéisation des cultures et des désirs nuisibles
car « sans diversité, il n’y a plus d’unité possible ». Les images sont belles, justes, tantôt « cash », tantôt subtiles, souvent poignantes. On voyage d’un bout à l’autre des injustices.
D’un côté le luxe, de l’autre les bidonvilles. On passe des poules en batteries aux carcasses d’ordinateurs, aux embouteillages infinis de voitures. La possession comme réalisation de soi est
dénoncée dans ce monde où l’on finit par préférer l’objet à l’autre. Le consumérisme est mis à nu dans toute sa vulgarité, sa dangerosité. C’est un documentaire qui plaide pour que nos
sociétés posent des limites et repensent de fond en comble leur modèle de développement. Ce film a quelque chose à voir avec les démonstrations à la Michaël Moore. La provocation et le style
accusateur en moins. Car il donne à voir le réel, dans ses dimensions violentes et destructrices, mais dans un récit fait d’interrogations. Le registre est davantage celui de l’émotion que de
la leçon. C’est tranché, sans grandes nuances sur le fond – par exemple, la ville, la modernité, la télévision semblent parfois être un peu vite mis au pilori, emportés sur l’air du « c’était
mieux avant » -, et en même temps c’est pas péremptoire et même habité par le doute. Je pense notamment à ce doute final sur comment rendre désirable l’autre monde. C’est un film esthétique,
l’image est travaillée, recherchée, mais jamais esthétisant, contrairement à Home de Yann Arthus-Bertrand par exemple où l’on contemple des images sublimes d’un monde en péril sans se sentir
réellement et profondément interpellé pour agir. Là, le propos est habité, engageant. Nicolas Hulot a peur, il le dit. Et nous place en acteur, il nous interroge : qu’allons-nous faire ? Avec
une voix off de Hulot lui-même et quelques extraits de propos de personnalités célèbres, il y a peu de mots. Car il n’en faut pas tant que ça pour dire l’essentiel. Et voilà mon étonnement :
je suis allée au cinéma et j’ai entendu quelque chose qui ressemble à ce que je comprends des urgences et préoccupations du moment. Davantage en tout cas que lorsque j’écoute et je lis
partout les polémiques politico-médiatiques qui ont saturé l’actualité ces dernières semaines. La clarté du discours frappe par contraste, au moment où tout semble très brouillé, très confus,
très éloigné des urgences liées aux crises que nous traversons. Ce film est donc comme une surprise, un étonnement : c’est dans nos salles de cinéma, avec la patte de Nicolas Hulot, que l’on
peut entendre que « le capitalisme dominant n’est pas la solution mais le problème » et qu’il faut « revisiter l’imaginaire jusqu’aux frontières de l’utopie ». Merci !
« L’affaire » Frédéric Mitterrand est un bel exemple de cette nouvelle traque : la chasse à courre médiatique. Cette battue consiste à sacrifier un homme (ou une
femme), sur l’autel de l’opinion sans que la personne déjà condamnée par la justice médiatique puisse se défendre devant un quelconque tribunal, hormis celui de TF1. Dans cette affaire
sordide, c’est l’héritière du Président du Front National qui tient le cor. En bonne émule des méthodes de Goebbels, pour qui la rumeur et la calomnie étaient des armes politiques destinées à
tuer, Marine Le Pen est dans son rôle : la chasse à l’homme a toujours constitué le viatique de l’extrême-droite. La violence de ses diatribes n’est pas nouvelle, souvenons nous des
années trente, quand Roger Salengro, le Ministre socialiste de l’Intérieur se suicida en plein Front populaire...
Mais, l’effrayante nouveauté, c’est que cet appel crapoteux à l’ordre moral a été repris par des gens de gauche. En réitérant, deux jours après, les mêmes attaques que le Front National,
Benoit Hamon a commis une faute politique. Il assume son rôle de rabatteur, en cachant à peine son objectif politique : s’adresser aux classes populaires qui ne supporteraient pas le
dévoiement des mœurs. Cet appel non dissimulé au lynchage est insupportable. Soit on reproche un délit à Frédéric Mitterrand, sur la base de faits avérés, et la Justice doit dire le Droit,
soit on ne s’engage pas dans une affaire qui ne fait que le lit du populisme. Que Mitterrand se soit comporté en Ministre de l’élite des artistes et non comme le Ministre de la Culture dans
le cas Polanski, est une erreur de jugement qui doit être condamnée comme telle (Jack Lang qui appartient au même parti que Benoit Hamon, l’a fait de la même manière), mais qu’on vienne lui
reprocher un livre, paru depuis quatre ans, qui exprimait son mal-être sous forme d’autobiographie est franchement une indignité. Lorsqu’on est un responsable politique, on n’attaque pas un
écrivain, même devenu ministre, pour le contenu de ses livres.
Certes, Frédéric Mitterrand n’est ni le Baudelaire des « Fleurs du Mal », ni Céline, ni Houellebecq, mais on n’attaque pas les hommes de culture pour leur production littéraire...
Faut-il que le PS soit aux abois pour que son porte - parole se lance dans de telles divagations ! Faut-il qu’il ait si peu à dire sur les questions sociales et écologiques pour qu’il
fasse diversion sur des histoires montées en épingle par l’extrême-droite ! Faut-il que les jeunes quadras soient si peu confiants dans l’avenir de leur parti pour qu’à l’instar de
Manuel Valls, ils soutiennent leur camarade porte-parole sur la base d’une prétendue rupture générationnelle qui séparerait les partisans du laxisme (entendez les vieux soixante-huitards) et
les partisans de l’ordre moral, conscients des nouvelles réalités !
Lorsque l’on commence à dériver, on ne s’arrête plus. Il faut d’urgence que Martine Aubry siffle la fin de la récréation. D’autant plus que la même semaine, on apprend que les militants
socialistes du Languedoc-Roussillon ont approuvé à 70 % la désignation d’un homme de paille de Georges Frêche comme candidat à la présidence de la Région ; Frêche qui a traité les harkis
de « sous-hommes », qui insulte les uns et les autres en fonction de leur couleur de peau, qui se comporte comme un petit potentat, va donc être reconduit alors qu’on instruit le
procès en sorcellerie de Frédéric Mitterrand... Le pilori contemporain est un mécanisme pervers. Quoi qu’il fasse ou quoi qu’il dise, la petite musique du lynchage continuera à faire résonner
l’air de la calomnie. Daniel Cohn-Bendit a connu les mêmes attaques auxquelles François Bayrou a apporté son concours lors des dernières européennes. A juste titre, il lui avait répondu qu’il
ne serait jamais Président de la République et que son attitude était « minable ».Si parfois l’arme du lynchage revient comme un boomerang en pleine figure de son auteur, en général
la victime est salie pour longtemps. Cette chasse à l’homme, fondée sur la délation, est toujours ignoble. Quand une certaine gauche la cautionne pour faire oublier son inconsistance et ses
propres travers, elle se confond avec le torrent de boue qu’elle a contribué à déverser.
Le Sarkozysme qui transforme tout en jeu d’apparences, berlusconise la vie politique et brouille tous les codes référentiels issus de la Résistance. Nous sommes revenus à ces temps où le fond
de l’air sentait mauvais, où des socialistes et des communistes, des Déat et des Doriot, passaient de gauche à droite. Besson nous en délivre tous les jours les symptômes en n’ayant plus de
limites dans la transgression quand il annonce des charters pour Kaboul. Lorsque les responsables du PS - pas tous, heureusement - croient qu’ils peuvent remonter dans les sondages en
s’alignant sur l’extrême droite, ils mêlent la bêtise à la honte. Il faut dire stop à cette régression de l’esprit. Au secours, Blum et Jaurès, revenez, ils sont devenus fous.
La confiance règne encore et toujours, malgré un bilan face à la crise jugé peu positif… Nicolas Sarkozy a beau éradiquer les acquis sociaux et respirer le mépris, il continue de faire
plutôt belle figure. Est-ce son art d’user les mouvements sociaux, de raconter des fables, de faire taire les dissonances au sein de son propre parti? Quelques raisons d’un succès.
Depuis son arrivée à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy impose son rythme, sa marque, ses contre-réformes. Il allie des mesures clairement libérales sur le plan économique, avec son
lot de remises en cause des acquis sociaux, et une bonne dose de contrôle social. Très tôt, le paquet fiscal fut l’emblème d’une politique au service des vainqueurs du système. Et pourtant…
Nicolas Sarkozy est toujours là et bien là. Même si ses courbes de popularité ont connu de vrais moments de faiblesse et si les Français jugeaient dans un récent sondage son bilan face à la crise
peu positif (58 % d’opinions négatives), près d’une moitié de Français continuerait à lui faire confiance et son image reste peu écornée. Pire, face à la crise du capitalisme qui aurait dû
invalider tous ses présupposés idéologiques, l’animal politique arrive à adapter son discours, à tourner à son avantage ce moment difficile. Voici le champion de la dérégulation qui se mobilise
pour une « moralisation du capitalisme » ! Fini le Fouquet’s et les montres en or, l’heure est à la chasse au bonus et à la valorisation du rapport Stiglitz. Au total, non seulement il donne le
sentiment qu’il y a un pilote dans l’avion quand la gauche est atone, mais il réussit à reprendre l’avantage, quitte à puiser quelques recettes, quelques formules à gauche pour donner le change.
Les Verts cartonnent aux européennes ? Sarkozy dégaine la taxe carbone. Il y a à la fois une cohérence dans son projet politique, qui ne change pas de cap, et de la souplesse pour convaincre,
séduire, s’adapter. « Changer pour que rien ne change », on connaît la formule. Pourquoi ça marche (encore) ? Regards vous soumet quatre clés d’explication.
L'ART DE RACONTER DES HISTOIRES
Pour être président de la République, sans doute faut-il savoir raconter des histoires… Nicolas Sarkozy l’a compris très tôt. Occuper l’espace, donner à voir des sentiments, des succès et des
échecs, des romances : le Président excelle dans cet « art ». Christian Salmon a parfaitement décrit, dans Storytelling, ce phénomène qui consiste pour les politiques à endormir l’esprit critique
public en mettant en scène leurs propres histoires. Cette méthode, qui se pratique dans la publicité ou le management et fut progressivement importée en politique par la Maison Blanche depuis
Reagan, tente d’instrumentaliser l’art du récit. Le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, a parfaitement retenu la leçon américaine : « La politique, a-t-il déclaré au
Monde, c’est écrire une histoire partagée par ceux qui la font et ceux à qui elle est destinée. On ne transforme pas un pays sans être capable d’écrire et de raconter une histoire. » Car
il doit toujours se passer quelque chose, le Président doit contrôler l’agenda pour capter l’attention des médias et de l’opinion. Il s’agit non pas de faire appel aux convictions ou à la raison
mais de capter et de synchroniser les émotions. C’est ainsi que nous passons doucement mais sûrement de l’opinion publique à l’émotion publique. Ce climat est gravissime pour la démocratie et
contribue à dissoudre la politique. Mais en attendant, il profite au pouvoir en place.
Sarkozy a mis en scène son destin : c’est l’histoire d’un pauvre enfant de Neuilly, brimé, qui rêvait d’être président. Il a mis en scène son couple avec Cécilia, son divorce, sa rencontre sous
forme de conte de Noël avec une nouvelle mannequin. Une vie privée faite de joies et de souffrances, pleine de rebondissements : une vraie série à l’américaine. Des personnages comme Rachida
Dati, Fadela Amara ou Rama Yade font le miel du storytelling. Dans un autre registre, Bernard Kouchner fait partie des profils bien utiles. Sarkozy en use et en abuse. Il s’est aussi payé le luxe
de se réapproprier des pans de l’histoire de France délaissés par la gauche, de lui piquer en quelque sorte ses emblèmes, ses référents tels que Guy Môquet, Léon Blum ou Jaurès. Là où
l’imaginaire de gauche s’est essoufflé, asséché, la droite sait occuper l’espace. Même face à la crise du capitalisme, Sarkozy se donne des airs de justicier – façon Disney ! – au combat contre
les méchants du G20, en guerre contre les bonus et les paradis fiscaux. La fable !
La parole de Sarkozy se veut performative et l’homme ne manque jamais une occasion d’aller lui-même au « front » – soutenir telle entreprise en faillite, rencontrer une association de victimes,
serrer la main aux services de police. Comme l’actualité bouge sans cesse, nous suivons le zapping orchestré par le Président. Que ses paroles soient sans effet, que les actions ne suivent pas,
que les promesses d’un jour soient oubliées le lendemain, importe moins que la capacité du Président à être réactif et à sembler toujours à l’endroit où il faut, au moment où il faut. Et il
n’hésite pas à dire tout et son contraire. Or, comme l’explique fort bien Bertrand Méheust dans La politique de l’oxymore. Comment ceux qui nous gouvernent nous masquent la réalité du
monde, cette utilisation des oxymores, cynique et à grande échelle, peut conduire à la destruction des esprits et devenir un outil de mensonges. Des termes tels que « flexisécurité », «
moralisation du capitalisme » ou « vidéo protection » visent à brouiller nos repères. Nicolas Sarkozy recourt également aux oxymores dans les faits : souvenez-vous de sa visite au Vatican avec…
Jean-Marie Bigard ! La promotion de la libre circulation des capitaux mais pas des êtres humains, la lutte contre le chômage comme priorité dans un système qui a besoin d’un taux de chômage pour
fonctionner, etc., sont autant de façons de masquer les actes politiques, dans un contexte où la contestation sociale grandit.
Sa force est d’avoir su « moderniser » la droite et le style présidentiel. Le footing comme l’omniprésence du Président impriment sa marque, l’installent comme un homme de son temps. Il
se veut l’homme de l’action, du mouvement. Et Sarkozy sait s’adapter au contexte, évoluer en fonction des rapports de force dès lors qu’il ne s’agit pas de remettre en cause les fondements de son
projet libéral et autoritaire. Récemment, la taxe carbone ou le renoncement à recourir aux tests ADN pour les immigrés montrent qu’il ne veut céder aucun espace à ses adversaires, qu’il est
capable de petits arrangements politiques pour séduire au-delà de son électorat acquis.
LE ROULEAU COMPRESSEUR COMME MÉTHODE
La droite cultive son triste adage selon lequel « la rue ne gouverne pas ». Il est arrivé ces dernières années qu’elle le fasse à ses dépens. En 1995, le plan Juppé a dû être enterré devant
l’ampleur de la mobilisation. En 2006, les jeunes ont obligé Dominique de Villepin à retirer son CPE. Pour le reste, et singulièrement depuis que Nicolas Sarkozy est président, force est de
constater que les luttes sociales peinent à engranger les victoires. Au-delà des interrogations sur la stratégie des confédérations syndicales et sur le manque de perspective politique qui pèse
négativement sur la combativité sociale et l’issue des conflits, il y a bien cette manière de la droite d’avancer frontalement, brutalement, en désignant des ennemis, en opposant les uns aux
autres, qui possède une part d’efficacité. Le passage en force est devenu une méthode, comme une habitude. La ligne de conduite, c’est un gouvernement qui ne cède pas, en tout cas pas de manière
significative, devant les manifestations unitaires ou les durs conflits sociaux. Il poursuit sa feuille de route, sûr de ses choix comme de sa capacité à vaincre le mouvement. Et Sarkozy a même
osé l’arrogance suprême, en juillet 2008 : « Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit ». Le refus de la discussion, la provocation, l’humiliation et la
détermination à imposer nombre de contre-réformes sont déstabilisants et permettent de contenir une révolte plus grande encore. Finalement, le gouvernement nous aurait-il à l’usure ?
Emblématique, l’université s’est mobilisée comme jamais, la ronde s’est obstinée la nuit et le jour, mais n’a pas réussi à avoir la peau de la loi Pécresse. Au diable le mouvement de résistance
des soignants, les hôpitaux doivent s’avaler le projet Bachelot qui importe les logiques du marché. Le monde de la justice fut vent debout ? Qu’importe, les juges d’instruction risquent bel et
bien d’être supprimés, la mainmise du parquet d’augmenter. Quant au « pouvoir d’achat », il restera en l’état (pas d’augmentation des salaires et minima sociaux), malgré les grands rendez-vous de
l’hiver et du printemps derniers qui, dans l’unité syndicale, avaient porté cette revendication. De La Poste aux Molex, les foyers de contestation ne manquent pas mais la capacité à gagner reste
faible. Assommant. Accablant aussi. Car, à force de ne rien arracher, de prendre des jours et des jours de grève – qui signifient du salaire en moins – sans obtenir d’avancées, le peuple se
désespère et se demande à quoi bon. Par la convergence des luttes – unité syndicale, « Appel des appels » –, d’aucuns pensaient que les mouvements gagneraient en efficacité. Ce ne fut pas
suffisant. Pour l’heure, seul le LKP en Guadeloupe a réussi à atteindre une alchimie et un niveau de contestation porteurs d’espoir et de victoire. A méditer.
LA MACHINE UMP UNIFICATRICE DES DROITES
Le pari n’était pas gagné d’avance mais le résultat est là : la création de l’UMP a permis d’unifier solidement les différents courants de la droite. Créée en 2002 pour les besoins de Jacques
Chirac, candidat à l’élection présidentielle, le sigle signifiait au départ : Union pour la majorité présidentielle. Il regroupait alors le RPR, Démocratie libérale et une bonne partie des
députés de l’UDF. Rebaptisé Union pour un mouvement populaire, ce grand parti réussit à rassembler différentes familles de la droite, des conservateurs libéraux aux gaullistes en passant par les
chrétiens démocrates. En novembre 2004, Nicolas Sarkozy prend la tête de l’organisation, à l’occasion d’un vote interne où il obtient plus de 85 % des voix. Face à lui, les candidats déchus
Nicolas Dupont-Aignan et Christine Boutin font pâle figure… Avec cette assise militante confortable travaillée de longue date par l’entretien de réseaux internes et la construction d’une identité
politique médiatique, le leader a les mains libres. Objectif : la présidentielle de 2007. L’échéance est pour Nicolas Sarkozy une vraie réussite : il remporte l’élection, toutes les autres
composantes de la droite s’affaissent et la disparition de l’UDF rebat une partie des cartes à droite. Ce n’est pas le tout de devenir président, encore faut-il le rester, convaincre durablement
l’opinion et gagner les différentes échéances électorales qui émaillent le mandat. Autrement dit, la « machine UMP » doit être confortée et l’unité des droites renforcée.
En juin 2009, un Comité de liaison de la majorité présidentielle est lancé par Sarkozy pour coordonner les partis qui soutiennent son action. La feuille de route est claire : « Intensifier le
travail en commun et préparer les futures échéances électorales ». Ce Comité est composé de représentants de l’UMP et de présidents des différentes organisations et clubs politiques de
droite. On y trouve la gaulliste Michèle Alliot-Marie qui préside « Le Chêne », Jean-Louis Borloo pour le Parti radical, Christine Boutin avec son jeune Parti chrétien-démocrate ou encore les
amis de Charles Pasqua (RPF-IE). S’y ajoutent les nouvelles recrues issues des rangs de la gauche : Jean-Marie Bockel pour La gauche moderne (LGM) et Les Progressistes autour d’Eric Besson. Le
Nouveau Centre, cette fraction de centristes qui avaient fait la campagne de François Bayrou mais ont rejoint la majorité gouvernementale, siège également. Les chasseurs du CPNT sont aussi de la
partie. Et, dernière recrue de poids (symboliquement en tout cas) en vue des régionales, le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers a rejoint la dynamique de rassemblement.
Cette large unité, la droite en a rêvé au XXe siècle, elle y est parvenue en ce début de XXIe siècle. Certains pensaient la structure UMP éphémère, bâtie pour les circonstances. Elle se révèle
une vraie usine à unité, une machine à gagner. Elle est le fruit d’un effacement relatif des divergences fondamentales entre les courants de la droite – les clivages hérités du gaullisme se sont
estompés – et d’une adhésion large – plus ou moins forcée mais globalement acceptée – à un chef, Nicolas Sarkozy. L’efficacité est là : un parti en ordre, où les dissonances apparaissent moins
fortes que les capacités de rassemblement. Reste, bien sûr, Dominique de Villepin, qui se pose en homme de l’alternative à Sarkozy – sait-on jamais ! Mais ses réseaux et sa popularité, entachée
par l’affaire Clearstream, ne lui permettent pas de jouer réellement dans la « cour des grands ». Il semble ne faire aucun doute que Nicolas Sarkozy sera le candidat unique de la droite en 2012.
Jean-François Copé tente bien également de faire entendre sa voix, une petite musique qui se veut différente du sarkozysme. Mais chacun sait que la « jeune garde » se prépare surtout pour 2017.
Tous ont un intérêt commun : réussir aux régionales de mars prochain. L’UMP entend devancer significativement la gauche au premier tour pour enclencher une dynamique suffisante au second. La
force des scores de l’UMP aux premiers tours peut d’ailleurs créer une interprétation un peu erronée des résultats, comme nous l’avons vu aux élections européennes : la gauche était majoritaire
en voix, le seul parti soutenant la majorité présidentielle ne recueillait « que » 28 % des voix mais le camp du Président est sorti vainqueur de l’échéance, devant un PS en peine avec ses 16,8
%.
UNE OPPOSITION EN BERNE
Le dira-t-on assez ? L’une des clés de la réussite de Nicolas Sarkozy, c’est la faiblesse de la gauche. Une opposition qui n’arrive pas à s’opposer efficacement, c’est vraiment du pain béni… La
critique efficace est celle qui réussit à donner à voir une autre manière d’appréhender les problèmes, une logique alternative pour l’action publique. Or, pour l’essentiel, la gauche et le Modem
concentrent les attaques sur le style, la méthode, le manque de moyens et plus rarement sur le sens et les finalités de la politique de la droite – et sur le terrain du style, c’est finalement
François Bayrou qui apparaît le plus radical, toujours prompt à dénoncer la connivence avec les médias ou la présidence « bling-bling » ! La droitisation d’une bonne partie de la « gauche » et la
baisse de la conflictualité politique sont passées par là. En cette rentrée politique encore, le Parti socialiste reste embourbé dans ses querelles internes et peine à dégager une ligne
alternative audible. Quant à l’autre gauche, si elle parlait d’une seule voix – de manière polyphonique mais cohérente –, si elle faisait durablement cause commune, si elle n’avait plus peur de
gagner, Nicolas Sarkozy aurait enfin un adversaire digne de ce nom.
18 oct 2009 ...Nicolas Sarkozy. Pourquoi ça marche encore ? La confiance
règne encore et toujours, malgré un bilan face à la crise jugé peu positif… ...
bellaciao.org/fr/spip.php?article92694 - Il y a 48 minutes -
Etre anticapitaliste au Maroc !
Ismail Manouzi est directeur du journal Almounadil-a, revue regroupant depuis 2005 des articles et analyses politiques sur l’actualité politique et les luttes
sociales au Maroc.
Ouarzazate, le 17 septembre 2009, Ismail nous attend á la terrasse d’un café, il vient de faire une nuit de bus depuis Agadir pour faire cet entretien. J’avais plein de questions,
connaissant si peu le pays, il les a devancées, en nous faisant une radioscopie précise et organisée de la situation politique marocaine. Voici la retranscription de notre
entretien.
Propos recueillis par Julien Terrié
Le roi du Maroc Mohamed VI, jouit d’une bonne image à l’échelle internationale, il est même surnommé le “Roi des pauvres”, qu’en est-il en réalité ?
C’est vrai que le régime marocain apparaît comme une exception parmi les pays arabes. Hassan II a laissé l’image d’un régime autocratique et moyenâgeux mais qui juste
avant sa mort a su se donner une nouveau visage en convoquant un gouvernement, dit « d’alternance », présidé par le secrétaire général de l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP), le plus
grand parti d’opposition reconnu mais aujourd’hui totalement converti au libéralisme et … à la monarchie.
L’actuel roi a continué à travailler la “communication” par des mesures n’ayant aucun coût politique ou économique mais une forte charge symbolique : révision mineure
du code de la famille, création de la structure dite « Instance Équité et Réconciliation » pour tourner la page de la répression, permission à la presse de fouiller le passé dictatorial et d’évoquer
quelques tabous. Ces mesures, dont la portée a été gonflée par les médias locaux et internationaux constituent, je pense, la base de cette bonne image.
Il est vrai que l’héritage lourd du régime d’Hassan II en matière d’atteinte aux libertés fondamentales, de répression, de paupérisation, mais aussi d’analphabétisme est une raison suffisante pour
expliquer les efforts de communication du nouveau roi pour tenter d’absorber le mécontentement populaire grandissant, tout en préservant, malheureusement, son essence autocratique et poursuivant la
mise en œuvre des politiques libérales.
Quel est aujourd’hui le rôle de la monarchie ?
La monarchie doit aujourd’hui garantir et renforcer les intérêts des sociétés multinationales et des pays créanciers de la dette externe marocaine grâce aux
privatisations et à l’exploitation des ressources naturelles agricoles et minières, notamment bien sûr, le phosphate (le Maroc est le premier producteur mondial de phosphate).
Tout ceci est en lien avec le renforcement de la présence économique de la France avec environ 60 % du total des investissements étrangers au Maroc. L’Espagne est au
deuxième rang avec 15 %. Les accords de libre échange doivent permettre l’extension des marchés des multinationales et le démantèlement du tissu économique local. Les risques sont important de voir
rapidement exploser le chômage et s’accélérer l’exode rural.
Socialement, la politique de Mohamed VI est comparable à celle de Sarkozy, avec la casse systématique des systèmes de solidarité notamment la CNSS, Caisse Nationale de
Sécurité Sociale, la privatisation du système de santé, du système universitaire…
Le rôle du régime marocain au service de la politique de lutte contre le terrorisme s’est accru, principalement à cause de la place importante des Marocains dans les réseaux d’Al Qaïda. D’où, le
renforcement de la présence militaire impérialiste dans la région (des exercices militaires de l’OTAN et une base militaire près de Tan-Tan) et l’attribution à la monarchie d’un nouveau rôle de
garde-frontières face aux vagues d’immigration des victimes des politiques libérales en Afrique.
Quel impact a, selon toi, la crise au Maroc ?
Pour l’instant, les effets sont indirects : la première ressource financière du pays étant les Marocains Résidants à l’Etranger (MRE), les licenciements en Europe vont
certainement avoir un impact sur les chiffres de cette année. En ce qui concerne les sources de revenus internes au pays, dans le textile, 50.000 emplois ont déjà disparu. L’agriculture ne souffre
pas trop grâce aux pluies particulièrement exceptionnelles de ces deux dernières années, mais elle reste fragile et dépendante du pluviomètre. L’exportation de Phosphate reste stable.
Le chômage des jeunes risque de s’aggraver mais c’est un problème systémique et de longue date, qui est d’ailleurs à l’origine du Mouvement des Jeunes Diplômés au Chômage, véritable bête noire de la
monarchie.
Où en est ce mouvement ?
Tout d’abord, il est bon de rappeler que depuis la naissance du mouvement en 1991, Les jeunes n’ont toujours aucune reconnaissance légale ne serait-ce qu’associative,
ce qui ne leur permet toujours pas, par exemple, d’avoir de locaux.
Ce mouvement a eu la grande vertu d’éduquer le mouvement social marocain paralysé par la répression et une crise profonde du syndicalisme : ses militants ont été les
premiers à ressortir dans la rue, surtout dans les petites villes. Ils ont ainsi réussi à maintenir la pression sur la monarchie pour l’embauche de 35.000 à 40.000 jeunes par an dans la fonction
publique.
L’apogée du mouvement a été la plus grande manifestation de jeunes à Rabbat en 1999. Ceci a fonctionné jusqu’en 2004. Depuis, le gouvernement et les collectivités
locales stoppent les recrutements en divisant les embauches par cinq : ceci a énormément affecté le mouvement et réduit sa base. On assiste depuis à un changement de stratégie en lien avec leur
affaiblissement, avec des mobilisations plus locales et parfois plus radicales.
Comme à Sidi Ifni ?
Par exemple. L’énorme mobilisation des jeunes et des habitants d’Ifni a montré une forte détermination de la population. Ifni a cette particularité d’être une petite
ville (20.000 habitants) sans activité économique principale. A la suite d’un forum social local, les habitants ont élaborées une plate-forme de revendication et élu un “secrétariat de suivi de la
situation” avec des représentants des associations, partis politiques et syndicats.
En 2005, la population a bravé l’interdiction de manifester et l’aile modérée a quitté le secrétariat ce qui a laissé la place à une autogestion salutaire qui a permis
le développement de la mobilisation. Les autorités n’ont pas laissé faire, la répression s’est abattue pendant 3h sur la ville, mais les manifestants ont tenu bon, la police s’est retirée et la
manifestation a continué pour finir devant le commissariat.
La population a fait preuve d’un immense courage et de dignité. Politiquement, ce fût une nouvelle preuve de l’utilité d’une force politique qui a pris beaucoup
d’importance et dans laquelle beaucoup de camarades se sont organisés : ATTAC Maroc.
Il y a eu une nouvelle mobilisation en 2008, l’”intifada d’Ifni”…
Oui, cette fois le mouvement est parti des jeunes non diplômés. La municipalité devait embaucher 8 balayeurs, mais ce sont 800 jeunes qui se sont présentés ! Les 792
non embauchés sont allé bloquer la route entre le port et le village, 12 sont restés par un sit-in improvisé, ils ont tout de suite reçu le soutien de la population, des milliers de gens sont venus
aider à bloquer la sortie des camions du port.
Ce qui est surprenant c’est que, d’une part, les autorités n’ont pas réprimé d’emblée et surtout, d’autre part, que les jeunes ont voulu parler directement avec les autorités nationales refusant la
légitimité des négociateurs prévus.
Le pouvoir a fini par réagir de façon militaire en encerclant par la mer et par la terre les manifestants. Le 8 juin 2008, la répression a rarement été si violente,
les habitants d’ifni ont été victimes de viols et de vols, de pillage d’ordinateurs, de téléphones portables, de bijoux et d’argent. Les forces publiques ont usé de bombes lacrymogènes, de balles de
caoutchouc, de pierres et de bâtons contre des manifestations pacifiques. Quatre manifestants sont morts pendant les 3h d’assaut, la police a procédé à 300 arrestations. Les détenus ont été torturés.
Tout ces faits ont été listés et dénoncés par l’AMDH : Association Marocaine des Droits Humains, et une campagne nationale et internationale a bien fonctionné notamment sous la forme d’une caravane de
solidarité, mais malheureusement le mouvement ne s’est pas étendu.
Et aujourd’hui ?
Une campagne du CADTM a été menée pour la libération de Bara Brahim, un de nos camarade, et de tous les détenus d’Ifni. Brahim est sorti de prison en mai dernier après
un an alors qu’il avait été condamné à 10 ans ! Trois autres militants ont été libérés avec lui Azeddine Amahil, Mohamed Lamrani, Mustapha Akesbi, Tous grâce à la campagne de solidarité.
ATTAC Maroc se restructure avec les derniers sortis de prisons et recommence à accumuler des forces. Un “comité du Sit-in” a vu le jour.
Une frange du “secrétariat de suivi de la situation”, la plus proche du pouvoir a proposé une issue politique à la situation et a constitué une liste pour les
dernières municipales sous l’étiquette du Parti Socialiste, coquille vide qui a servi de vitrine légale à la liste. Ils viennent de gagner la majorité des sièges. La majorité des élus ne sont
malheureusement pas mus par de bonnes intentions, il a parmi eux beaucoup d’arrivistes, mais la population reste sur la position de “donner du temps à nos élus”. Les camarades plus radicaux poussent
la population à créer des comités de contrôle des élus.
Ce type de mobilisation populaire paraît de plus en plus fréquente, la ville de Tan Tan avait connu de fortes mobilisations pour la gratuité des soins médicaux mais la
monarchie a étouffé l’affaire en octroyant des certificats d’indigence à toute la population.
On a beaucoup parlé de la montée des fondamentalistes religieux sur l’échiquier politique Marocain, où en est-on après le scrutin municipal de 2009
?
L’existence du Parti de la Justice et du Développement (PJD), le parti représentant la mouvance salafiste, a été longtemps une aubaine pour la monarchie. Ce parti
acceptant sans problème les politiques libérales de la Banque Mondiale et du FMI, il a permis à la monarchie de lutter contre la gauche sur leur terrain, par exemple sur les luttes féministes, les
courants salafistes mobilisèrent autour de 500.000 personnes contre la lutte du collectif associatif féministe et ses propositions de réforme pour inscrire le droit au divorce, à la garde d’enfant en
cas de séparation et à la juste répartition de l’héritage entre hommes et femmes (contraire au Coran) dans la loi.
Le PJD possède une très forte capacité de mobilisation qui en fait la première force politique du pays. Elle est due notamment à une forte implantation parmi les
communautés pratiquantes, grâce aux confréries religieuses.
Cela s’est vu clairement dans les mobilisations contre la guerre en Irak et dans le soutien à la Palestine pendant l’attaque sur Gaza (les salafistes représentaient
2/3 du cortège avec beaucoup de femmes et de jeunes contre 1/3 pour la gauche). Pourtant, après les législatives de 2007 et leur défaite, en ayant pourtant obtenu le plus grand nombre de voix avec
10.7%, les salafistes ont du mal à rebondir.
Ils ne représentent plus une force alternative après les expériences désastreuses de leurs élus (un cas de corruption avéré à Meknes, par exemple), et la population
les considère de plus en plus comme un parti dans la lignée des autres partis marocains, menteur et corrompu. C’est ce qu’a confirmé le dernier scrutin municipal où le nouveau parti proche du pouvoir
PAM (Parti authenticité et modernité) est passé en tête. Il faut préciser que ce scrutin est très difficile à analyser : la participation est tout juste montée à 50% des inscrits, ce qui veut dire,
entre les inscrits abstentionnistes et les non-inscrits : environ 80% d’abstention !
Le PJD a refait parler de lui en mobilisant contre un mariage homosexuel, prononcé au Maroc.
Oui, c’est un épiphénomène mais ils en ont fait des tonnes, ils font de même contre la vente d’alcool dans les supermarchés. Ils s’accrochent à des petits événements
pour faire parler d’eux, mais leur lutte contre les pratiques “déviantes” de l’islam fatigue beaucoup les marocains. Par ailleurs, pour faire contrepoids aux intégristes, la monarchie promeut depuis
peu des pratiques plus souples comme le soufisme. Mais le poids de la religion reste bien présent, et rompre le jeûne du ramadan publiquement est par exemple puni d’emprisonnement selon l’article 222
du code pénal. Les avancées sur les droits de femmes en terme de contraception par exemple se heurtent à la réalité des familles. Etre laïque ici ce n’est pas neutre : c’est s’affronter au quotidien
aux textes.
Comment traitez vous la question du Sahara occidental dans votre journal ?
Notre journal et surtout la section politique a laquelle nous appartenons, avons choisi de réagir toujours contre la répression, contre les injustices commises contre
les militants du front Polissario. Par contre, nous n’avons pas une position tranchée sur la question du Sahara. Nous nous positionnons pour l’autodétermination du peuples sahraoui, bien sûr, mais
ceci reste très vague.
Au début de notre journal, nous avons évité volontairement la question pour ne pas subir la répression réservée à tous ceux qui évoquent le sujet, nous avons préféré
nous consolider avant tout et éviter de finir tous en prison…
Il y a des problèmes politiques que nous discutons, et des questions que nous nous posons comme par exemple : Est-ce une solution de militer pour un état “phosphatier”
avec tous les problèmes que cela implique ? (le Sahara occidental abrite les plus grosses réserves de phosphates du monde). Mais nous avons acquis assez de maturité aujourd’hui pour entamer un débat
sérieux sur la question.
La situation du Sahara aujourd’hui s’est compliquée, il y a un fossé qui se créé entre les réfugiés de Tildouf qui ont passé 33 ans en camp et les élites du Sahara
occidental qui profitent de “privilèges” cédés par le gouvernement, notamment de l’exportation de sable ! Ceci exerce une forte pression sur la base du polissario qui n’a plus de repères clairs après
18 ans de cesser le feu. Il y a encore des actions radicales ciblées contre la police et la répression reste très forte.
Subissez vous une forme de censure dans votre journal ?
Jusqu’à présent nous écrivons ce que nous voulons, la censure ne nous est pas tombée dessus à proprement parler, nous donnons l’actualité très précise et fine du
mouvement syndical et social marocain. Nous ne nommons pas expressément le roi pour ne pas tomber sous le coup de la loi, mais nous parlons du “gouvernement” ou de la “monarchie” … On s’adapte.
Nous tirons à 3000 exemplaires et nous faisons essentiellement une vente militante évidemment sans subvention. Notre site est aussi un des sites politiques marocains
les plus visités et nous mettons en ligne des oeuvres classiques en arabe, nous fournissons notamment le site marxisme.org en traductions.
La diffusion de certains de nos articles traduits se font en France dans le magazine Inprecor ou sur le site Europe Solidaire Sans Frontière, on l’espère rapidement
dans la nouvelle revue “Contretemps”.
Votre groupe politique est-il constitué officiellement ?
Non, pas réellement, nous nous organisons autour du journal. Pour nous déclarer en tant que force politique il faudrait accepter officiellement les trois piliers du
régime : La monarchie, l’islam et l’unité nationale… 3 choses qui nous posent problème ! Quand nous serons plus costauds, nous aurons le rapport de force suffisant pour que ces formalités ne nous
coûtent rien politiquement.
Tentez-vous des alliances avec d’autres groupes de gauche radicale pour peser plus sur la situation?
Oui, nous avons entamé un débat avec une organisation nommée Voix Démocratique qui se classe elle même dans le camp de la gauche radicale. Ce parti est issu d’une
scission du parti de Serfaty ‘Ila Al Amame’ (“en avant” en arabe), mais en a gardé les pratiques internes peu enclines à la contradiction, nous avons toujours eu un rapport très tendu avec eux
politiquement et dans les luttes.
Nous souhaitons discuter avec eux car, malgré tout, beaucoup de choses nous rassemblent. Nous devons clarifier avec eux des thèmes importants notamment notre stratégie
dans les organisations syndicales. Alors que nous tentons d’organiser les syndicalistes “luttes de classe” dans les syndicats, les cadres de VD prennent les postes à responsabilité en faisant
d’énormes concessions aux bureaucrates. Ceci pose problème très souvent et nous pensons qu’il faut que l’on ait une discussion franche avec eux.
VD a souvent eu une stratégie d’alliance de toute la gauche mais commence à se positionner pour l‘union de la gauche radicale, alors nous disons “chiche” !
Nous voulons sincèrement avoir le débat avec eux pour, qui sait, avancer sur une alliance sérieuse et solide dans les luttes et sur des événements politiques concrets.
Nous avons été déçus par l’inefficacité d’une alliance qui a eu lieu entre VD et le Parti d’Avant-garde Démocratique et Socialiste PADS qui n’a rien donner de concret…
Les luttes courageuses du peuple marocain méritent mieux que ça !
LANGUES REGIONALES. François Alfonsi, député européen, est convaincu que le « mur du jacobinisme » finira par tomber comme à Berlin
François Alfonsi, député européen sur la liste
Europe-Écologie.(photo bertrand lapègue)
François Alfonsi est député européen élu le 7 juin dernier dans la circonscription Sud-Est, sur la liste Europe-Écologie, alliée à la Fédération
peuples & régions solidaires de France (1), dont il est porte-parole.
L’élu nationaliste corse est un ardent défenseur des langues régionales, comme on l’a vu lors du Colloque
international de Bayonne consacré à cette question.
« Sud Ouest »
Selon vous, la question des langues régionales a-t-elle évolué au cours des dernières années ?
François Alfonsi
Quelque chose a bel et bien avancé ! Le fait qu’elles soient mentionnées dans la Constitution française au titre de « patrimoine vivant » ne doit pas rester lettre morte.
C’est une demande qui émane du peuple, à laquelle malheureusement l’Éducation nationale n’adhère pas forcément. Au Pays Basque aussi bien qu’en Corse, en Occitanie et en Bretagne, on est confronté
à des moyens insuffisants et parfois à une opposition frontale de la classe politique.
Rappelez-vous, en 1999 Lionel Jospin signe le processus de ratification de la Charte européenne des langues régionales, et dans la foulée le Conseil constitutionnel censure. On pense que l’affaire
est close, puis en 2008, intervient une réforme de la Constitution. Politiquement, on ne peut plus faire après comme on faisait avant...
Quelle doit être l’étape suivante ?
Une nouvelle loi doit donner un contenu à ce changement induit par la modification institutionnelle de 2008. L’on verra ce qu’il adviendra, sachant que la précédente ministre de la Culture,
Christine Albanel, était réticente et que Frédéric Mitterrand l’est sans doute un peu moins. La loi devra être basée sur le principe de la transmission du patrimoine. D’après moi il est encore
possible que la France, bien qu’obstinément réticente à la diversité, puisse encore ratifier la Charte européenne.
Comment se situe la France dans le concert européen ?
Je pense que le jacobinisme qui a trois siècles d’existence est fragilisé par la construction européenne.
Le jacobinisme me fait penser au mur de Berlin. On avait l’impression qu’il était éternel. Lorsqu’il est tombé on s’est demandé pourquoi il s’était trouvé là !
La France est très en retard par rapport à des pays comme l’Espagne, la Grande-Bretagne... Nous vivons dans un système de jacobinisme dominant, confrontés à des conviction datant du siècle
dernier.
Je pense que dans chacune des régions concernées, il faut créer un rapport de force à partir d’une volonté qui s’exprime. C’est un travail politique à faire.
Qu’avez-vous pensé du débat auquel ont entre autres participé les maires de Bayonne, Anglet et le premier adjoint de Biarritz ?
Il m’a paru intéressant et bien moins convenu qu’on ne pouvait le craindre
(2).
Dans ce type de colloque, on essaye toujours d’envisager des actions concrètes qui dépassent les clivages politiques...
A l’occasion de l’attaque de Gaza par l’armée israélienne, la confusion a encore été entretenue entre dénonciation du sionisme et antisémitisme. Si l’on ne peut nier que des propos et
pancartes antisémites ont flétri les cortèges, ils ont été plus que montés en épingle. Jouant du sinistre souvenir du génocide, certains média et penseurs/ses auto-proclamés
assimilent toute critique de l’État d’Israël et du sionisme à des délires négationnistes ou antisémites. Par là même, ils/elles ne font qu’amplifier le prétendu conflit de
civilisation qui les fait vivre médiatiquement. Mais au fond, qu’est-ce que le sionisme ?
Qu’est-ce que le sionisme ?
Le mouvement sioniste prône l’existence d’un État juif. Il nait en Europe à la fin du XIXème siècle comme une réponse aux pogroms de l’Europe de l’est, aux persécutions et au passage à
l’ouest de l’antijudaïsme à l’antisémitisme [1]. Le sionisme, comme la plupart des nationalismes, est lié à un état de persécution
d’un peuple. Le génocide nazi lui donne une réalité encore plus douloureuse, une valeur d’exemple. Si aujourd’hui l’État sioniste est présenté comme devant nécessairement être implanté en
Palestine, cela n’a pas toujours été le cas. Ainsi, à la fin du XIXème siècle, certains réfléchissent à l’installation de cet État juif à Madagascar, en Argentine, en Ouganda, etc. Theodor
Herzl (1860-1904), fédérateur du mouvement sioniste, a d’abord défini en 1896 les trois principes fondamentaux du sionisme (existence d’un peuple juif, impossibilité de son
assimilation par d’autres peuples, d’où la nécessité d’un État juif). Ce n’est que l’année suivante qu’un quatrième principe est ajouté, celui du « droit au retour » des Juifs/ves
en Palestine. Encore convient-il de préciser que ce quatrième principe n’a pas signifié que l’État juif devait obligatoirement être situé en Palestine.
Pour autant, le sionisme n’a pas été la seule réponse aux persécutions antisémites. Nombre de personnes considérées comme juives ont fait le choix d’un militantisme dans des
organisations non juives, d’autres se sont repliées sur les valeurs religieuses traditionnelles, d’autres encore se sont battues pour un État ou une zone d’autonomie juive au Yiddish
Land en Europe orientale où les populations juives étaient les plus nombreuses. Le Bund, organisation marxiste, est le plus connu des partis de cette tendance. Il participe à l’émergence
de structures d’autodéfense juives face aux pogroms qui étaient encore actives lors de la résistance aux nazis dans le ghetto de Varsovie. Aujourd’hui pourtant, le sionisme,
particulièrement depuis que nombre de religieux se sont ralliés à lui, est présenté comme la seule expression d’un mouvement juif.
Le retour vers « la terre promise », la « terre des ancêtres » est un leitmotiv lancinant du sionisme y compris dans une version laïcisée. Tout partirait de ce que
le peuple juif aurait été dispersé dans tout le bassin méditerranéen lors de la diaspora. Outre que nombre d’archéologues israéliens ont montré que les histoires de la Bible ne sont pas
paroles d’évangiles et que l’identité ethnique juive est plus que douteuse, l’historien Shlomo Sand, dans Comment le peuple juif fut inventé, démonte le mythe. La très grande dispersion des
Juifs à travers l’Europe serait le fait du grand succès du judaïsme à l’époque et de son caractère prosélyte. De nombreux sujets de l’Empire romain s’y seraient alors convertis. Si selon
l’histoire officielle, les Juifs/ves d’aujourd’hui sont les descendantEs du peuple de Judée, Sand explique que les principaux descendantEs de ce peuple de Judée sont… les PalestinienNEs.
Dès lors, la dimension ethnique de la judéité n’a pas de sens. Le judaïsme n’est qu’affaire de culture et de religion. Israël en tant que “l’État du peuple juif” est donc fondé sur des
fariboles ethniques et religieuses.
De la colonisation à l’Etat
L’immigration juive en Palestine (Aliyah) débute vers 1880 et s’accélère après la déclaration Balfour de 1917 qui prépare la reconnaissance d’un “foyer national juif” en Palestine sous
mandat anglais (1918-1948). Précisons qu’au même moment, les mêmes négociateurs anglais promettaient aux Arabes, jusqu’alors sous tutelle turque, un État arabe. De 1918 à 1948, la population
juive de Palestine passe de 80.000 à 650.000. C’est la grande période des achats de terres et de l’expérimentation socialisante dans les Kibboutzim. Après la guerre et le génocide, l’Aliyah
reprend, la puissance coloniale anglaise est dépassée par les évènements et les pays occidentaux, vaguement honteux face à la Shoah, ne sont pas mécontents de se soulager en “exportant le
problème juif”. En 1947, la première guerre israélo-arabe commence et l’État d’Israël est proclamé en 1948. A la fois par souci de protection et intimement persuadés d’être les
“légitimes” propriétaires de la terre d’Abraham, les sionistes victorieux pouvaient éjecter les squatters arabes (soit directement par la violence, soit indirectement en laissant
circuler les pires rumeurs). A partir de 1967, les territoires palestiniens ont encore été grignotés par les colonies. Au gré des guerres israélo-arabes, dans un contexte de guerre
froide puis de lutte contre “l’empire du mal” terroristo-musulman, l’État sioniste devient la tête de pont du bloc occidental au Proche Orient ce qui ne fait qu’aggraver les
antagonismes.
Le mouvement sioniste est et a été multiple : populaire et bourgeois, de droite ou de gauche, et même libertaire. Il a incarné une certaine forme de progressisme que l’on retrouve
par exemple dans La Tour d’Ezra (1946) de Koestler sur l’expérience de la communauté socialisante du Kibboutz. Aujourd’hui, l’un des arguments les plus fréquemment utilisés par les
sionistes et leurs soutiens est qu’Israël est la seule démocratie du Proche Orient. Pourtant, à l’intérieur même de l’espace israélien, les Arabes sont des citoyenNEs de seconde zone voués à
la suspicion permanente. Le poids électoral croissant de l’extrême droite sioniste risque de renforcer cette dérive. Israel Beytenou a obtenu 12% des voix aux dernières élections devenant
la troisième force politique du pays et son leader, Liberman, considère les Arabes israélienNEs comme des ennemiEs de l’intérieur et propose d’expulser celles et ceux qui ne prêteraient
pas serment d’obéissance au système qui les opprime. Enfin, les barrières de classes et d’origine n’ont pas été abolies au sein de la société sioniste. Ainsi, parmi les populations
juives, on note que les descendantEs des Ashkénazes venus d’Europe sont largement favorisés par rapport aux Séfarades [2] issus du monde
arabe, sans parler de celles et ceux venus de la Corne de l’Afrique.
Contre tous les nationalismes
A ce stade nous pouvons déjà répondre à la question initiale, peut-on encore lutter contre le sionisme ? La réponse est évidemment oui. Luttant contre tous les nationalismes, le
sionisme ne peut faire exception à la règle. C’est d’autant plus nécessaire que cette idéologie est utilisée pour oppresser les populations palestiniennes. Encore convient-il de
préciser, en laissant de côté la question de l’État, que tou-te-s celles et ceux qui y résident, juifs ou arabes, ont la même légitimité à rester en Palestine. Ce positionnement n’est
cependant pas aussi aisé qu’il pourrait le paraître. En premier lieu parce que l’antisionisme est devenu pour certains un paravent pratique pour de réels délires antisémites. D’autre
part, parce que les organisations sionistes mettent le paquet en terme de propagande, en tentant systématiquement d’assimiler les critiques contre l’État israélien à de
l’antisémitisme. Depuis la guerre du Liban, le Mossad (services secrets israéliens) a ainsi créé un service de cyber-lutte – appelé GIYUS [3] - offrant plus de 100.000 logiciels pour permettre aux “supporters” d’Israël de le défendre sur le net selon la méthode précédemment décrite. Résultat :
la crainte d’être associé à un courant antisémite et la participation de structures et d’individuEs douteux à la lutte pro-palestinienne découragent bon nombre de militantEs. Nous
refusons quant à nous de rester prisonnierEs du cadre étroit du pseudo conflit de civilisation et des entreprises de désinformation. Il n’est pas question de laisser prospérer aucun
nationalisme ni aucune oppression.
Et c’est au sein même de la population israélienne que le sionisme doit être combattu, car il imprègne tout. Les raisons en sont multiples : mémoire du génocide renforcée par les
pogroms qui ont pu durer jusqu’aux années 1960-1970 en Europe orientale, sentiment d’encerclement au milieu de populations voisines hostiles, éducation, médias, classe politique
unanimement sioniste... L’armée jouant un rôle majeur puisque touTEs les IsraélienNEs, à l’exception notable des PalestinienNEs de 1948, sont enrôlés deux ou trois ans pour le service
militaire, puis doivent servir un mois par an en tant que réservistes. Affectées aux zones frontalières, ces recrues exécutent des ordres ignobles - dictés par leur hiérarchie
militaires qui trouve dans le sionisme sa principale raison d’exister - et sont en retour très exposées à la révolte palestinienne. Dès lors, il n’est pas surprenant en période de guerre
de voir les familles encourager les méthodes les plus dures et les plus inhumaines (bombardement aérien notamment), qui sont également les moins dangereuses pour leurs enfants-bidasses.
Dans ces conditions la lutte des IsraélienNEs pour la paix, les luttes conjointes de PalestinienNEs et d’IsraélienNEs contre la colonisation et le mur de séparation (et nomment l’action des
Anarchistes contre le mur), le mouvement des Refuzniks (appeléEs ou anciens soldatEs qui refusent de servir l’armée, tout du moins en territoires occupés), même si elles restent
ultra-minoritaires et pas toutes dirigées contre le sionisme, sont encourageantes.
NOTES :
[1] L’antijudaïsme est la haine de la religion juive et de celles et ceux qui la pratiquent en ce qu’ils seraient les assassins de Jésus.
Quoi que parés de toutes les tares (avarice, trahison, etc.) ils peuvent être convertis. Au contraire, l’antisémitisme définit une « race juive » extra européenne
« donc » inassimilable bien vite apparentée à un « chancre », une « bactérie » nuisible aux autres « races ». L’antisémitisme est donc
génocidaire par essence.
[2] Sur cette question lire Ella Shohat : Le sionisme du point de vue de ses victimes juives (Les séfarades en Israël), 2006 pour la
traduction française.
[3] Pour plus d’infos sur GIYUS (Give Israel Your United Support), le site : http://giyus.org/fr et une analyse parue sur Indymedia Lille : « Cyber guerriers et cyber guerre, giyus contre les sites alters » : http://lille.indymedia.org/article1...
Antisionisme et antisémitisme ne sont pas synonymes !
Etre à la fois juif et antisioniste, est-ce une trahison ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord s’entendre sur le sens qu’on donne aux termes
« juif », « sioniste » et « antisioniste », car une grande confusion règne actuellement sur le sens de ces mots.
Pour beaucoup de gens, les juifs (dans ce cas écrit avec un « j » minuscule) sont les adeptes du judaïsme, une religion monothéiste, un point c’est tout. Le problème est,
particulièrement en Europe, que de nombreux Juifs ont perdu la foi ou n’ont jamais cru en Dieu mais continuent à se définir comme juifs. Comment l’expliquer ?
A la différence du christianisme ou de l’islam, la religion juive n’est pas prosélyte : les juifs ne cherchent pas à convertir les non-juifs à leur
religion [1]. Car il s’agit, selon la bible, de la religion d’un peuple et non d’une religion universelle. Il y a donc, dans ce cas, un lien fort
entre sentiment d’appartenance religieuse et sentiment d’appartenance nationale ou communautaire. Et si, dans de nombreuses familles juives, les parents voient encore d’un mauvais œil leurs enfants
se marier avec des non-juifs, en Europe, c’est souvent plus parce qu’ils redoutent la disparition de leur communauté culturelle que celle de la religion que, souvent, ils ne pratiquent que très peu
ou pas du tout. Même si tous ont conscience, dans une mesure variable, que la religion et l’hébreu ancien, langue sacrée, sont les seuls éléments culturels communs aux Juifs du monde entier.
En Europe, le sentiment d’appartenance à une « communauté de destin » a été considérablement renforcé du fait des persécutions et du génocide commis par les nazis et leurs
alliés. Rappelons que les nazis ne considéraient pas les Juifs comme les adeptes d’une religion particulière mais comme les membres d’une « race inférieure » particulièrement nuisible.
Cependant, leurs critères raciaux pseudo-scientifiques ne permettant évidemment pas de déterminer qui était juif, les nazis se basèrent, pour ce faire, sur les registres des
consistoires [2] israélites ou sur des listes de membres d’associations juives, religieuses ou non. Etait de plus considérée comme juive toute
personne dont les parents ou les grands-parents étaient eux-mêmes considérés comme tels [3]. Les persécutions antisémites concernèrent donc une
population bien plus large que les seuls Juifs religieux. Ceci explique pourquoi, aujourd’hui encore, de nombreux agnostiques et athées, nés après la Deuxième Guerre mondiale, vivent intensément leur
appartenance à cette communauté juive, en tant que descendants de personnes persécutées parce que désignées comme juives par les nazis et leurs complices. L’auteur de ces lignes en est un
exemple.
Si, dans cet article, le nom « Juif » est écrit avec un « j » majuscule c’est donc parce qu’il y est question de l’ensemble des personnes se considérant comme
juives, qu’elles soient croyantes ou non.
Sionismes
Pour « Le Petit Robert » le sionisme est un
« mouvement politique et religieux, visant à l’établissement puis à la consolidation d’un Etat juif (la nouvelle Sion) en
Palestine » [4].
Denis Charbit a réuni dans un volumineux ouvrage de nombreux écrits et discours émanant de penseurs et de dirigeants sionistes [5]. S’y manifeste à la fois la diversité de la pensée sioniste mais aussi ce qui fait son unité :
« Le programme commun admis par tous les courants dits sionistes découle en premier lieu d’une affirmation de principe essentielle : les Juifs constituent
une nation. »
Sur cette base, le sionisme
« se résume, toutes tendances confondues, par :
L’aspiration au rassemblement national des Juifs sur un même territoire :
la revendication d’« Eretz Israël » [6] comme le lieu unique, nécessaire et désirable, de ce rassemblement (…).
La revendication d’un régime d’autonomie la plus large possible afin de permettre aux Juifs de
déterminer leur destin collectif.
Enfin, l’adoption de l’hébreu comme langue de communication quotidienne entre les Juifs
installés en Palestine » [7]
Je fais mienne cette définition résumée.
Notons cependant qu’aujourd’hui, de nombreux partisans déclarés du sionisme le présentent comme le « mouvement de libération nationale du peuple
juif ». Sur base d’une telle définition, tout opposant au sionisme peut être taxé d’antisémitisme puisque opposé à la « libération des Juifs ».
Antisionismes
Le Petit Robert ne comporte pas de définition de l’antisionisme [8]. On peut tout de même déduire de la définition qu’il propose
du sionisme que l’antisionisme serait l’opposition au « mouvement politique et religieux, visant à l’établissement puis à la consolidation d’un Etat juif (la nouvelle Sion) en
Palestine ».
Les sionistes définissent en général les antisionistes comme des partisans de la destruction de l’Etat d’Israël. Mais qu’entendent-ils par là ? Que les opposants au sionisme
veulent « jeter les Juifs (israéliens) à la mer » comme on l’entend souvent dire ? En réalité les choses sont plus complexes.
Exemples :
Dans son programme politique de 1969, le Fatah, parti dirigé par Yasser Arafat, prônait la fin
de l’Etat d’Israël et son remplacement par un Etat palestinien « indépendant et démocratique dont tous les citoyens, quelle que soit leur confession, jouiront de droit
égaux » [9]. Ceci signifiait une acceptation des Juifs établis en Palestine en tant que communauté religieuse mais non en tant que
nation.
À la même époque, le Front Démocratique pour la Libération de la Palestine, parti marxiste
dirigé par Nayef Hawatmeh, proposait quant à lui « un Etat palestinien de démocratie populaire où vivront sans discrimination Juifs et Arabes, un Etat opposé à toute domination
de classe et de nationalisme et dans lequel le droit des Arabes et des Juifs à perpétuer et développer leur propre culture sera respecté » [10]. Dans ce cas, même si, contrairement aux partis communistes, le FDLP ne prônait pas alors l’édification d’un Etat binational (c’est le cas maintenant), il
reconnaissait tout de même une identité nationale et plus seulement religieuse aux Juifs de Palestine.
Un mouvement comme le Hamas affirme encore aujourd’hui sa volonté de remplacer l’Etat d’Israël
par un Etat palestinien islamique. Ce qui n’équivaut pas non plus à « jeter les Juifs à la mer » mais plus probablement à en faire des citoyens « de seconde classe ».
Certains courants juifs religieux prônent la disparition de l’Etat d’Israël parce qu’ils le
jugent hérétique. Ils estiment que sa fondation est en contradiction flagrante avec l’enseignement de la Torah [11] qui interdit toute
proclamation d’un État juif. La Torah contraindrait les Juifs à rester en exil jusqu’à la délivrance divine (annoncée par l’arrivée du Messie) qui annoncera la paix éternelle à toutes les nations du
monde. Notons que pour la plupart des Juifs religieux, l’exil n’est pas un concept géographique, mais spirituel. Selon eux, même si le mouvement sioniste parvenait à organiser le rassemblement de
tous les Juifs du monde dans l’Etat d’Israël, les Juifs continueraient à vivre un exil intérieur car ce résultat aurait été obtenu contre la volonté divine. Les grandes difficultés dans lesquelles se
débat aujourd’hui l’Etat d’Israël constitueraient des preuves de la non acceptation divine de la recréation, par des hommes, d’un Etat juif en Palestine [12]. Aucun de ces courants ne demande pour autant le départ des Juifs établis en Palestine. L’un d’entre eux, Lev Tahor (« Cœur pur ») a
même fait sien le premier programme politique de l’OLP : une Palestine laïque et démocratique ou coexisteraient, sur pied d’égalité des citoyens adeptes de diverses confessions
religieuses [13].
Un peu partout dans le monde, d’autres personnes ou associations juives fondent leur opposition
à l’idéologie sioniste non sur des convictions religieuses mais bien éthiques et politiques ; sans prôner pour autant la disparition de l’Etat d’Israël. C’est mon cas, sur lequel je reviendrai
dans la dernière partie de cet article.
L’adhésion au sionisme et ses raisons
Dans le dernier quart du XIXe et au début du XXe siècle, les communautés juives d’Europe furent victimes de nombreuses manifestations d’antisémitisme dont les pires furent les pogroms
perpétrés dans l’Empire russe, qui coûtèrent la vie à des milliers de personnes. Contemporain de ces tragiques événements, Theodor Herzl (1860-1904), journaliste juif hongrois, fut un témoin
privilégié des violences antisémites qui ponctuèrent, en France, l’affaire Dreyfus [14]. Il en conclut que si même le pays de la Déclaration des
Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 pouvait être touché à ce point par des manifestations de haine antisémite, il ne restait qu’une seule solution aux Juifs pour vivre en paix : la
séparation d’avec les non-juifs par le regroupement des Juifs dans un Etat qui leur serait propre. Son ouvrage, L’Etat des Juifs, publié en 1896, fut le livre fondateur du
sionisme politique. Le premier congrès sioniste fut réuni à Bâle en 1897.
Ce projet politique fut donc fondé sur la conviction qu’une cohabitation harmonieuse entre les minorités juives et les populations non juives majoritaires dans les Etats où ils
vivaient était décidément impossible.
Mais jusqu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l’idéologie sioniste resta minoritaire parmi les Juifs européens et quasi absente des autres communautés juives dont les
membres vivaient généralement en bonne entente avec leurs voisins non juifs. Le sionisme n’est devenu l’idéologie dominante dans la plupart des communautés juives qu’après la Deuxième Guerre
mondiale.
Comment l’expliquer ?
Beaucoup de gens sous-estiment les effets psychologiques à long terme que peuvent générer des persécutions graves visant une communauté humaine tout entière. Le ralliement à
l’idéologie sioniste de la majorité des Juifs européens au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale s’explique avant tout par une vision du monde transformée par l’expérience traumatisante du
judéocide. Et ces traumatismes transmettent une partie de leurs effets aux générations suivantes : tout Juif dont les parents ou les grands-parents ont vécu la guerre sous le joug nazi est,
d’une manière ou d’une autre, psychologiquement « marqué » par cet atavisme. Ce qui explique, au moins en partie, pourquoi la vision sioniste du monde est encore dominante aujourd’hui dans
la diaspora [15] juive européenne ou d’origine européenne. Le « complexe de Massada » ou de la « citadelle
assiégée » [16] est caractéristique de cette vision du monde : les Juifs ne pourraient compter que sur eux-mêmes pour se défendre contre
des populations non juives généralement hostiles. C’est ainsi que l’Etat moderne d’Israël est considéré par de nombreux Juifs de la diaspora comme « le dernier refuge », le lieu où l’on
pourrait se réfugier « au cas où … ». D’où l’importance vitale, à leurs yeux, de le préserver en tant qu’Etat juif, ce qui implique que les Juifs y restent, à tout prix, majoritaires.
Ceci permet de comprendre pourquoi la majorité des Israéliens et un grand nombre de Juifs de la diaspora, pourtant partisans inconditionnels de la « loi du retour » qui
permet aux Juifs du monde entier de devenir citoyens de l’Etat d’Israël, refusent d’admettre le principe du droit au retour des exilés palestiniens victimes des guerres successives ayant opposé Juifs
et Arabes en Palestine-Israël depuis 1947. Le fait que les représentants palestiniens se déclarent depuis longtemps prêts à négocier la mise en œuvre de ce principe n’y change rien.
En réalité, depuis sa création, Israël est le pays où les Juifs sont le moins en sécurité. Ce constat ne semble pas ébranler la conviction qu’il constitue un refuge pour les Juifs.
C’est même le contraire qui se produit : plus la politique de l’Etat juif se heurte à la résistance des Palestiniens et à la réprobation de l’opinion publique internationale, plus la majorité de
l’opinion publique juive israélienne et diasporique, confortée dans le sentiment que les Juifs sont encore et toujours les victimes de l’hostilité des non juifs, se raidit dans une attitude
intransigeante. Ce qui, d’une part, amène les électeurs israéliens à se choisir des dirigeants de plus en plus intraitables avec les Palestiniens et, d’autre part, fait grandir chez ceux-ci des
sentiments de colère, d’humiliation, voire de haine et de désespoir, ce désespoir qui amène de jeunes Palestiniens, ne trouvant plus de sens à leur vie, à chercher à en donner un à leur mort, en
perpétrant des attentats-suicides au cœur du territoire israélien. Nous sommes là dans un tragique cercle vicieux.
Mais aujourd’hui les descendants des victimes du judéocide sont devenus minoritaires parmi les Juifs israéliens. Il reste donc à expliquer pourquoi le raidissement décrit ci-avant
concerne l’écrasante majorité de la population juive d’Israël.
Dans son livre Le Septième Million, l’historien israélien Tom Segev nous donne la clé de cette énigme. Il y montre comment les dirigeants israéliens ont utilisé
la mémoire du génocide des Juifs par les nazis pour façonner une identité collective israélienne. Dès leur plus jeune âge, les enfants israéliens, quelle que soit l’histoire de leurs ancêtres, sont
élevés dans le souvenir et le culte du passé tragique des communautés juives européennes. C’est donc l’ensemble de la population juive israélienne qui porte le poids du passé, qui se voit transmettre
le traumatisme et ses effets secondaires, à commencer par le « complexe de Massada » [17].
Le « complexe de Massada » : un exemple
En juin 2004, quatre jeunes Juifs religieux sortant d’une école talmudique située à Wilrijk (banlieue d’Anvers) étaient agressés par plusieurs jeunes dont l’un blessa grièvement un
des écoliers, d’un coup de couteau. Dès le lendemain, de nombreuses manifestations d’indignation témoignèrent d’une émotion partagée par une grande partie de l’opinion publique face à cette agression
très vraisemblablement de nature antisémite [18]. Trois jours après le drame, une manifestation de protestation eut lieu à Bruxelles. Elle fut
organisée par le Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique (C.C.O.J.B.) qui regroupe la majorité des associations juives de ce pays [19]. Cet événement se déroula au « Mémorial aux Martyrs Juifs de Belgique ». Ce monument, inauguré en 1970, est un lieu hautement symbolique puisqu’on y trouve,
gravés dans la pierre, les noms de plus de 24.000 Juifs déportés vers Auschwitz au départ de Malines et qui n’en sont pas revenus. Le mémorial est situé au cœur d’un quartier populaire d’Anderlecht
(commune de l’agglomération bruxelloise), où les familles de Juifs immigrés habitaient jadis nombreux ; actuellement ce sont des familles d’origine maghrébine qui constituent la majorité des
habitants d’origine étrangère de ce quartier.
Bien que des policiers encadraient cette manifestation (un certain nombre de personnalités politiques étaient présentes, parmi lesquelles des ministres), les organisateurs avaient
fait appel à un service d’ordre privé, composé de jeunes gens aux lunettes noires, communiquant apparemment entre eux par téléphones mobiles. Avant la manifestation, ces gardes privés prièrent de
manière très insistante les participants de ne pas s’arrêter devant l’entrée du mémorial (il faisait particulièrement beau ce matin-là) mais d’y entrer sans attendre, comme s’ils redoutaient une
agression. Pendant la manifestation, ils montèrent une garde vigilante tout autour du monument. Et à la fin de celle-ci, ils encadrèrent de près la sortie, en donnant la consigne aux personnes
présentes de ne pas s’attarder aux abords de ce lieu.
Tout crime raciste, parce qu’il porte atteinte aux fondements mêmes du « vivre ensemble » dans une société multiculturelle et démocratique, devrait, à mon avis, susciter la
protestation des citoyens, indépendamment de l’appartenance communautaire des victimes et des agresseurs. J’ai regretté que l’organisation de la principale manifestation publique de protestation fût
laissée à des associations émanant de la seule communauté dont la victime était issue. A mon sens, auraient dû être parties prenantes de cette organisation, des associations citoyennes non
communautaires comme la Ligue des Droits de l’Homme ou le Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie (M.R.A.X.). J’aurais aussi préféré que cette manifestation fût organisée dans
un lieu moins communautaire (même s’il témoigne d’un événement internationalement reconnu comme un crime contre l’humanité toute entière), plus central et symbolique non pas seulement d’une
compassion envers la victime mais aussi d’une indignation générale en réaction à une agression contre un fondement de toute la société. Ce lieu aurait, par exemple, pu être le Palais de Justice.
Je ne connais pas les circonstances exactes qui ont abouti à ce que le C.C.O.J.B. organisa seul cette manifestation mais je sais que ni les dirigeants du C.C.O.J.B., ni aucun
représentant d’autres organisations juives n’ont critiqué publiquement cette situation, comme si cela était dans l’ordre des choses. Le fait que cette action de protestation contre un crime raciste
ait été organisée uniquement par des Juifs, dans un lieu spécifiquement juif, le fait surtout que les organisateurs aient cru utile de faire appel à leur propre service d’ordre (c’est devenu
coutumier depuis quelques années dans la communauté juive organisée) et que celui-ci se soit donné pour tâche essentielle d’alerter les participants quant à la prétendue dangerosité des alentours,
tout cela témoigne, selon moi, de ce qui est de plus en plus à l’oeuvre dans les communautés juives : le repli sur soi engendré par la peur de l’Autre.
Soixante ans après l’arrêt du judéocide, ses séquelles psychologiques restent importantes dans les communautés juives européennes. On peut même dire que la peur de l’Autre grandit.
J’en vois pour preuve l’utilisation par de nombreuses institutions (écoles, synagogues, musées) et associations juives de dispositifs sécuritaires de plus en plus impressionnants pour protéger leurs
lieux d’activités, qu’ils soient permanents ou occasionnels.
Cette évolution s’explique bien sûr en partie, pour ce qui concerne les relations entre les communautés juive et arabo-musulmane, par l’exacerbation du conflit israélo-palestinien et
ses répercussions, en Europe et ailleurs. Mais elle ne peut être séparée d’une situation plus générale, qui ne concerne pas que les Arabes musulmans et les Juifs.
Les ravages du « sécuritisme »
Dans le contexte de l’« après 11 septembre 2001 » et de la « guerre contre le terrorisme international », cette tendance au repli sur sa communauté, au refus de
rencontrer l’Autre ou certains « Autres » perçus comme inquiétants voire menaçants est un phénomène qui se développe, bien au-delà de la communauté juive. L’idéologie
« sécuritaire » fait des ravages. Si au XIXe siècle, les nantis qualifiaient de « classes dangereuses » l’immense majorité pauvre de la population, la seconde moitié du XXe siècle
a vu apparaître le concept de « quartiers difficiles » et aussi la réalité des quartiers riches séparés, parfois hermétiquement, de leur environnement plus « populaire ».
En ce début de XXIe siècle, le fossé entre riches et pauvres ne cesse de se creuser, tant au niveau de chaque pays qu’entre les différentes parties du monde. Avec son « axe du
bien » et son « axe du mal », l’administration américaine transpose à l’échelle planétaire les concepts de « classes dangereuses » et de « quartiers difficiles ».
Ces vocables témoignent d’une vision manichéenne de l’humanité qui, quand elle est le fait de dirigeants politiques et militaires, débouche inévitablement sur des affrontements armés. Un peu partout
dans le monde, y compris dans l’Union Européenne, se retrouvent au pouvoir des dirigeants politiques qui partagent, avec des nuances, cette vision des choses. Elle implique que l’appareil d’Etat
laisse au second plan la solidarité sociale, l’éducation et le dialogue pour privilégier la manière forte, que ce soit dans la manière dont il traite les jeunes, les pauvres, les minorités, ou les
étrangers. Et depuis le 11 septembre 2001, dans le « monde occidental », les préjugés anti-arabes et anti-musulmans se sont considérablement développés.
L’évolution récente de la politique israélienne et de l’opinion publique dans les communautés juives s’explique aussi, en partie, par ce contexte international.
Antisémitisme et antisionisme : les raisons d’une confusion
Certains opposants au sionisme sont antisémites, cela ne fait aucun doute. Mais il existe aussi des sionistes antisémites. En effet, nombreux sont les non juifs qui se proclament
sionistes et, depuis la naissance du mouvement sioniste, des antisémites ont souvent applaudi des deux mains à l’idée du regroupement des Juifs dans un Etat qui leur serait propre (« qu’ils
rentrent dans leur pays ! »). Aux Etats-Unis, de puissants groupes de chrétiens fondamentalistes s’affirment sionistes et soutiennent l’Etat d’Israël … comme la corde soutient le
pendu : ils militent pour le rassemblement de tous les Juifs en Palestine, préalable indispensable, selon eux, au jugement dernier auquel ils aspirent … mais à l’occasion duquel ne seront
sauvées que les âmes de ceux qui auront adhéré au christianisme. Il est donc faux de considérer que tout partisan du sionisme serait l’« ami des Juifs ».
Il n’est pas vrai non plus que tout opposant à cette idéologie est leur ennemi. Certaines personnes ou courants se présentant comme antisionistes aspirent sans doute à ce que les
Juifs soient chassés du Proche-Orient [20]. Mais ce n’est certainement pas le cas de la majorité d’entre eux. Ce que les opposants au sionisme ont
en commun n’est pas l’opposition à l’existence de l’Etat d’Israël mais bien à sa définition comme « Etat juif » ou « Etat des Juifs » [21], autrement dit au fait que les Juifs du monde entier y soient les bienvenus alors que les Arabes palestiniens y sont ou bien tolérés (il s’agit des descendants de la
minorité demeurée sur place après la première guerre israélo-arabe, celle de 1948) ou bien interdits de séjour.
Mais un grand nombre de Juifs considèrent de bonne foi que le fait d’être partisan de la transformation d’Israël d’un « Etat juif » en un « Etat de tous ses
citoyens » est une manifestation d’antisémitisme. Comment l’expliquer ?
Tout simplement parce qu’ils sont imprégnés de l’idéologie sioniste. Rappelons qu’au cœur de cette doctrine on trouve la conviction que l’antisémitisme ne peut être éradiqué des
peuples du monde. De quelque tendance qu’ils se réclament, tous les partis et mouvements sionistes de notre époque considèrent que la sécurité et même la survie des Juifs dépendent de l’existence
d’un « Etat juif » en Palestine-Israël, considéré comme un refuge destiné à accueillir tous les Juifs du monde qui le souhaiteraient. Mais pour garantir le « caractère juif » de
l’Etat d’Israël, il faut que les Juifs y détiennent le pouvoir politique. Et pour ceux des sionistes qui se veulent démocrates (la majorité d’entre eux), il est absolument nécessaire que les
non-juifs y restent minoritaires de manière à ce que ne puissent être démocratiquement remis en question les fondements inégalitaires de cet Etat, à savoir la « loi du retour » qui permet
aux Juifs du monde entier de devenir citoyens d’Israël, les mesures qui empêchent au contraire le retour des exilés palestiniens et de leurs descendants ainsi que les autres lois favorisant les
citoyens juifs d’Israël aux dépens des autres, à commencer par celles qui concernent l’accès à l’usufruit et à la propriété immobilière et terrienne.
Notons que pour beaucoup de Juifs, l’existence d’un Etat juif constitue aussi une protection contre un autre « danger mortel » qui les guetterait :
l’« assimilation ». Vivant au sein d’une population majoritairement non juive, les Juifs perdraient leur identité en quelques générations, du fait des mariages « mixtes ». Le
judaïsme cesserait d’exister.
L’affirmation répétée depuis des décennies par les sionistes selon laquelle l’Etat d’Israël serait « la seule démocratie du Moyen-Orient » m’inspire les remarques
suivantes :
Ce jugement ne tient certainement plus face à l’évolution politique récente du Liban.
C’est l’Etat israélien qui empêche, par son occupation militaire (non démocratique !), la
naissance d’un Etat démocratique palestinien.
Une particularité de la « démocratie » israélienne la différencie nettement de ce
qu’en Europe l’on considère généralement comme une société véritablement démocratique. Pour les dirigeants politiques israéliens, la démocratie semble être comprise comme la domination de la majorité
sur la minorité. Cet Etat est en effet dépourvu d’une Constitution qui garantirait à chaque citoyen des droits démocratiques individuels tels que l’égalité devant la Loi ou le droit à
l’éligibilité :
« En Israël, personne n’a de droits acquis par le seul fait d’être citoyen. Les droits peuvent être abolis par un vote majoritaire : l’immunité
parlementaire aux députés arabes, l’éligibilité de quiconque ne répond pas à certains critères politiques ou idéologiques (qui peuvent changer en fonction de telle ou telle majorité parlementaire),
la légalité d’un parti qui considère dans son programme qu’Etat juif et Etat démocratique sont des notions contradictoires, la citoyenneté d’Arabes qui auraient des liens avec « le
terrorisme », etc. » [22].
Pour que l’Etat d’Israël ne soit plus celui des Juifs du monde entier, pour qu’il devienne l’Etat de tous ses citoyens, traités sur pied d’égalité (autrement dit une démocratie digne
de ce nom), il faudrait que soit abrogée la « loi du retour ». Dans ces conditions, il fait peu de doute qu’à moyen terme les Juifs israéliens deviendraient minoritaires dans leur pays.
C’est cela que les sionistes ne peuvent accepter. Car ils sont obsédés par la démographie : dans leur vision du monde il y a les Juifs, très minoritaires (ils sont vraisemblablement aujourd’hui
entre 15 et 16 millions) et les autres, au nombre approximatif de 6 milliards et demi, parmi lesquels les musulmans sont plus de 1,2 milliard et les chrétiens plus de 2 milliards. Selon Denis
Charbit, les nationalistes juifs modérés, conscients de l’injustice qu’engendrerait pour les Palestiniens la création d’un Etat juif en Palestine ont, depuis longtemps, résolu leur dilemme moral en
considérant que pour les Juifs, en dehors de la Palestine,
« il n’est « point d’autre centre ni d’autre patrie » alors que la nation arabe s’étend de Damas à Bagdad, et jusqu’à la Mecque. Autrement dit :
« si nous perdons ce pays, nous avons tout perdu », ce qui n’est pas vrai pour l’autre camp : seule l’intégrité de la patrie et de la nation arabe en serait affectée, pas sa
totalité ; à peine un vingtième du territoire et de la population. » [23].
« Si nous perdons ce pays, nous avons tout perdu » : cette idée est actuellement partagée par un grand nombre de Juifs de la diaspora. Imaginer le
monde sans un Etat-refuge réservé aux Juifs les remplit d’angoisse … alors qu’en même temps de moins en moins de Juifs voudraient voir leurs enfants s’installer en Israël, persuadés qu’ils sont
qu’ils y risqueraient leur vie !
Cette angoisse conduit de nombreux Juifs ne vivant pas en Israël à perdre tout esprit critique vis-à-vis de « leur » Etat et à fermer les yeux sur la politique qu’il mène
« dans l’intérêt des Juifs du monde entier ». Ceci alors que le souci des dirigeants israéliens de maintenir à tout prix la domination juive sur un maximum de territoires de Palestine les
conduit à mener une politique qui bafoue continuellement les résolutions de l’O.N.U., les Conventions de Genève concernant les obligations d’une puissance occupante vis-à-vis des victimes de cette
occupation et les plus fondamentaux des Droits humains.
Au-delà de la question du « péril démographique », le fait de considérer les non-juifs comme potentiellement dangereux conduit les tenants de toutes les tendances du
sionisme contemporain à prôner un « développement séparé » des Juifs et des Palestiniens. C’est largement le cas en deçà de la « ligne verte » [24] où la cohabitation de membres des deux communautés nationales dans les mêmes localités est rarissime. Et la séparation est totale dans les territoires occupés où règne
un apartheid de la pire espèce matérialisé aujourd’hui par les routes réservées aux colons, les « check points » et la « clôture de sécurité ».
La « dangerosité » potentielle des Palestiniens implique aussi que les sionistes ne peuvent envisager leur existence étatique que désarmée. Si la
« gauche » [25] sioniste défend ardemment l’« Initiative de Genève » c’est que ce plan de paix entérine la vision sioniste de
la co-existence entre Juifs et non-juifs en Israël-Palestine : séparation physique, maintien du surarmement israélien et démilitarisation de l’Etat palestinien [26].
Mon antisionisme
Le sionisme a-t-il réussi ?
A première vue oui puisque son objectif était la création d’un « Etat des Juifs » en Palestine et que cet Etat existe et est reconnu par la Communauté internationale depuis
plus d’un demi-siècle.
En réalité, si on y regarde de plus près, c’est un échec cuisant :
Le but fondamental des sionistes était, par la création de cet Etat, de mettre les Juifs
européens à l’abri de l’antisémitisme. Or l’endroit où les Juifs sont le moins en sécurité est, depuis sa fondation, l’« Etat des Juifs ».
Les deux tiers des Juifs vivent hors de la Palestine/Israël et sont plus en sécurité que les
Juifs israéliens.
Tout en prétendant créer un « homme nouveau », le mouvement sioniste se voulait le
garant de la préservation de l’héritage culturel juif, particulièrement celui des Juifs européens. Mais l’identité culturelle juive israélienne est très différente et surtout très diversifiée. Ce qui
ne va pas sans de fortes tensions : sur le plan religieux, entre pratiquants et non pratiquants, entre ashkénazes (originaires de l’Europe non méditerranéenne) et sépharades (originaires des
pays méditerranéens), entre Africains et Asiatiques. Des querelles interminables opposent différents groupes pour définir les critères permettant de décider qui est juif et qui ne l’est pas.
La société israélienne se militarise : à l’exception des membres de certaines communautés
religieuses, chaque jeune Juif israélien, qu’il soit fille ou garçon, est soumis, depuis l’âge de dix-huit ans, à de lourdes obligations militaires tandis que de plus en plus d’anciens militaires de
carrière occupent des postes clés, particulièrement dans les domaines politique et celui de l’éducation. De sorte que les valeurs militaires d’héroïsme et de sacrifice patriotique imprègnent
fortement la jeunesse [27].
La société israélienne connaît un naufrage moral, souligné dès les années 1970 par Israël Shahak, alors président de la Ligue Israélienne des Droits de
l’Homme [28] : discriminations, exploitation économique, oppression, tortures.
Depuis sa fondation, les choix politiques effectués par l’Etat d’Israël, au nom de la conception sioniste de « l’intérêt des Juifs du monde entier », l’ont amené à bafouer
sans cesse la légalité internationale. Cela n’a été possible que moyennant la protection et le soutien indéfectible des Etats-Unis d’Amérique, tant sur le plan politique, qu’économique et militaire.
Il ne fait aucun doute que, sans ce soutien, l’Etat israélien ne pourrait survivre qu’à condition de se conformer enfin au Droit International.
En février 2001, les Juifs israéliens se sont choisi comme premier ministre un général qu’ils avaient eux-mêmes chassé du pouvoir en 1982 pour sa responsabilité, en tant que Ministre
de la Défense, dans les massacres de Sabra et Chatila. Ariel Sharon a mené une politique d’une agressivité jamais vue à l’encontre des Palestiniens des territoires occupés ; il n’a apporté aux
Israéliens ni la paix, ni la sécurité ; la situation économique de l’Etat d’Israël n’a fait qu’empirer et la fracture sociale n’a cessé de grandir. Pourtant, durant les cinq années que Sharon a
passées à la tête du gouvernement, les deux tiers des Israéliens, persuadés que leur pays était en guerre, ont continué à soutenir ce général « qui les protégeait des terroristes » … ou à
le trouver trop conciliant vis-à-vis des Palestiniens.
Il fut un temps ou des militants sionistes (donc partisans d’un rassemblement national des Juifs en Palestine), défendaient le principe de l’égalité complète entre Arabes et Juifs
vivant en Palestine. Ce fut le cas, dans les années 1920-1930, du mouvement Brit Shalom (« L’Alliance pour la Paix »), qui se battait avec acharnement pour « parvenir à un accord entre Juifs et Arabes sur la forme de leurs relations sociales en Palestine, sur base de l’égalité absolue des deux peuples culturellement
autonomes » [29], autrement dit pour la constitution d’un Etat binational. Mais dès le début des années 1940, Brit
Shalom avait définitivement perdu son combat. Il n’existe actuellement aucun mouvement ou parti se réclamant du sionisme et défendant l’égalité complète des droits des deux peuples vivant en
Israël-Palestine.
Aujourd’hui, l’idéal sioniste d’un Israël, « Etat des Juifs » sert à justifier l’injustifiable :
les nombreuses discriminations à l’encontre du million de Palestiniens qui sont citoyens de
l’Etat d’Israël [30] ;
l’occupation et la colonisation des territoires conquis en 1967 que sont Jérusalem-est, la
Cisjordanie et le plateau syrien du Golan ;
les confiscations de terres ;
le pillage des ressources en eau ;
les destructions de bâtiments ;
les arrachages de dizaines de milliers d’arbres ;
les couvre-feux ;
les « bouclages » des villes et villages palestiniens de
Cisjordanie [31] ;
l’interdiction pour tout citoyen Israélien de se rendre dans ces villages et ces villes :
cette mesure, officiellement justifiée par des raisons de sécurité, contribue efficacement à empêcher les rencontres entre Israéliens et Palestiniens de Cisjordanie ; rien de tel pour favoriser
encore plus la peur de l’Autre et sa diabolisation ;
la construction, en territoire occupé, d’une « barrière de sécurité » de plusieurs
centaines de kilomètres au prix d’immenses destructions, d’encore plus de confiscations de terres et de réserves d’eau ainsi que de très sévères restrictions à la liberté de circuler pour les
Palestiniens ;
les arrestations et les emprisonnements arbitraires ;
les mauvais traitements infligés aux prisonniers ;
les assassinats « ciblés » et leurs « dégâts collatéraux ».
Les défenseurs de ces abominations soutiennent que c’est l’attitude agressive des Palestiniens à l’égard des Juifs qui ont amené les autorités israéliennes à de telles extrémités. Ils
ajoutent souvent que rien de tel ne serait arrivé si les Palestiniens avaient accepté le plan de partage de la Palestine décidé par l’O.N.U. en 1947. Mais, outre le fait qu’il ne fait aujourd’hui
aucun doute que les dirigeants sionistes n’avaient alors nullement l’intention de se satisfaire de ce plan de partage [32], quel peuple aurait pu
accepter que plus de la moitié du territoire où il vivait devienne l’Etat d’un autre peuple venu d’ailleurs ?
Toujours au nom de ce qu’ils présentent comme une nécessité vitale pour les Juifs, les sionistes voudraient que les Palestiniens renoncent à ce que leur soit reconnu le principe du
droit au retour des exilés (principe reconnu par le Droit International et, pour ce qui concerne le cas palestinien, par plusieurs résolutions des Nations Unies). Ils ne peuvent admettre que si les
Palestiniens sont prêts, depuis fort longtemps, à négocier la manière de concrétiser la reconnaissance de ce droit (lieux d’établissement, compensations, dédommagements, …), ils ne pourront jamais
accepter qu’il ne leur soit pas reconnu.
Cependant, même s’il s’est constitué sur base d’une profonde injustice commise envers le peuple palestinien, le peuple juif israélien est aujourd’hui une réalité incontournable. Mais
20 % des citoyens israéliens font partie d’un autre peuple. Cette réalité-là est également à prendre en compte. La co-existence égalitaire de deux peuples (ou plus) dans un même Etat ne
constitue pas du tout un problème insoluble, comme le prouvent de nombreux cas existant dans des Etats démocratiques tels que … la Belgique.
Même si, d’accord sur ce point avec les militants sionistes de Brit Shalom, je crois qu’à terme, la solution politique la plus démocratique et la plus viable, économiquement et
humainement sera l’Etat binational, je ne suis pas opposé, dans le contexte actuel, à la co-existence, sur le territoire de la Palestine mandataire de deux Etats, l’un à majorité juive, l’autre à
majorité palestinienne. A condition que l’un comme l’autre renoncent à discriminer leurs minorités nationales. Mais dans les faits, depuis 1988 (année de la reconnaissance par le Conseil National
Palestinien de l’existence de l’Etat d’Israël dans ses frontières du 4 juin 1967) les opposants les plus résolus à la solution à deux Etats sont les gouvernements israéliens successifs qui n’ont
jamais cessé, depuis la conquête de la Cisjordanie en 1967, d’occuper ce territoire et d’y développer une colonisation de peuplement.
Conclusion
Je m’oppose à l’idéologie sioniste parce que, dans les faits, l’existence d’Israël comme « État des Juifs » ne met absolument pas les Juifs, qu’ils soient israéliens ou non,
à l’abri des persécutions antisémites ; mais je m’y oppose aussi parce que, même si un tel « État-refuge » pouvait garantir un réel surcroît de sécurité aux Juifs du monde entier, ce
bénéfice serait injustifiable dès lors qu’il se ferait sur le dos d’un autre peuple.
Je m’y oppose aussi parce que sa seule réponse à l’antisémitisme est le repli sur soi, concrétisé par l’appel au « retour » de tous les Juifs en « Terre promise ».
Cette position s’accorde parfaitement aux discours xénophobes prônant le « chacun chez soi ».
Je ne suis pas opposé à l’existence de l’Etat d’Israël mais partisan de sa « désionisation ». Ceci implique qu’il renonce à être l’Etat des Juifs du monde entier pour
devenir, comme toute démocratie digne de ce nom, un Etat traitant tous ses citoyens de la même manière.
Si je combats l’idéologie sioniste c’est parce qu’elle sert à justifier une politique contraire aux Droits de l’Homme qui a provoqué et aggrave sans cesse l’interminable malheur du
peuple palestinien tout en conduisant à terme le peuple juif israélien tout droit vers l’abîme.
PS :
Ce texte a été publié une première fois sous le titre « Juif et antisioniste : une perversion ? », dans Les Cahiers du libre examen, revue du
Cercle du libre examen de l’Université libre de Bruxelles, n° 43, mars 2006, pp 15 à 34, puis dans La Revue d’Etudes Palestiniennes, n° 102 - hiver 2007, pp. 73 à
84.
Notes :
[1] Ce ne fut pas toujours le cas. A l’époque de la décadence de l’Empire romain, le judaïsme se trouva en concurrence avec le
christianisme mais aussi avec l’arianisme et le culte de Mithra. D’après Pierre Stambul (« Judaïsme : retour à quelle identité ?, conférence donnée à Marseille le 16 mai 2003,
http://www.bibliotheque-sonore.org/judaisme/identite/index.html), il y eut également un mouvement non négligeable de conversions au judaïsme en Afrique du Nord, en Espagne et, plus tard au sein d’un
peuple turc, les Khazars
[2] Consistoires : organismes, généralement reconnus par les pouvoirs publics, chargés de gérer les affaires religieuses.
[3] En Belgique, par exemple, une ordonnance allemande du 28 octobre 1940 déterminait qui était considéré comme juif de la manière
suivante : « 1. Est Juif, toute personne issue d’au moins trois grands-parents de race juive. 2. Est regardée comme Juif, toute personne issue de deux grands parents juifs si elle : a)
adhère au moment de l’entrée en vigueur de la présente ordonnance au culte juif ou y affecte son adhésion ultérieurement ou b) si son conjoint est Juif ou si elle contracte mariage avec un Juif
ultérieurement. 3. Dans les cas de doute, est regardée comme Juif toute personne adhérant ou ayant adhéré au culte juif. Un grand-parent est regardé, sans condition ni réserve, comme Juif, lorsqu’il
a adhéré au culte juif. » (GERARD-LIBOIS, J. et GOTOVITCH, J., L’An 40. La Belgique occupée, CRISP, Bruxelles, 1971, p. 460). Voir aussi, sur ce sujet, STEINBERG, M., L’Etoile et le fusil. La
question juive 1940-1942, Vie Ouvrière, Bruxelles, 1983, en particulier les pages 65 à 67.
[4] Le Nouveau Petit Robert, Paris, 1995, p. 2096.
[5] CHARBIT, D., Sionismes. Textes fondamentaux, Albin Michel/Menorah, Paris 1998.
[6] Eretz Israël : « Terre d’Israël » ou « Pays d’Israël » : Ce terme couvre tous les territoires
qui ont à un moment ou l’autre fait partie d’un des Royaumes juifs à l’époque du Premier et du Second Temple, c’est-à-dire en plus de la Palestine, une partie importante de l’actuelle Jordanie.
Aujourd’hui, rares sont cependant les sionistes qui revendiquent encore l’ensemble de ces territoires.
[7] CHARBIT, D., op. cit., pp. II-III
[8] Il en est de même pour le Petit Larousse et pour le Littré
[9] Article 6 du programme de l’O.L.P. de janvier 1969, cité in PICAUDOU, N., Les Palestiniens. Un siècle d’histoire, Editions
Complexe, 2003, p. 152
[10] Ibidem
[11] Torah : nom hébreu du Pentateuque, ensemble des cinq premiers livres de la Bible et base principale de la religion
juive
[12] Cf. RABKIN, Y. M., Au nom de la Torah. Une histoire de l’opposition juive au sionisme, Les Presses de l’Université de Laval,
2004
[13] Ibidem, pp. 245-246
[14] En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus, issue d’une famille juive alsacienne, fut injustement condamné à la déportation pour
haute trahison par un tribunal militaire. Il apparut rapidement qu’il était innocent mais il ne sera réhabilité qu’en 1906. Une des causes principales de ce déni de justice fut assurément
l’antisémitisme virulent régnant dans l’opinion publique française à cette époque.
[15] Diaspora (mot d’origine grecque) : dispersion à travers le monde antique des Juifs exilés de leur pays d’origine ;
par extension : dispersion d’une communauté à travers le monde ; ensemble des membres dispersés.
[16] En 70 après J.C., après la chute de Jérusalem, un important groupe de révoltés juifs se réfugièrent dans la forteresse de
Massada bâtie sur un éperon rocheux dominant la rive ouest de la Mer Morte. Après avoir défié les armées romaines durant plus de deux années, sur le point d’être vaincus, les derniers combattants
juifs et leurs familles se suicidèrent plutôt que de se rendre.
[17] « Le Septième Million traite de la manière dont les amères vicissitudes du passé continuent à modeler la vie d’une
nation. Si le Génocide a imposé une identité collective posthume à six millions de victimes, il a aussi façonné l’identité collective de ce nouveau pays, non seulement pour les survivants arrivés
après la guerre, mais pour l’ensemble des Israéliens, aujourd’hui comme hier. » (Tom SEGEV, Le Septième Million, Editions Liana Levi, Paris, 1993, p. 19). Dans son livre La Nation et la mort. La
Shoah dans le discours et la politique d’Israël (La Découverte, Paris, 2004), l’historienne israélienne Idith ZERTAL, confirme les thèses défendues par Tom Segev.
[18] Notons toutefois que l’enquête n’est pas close et qu’à ce jour l’auteur du coup de couteau n’a pas été arrêté.
[19] Mais l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (U.P.J.B.), seule association juive de ce pays refusant toute allégeance à
l’Etat d’Israël, pour cette raison, n’en fait pas partie.
[20] Cf. les déclarations en ce sens du Président iranien Mahmoud Ahmadinejad.
[21] La traduction exacte du titre original, Der Judenstaat donné par Herzl à l’ouvrage qui fut à la base du projet politique
sioniste n’est pas L’Etat juif mais bien L’Etat des Juifs. C’est une nuance non négligeable car cela laisse entendre que cet Etat devait être celui de tous les Juifs du monde et non pas seulement de
certains d’entre eux.
[22] WARSCHAWSKI, M. A tombeau ouvert. La crise de la société israélienne, La Fabrique, Paris, 2003, p. 103
[23] CHARBIT, D., Le sionisme et les Palestiniens, in U.E.J.F., Le sionisme expliqué à nos potes, Editions de la Martinière, s.l.,
2003, p. 150.
[24] « Ligne verte » : seule frontière reconnue internationalement, depuis les accords d’armistice de 1949, entre
l’Etat d’Israël et la Cisjordanie. Elle a été respectée par l’Etat d’Israël jusqu’au 4 juin 1967, date à laquelle a commencé la « Guerre des Six Jours ». A l’issue de celle-ci, toute la
Cisjordanie fut occupée par Israël, ainsi que la bande de Gaza, le plateau syrien du Golan et le désert égyptien du Sinaï.
[25] Je me permets ici l’usage de guillemets parce que ce mot de « gauche » n’a pas le même sens en Israël qu’en
Europe : on verrait mal, en Europe, des partis de gauche soutenir une politique ségrégationniste et prôner la séparation physique entre ethnies.
[26] L’« Accord de Genève » fut signé à Genève le 1er décembre 2003. Ses principaux artisans en étaient l’ancien
ministre israélien Yossi Beilin et l’ancien ministre palestinien Yasser Abed Rabbo. Il s’agit d’une initiative privée n’engageant pas les autorités officielles. Pour une lecture critique de ce plan
de paix : STASZEWSKI, M., « L’Initiative de Genève : une chance pour la paix ? » in Points Critiques (mensuel de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique) n° 242,
janvier 2004, pp. 23 à 25.
[27] Cf. ZERTAL, I., La Nation et la Mort …, op. cit.
[28] Cf. SHAHAK, I., Le Racisme de l’Etat d’Israël, Ed. Guy Authier, Paris, 1975.
[29] Extrait des statuts de Brit Shalom (rédigés en 1925), cité in ARON, J., Le sionisme n’est pas le judaïsme. Essai sur le
destin d’Israël, Didier Devillez, Bruxelles, 2003, p. 151.
[30] L’obsession démographique a récemment amené le parlement israélien à amender la loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël
en créant trois filières séparées d’acquisition de la citoyenneté en Israël : la filière pour les Juifs, la filière pour les Arabes, et la filière pour les « étrangers ». La filière
arabe n’impose pas seulement une procédure échelonnée sur des années, comme pour les « étrangers », mais elle interdit, avec des exceptions des plus réduites, l’unification des familles
quand un des conjoints est arabe palestinien et réside dans les territoires occupés. Par contre, la filière juive offre à tout Juif d’acquérir la citoyenneté israélienne d’une manière automatique,
conformément à la « Loi du Retour ». Cette loi, votée par le parlement israélien le 27/7/2005, a été condamnée publiquement dès le lendemain par Amnesty International, pour son caractère
discriminatoire. Un article récent offre un large aperçu des discriminations dont les Arabes israéliens sont victimes : ALGAZY, J., « Le traumatisme persistant des Arabes israéliens »,
in Le Monde Diplomatique, octobre 2005, pp. 16-17.
[31] Lire, à ce sujet, « La Palestine sous la botte » (in Revue d’Etudes Palestiniennes n° 83, printemps 2002, pp.
3-19) ; la journaliste israélienne Amira HASS y décrit en détails l’évolution de la politique de « bouclage » des territoires palestiniens et ses conséquences de plus en plus
dramatiques pour leurs habitants, depuis ses débuts en 1991.
[32] Cf., par exemple, VIDAL, D., Le péché originel d’Israël. L’expulsion des Palestiniens revisitée par les « nouveaux
historiens » israéliens, Editions de l’Atelier / Editions Ouvrières, Paris-Bruxelles, 1998 et GRESH, A. Israël, Palestine. Vérités sur un conflit, Fayard, Paris, 2001, pp. 102-103.
Parti de Gauche :
le difficile passage de l’antilibéralisme à l’anticapitalisme
Lors de son congrès constitutif, le Parti de Gauche (PG) a adopté une résolution « Pour une autre Europe », qui
fixe le cadre politique de sa campagne pour les élections européennes. Ce document développe les thèmes principaux de l’antilibéralisme… et s’en tient là, sans avancer aucune mesure s’attaquant à la
logique du profit et à la propriété privée des grands groupes capitalistes.
Bien loin des timidités de la gauche du PS (Emmanuelli et Hamon), et même du PCF, le PG déroule la cohérence des mesures
proposées en vue d’une rupture avec le néolibéralisme. Tous les aspects sont abordés, salariaux, financiers, institutionnels. « L’Europe de l’emploi que nous voulons favorisera une relance de
l’activité économique par l’augmentation des salaires et des investissements publics pour une croissance socialement utile, écologiquement responsable, créatrice d’emploi » ; « instauration de
l’obligation d’un salaire minimum interprofessionnel dans chaque pays de l’UE en fonction du niveau de richesse par habitant. Une procédure de convergence vers le haut sera établie » ; « à cet effet,
le pacte de stabilité sera dénoncé et il sera mis fin à l’indépendance de la banque centrale européenne, dont les statuts et les missions seront révisés ». La lutte contre le dumping fiscal et la
suppression de toutes les directives type Bolkestein sont présentées comme centrales. La défense et le développement des services publics sont l’un des socles du programme.
Le PG engage aussi un approfondissement de son option écologique, avec la demande d’un moratoire sur les OGM et le refus des procédures de marchandisation de l’air notamment. On peut noter une
certaine timidité sur le nucléaire, terrain sur lequel on sent que si le PG se prononce pour la sortie de cette forme d’énergie, il imagine cette évolution comme particulièrement lente
(« planification d’une sortie progressive et réfléchie des énergies polluantes et productrices de gaz à effet de serre et du nucléaire »).
Sur tous ces thèmes donc, qui ont fait la base des combats antilibéraux de la dernière décennie en Europe, le PG se situe sur l’option radicale, qui impliquerait déjà une rupture profonde avec les
politiques suivies jusqu’ici par les libéraux. Il n’y a pas de doute non plus que leur mise en œuvre exigerait un bouleversement du rapport de forces et qu’elle constituerait un progrès sensible par
rapport à la situation actuelle.
Une vision datée, d’où l’anticapitalisme est absent
D’où vient alors le sentiment que ce discours, radical sur son terrain, apparaît singulièrement décalé par rapport aux nécessités de l’heure ? C’est qu’à l’évidence, le PG ne semble pas prendre la
mesure de la gravité de la crise du capitalisme. Dès la première phrase, on en a la certitude. Le PG affirme : « la crise du capitalisme mondial est un révélateur impitoyable : l’Union Européenne
devrait être la solution, elle est le problème ». Formule étonnante : ce n’est pas le capitalisme qui pose problème, mais seulement l’UE libérale ! Bien sûr, l’Union européenne fait partie du
problème, mais il ne s’y résume pas. Pour le PG, tout se passe cependant comme si c’était le néolibéralisme qui était à la source de la crise capitaliste. Mais si son rôle est évident dans les
mécanismes précis du déclenchement de celle-ci, il est tout aussi indéniable que cette option des classes dirigeantes était venue en réponse à un état de crise survenu déjà dans les années 1970,
lorsque s’était manifestée une baisse sensible des taux de profit.
Surtout – et c’est ce qui importe en premier – la lecture de la résolution du PG confirme que, pour ces camarades, la solution aux problèmes actuels doit et peut être trouvée dans le retour aux
politiques « keynésiennes » de « l’État-providence ». D’où la curieuse impression passéiste qui ressort de cette résolution. D’où aussi la timidité des solutions proposées aux problèmes pourtant les
plus cruciaux, comme celui des licenciements. Voilà ce qu’en dit le PG : « une réduction simultanée du temps de travail permettra de créer des emplois, tandis que des dispositifs seront instaurés
contre les licenciements collectifs et les délocalisations » ; « socle minimal européen de protection contre les licenciements collectifs : l’obligation sera affirmée de négocier, sur des
propositions alternatives, avec les représentantes et représentants des travailleurs qui disposeront d’un droit de veto suspensif ». Au-delà de la portée inévitablement trop limitée de telles
mesures, elles sont révélatrices d’une donnée centrale du texte : le PG ne propose aucune mesure proprement anticapitaliste, où le droit de propriété des grands moyens de production et financiers
serait mis en cause.
Dans la plus pure lignée « antilibérale », il s’agit seulement d’en limiter les effets, des les encadrer par la puissance publique et, au mieux, de doter celle-ci de moyens concurrents (comme un pôle
public financier). Or, toute l’expérience des années 1980 montre que le statut public ne protège nullement des mécanismes capitalistes plus globaux tant que le pouvoir des actionnaires continue de
faire la loi. Pourtant, le PG n’envisage aucune nationalisation (ou « européanisation »), aucune expropriation. Rien n’est même dit sur le devenir des dizaines de banques désormais sous perfusion
publique. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que la liaison avec le combat interne à la France soit si peu abordé, et avec une formule des plus vagues (« cette élection sera donc aussi
l’occasion de dire Non à Nicolas Sarkozy et à sa politique et de dire Oui à une politique de gauche »).
Des ambiguïtés
Sur d’autres terrains, des clarifications seraient nécessaires. Ici on se dit favorable à la sortie de l’OTAN, là on « s’émancipera du cadre de l’OTAN ». On se déclare hostile à la directive de la
honte contre les immigrés, contre « les politiques européennes de fermeture des frontières », mais sans aller jusqu’à la conclusion logique qui serait la liberté de circulation et d’installation. On
se prononce pour « le retrait des troupes françaises d’Afghanistan », mais il n’y a pas un mot sur la rupture des liens privilégiés avec l’État d’Israël (la Palestine est la grande absente du
texte).
Un débat stratégique central
Mais le principal débat stratégique est ailleurs. D’une manière honnête et très intéressante, le PG aborde la question de la possibilité de faire avancer ses exigences. Il se déclare en faveur d’un
« processus constituant », sans pour autant trancher entre un « nouveau traité préparé par les gouvernements et nourri par des propositions du parlement européen et des parlements nationaux », et la
« désignation au suffrage universel, après un large débat populaire dans chaque pays, d’une assemblée constituante ». Là, le questionnement devient brûlant. Par quel miracle les « gouvernements »
s’engageraient-ils dans cette voie ? La réponse est connue, par la nécessaire mobilisation citoyenne. Mais si celle-ci se présente, pourquoi ne pas aller jusqu’à une Constituante ?
C’est que le PG hésite. Il aimerait bien que des étapes « réalistes » se présentent sur la voie de ce qu’il dit être indispensable, comme « sortir du cadre des traités existants ». Mais « toute
possibilité de mettre en œuvre une politique de transformation dans notre pays et d’agir pour commencer à changer l’Europe est-elle interdite sans la refondation globale préalable des traités ? Poser
ainsi la question risque de déboucher sur deux impasses : d’une part, réclamer cette refondation globale et, en attendant de l’avoir obtenue, se soumettre aux règles en vigueur ; d’autre part, faute
d’espérer obtenir une telle refondation à un horizon prévisible, considérer qu’il n’est d’autre issue que de sortir de l’Union Européenne. Dans le premier cas, c’est la politique de transformation
sociale dans notre pays qui serait sacrifiée ; dans le second, c’est un message de repli national dangereux qui serait envoyé dans un contexte de crise globale propice aux tensions internationales
(…) Pour dépasser cette alternative binaire improductive, un gouvernement de gauche digne de ce nom combinera bataille politique pour une refondation globale fondée sur de nouveaux traités et
ruptures partielles sur des questions jugées vitales pour la transformation sociale. »
Sauf que l’expérience montre que partant comme ceci, on en vient vite à ce que les « ruptures partielles » envisagées soient particulièrement timorées. Le texte, significativement donne comme
exemple celles du gouvernement de Gordon Brown… C’est là que l’on boucle sur la « révolution par les urnes » avancée par Jean-Luc Mélenchon. Celle-ci, par définition, ne modifierait pas le cadre
institutionnel qui l’aurait rendue possible. Cadre duquel il faudrait s’accommoder, comme d’habitude, au nom du réalisme. Sauf à compter sur une mobilisation populaire extra-parlementaire à la mesure
de la rupture souhaitée et qui deviendrait dès lors la donnée fondamentale. Mais si c’est le cas, que reste t-il de la « révolution par les urnes » ?
17 sep 2009 ... Le site Bellaciao : coloré, multiple, ou le meilleur cotoie
fort heureusement le pire, mélangé, bizarre, picabien et dadaîste, ...
bellaciao.org/fr/spip.php?article91339 -
Environnement
Le combat antinucléaire est-il dépassé ?
Question provocatrice pour entamer un entretien avec Anne-Cécile Reimann, présidente et militante connue de l’association genevoise ContrAtom…
Anne-Cécile: Allez dire ça aux 50 000 manifestant·e·s antinucléaires à Berlin ce 7 septembre ! Si seulement notre combat était dépassé… Mais, c’est le contraire ! L’actualité de la lutte
antinucléaire est vive. On est à un moment où des centrales nucléaires vieillies et très dangereuses risquent de voir leur autorisation renouvelée, alors que le risque qu’elles représentent croit
chaque année avec leur vieillissement et leur fragilisation… Objectivement, le risque d’un nouveau Tchernobyl s’accroît, comme la masse de ces déchets radioactifs, pour lesquels il n’y a, tout
simplement, pas de « bonne solution ».
En Suisse, on a le réacteur fissuré de Mühleberg qui devrait être fermé et qui risque de faire l’objet d’une autorisation d’exploitation illimitée. Nous avons participé le
26 avril dernier à une manif à Berne à ce sujet… et les Vaudois·e·s donneront leur préavis sous peu, à l’occasion d’un vote populaire, dont leur gouvernement cantonal a cherché abusivement à les
priver.
En France, il y a la centrale de Fessenheim, en bout de course - la plus vieille du pays - qui va être arrêtée pour sa troisième visite décennale. Cette inspection décidera de sa
mise à l’arrêt ou de sa survie, pour un nouveau bail de 10 ans. Les militant-e-s de ContrAtom iront à Colmar, samedi 3 octobre, pour une grande manifestation exigeant la fermeture définitive des
réacteurs de cette centrale. (Pour venir : contactez ContrAtom au 022 740 46 12. On prend le train à Cornavin à 9 h 10, retour le soir…)
Mais Mühleberg, Fessenheim… n’est ce pas de l’histoire ancienne ?
Ce sont en effet des réacteurs très anciens... et dangereux. Il faut les arrêter avant qu’ils ne rentrent dans l’Histoire, par la même porte que Tchernobyl. Le pire c’est que – parallèlement à la
volonté de continuer à exploiter ces antiquités - on cherche à nous imposer de nouveaux réacteurs, comme l’EPR, dont Sarkozy fait la promotion, ou comme les trois nouvelles centrales que le lobby
électronucléaire suisse a sur ses planches à dessin!
Or ces « nouveaux » réacteurs sont un danger. Parce que, sous des emballages renouvelés, ils reposent sur les mêmes principes, avec les mêmes problèmes, dangers et risques, que
leurs prédécesseurs... Risque d’un accident majeur, pollution radioactive tout le long de la chaîne du combustible, des mines d’uranium jusqu’au casse-tête des déchets... Production de plutonium,
ingrédient essentiel d’armes potentiellement génocidaires… Exigences de flicage, de contrôle et de répression liberticides sous prétexte de « sécurité ». Mais encore et surtout, risque que le
mirage de ces installations projetées serve de « béquille » à un mode de consommation effréné de l’énergie, avec lequel nous devons rompre, radicalement et rapidement, si nous voulons que l’humanité
survive!
Ces « nouveaux » réacteurs sont vendus comme une des clés de la réponse à la catastrophe climatique, sous prétexte qu’ils ne produiraient pas de CO2. C’est faux ! Non seulement
l’industrie nucléaire est bien génératrice de CO2, mais les milliards de francs investis dans une nouvelle centrale c’est de l’argent public détourné de l’urgence qu’il y a à investir dans le
développement de l’utilisation rationnelle de l’énergie, dans la réduction des consommations et la production d’énergie renouvelable...
Ainsi la lutte antinucléaire s’inscrit dans un combat plus général ?
Bien sûr, ça a toujours été le cas. Dans ce sens, nous participons à Genève à la Coordination « Climat et Justice sociale », qui mobilise en vue de l’échéance de la Conférence de Copenhague sur le
climat en décembre. Ce qui ne signifie pas que la lutte antinucléaire, en tant que telle, doive être délaissée. Nous allons en effet au devant d’une grosse confrontation d’ici deux ou trois ans, avec
le référendum sur la première des nouvelles centrales atomiques helvétiques projetées. Les arguments antinucléaires doivent être affûtés, réactualisés et largement diffusés en vue de cette échéance
déterminante pour la politique énergétique du pays. Or, faute de mobilisations massives - comme celles que nous avions menées à Genève contre le surgénérateur Superphénix - la « culture
antinucléaire » risque de s’émousser...
C’est donc un défi et une urgence pour ContrAtom de souffler sur ce feu et de transmettre notre héritage d’expériences et de mobilisations. A Genève, nous venons d’intervenir en
direction de la nouvelle Assemblée constituante pour exiger qu’elle se déclare pour le maintien de l’article antinucléaire de la Constitution genevoise (art. 160e).
Au quotidien, nous nous battons aussi pour le respect de ces droits démocratiques qui sont la condition de nos luttes. Comme le simple droit à l’affichage, support de la liberté
d’expression, qui est menacé... Les services municipaux du radical Pierre Maudet ont par exemple osé soutenir que ContrAtom était interdit d’affichage « libre » quand il s’agissait d’appeler à une
manif antinucléaire à Berne, parce que celle-ci n’était « pas sur le territoire du canton » et autres bêtises... Quelques semaines plus tard, le lobby électronucléaire se payait une campagne massive
et insidieuse de dénigrement des énergies renouvelables et de promotion du nucléaire… Ceci sur les panneaux payants de la SGA, sans que ce magistrat ne pipe mot. De quoi enrager et réagir – comme
nous l’avons fait en caviardant ces pubs!
Anne-Cécile Reimann (Interviewée par Pierre Vanek)
La faute de
Monsieur
Hortefeux
Edito du 14 septembre 2009
Le Ministre de l’Intérieur (et accessoirement celui des cultes) s’est fait prendre en flagrant délire de blague raciste sur Internet. Il est coutumier du fait.
Fadela Amara comme Azzouz Begag en ont fait déjà les frais. Mais là, c’est un peu plus gênant. Sa fonction actuelle l’oblige à respecter un minimum les convenances. Las, l’ami de 40 ans de Nicolas
Sarkozy a pété les plombs dans la zone de non droit de l’Université d’été des jeunes de l’UMP, en se vautrant dans le racisme le plus abject à l’égard des arabes qui, comme le on le dit dans le
triangle magique "Neuilly-Auteuil-Passy" : "quand il y en a un, ça va, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes".
La bêtise stigmatisante de monsieur Hortefeux ne doit pas être prise à la légère, elle incite à réfléchir au delà de la spontanéité désarmante d’une soirée de
potaches :
1- La sémantique colonialiste perdure dans une grande partie de la classe politique près de 50 ans après la Guerre d’Algérie. De Frèche à
Hortefeux, ces galéjades, ces blagues, sont révélatrices d’une plaie jamais refermée. Les "arabes" , les "musulmans", sont une communauté autre, pas vraiment "française" qui est
envahissante parce que trop nombreuse, trop concentrée, trop "différente" de la bonne vieille France de souche, catholique, culturellement enracinée dans une histoire culturelle, religieuse et
sociale , bien "d’chez nous" ; les bruits et les odeurs de Chirac, l’invasion de Giscard ... La guerre d’Algérie, qui n’a jamais été soldée dans les cœurs et dans les esprits par toute une
génération, n’est décidément pas éteinte. Bien plus. A l’heure où les anciens appelés de cette guerre qui fit un million de victimes chez les algériens, partent à la retraite et reçoivent quelques
subsides pour avoir participé aux tueries, tortures, fusillades, la plaie se ravive dans les familles où l’on a maintenu une omerta sur cette page noire de l’histoire de la République. Le même
phénomène s’était produit à l’égard de Vichy. Durant des dizaines d’années, on a nié le rôle de "l’Etat français" dans la déportation des juifs, jusqu’à ce que les affaires Bousquet et Papon nous
rappellent crûment le rôle de cette France là dans la tragédie de la Shoah. Combien de révélations atroces sur la Guerre d’Algérie faudra- t- il soulever pour que l’imaginaire collectif entame un
travail de mémoire capable de dépasser les clichés racistes et les élucubrations ministérielles ?
2- Les jeunes issus de l’immigration ont reçu comme une claque de plus, l’envolée de monsieur Hortefeux. En soi, cette phrase n’est pas
significative. pour eux c’est de la routine, comme la banalisation des contrôles au faciès, la surenchère des BAC, des polices municipales et nationale, qui font du chiffre en interpellant la
"racaille" qu’il faut nettoyer au Karchër, au Taser et au flash-ball... Sauf que, cette fois- ci, la "beauferie" quotidienne des forces de l’ordre est paraphée par la signature de leur Ministre
de tutelle. La déclaration filmée de leur patron, qu’il s’en défende ou non, se traduira dans les commissariats de quartiers, dans les postes de police de la moindre ville de banlieue par
l’incitation, l’encouragement à la chasse à l’arabe. Si, maintenant, vous tentez d’appeler à en finir avec le tutoiement obligatoire, les insultes racistes et les humiliations, ne soyez pas étonné
que les intéressés vous fassent remarquer que l’exemple vient du haut de la hiérarchie policière. Pour le flic de base, assurément, "c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes"...
3- A force de jouer avec l’électorat du Front national, de le flatter pour le ramener à la maison , on finit naturellement par être
contaminé par son discours. En politique, les mots sont importants. Ils sont même le nerf de la guerre sémantique. Le Pen ne s’y est pas trompé, il est le seul à droite à avoir assumé pleinement les
déclarations du Ministre : "Face au tollé que soulève dans l’opinion la déclaration de Brice Hortefeux qui n’a aucune importance", le leader d’extrême droite y va de sa petite musique :
"petit à petit, l’espace de liberté d’opinion des Français se restreint (...) C’est le temps de la Gepeou, la Gestapo, assez, jamais plus ça". Pour Le Pen, tout cela n’est qu’un détail. C’est ainsi
qu’il a anesthésié la France pendant 30 ans, en distillant la haine tranquille des blagues du Café du Commerce où l’on rigole entre copains de beuverie des arabes et des noirs. J’attends avec
impatience ce que dira de Villiers sur cette affaire. A force de vouloir ramener au bercail l’électorat d’extrême droite, de fréquenter des publics baignant en permanence dans cette boue nauséabonde
de propos racistes, chaque jour répétés comme des évidences, on finit par se lâcher naturellement. Ce que l’on appelle le "politiquement correct" a deux volets : sa face publique où il s’agit de
prôner "l’intégration", "la fraternité entre les français de toutes origines"... Et la face cachée, celle des militants et de l’électorat de l’UMP et du Front qui considèrent qu’un bon arabe est un
arabe invisible ou bien encore un boy de Marrakech ou de Djerba. La lepénisation des esprits n’est pas simplement un slogan de campagne, mais une réalité une fois de plus soulignée par la
désinvolture du Ministre de l’Intérieur.
4- Avant d’être Ministre de l’Intérieur, Hortefeux inaugura ce Ministère de la Honte qu’est le Ministère de l’Immigration et de
l’Identité nationale. Il faudra un jour faire le procès de cette époque de rafles au petit matin, de sans-papiers qui se défenestrent pour échapper aux camps de rétention où l’on enferme des enfants,
de cette chasse à l’homme à Sangatte, de ces Roms marqués comme du bétail dans l’Essonne, de ces expulsions à répétition dans des avions d’Air France où des immigrés menottés et humiliés sont
reconduits dans leur pays à côté de passagers qui baissent les yeux parce qu’ils ont honte pour leur pays... Nous n’avons pas fait grand chose pour empêcher cette descente en enfer qui a sali les
valeurs inscrites au fronton de la République. Il a fallu attendre la "blague" de Hortefeux pour que son successeur, Eric Besson, annonce l’abandon de l’empreinte ADN, pour raisons techniques et non
de principe ! Tout cela pour détourner l’attention de l’opinion et sauver le soldat Hortfeux ! Quelle bassesse. Mais aussi, quelle leçon pour cette gauche qui, des lois Chevènement en lois
Vaillant, avait préparé le terrain à ce déferlement de pratiques et de propos orduriers.
Faut-il demander la démission de Hortefeux ? Ce serait logique, puisqu’il n’a pas moins fauté que le préfet Girot de Langlade mis à la retraite d’office pour des
propos similaires. Mais là n’est pas l’important. L’important est justement de dresser l’acte d’accusation de cette période noire de la République. La gauche ne reviendra au pouvoir que si elle
décide d’en finir avec la relégation d’une partie des classes populaires, celles qui ne sont pas blanches de peau. La lutte contre les discriminations doit devenir une caractéristique génétique de la
gauche. On en est loin lorsqu’on entend les jeunes quadras, comme Manuel Valls, s’inquiéter du nombre de " blancs, white, blancos " dans sa bonne ville d’Evry, ou que l’on s’apprête à
reconduire Frêche comme tête de liste dans le Languedoc-Roussillon... Hortefeux peut encore dormir tranquillement sur ses deux oreilles.
PS. Conformément à ce que j’écrivais la semaine dernière, Nicolas Sarkozy a présenté son projet de taxe carbone en exonérant de fait les
grandes entreprises polluantes, en donnant un prix ridiculement bas (17 euros la tonne), en laissant à une commission bidon le soin d’organiser les modalités de la compensation sociale tout en
excluant le nucléaire de la taxe... Inefficace et inégale, cette taxe n’a rien à voir avec la nécessaire lutte contre le réchauffement climatique. Sarkozy a essayé de faire porter le chapeau aux
écologistes, un de ses porte-flingues, Thierry Mariani, allant jusqu’à demander que l’on nomme "taxe Hulot", ce faux-semblant de contribution climat-énergie. La révolution verte dont s’est targué le
président de la République n’est encore une fois que de l’esbroufe.
Déclaration du Conseil National de Gauche Unitaire :
Cette rentrée 2009 place le monde du travail, le mouvement social, le peuple de gauche devant des défis aggravés.
À l’inverse de ce que prétendent gouvernements et experts médiatiques, la crise est loin d’être terminée.
Si, conjoncturellement, les plans de relance mis en place par les États pour sauver les banques et des branches entières d’activité ont permis une
embellie des indices économiques pour les derniers mois, rien n’est pour autant réglé.
Le système financier international n’est pas assaini, le chômage s’accroît partout dramatiquement, actionnaires et grands patrons multiplient les
plans de licenciements et exercent une pression à la baisse sur les revenus des travailleurs, les jeunes arrivent en masse sur un marché du travail en rétraction…
Leur crise n’est pas finie
Décidément, ce n’est pas la fin de la crise du capitalisme. Parce que cette crise est systémique, qu’elle est celle de toute une étape de l’histoire
du capitalisme, qu’elle frappe en d’autres termes le mode d’accumulation qui prévalait ces dernières décennies, qu’elle entraîne avec elle un modèle néolibéral tendant à une marchandisation
généralisée, des mots et des choses, des corps et des esprits, de la nature et de la culture. Parce qu’elle est globale, touchant tous les pays et tous les secteurs de l’économie. Parce que les
classes possédantes se révèlent impuissantes à trouver une alternative à l’ultralibéralisme désormais en faillite patente. Parce qu’elle révèle l’âpreté d’une crise écologique qui menace la planète
de nouvelles famines, voit l’eau se raréfier et le climat se réchauffer. Parce qu’elle s’accompagne de l’effondrement de l’hégémonie de l’hyperpuissance américaine, appelant de nouveaux rapports de
force mondiaux et de nouvelles hiérarchies de dépendance, au prix de la montrée en puissance des concurrences et affrontements entre nations et multinationales. Parce qu’elle est annonciatrice de
tensions et de guerres en divers points du globe, du sous-continent indien au Proche-Orient, du Caucase à l’Afrique. Parce qu’elle se traduit un peu partout par de nouveaux reculs de la démocratie,
justifie les pires manipulations des opinions, entraîne atteintes aux droits sociaux et aux libertés syndicales, génère dérives racistes et sécuritaires.
Si l’avenir est menaçant pour les peuples, les profiteurs n’ont rien abandonné de leur rapacité. Finis les discours d’hier, au sommet du G 20, où les
leaders des grandes puissances se posaient en moralisateurs de la finance : leur grande frousse de l’automne 2008 à peine surmontée, voilà que les banques provisionnent des bonus faramineux pour
leurs traders !
Le scandale est énorme : les banques, pour être sauvées de la faillite, ont reçu en urgence des capitaux de la part des États, c’est-à-dire des
fonds publics, sans nationalisations ni même prise de contrôle sur leurs directions. En dernier ressort, ce sont donc les salariés qui ont ainsi payé une première fois le prix de la crise. Ils la
payent une seconde fois en subissant la multiplication des licenciements, le chômage et toutes les régressions sociales que génère la récession. Et ils la paieront une troisième fois, puisque, faute
de réponse réelle à la crise, les pouvoirs en place ne sont capables que d’une fuite en avant : accroissement de l’endettement public, cadeaux aux plus puissants…
Mettre en échec Sarkozy et son gouvernement
En France, la politique de Nicolas Sarkozy et de son gouvernement, inébranlablement appuyée par le Medef, illustre cette volonté des possédants de
faire payer la crise au plus grand nombre. Cette droite, qui s’est installée aux affaires voici deux ans, peut bien de temps à autres, pour calmer les inquiétudes et la colère de l’opinion, prétendre
mettre au pas les banquiers et les spéculateurs. En pratique, elle poursuit sans relâche ses entreprises de refonte réactionnaire de la société et du champ politique. C’est plus que jamais une
révolution néoconservatrice à la française qu’elle entend faire triompher.
L’ensemble des acquis sociaux, hérités de décennies de luttes progressistes, sont systématiquement remis en cause, du droit à la retraite aux
services public, de la durée du travail au travail le dimanche, en passant par le droit du travail lui-même. Les inégalités sociales flambent comme jamais. Même la « taxe carbone », loin de
répondre à la question écologique, sera l’occasion d’imposer à la population laborieuse de nouveaux prélèvements, dans le même temps où l’on épargnera les firmes pollueuses comme Total, où l’on
poursuivra l’amputation des budgets sociaux et où l’on multipliera les cadeaux aux plus riches contribuables. Les libertés fondamentales sont remises en question, les principes de la laïcité sont
attaqués, les droits syndicaux se révèlent de plus en plus bafoués, les immigrés se voient toujours davantage transformés en boucs-émissaires des maux de la société, la justice est mise au pas. La
concentration des pouvoirs au sommet de l’État atteint un niveau inégalé sous une V° République pourtant congénitalement antidémocratique. La prétendue réforme des territoires et collectivités
locales vise à éloigner toujours davantage les citoyens des centres de décision. L’information et les médias se retrouvent sous la tutelle de puissants groupes financiers alliés de l’Élysée. L’armée
française réintègre le commandement de l’Otan et participe activement aux aventures guerrières de l’administration américaine, à commencer par celle d’Afghanistan.
Pour livrer cette guerre de classe tous azimuts et préparer dans les meilleurs conditions les rendez-vous électoraux à venir, Sarkozy continue de
réorganiser la droite autour de lui. En élargissant sa majorité à de Villiers et à ses alliés du « parti des chasseurs », il cherche à conforter sa conquête de l’électorat d’extrême droite.
Dans le même temps, occupant tout l’espace politique et profitant de la tétanie dans laquelle son opposition parlementaire se trouve plongée, il entreprend de casser une gauche écartelée entre son
aile anticapitaliste, elle-même handicapée par ses divisions, et ses secteurs sociaux-libéraux qui cherchent leur salut au centre.
Tout doit être mis en œuvre pour faire reculer cette droite de combat et la battre. C’est parfaitement possible ! Si le pouvoir a su garder
l’initiative et unifier son camp autour d’un projet cohérent de régression sociale et démocratique, il n’est pas aussi fort qu’il en donne l’image. Les gigantesques mobilisations des derniers mois
ont amplement attesté d’une volonté bien plus puissante, potentiellement, que la sienne : le salariat, soutenu par une très large majorité de l’opinion, n’accepte pas la politique dont il est la
victime désignée. Il sait qu’il lui faut se battre et il a démontré qu’il y était prêt. Malheureusement, en dépit des millions d’hommes et de femmes rassemblés dans la grève et dans la rue, le
mouvement social a fini par butter sur deux obstacles qu’il est urgent de chercher à lever.
La constitution de l’intersyndicale, inédite depuis longtemps, a permis d’appeler aux confrontations massives et exemplaires du premier semestre.
Elle n’a pourtant pu se traduire en une plate-forme de revendications unifiantes pour toutes les catégories de la classe travailleuse, ou en une stratégie de convergence vers le « tous
ensemble » qui, seule, pourrait permettre de gagner. Les journées d’action à répétition ont fini par perdre leur force d’entraînement. À l’heure où le patronat en appelle à la
destruction,« en urgence » dit même Parisot, de la retraite par répartition, et où un gouvernement à son service annonce une nouvelle attaque sur ce terrain pour l’année prochaine,
le risque est grand que le monde du travail reste paralysé, sans perspective à la hauteur de cette provocation. Il serait dramatique que les travailleurs d’entreprises en butte aux plans de
licenciements demeurent isolés, contraints à se battre le dos au mur, comme ils l’ont fait le plus souvent durant l’été. Ou que les échéances qui s’annoncent, par exemple le 4 octobre sur la question
des services publics et de La Poste, ne s’intègrent pas à un plan de mobilisation global. Il appartient aux syndiqués et aux salariés de s’emparer maintenant du débat sur les revendications à mettre
en avant, sur les modalités d’une action unifiante et prolongée, sur la construction d’une unité dynamique à même d’assumer l’affrontement avec le patronat et les gouvernants.
La levée en masse du salariat a pâti de l’absence d’alternative à gauche. La perspective politique qu’attendent les salariés et le peuple ne saurait
consister à préparer 2012 en ne se préoccupant que de la désignation de celle ou de celui qui affrontera Nicolas Sarkozy au second tour de la présidentielle. Elle doit partir des problèmes que
rencontre le plus grand nombre, des choix de société qu’ils révèlent au quotidien, des exigences qui montent de la société pour proposer une politique à même de donner confiance aux luttes, de
favoriser l’essor d’un puissant mouvement social, d’affirmer une force apte à la faire triompher, dans la rue, par la grève et aux élections.
La gauche menacée de désagrégation
Tel n’est pas, chacun le constate, le choix vers lequel s’oriente la majorité du Parti socialiste.
Alors que la crise rend plus indispensable que jamais une réponse anticapitaliste cohérente, que les périls s’accumulent sur la scène internationale,
que le sarkozysme ne tire sa capacité de nuisance que de la faiblesse de ses opposants et des difficultés du mouvement social, la voilà qui s’oriente vers une alliance avec le Modem, perspective
également portée par Europe écologie et Daniel Cohn-Bendit. Dans le même temps, ses barons ne trouvent à s’entredéchirer qu’à propos de l’organisation de « primaires » pour 2012.
Cette évolution menace la gauche tout entière d’une authentique catastrophe.
L’alliance avec cette fraction de la droite qu’incarne Bayrou ne peut en effet se réaliser que dans la soumission aux exigences capitalistes. Elle
générera de la confusion, divisera et désarmera cette majorité de la population qui a soutenu les journées des 29 janvier, 19 mars et 1° Mai. Elle ne peut répondre à aucune des attentes qui
s’expriment au sein de la société. Elle conduira donc inévitablement à une défaite similaire à celle qui a vu la disparition de la gauche italienne face à Berlusconi.
Quant aux « primaires », loin de traduire un souci démocratique de nature à favoriser la prise en charge de la réflexion sur les
perspectives politiques par le peuple de gauche, elles accroîtront la personnalisation du débat public, accélèreront les phénomènes de polarisation au centre et soumettront un peu plus la principale
composante de la gauche aux travers présidentialistes, exacerbés sous Sarkozy, de la V° République. Autrement dit, elles induiront un nouveau glissement à droite majeur du PS et de la vie politique
française.
C’est une spirale suicidaire dans laquelle se sont irréversiblement engagés les dirigeants du PS. Ils en viennent même à oublier que la crise qu’ils
affrontent résulte d’abord de leur ralliement à ce néolibéralisme qu’ils ont appliqué avec constance à chaque fois qu’ils ont accédé aux affaires depuis 1981. Martine Aubry a pu, à l’université d’été
de La Rochelle, infléchir à gauche son discours, la réalité l’aura vite rattrapée, le PS étant toujours aussi incapable de s’opposer sur le fond à la politique de Nicolas Sarkozy.
En procédant comme elle le fait, la direction socialiste pousse en réalité les feux de la mutation de son parti en une force démocrate qui, à
l’exemple de l’Italie, de la Grande-Bretagne ou de l’Allemagne, tourne définitivement le dos à l’héritage du mouvement ouvrier et à la tradition du socialisme historique elle-même. Ce renoncement pur
et simple au combat du changement social et à la défense des intérêts populaires mène le PS à n’être plus perçu, comme l’avouait durant l’été l’une de ses figures, que comme un « élément du
système ».
Pour battre une droite sûre d’elle-même et arrogante, il faut au contraire une gauche déterminée, refusant les prétendues « ouvertures » au
centre, défendant sans atermoiements une proposition de rupture avec le système. Une gauche qui tire sa force de son indépendance revendiquée envers un Parti socialiste qui ne peut nous mener qu’à
des défaites en série. Une gauche qui s’emploie à faire renaître l’espoir.
Poursuivre, enraciner, élargir le Front de gauche…
La campagne menée par le Front de gauche à l’occasion des européennes est un point d’appui en ce sens.
Malgré les difficultés de la situation, en dépit de l’abstention populaire et de la division de la gauche de gauche, le Front de gauche a suscité un intérêt important, en
particulier chez de nombreux animateurs du mouvement syndical ou associatif, ce qui lui a permis de mener une campagne dynamique et d’obtenir un résultat électoral non négligeable.
La démarche alors suivie par le Parti communiste, le Parti de gauche et la Gauche unitaire est à présent la seule à même de bouleverser les rapports
de force au sein de la gauche, d’y contester la domination du PS, de réunir les conditions d’une majorité politique ouvrant la voie à une transformation radicale de la société.
Voilà pourquoi le Front de gauche doit devenir une réalité durable. Une force qui compte parce qu’elle rassemble des partis, des organisations, des
courants, des secteurs du mouvement social, des citoyens et citoyennes en quête d’alternative, dans le respect des identités des uns et des autres.
Voilà pourquoi il lui appartient de se tourner vers l’ensemble du peuple de gauche et du mouvement social, de soumettre ses propositions pour les
luttes et les élections à la plus large discussion publique, de faire ce faisant la démonstration qu’il existe à gauche deux approches opposées, donc que la réédition en pire des calamiteuses
alternances du passé n’a rien d’inévitable.
Voilà pourquoi il doit lui-même s’enraciner et s’élargir : aux socialistes ou écologistes qui n’entendent pas renoncer à leurs
valeurs ; au NPA et aux militants de l’extrême gauche qui constatent que la division de la gauche de gauche mène au désastre ; aux Alternatifs et aux composantes de la Fédération qui
le souhaitent ; aux acteurs sociaux qui aspirent à disposer d’une perspective d’ensemble ainsi qu’aux citoyens ou citoyennes en quête d’alternative…
… dans les luttes et dans les élections
Voilà pourquoi il doit, d’un même mouvement, s’affirmer dans les mobilisations des prochains mois et faire des futurs rendez-vous électoraux, à
commencer par celui des régionales de mars 2010, autant d’occasions de démontrer qu’il existe une nouvelle perspective à gauche, libérée des impasses du social-libéralisme.
Moins que jamais, pour cette échéance électorale, il ne sera possible de dissocier enjeux nationaux et locaux. Sarkozy cherchera à y obtenir un
succès qui confortera sa légitimité, lui octroiera des marges de manœuvre supplémentaires pour mener ses entreprises réactionnaires, lui permettra d’accélérer la mise en œuvre de sa contre-réforme
des collectivités territoriales et de l’État, lui dégagera la voie de sa réélection. Dans le même temps, à la tête de nombreuses régions conquises à gauche en 2004, se négocient d’ores et déjà de
futures alliances de gestion entre le PS, Europe écologie et le Modem. Les choix politiques qui se confrontent à l’échelon national se répercuteront donc directement à celui des conseils
régionaux.
Pour battre réellement la droite en mars 2010, il faut battre sa politique, donc offrir aux résistances sociales un point d’appui essentiel, se
mettre résolument au service du bien commun et de la population, refuser de s’inscrire dans les logiques de la marchandisation et de la soumission aux intérêts dominants. Une vraie politique de
gauche dans les régions devra, par conséquent, marquer sa rupture avec les gestions sociales-libérales de la mandature passée, lesquelles aboutissent à présent aux alliances contre-nature avec le
centre. C’est au suffrage universel de trancher entre les deux orientations qui traversent la gauche.
Il est, pour cette raison, indispensable d’aboutir à la présentation, au premier tour de ces régionales, de listes autonomes du Front de gauche,
constituées avec toutes les organisations qui, ne se retrouvant pas nécessairement au sein de celui-ci, convergeraient sur le même programme de rupture avec le libéralisme à la tête des régions.
Au second tour, dans l’objectif de battre la droite et de conserver à gauche la majorité des régions, celles-ci devront rechercher la fusion avec les
autres listes de gauche, dans le respect de l’indépendance politique des unes et des autres, sur la base des résultats respectifs de chacune au premier tour, et sans accord avec le Modem.
Un débat est en outre ouvert, au sein de la gauche de gauche, à propos de la participation aux exécutifs des régions qui, à l’issue du scrutin,
resteraient dominées par le Parti socialiste. Cette question ne saurait cependant constituer un préalable conditionnant la formation de listes unitaires au premier tour.
Affirmer une gauche de gauche, il n’y a pas de plus grande urgence !
ÉCOLOGIE POLITIQUE,
ANTICAPITALISME ET ÉMANCIPATION
lundi 24 août 2009
(1ère partie)
*La convergence fondamentale entre écologie politique et
anticapitalisme
Un monde autodestructeur se profile depuis une cinquantaine d’années :
destruction des équilibres écologiques jusqu’au risque
de détruire l’environnement planétaire (climat, biosphère, écosystèmes, etc) qui permet la vie depuis la flore jusqu’à l’espèce humaine (pollution, épuisement des ressources naturelles, guerres,
etc) ; - détérioration croissante de la santé humaine menaçant de sa dégénérescence biologique et physique (misère, pollution, manipulations génétiques, sida, virus, malnutrition, malbouffe,
psychotropes, etc) est une tendance lourde désormais pesante ;
destruction ou dégénérescence de la diversité des civilisations : relations, solidarités
et luttes collectives, individualité psychique, droits sociaux et services publics. Ces deux derniers aspects font l’objet de combats du mouvement social. Mais au-delà, c’est tout le patrimoine
culturel accumulé par l’humanité depuis son apparition qui est menacé d’une régression généralisée. Cette crise de civilisation est moins reconnue et combattue. Elle concerne directement la question
écologique. Elle annonce une nouvelle barbarie ou un nouveau totalitarisme, dont la destruction de la nature est un des aspects.
N’en déplaise aux sinistres autruches du genre Allègre, il n’y a là aucun catastrophisme mais une réalité criante largement observable. Ces trois types
d’autodestruction résument les grandes formes de rapports sociaux et humains : rapport transformateur des hommes à la nature et au monde matériel en général (production, création, destruction),
et rapport des hommes entre eux à travers leurs institutions, leurs différence sociales et leurs échanges symboliques (« lien social », « reproduction des rapports sociaux »).
Sans oublier le rapport ignoré de chaque homme à soi-même, dans ses structures psychiques conscientes, imaginaires et inconscientes. Ces trois types de rapports sont à la fois distincts et
indissolublement interpénétrés dans la réalité humaine et sociale.
Le capitalisme est l’actuel et principal responsable de cette catastrophe annoncée. Mais il ne l’est pas uniquement. Le productivisme destructeur pourrait tout
aussi bien appartenir à une autre forme de société, les pays dits socialistes l’ont largement montré. Bien des formes de domination, y compris celles de la nature (en « devenir maîtres et
possesseurs », Descartes), ont préexisté au capitalisme, à commencer par celle de la domination de l’homme sur la femme. Par ailleurs, rien n’assure qu’une société plus juste dans la répartition
des richesses et la recherche de l’égalité ne se livrerait pas à une production et une consommation, via une innovation technologique débridée, dangereuses pour la planète et l’humanité. Il n’est que
de se reporter à la théorie marxienne du développement des forces productives comme moyen d’un communisme libérateur. Utopie productiviste et technologique que le capitalisme nous sert tous les jours
et que les partis de gauche continuent de relayer d’une manière ou d’une autre, quelle que soient leurs crédos écologistes pour ratisser des voies vertes (telle M. Aubry évoquant un
« post-matérialisme »).
La gauche anticapitaliste et les écologistes.
Il faut d’abord distinguer entre écologies scientifique et politique. A l’origine, l’écologie est une science créée par le biologiste E. Haeckel (1834 - 1919) qui
étudie les interactions des êtres vivants avec leur milieu physique - naturel ou fabriqué, et aaussi entre eux. Cette totalité consiste en écosystèmes plus ou moins stables ou en équilibre. Vieille
de plus d’un siècle, cette science s’est diversifiée en plusieurs sous-disciplines spécialisées. Elle intègre d’autres sciences comme la biochimie, la géologie, la géographie, la démographie,, la
climatologie. Un minimum de connaissances dans ce domaine semble indispensable à qui se soucie d’écologie. L’écologie politique est née de l’alerte envoyée par
l’écologie scientifique sur les menaces de détérioration ou de destruction des écosystèmes et de la biosphère. Elle a aussi pour origine des points de vue philosophiques et anthrropologiques de vie
harmonieuse avec la nature (C. Thoreau – 1817 – 1862 - en serait le précurseur européen et aurait prononcé en premier le terme d’écologie conjointement à celui de désobéissance civile). En troisième
lieu, est née une branche écologique de la discipline économique à partir de N. Georgescu-Roegen (1906 - 94), créateur du concept de décroissance, afin de contrecarrer un inévitable épuisement des
ressources naturelles.
Une certaine humilité paraît indispensable pour les héritiers de la gauche anticapitaliste qui désirent intégrer la nécessité écologique à leurs luttes et à leurs
projets de transformation politique et sociale. Sans perdre leur autonomie de pensée et sans hésiter à porter des critiques à la pensée écologique diverse, il serait peu crédible que les
organisations qui ne se préoccupent de l’écologie que depuis quelques années se prétendent experts en la matière. Ainsi ne tirera t-on pas grand chose de Marx du côté des principes écologiques, guère
plu de la littérature marxienne, à quelques exceptions prês, et pratiquement rien de celle des partis communistes. On ferait donc mieux d’aller puiser aux sources. Depuis N. Georgescu-Roegen jusqu’à
S. Latouche, en passant par I. Illitch, R. Dumont ou A. Gorz, comme bien d’autres contemporains tels E. Beck ou P. Ariès, il y a de quoi puiser largement des points de vue critiques et politiques
pertinents sans réinventer le fil à couper le beurre ni faire allégeance.
Les Verts radicaux, les objecteurs de croissance, et certains partisans de la décroissance militent depuis des décennies en liant l’écologie et l’anticapitalisme.
Sans oublier les Alternatifs qui ont intégré l’écologie à leur combat pour la transformation sociale et politique depuis une vingtaine d’années. Par conséquent, avant de commencer par la critique des
points de vue écologistes divers, il conviendrait plutôt d’étudier les idées et les propositions qu’ils partagent, et avant tout les plus fondamentales, comme l’abandon du productivisme et de la
croissance économique. A cette condition, les anticapitalistes, marxistes ou non, seront légitimés à créer éventuellement leur propre point de vue de l’approche écologique en l’intégrant dans la
rupture avec le capitalisme.
Avant d’aborder ce dernier point, j’esquisserai le fond commun de la pensée écologiste qui me semble indispensable à tous les anticapitalistes. Après moultes
négations plus ou moins intéressées, il est aujourd’hui admis que la biosphère, les écosystèmes et donc les espèces jusqu’à l’homo sapiens sont menacés de destruction ou de dégradation irréversible.
Composé de plus de mille scientifiques interdisciplinaires, le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a été créé en 1988. Répartis sur tout le globe, ils étudient les
risques liés aux changements climatiques d’origine humaine, et les conséquences de ces changements. Leur quatrième rapport publié en novembre 2007 est sans appel : l’émission de gaz à effet de
serre, principalement de CO2, engendrés principalement par la production industrielle et la consommation de masse d’un quart des pays du monde, augmentent dangereusement. Cela entraîne un
réchauffement climatique qui menace la planète de cataclysmes et de destruction du vivant. Les vingt prochaines années sont l’horizon de ce risque irréversible pour prendre les mesures nécessaires
afin de préserver les conditions d’existence bio-écologiques avec des températures soutenables.
A cette alerte la plus imminente s’ajoutent les travaux de centaines d’écologistes scientifiques qui font état des conséquences destructrices d’origine humaine
par les pollutions et les productions toxiques ou pathogènes innombrables qui font d’ores et déjà disparaître des milliers d’espèces de la faune et de la flore, et en menace des milliers d’autres à
court et moyen terme. Ce qui a déjà des conséquences désastreuses sur la santé et la vie des êtres humains. Les équilibres écologiques sont destructibles et donc menacés d’être rompus. Le meilleur
résumé de cette tendance immédiate est qu’il faudrait quatre à cinq planètes terrestres pour faire supporter à toute celle dont nous disposons la production et la consommation actuelle d’un tiers de
l’humanité. Et déjà, il en faudrait une et demi pour ce qui est produit et consommé aujourd’hui.
Les principes et mesures fondamentales issues d’une écologie anticapitaliste.
Depuis une cinquantaine d’années, les écologistes de tous courants politiques ou associatifs ont porté l’action contre ces menaces, souvent sans ou contre les
partis de gauche. Il leur revient d’en avoir fait prendre conscience aux populations mondiales et de d’avoir contraint les multinationales et les gouvernements des pays industrialisés à prendre des
mesures, même largement insuffisantes. Pour ne prendre que cet exemple, la lutte courageuse engagée contre les OGM s’est aussi faite par les écologistes sans et parfois contre les partis de la gauche
dite plurielle. C’est aussi aux divers courants écologistes que l’on doit un ensemble de propositions pertinentes pour éradiquer ces dangers de destruction annoncée. On assimile trop souvent les courants écologistes à leur composante adaptatrice incarnée en France par les Verts et leur participation aux gouvernements sociaux-libéraux(sans s’y
étendre ici, il semble que ce soit plus hétérogène en ce qui concerne les listes politiques et associatives d’Europe-écologie - voir Libération, 18/08/09). La plupart des écologistes sont conscients
qu’il y a un lien entre le productivisme, les inégalités et la misère mondiale. Mais ils ne mettent pas en avant le capitalisme comme le principal responsable actuel de ces maux, ils ne proposent pas
de mesures radicales susceptibles de rompre à la fois avec le capital et avec le productivisme, et ils privilégient soit la voie des réformes de compromis avec les pouvoirs établis de droite comme de
gauche, soit celle du changement des comportements individuels.
L’alternative ne peut faire aucun doute pour la gauche anticapitaliste : il faut abandonner toutes les industries mortelles, polluantes et toxiques. Il faut
transformer les modes de production, de distribution et de consommation, et il faut réduire ou bloquer tous les facteurs de réchauffement climatique, de pollution et de maladies : taxation puis
recyclage des industries polluantes de la chimie et de l’agroalimentaire, notamment abolition des élevages hyperindustriels bovins, porcins, ovins et de volailles ; moyens financiers et humains
redirigés vers la recherche et l’exploitation optimale des énergies renouvelables ; abandon de l’énergie nucléaire ; principe de précaution sur toutes les démarches biotechnologiques ;
réduction drastique ou abandon des pesticides, nitrates et autres engrais toxiques ; promotion de l’agriculture biologique comme principale source de nourriture ; relocalisation des
exploitations agricoles et abaissement considérable de leurs exportations et des distances de transport ; repeuplement des campagnes désertifiées, notamment par une augmentation des exploitants
agricoles ; politique écologique urbaine, dont la construction de logements sociaux économes en énergie et le transfert du transport automobile sur les transports en commun sont une pierre de
touche. Ce catalogue est loin d’être exhaustif et bien d’autres mesures sont avancées et nécessaires.
Depuis une trentaine d’années, l’écologie politique radicale – parmi lesquels des marxistes non dogmatiques - ne s’est pas contentée de combattre sur le seul plan
écologique. Elle a affirmé le lien entre capitalisme et productivisme (ce qui permet le pluralisme de ces courants dans la Fédération, et au-delà dans un rassemblement anticapitaliste). Elle a avancé
des mesures de rupture avec le capitalisme. J’en propose ici la synthèse de cinq principes partageables entre écologistes et anticapitalistes.
Le premier principe consiste à supprimer ou réduire la production et les consommations individuelles et collectives nuisibles pour l’environnement et la santé des
êtres vivants. Par exemple, les populations nord-américaines et européennes consomment en moyenne entre 4000 et 2500 calories par jour, alors que 2000 sont de l’ordre de la moyenne diététique requise
pour une alimentation normale. Parallèlement, la consommation des biens et des services serait diriger vers plus d’utilité sociale et de services publics. Une réflexion et un débat collectif serait
engagé pour restructurer les modes de consommation individuelle qui privatisent et atomisent les individus et font obstacle aux solidarités et aux relations collectives. Ainsi, la transformation des
modes de consommation vise à empêcher que le temps des satisfactions par les biens matériels et les loisirs n’envahisse la totalité du champ des activités humaines et du temps libre.
Le deuxième principe conduit à la réduction du temps de travail salarié qui dégage le temps libre nécessaire à l’épanouissement et à l’émancipation individuelle
et collective. J. M. Keynes prévoyait que le lointain aboutissement de ses principes de régulation économique conduirait à un minimum nécessaire de 15 heures de travail hebdomadaire par personne
adulte. A. Gorz a fait en 1972 la démonstration économique selon laquelle 20 heures hebdomadaires de travail également partagés en recyclant les industries nuisibles équivaudrait à une quantité
confortable de biens et services produits.
Le troisième principe est celui d’un revenu d’existence pour toutes et tous déconnecté de l’emploi et d’un plafonnement des plus hauts revenus. Cela éliminerait
la confusion entre la valeur du travail et la domination du marché de l’emploi par le capital. Cela ouvrirait la possibilité de partager les travaux sociaux nécessaires mais néanmoins peu
intéressants, et celle de se former à des activités sociales ou individuelles émancipatrices. Le revenu d’existence est homologue de la revendication anticapitaliste de justice et d’égalité sociales,
et au projet marxiste et libertaire d’abolition du salariat.
Le quatrième principe est celui des biens communs non marchandisables que sont l’air, l’eau, les énergies fossiles, les matières premières naturelles, les
produits agricoles de base. Ces biens qui devraient être communs et également partagés sont aujourd’hui sous la coupe des industries multinationales qui en ont la propriété et qui en contrôlent les
marchés avec l’aide des gouvernement libéraux et socio-libéraux. Il en va de même pour les institutions de santé et d’éducation nationale dont l’Omc préconise la privatisation (Agds). L’application
d’un tel principe ouvrirait en outre un champ immense pour la démarchandisation des échanges sociaux et la gratuité de bien et de services partageables par tous les citoyen-ne-s. Décréter que tous
ces biens et produits sociaux devraient être communs, gratuits et non marchandisables est homologue avec l’appropriation et la gestion collectives de ces biens et de leurs entreprises.
Le cinquième principe pose la nécessité d’une participation ou d’une intervention volontaires des citoyens dans l’administration publique de toutes leurs affaires
à tous les niveaux, et dans l’élaboration et la décision politiques. Cela équivaudrait à une nouvelle forme de travail d’utilité sociale. Dégager le temps indispensable à une société autogestionnaire
est à la condition pour que la démocratie ne soit pas détournée par la délégation de pouvoir à des politiciens professionnels, au capital et au marché. Cette création d’une démocratie « poussée
jusqu’au bout » est homologue avec le projet anticapitaliste d’un pouvoir du peuple par le peuple.
Décroissance ou « acroissance » économique.
Que ce soient dans nos rapports à la nature, entre hommes ou avec soi-même, qu’attend-on, individuellement et collectivement, de l’humanité ? Que veut-on
faire du monde, collectivement et individuellement ? Ce n’est pas d’abord une question économique ni écologique, mais une question politique et symbolique, c’est-à-dire celle de la façon dont
les sociétés – ou une partie dominante d’entre elles - veulent s’organiser et donner du sens à leur vie, qui soit émancipateur pour l’humanité.
L’économie est un moyen indispensable pour servir ces fins, mais non une fin en elle-même. S’il est nécessaire d’abolir un grand nombre d’industries nuisibles,
aucune science économique ne pourra décider de l’ampleur d’une nécessaire « désindustrialisation » et relocalisation de la production. L’écologie est une fin nécessaire mais pas suffisante.
S’il est indispensable de respecter et préserver la nature, il n’en reste pas moins nécessaire de prélever des ressources énergétiques ou des matières premières, de couper des arbres ou de tuer des
animaux pour la survie de l’humanité, à moins de revenir à une vie uniquement champêtre (voir le film « La belle bleue »). Aucune science économique ou écologique ne pourra décider jusqu’où
on peut aller dans des destructions inévitables, avec un monde de dix milliards d’habitant-e-s et plus. Il s’agira toujours de décisions politiques, elles-mêmes déterminées à la fois par les
conditions écologiques et économiques d’existence, par les rapports de forces politiques, et par les finalités que l’humanité - ou une partie dominatrice d’entre elle – voudra se donner. D’où la
nécessité d’un débat public sur une visée ou un projet de société.
S’il est impérieux de réduire drastiquement l’émission de gaz à effets de serre, le maximum de pollutions et les facteurs pathogènes pour le vivant, faut-il pour
autant viser une décroissance totale ? Deux ambiguïtés sont ici à lever. D’une part, aucun écologiste ni aucun anticapitaliste ne nie que les nuisances destructrices doivent décroître ou être
abolies. Une forme et un niveau important de décroissance semble donc écologiquement requis. D’autre part, c’est d’abord contre le type de croissance du productivisme et de la marchandisation que
l’idée de décroissance est née, à la fois pour protéger l’environnement et pour désaliéner la consommation marchande. Ce type de croissance est à bannir, mais il faudrait également cesser ou ralentir
toute croissance économique.
Mis à part quelques intégristes nostalgiques des communautés de vie champêtre et artisanales, l’idée de décroissance est le plus souvent prise au mot et
caricaturée. S. Latouche et d’autres ont précisé qu’il s’agissait moins d’un objectif totalisant que d’un slogan destiné à attirer l’attention et à « décoloniser les imaginaires ».
Cocréateur du journal « la décroissance », P. Ariès a proposé le terme « d’accroissance » pour pallier à ses inconvénients symboliques. Les « décroissants » ne nient
évidemment pas qu’il faudra augmenter la consommation pour les milliards d’êtres humains vivant au dessous ou au à peine au-dessus du minimum vital. Mais ils refusent d’appeler cela croissance
économique. En même temps, ils attirent notre attention sur la surconsommation de millions de personnes appartenant aux couches moyennes supérieures. Il faudra bien que celles-ci réduisent
sensiblement leur niveau de vie, à la fois pour protéger l’environnement et pour être solidaires des plus défavorisés.
Les décroissants dénoncent également la course aux profits et les inégalités sociales qu’elle produit, mais ils n’en font pas le point de départ de leur position,
qui est celle de l’antiproductivisme. De même qu’ils ne nient pas que les moyens nécessaires à la protection de la planète et de la santé du vivant, ainsi de tout ce qui peut être utile au bien-être
de l’humanité, devraient aussi croître . Enfin, ils attirent l’attention sur l’idée que le productivisme n’est pas l’unique apanage du capitalisme. Ils donnent les exemples des désastres écologiques
produits par les pays à direction communiste, du productivisme subsistant dans la mouvance anticapitaliste, et du comportement consommatoire et non écologique de la plupart des militants politiques,
syndicaux et associatifs. Enfin, ils sont pratiquement les seuls à critiquer l’aliénation symbolique produite par le marketing et la publicité.
A partir de cette base différenciée, le débat est plus que souhaitable avec les mouvements qui se réclament de la décroissance. Leur place dans un rassemblement
écologiste et anticapitaliste est ouverte. La question va bien au delà de ce qui devrait « croître ou décroître », mais concerne le contenu et le niveau de la production industrielle, dont
il paraît raisonnable de penser qu’on ne pourra la remplacer par un artisanat local unique. Elle concerne aussi l’énorme champ des biens et des services qu’une humanité libérée voudrait abolir,
maintenir ou multiplier (d’autant plus que les choix de production et de consommation devraient devenir l’affaire d’un débat démocratique généralisé).
Autre mode de développement et/ou émancipation ?
Une ambiguïté similaire recouvre l’idée d’un « autre mode de développement » avancée dans les mouvements anticapitalistes et altermondialistes.
« Un autre mode » signifie bien qu’il s’agit de rompre avec la croissance ou le développement du capitalisme. Mais la question du développement apparaît le plus souvent comme une évidence
incontestable. Le développement est-il une nécessité ou une obligation pour l’humanité, ou tout au moins le développement économique ? Que veut dire un « développement humain » ?
L’émancipation individuelle et collective requière t-elle de « développer les capacités humaines » ?
Deux significations du terme de développement se téléscopent. Dans son acception originelle, il signifie l’accession à la maturité de toute être vivant qui
possède à la naissance les potentialités d’une maturation, tel la graine ou le nourrisson devant devenir plante ou adulte. Attribuée aux êtres humains, cette signification s’élargit à l’idée de
création d’autre chose non originellement contenue dans les potentialités originelles de développement. Dans l’acception plus commune aujourd’hui, il avoisine l’idée de croissance mesurable, supposée
entraînée une amélioration en qualité ou en contenu.
L’expérience politique nous a appris depuis longtemps que l’ambiguïté et la connotation commune des mots est loin d’être anodine. Parler d’un autre mode de
développement peut aussi bien convenir aux libéraux, aux keynésiens, aux écologistes et aux anticapitalistes. Grâce à son acception floue, des productivistes impénitents peuvent se cacher au nom du
rassemblement anticapitaliste. C’est pourquoi, S. Latouche et d’autres n’ont pas tord de rappeler la signification commune du mot au regard historique du désastre des « plans de
développement » pour les pays dits « sous-développés » ou « en voie de développement ». Cette politique a couvert les pillages néocolonialistes, les « ajustements
structuraux » du Fmi, les délocalisations d’entreprise, avec leur main d’oeuvre surexploité, et l’imposition forcée du mode de vie « occidental » et de la logique du profit. Cela
aboutir finalement aux « pays émergents », c’est-à-dire conquis par la logique productiviste du capital. Avec toutes les conséquences mondiales qu’on connaît. Permettre que les milliards de
miséreux et de pauvre puissent se donner les moyens de vivre, ce n’est pas du développement, c’est de la justice sociale.
On dira évidemment que l’ambiguïté du développement sera balayée par les mesures effectivement antiproductivistes que les différents courants d’un rassemblement
anticapitaliste proposeront ou non. Mais au-delà des accords politiques, le débat public s’enlise souvent dans les méandres des ambiguïtés symboliques sous-tendant les manoeuvres politiciennes. On se
heurte là à une tendance lourde des organisations politiques, syndicales, et associatives qui est celle de l’économisme dont le productivisme est le rejeton (voir partie 2).
Qu’on utilise le terme de développement économique et humain ou non, la question est posée du risque de privilégier essentiellement les conditions matérielles et
sociales d’existence. Cela revient à postuler que tout le reste en découlerait quasi automatiquement, ou que cela suffirait à engendrer bien-être, égalité, justice sociale et émancipation
individuelle et collective. Hors, combattre pour la rupture avec le capitalisme ne peut ni se réduire à des transformations économiques et écologiques, ni en faire les principales conditions du
changement, bien qu’elles soient évidemment indispensables. Le combat pour l’avènement d’une autre société est celui de l’émancipation générale, c’est-à-dire l’élimination de toutes formes de
domination de genre, de classe, de hiérarchie, d’ethnies, etc. Il est destiné à les remplacer par une société de coopération reposant sur l’autonomie individuelle et collective.
Le « développement des êtres humains ne veut rien dire ». Pour être libres et autonomes, ils doivent s’émanciper. L’émancipation est à la fois
écologique, économique, politique, sociale, individuelle et symbolique. L’émancipation écologique ne revient pas uniquement à prévenir les menaces de destruction de la nature, elle consiste à
instaurer un nouveau rapport de protection et d’harmonie avec l’environnement biophysique de l’humanité. Aucune de ces instances n’engendrent spontanément les autres, bien que certaines d’entre elles
exercent ou non à certaines époques et dans certains espaces une fonction privilégiée et déterminante. La rupture exige l’émancipation à tous les niveaux. L’émancipation n’est pas du développement
mais de la création individuelle et collective. Elle commence dès aujourd’hui du plus petit au plus haut niveau social. Plutôt qu’un autre mode de développement, peut-être faut-il plutôt évoquer
immédiatement l’avènement d’un mode d’émancipation ?
ÉCOLOGIE POLITIQUE,
ANTICAPITALISME ET ÉMANCIPATION
(2ème partie)
* Lutter contre les modes de vie marchandisés
Productivisme, capitalisme et marchandisation généralisée
Des centaines de millions d’individus poussent quotidiennement leur chariot dans les allées de la grande distribution ou fréquentent les grands magasins. Chaque
jour, 80 % de la nourriture des pays « riches » est achetée dans les hyper et supermarchés, en provenance de cultures et d’élevages où l’exploitation agricole productiviste, côtoie la
surexploitation violente de populations immigrées (voir Alméria en Espagne). Et la quasi totalité du commerce de proximité appartient à leurs enseignes. En cette rentrée, 80% des fournitures
scolaires vont être acheté dans ces mêmes enseignes, qui nous font le baratin de la baisse des prix sur les « fournitures essentielles » (12 articles de qualité douteuse !). La
plus grande partie des vêtements, des produits sanitaires, des appareils ménagers, de l’audiovisuel et de l’informatique, des outils, des jouets, y sont aussi « distribués » par les
enseignes généralistes ou spécialisées. Une énorme partie de tous ces produits sont fabriqués dans des usines délocalisées à des milliers de kilomètres, et leurs « bas prix »
relatifs repose sur la surexploitation de travailleurs payé dix à cent fois moins chers et aussi sur un management agressif et inhumain des salariés de la grande distribution. C’est
principalement quelques centaines de marques d’industries multinationales (de deux à cinq par produit) sur des millions d’entreprises qui y sont vendues. Les centres commerciaux et leurs parkings
gigantesques, rassemblant plusieurs hypermarchés généralistes et spécialisés n’ont cessé de se multiplier et se multiplieront encore. A tel point, qu’ils sont devenus les principaux lieux de loisir
du week end. Tout le monde sait plus ou moins cela. Presque tout le monde accède ainsi au marché – y compris la plupart des militants anticapitalistes, au moins pour la bonne raison qu’il est presque
impossible de faire autrement, mais peut-être aussi parce qu’ils sont eux-mêmes soumis à l’aliénation des modes de vie marchandisés... (550 000 salariés, management, flexibilité, individualisation,
harcèlement, flux tendu, marges arrières, suroccupation de l’espace urbain et suburbain...)
Après avoir fait leurs achats dans ces conditions, ces mêmes centaines de millions de « consommateurs » cuisinent, mangent, font leur ménage, regardent
la télévision, ont des loisirs et partent en vacances. les marchandises sont omniprésentes dans l’espace domestique des familles, sous forme de biens matériels, de services et d’activités
individuelles,. Ce qui signifie simplement que les modes de vie, et en particulier les modes de consommation, ne se font pas dans des conditions naturelles ou normales. Ils se font en fonction de
structures sociales, économiques, politiques, culturelles, symboliques et même psychiques. L’utilité des marchandises est une chose fort variable selon les sociétés et les époques. Elle n’est pas
purement pratique ou matérielle, mais largement fonction de telle ou telle culture et univers symbolique. La fourchette (qui fût d’abord réservée pour passer du plat à son assiette) n’est pas apparue
dans les cours européennes parce qu’il était malpropre de manger avec les mains. Ce fut un moyen de distinction et de valorisation de la nouvelle noblesse de cours vis-à-vis du « Tiers
état ». Ainsi les nobles devinrent propres et éprouvèrent le sentiment de propreté, et naturellement, les gueux devenaient sales. La marchandisation généralisée de la vie quotidienne a rendu les « consommateurs » (qui sont aussi salariés ou chômeurs, et individus à part entière) totalement dépendants
des produits industriels largement dominés et contrôlés par les multinationales et le capital mondialisé.
Les économistes critiques, marxistes, anticapitalistes ou antilibéraux ont généralement fait dériver la question de la consommation de masse des conditions de la
production et des échanges marchands. Il en va de même de la plupart des organisations politiques de gauche et des syndicats. Pour faire court, cette question est réduite à celle du pouvoir d’achat,
c’est-à-dire sans analyse critique et sans luttes dans l’espace des modes de vie marchandisés. L’impensé sur le type de mode de vie généré par le capitalisme, pour ne pas dire l’aveuglement des
organisations de gauche et d’extrême gauche, a quelque chose d’ahurissant à première vue. Cette naturalisation pratique des modes de vie marchandisés touche même le plus grand nombre des militants
anticapitalistes.
La majeure partie du mouvement social et politique ignore donc que les modes de vie marchandisés sont devenus coproducteurs de valeur et de domination pour le
capital. La conscience de l’aliénation marchande apparaît depuis peu grâce aux alertes des écologistes pour qui la consommation expansive participe autant de la destruction de la nature et de la
santé du vivant que la productivisme qui lui correspond. « Non à la marchandisation du monde » est devenu un slogan universel et populaire. Les porteurs de la décroissance, les objecteurs
de croissance et certains mouvements altermondialistes mènent des combats sur ce thème dans l’espace public. Au delà de cette arène, les agriculteurs biologiques, des centaines d’associations telles
que les Amap, les coopératives d’alterconsommation, ou les centrales citoyennes d’achat inaugurent sans attendre d’autres modes de consommation antiproductivistes. Elles rompent de fait avec la
logique du profit et la marchandisation généralisée par le capital. Mais ces combats contre la dépendance aliénante aux modes de vie marchandisés sont encore loin d’être suffisants. Pour comprendre
cette fusion de la production, de la distribution et de la consommation dans le capital total et global, on ne peut se passer de faire un rappel historique qui en retrace les principales étapes de
formation.
L’avènement de la marchandisation du monde
En 1908, G. Ford pose les bases du productivisme et de la consommation de masse. Inspiré par F. W. Taylor et son « organisation scientifique du
travail », il promet à ses salariés qu’ils pourront acheter une « Ford T » s’ils augmentent leur productivité pour fournir un marché en pleine explosion. Mais le patron ne fait pas que
cela. Il est le promoteur d’une forme d’emprise managériale en créant ses propres services sociaux (inspiré ici par le paternalisme du siècle précédent), et surtout en initiant un corps
« d’enquêteurs » destiné à étudié le comportement des salariés jusque dans leur vie quotidienne afin de s’assurer de leur soumission. Il engage des spécialistes des « relations
publiques », technologie politique d’étude des comportements au travail et de communication de l’idéologie patronale dans l’espace public (voir le film – « Le siècle du moi » (Google)
sur E. Bernays, inventeur des relations publiques). Évidemment, par l’intermédiaire d’espions et d’hommes de main, il fait la chasse aux syndicalistes, taxés de subversion et de
communisme.
Ford donnera son nom à ce qui a été appelé le « compromis fordien », à partir du « New Deal » initié par Roosevelt aux États-unis après la
grand crise de 1929. Le principe est simple : en échange d’une productivité sans cesse accrue, de la fidélité à l’entreprise et de l’obéissance à l’organisation patronale du travail, les
salariés seraient assurés d’une augmentation correspondante de leur pouvoir d’achat pour accéder à la consommation des biens marchands et au confort de vie (mass consumption et american way of life),
ainsi qu’à la sécurité de l’emploi, et à une très relative protection sociale, le tout arbitré par l’État fédéral (Welfare state – État en vue du bien-être). Les syndicats nord-américains passeront
ainsi un pacte de paix sociale avec le patronat en échange de garanties économiques et sociales minimales mais soumises à son bon vouloir. Jusqu’à cette période, la grande masse des ouvriers et des
paysans n’accédaient que faiblement aux produits industriels marchands.
Le modèle du compromis fordien et de « l’État providence » (traduction abusive du Welfare State) sera importé en Europe de l’ouest grâce au financement
de la relève économique par le Plan Marshall. Avec ses « missions de productivité », prêt de 10 000 hauts-fonctionnaires, patrons, ingénieurs, syndicalistes (Fo, Cftc) et journalistes
français sont allés aux USA, entre 1951 et 1953, pour s’initier aux nouvelles méthodes tayloriennes d’organisation du travail, au mass-marketing et aux publics relations. Ces technologies politiques
et symboliques font apparaître une liaison fondamentale entre capital productiviste, articulation de la production avec la consommation, ainsi que communication marchande (explosion du marché
publicitaire) et gestion idéologique et politique de « l’opinion publique » par le patronat et l’État. Compte-tenu de la proximité du « bloc soviétique », des trahisons proches du
patronat collaborateur, de luttes sociales intenses, d’un syndicalisme puissant « de classe et de masse » et de la force des partis communistes en France et en Italie, la régulation
économique (planification) et l’arbitrage social par l’État, ainsi que la protection sociale (Sécurité sociale, allocations familiales, retraites par répartition) ont pris plus d’ampleur en Europe
qu’aux USA. Cette période a pris le nom de « Trente glorieuses » qui ne furent évidemment pas si glorieuses que ça pour la partie la moins fortunée du peuple. Le modèle économique keneysien
fût alors tout entier fondé sur la croissance conjointe de la production et de la consommation de masse.
Durant cette période, c’est principalement l’État qui a promu le besoin de consommation marchande. Particulièrement en France, les gouvernements successifs ont
créé le crédit à la consommation et ont instauré la croissance de type keynésien comme règle fondamentale avec les yeux rivés sur les baromètres conjoints de la production et de la consommation. Le
secteur bancaire presqu’entièrement nationalisé en a été l’instrument. Sans oublier que la consommation globale peut croître lorsque la richesse augmente à un pôle, alors que la pauvreté augmente à
l’autre (mais le tout dans un équilibre instable et dangereux). Depuis ce temps, l’endettement des ménages – qui nourrit les banques – n’a cessé de croître. C’est à ce moment là que la démocratie
politique s’est pliée à la logique d’une soi-disante démocratie marchande : l’étalon de la démocratie devenait le marché (« démocratisation » de la consommation) et la souveraineté de
la volonté générale se transformait en opinion publique gérée par le marché des sondages entre deux élections.
L’envahissement général de l’espace public, de la vie quotidienne et des mentalités par la consommation marchandisée.
Partis de gauche, syndicats et aussi ouvriers et salariés modestes ont été mis à ce moment là dans la confusion entre nécessité de meilleures conditions
d’existence et mode de consommation marchande, pilotée par le capitalisme avec le soutien de l’État. En plus de l’exploitation de leur travail, la classe ouvrière et les salariés ont alors été
enrôlés malgré eux dans les modes de vie marchandisés. Après des siècles de pauvreté, des millions d’individus ont légitimement accédé au confort matériel des logements sociaux, des premiers
appareils ménagers et audiovisuels, ainsi qu’aux loisirs et aux vacances. Les partis de gauche et les syndicats ont alors privilégié la progression du pouvoir d’achat pour accéder à plus de
consommation marchande. La séduction des plaisirs de la marchandise aliénante n’en était qu’à ses débuts, les inégalités reculaient, les services publics et la protection sociale limitaient
l’expansion du marché. L’idéologie du progrès grâce à la production industrielle et des biens marchands était une évidence encore peu contestée. Pour les partis communistes et les syndicats de
classe, les luttes contre l’exploitation du travail pour prendre le pouvoir au capital suffisaient. Cette position (plus théorique que réelle...) obérait la nécessaire critique des modes de vie
marchandisés, malgré les avertissements d’intellectuels marxistes et écologistes (H. Marcuse, H. Lefèvre, R. Dumond, A. Gorz).
Après une courte période de correspondance entre la croissance économique et les progrès sociaux (non sans âpres luttes sociales), ce rapport a été rompu. Malgré
toutes les résistances patronales, le taux de profit des entreprises baissait et la rémunération du capital financier stagnait sous l’effet de la progression du pouvoir d’achat et de la sécurité de
l’emploi. Durant les années soixante-dix, le modèle keynésien de régulation économique par les États et d’un relatif partage des richesses est entré en crise (sans omettre que le patronat l’a sans
doute torpillé avec la complicité active des gouvernements, en particulier sociaux-démocrates). La croissance a de plus en plus désigné l’augmentation des profits au détriment de celle du pouvoir
d’achat, de la sécurité de l’emploi et de la protection sociale. Tels les vases communicants, le renversement de ce rapport économique est allé croissant entre la première et les secondes (20 % de
transfert de 70 à 2000).
Progressivement à partir des années quatre-vingt et totalement dans la décennie suivante, s’est installé le modèle de la globalisation des marchés (appelé
mondialisation en France). Le « socialisme réel » ayant disparu de la carte, le capital a imposé sa domination globale au monde entier, et la suraccumulation du capital financier est
redevenue la règle absolue. Moins d’État social (et plus d’État économique et policier au bénéfice du capital), « liberté » du marché, règne de la concurrence (oligopolistique et faussée),
ajustement structurel, licenciements massifs, privatisation des protections sociales et des services publics, telles furent les crédos indiscutables du néolibéralisme durant trente années (les
« trente honteuses »).
A la charnière de ces deux périodes et ensuite, les mouvements sociaux et politiques ont sous-estimé trois facteurs essentiels de transformation du
capitalisme : l’envahissement commercial par la grande distribution, la mécanisation puis l’informatisation des foyers domestiques, la généralisation du marketing et la colonisation symbolique
des esprits.
Bernard Floris
sociologue, université Grenoble 3
Philippe Marlière :
« Un Front de gauche PCF-PG-NPA a un espace »
Philippe Marlière, maître de conférences en sciences politiques à University College London, est spécialiste des mouvements socialistes et sociaux-démocrates contemporains. Il a
publié récemment La mémoire socialiste 1905-2007. Sociologie du souvenir politique [1] et La
social-démocratie domestiquée. La voie blairiste [2], et est membre du comité de rédaction de la revue Mouvements. C’est à tous ces titres qu’il était, à l’université d’été du PS à La Rochelle, l’un des intervenants de la table ronde consacrée à la crise de la social-démocratie.
Bien que membre du PS de 1989 à 2009, date à laquelle il a rejoint le NPA, il n’avait jamais assisté à une université d’été socialiste. Il m’a semblé
intéressant de lui demander de nous faire part de ses impressions sur le rendez-vous de La Rochelle.
L’université d’été du PS est-elle vraiment un lieu de formation et de débat ? Philippe Marlière : Il
y a une mise en scène : on veut tenter de faire croire, en particulier aux médias, que c’est un lieu de débat avec l’organisation de nombreux ateliers et séances plénières. Le ban et
l’arrière-ban du parti est là ; les leaders de premier plan animent des ateliers et se mettent au service des militants qui peuvent poser des questions... En réalité même si un certain nombre de
sujets sont abordés, cela reste des sujets relativement convenus et l’on ne touche pas aux sujets les plus brûlants. Il y a aussi autre chose qui me surprend, pour un parti de gauche qui entend
possiblement réunir la gauche, c’est le faible nombre d’autres partis de gauche.
Il y a eu tout de même, cette année, j’en suis l’exemple, une espèce d’ouverture à des chercheurs et intellectuels un peu plus critiques, une rupture avec cette espèce de ronron – tous les ans le PS
invitait un peu les mêmes – qui ressortait les idées reçues un peu sociales-libéralisantes dans lesquelles le PS patauge depuis plus de 20 ans. Si ce ne sont que quelques personnalités perdues dans
la masse, je pense que c’est quand même une mise en scène annuelle qui essaie de montrer que le PS est un parti qui n’évite pas le débat d’idées alors que l’on sait que ce n’est pas le cas.
Sur les primaires, par exemple, il y eu un tam-tam médiatique lancé par le think-tank Terra nova, relayé par les
médias style Libération, qui ont amené des leaders, qui étaient contre, à se prononcer en faveur. Quand Aubry est arrivée, elle n’avait plus qu’à aller dans le
sens. Mais il n’y a pas de débat là-dessus ! C’est un exemple qui montre que le débat est hyper-canalisé et que les militants ont très peu la parole.
Toute la presse semble satisfaite des annonces de rénovation faites par Martine Aubry. Le PS aurait enfin trouvé le remède qui va lui permettre de renouer avec les électeurs. Comment le
chercheur et spécialiste de la social-démocratie apprécie ces mesures ?
Il y a déjà un aspect sympathique de sa personnalité : lorsqu’elle dit « moi je ne suis pas intervenue dans les médias parce que je ne suis pas aux ordres de ces médias en
particulier les médias dominants », c’est plutôt une bonne chose et déjà une différence avec nombre de leaders socialistes. Elle est intervenue en son temps dans un long article dans Le
Monde, où elle s’est juste prononcée en faveur des primaires. Et vendredi, devant les militants, elle annonce :
des mesures anti-cumul des mandats. Il a dû y
avoir des pontes qui ont blêmi, mais c’est en route maintenant. Je vois difficilement comment on pourrait faire marche arrière. Or c’est un très gros sujet la professionnalisation et l’accaparement
des mandats par un petit nombre d’élus.
Les primaires évidemment.
Un long développement sur l’écologie. Mais je
crois (c’est clair quand on lit ce billet d’opinion dans Le Monde) elle ne parvient pas à sortir de ce prêt-à-penser mou, social-libéral, qui a cours dans ce
parti depuis une vingtaine d’années. Or aujourd’hui pour faire des réformes environnementales profondes, pour aller dans le sens d’une plus grande justice sociale, nous sommes arrivés à un point où
il faut à gauche repenser le rapport au capitalisme de manière beaucoup plus critique et virulente, penser et imaginer ce qu’on appelait dans le temps des réformes de structure. Je ne les vois pas.
On a des réformes qui restent à la surface des choses.
On l’a bien vu samedi matin dans la plénière sur la crise quand Susan George a proposé la nationalisation des banques, une mesure frappée au coin du bon sens. À voir le
désarroi s’afficher sur les visages des socialistes présents, y compris certains qui s’affichent à gauche dans ce parti, on mesure l’incapacité culturelle et idéologique à revoir ce prêt-à-penser et
ces idées reçues molles. N’oublions pas que ce sont encore les sociaux-libéraux, même s’ils adoptent un profil plus bas, qui mènent le jeu des idées. Terra nova n’est
pas la gauche du parti loin de là. C’est eux qu’on a vu en avant sur la question des primaires. Montebourg qui était vu dans le parti (ce qui m’a toujours surpris) et par certains chercheurs comme
incarnant la gauche du parti a finalement renié tous ses idéaux d’antan et est actuellement un cumulard. C’est très bizarre.
Malheureusement, je ne vois pas la gauche du parti avoir un ascendant. Après tout ce qu’a dit la gauche du parti depuis 10-15 ans, le moment serait propice pour qu’elle occupe le centre du parti.
Mais, je ne vois pas choses se dérouler ainsi.
Vous n’avez aucun regret d’avoir quitté le PS pour rejoindre le NPA ?
Aucun. Mon départ est une réaction peut-être d’avantage d’intellectuel : il se trouve que j’habite à Londres et j’en avais assez, après 20 années d’appartenance au PS, de me retrouver dans un
parti dont je partageais de moins en moins les orientations et surtout dont je ne me reconnaissais absolument pas dans les dirigeants, un parti qui, selon moi – je l’ai dit dans mon intervention –, a
une image tellement brouillée qu’on se demande s’il veut encore continuer à être de gauche. Quand j’observe le gros débat qui s’annonce sur l’alliance possible avec le MoDem, un thème aussi moderne
que la reconduction des alliances de troisième force sous la IVe République entre la SFIO et le MRP, si on en est là, non je ne veux pas en être. J’étais content de retrouver certains copains, des
gens de gauche tout à fait honnêtes, mais je n’ai pas de regret.
Le NPA est clairement sur une position de gauche dans laquelle je me reconnais, mais je dois dire aussi que, du fait de cette dérive droitière du PS dont je ne perçois aucune marche arrière - il y a
des effets d’annonce mais pas de revirement substantiels -, un Front de gauche incluant le PCF, le Parti de gauche et le NPA, a un espace. Il y a un espace en France pour une gauche radicale,
une gauche qui puisse s’entendre non sur des réformettes déconnectées les unes des autres mais sur une ligne politique nouvelle qui engagerait le pays, si on revient au pouvoir, sur une ligne de
gauche véritable et pouvant faire des réformes de structure pour reprendre au capitalisme ce qu’il a empiété sur nos vies et notre bien être. Là, il y a quelque chose à faire et je suis d’un œil
intéressé les rapprochements au sein de la gauche de gauche.
Notes
[1] L’Harmattan, Paris, 2007, 26 euros.
[2] Les éditions Aden, Bruxelles, 2008, 176 pages, 19 euros.
Écologie
ou barbarie
L’actualité récente vient de nous apporter de nouvelles preuves des liens indissociables entre les questions que soulèvent les écologistes et les droits de
l’Homme : la dernière condamnation de Aung San Suu Khuy, par la junte Birmane et le coup d’État institutionnel du président du Niger qui vient de trafiquer sa Constitution pour rester plus
longtemps au pouvoir. Quel rapport avec l’écologie ? Regardons d’un peu plus près : ces deux pays sont riches de matières premières qui intéressent les pays du Nord au plus haut point et la
France en particulier ; le bois et le pétrole en Birmanie, l’uranium au Niger. Deux sociétés françaises sont concernées au premier chef : Total, l’un des plus gros investisseurs en
Birmanie, pour l’exploitation des hydrocarbures ; Areva au Niger, pour l’extraction de l’uranium nécessaire à l’alimentation des centrales nucléaires. Selon la fédération internationale des
droits de l’Homme, Total verse chaque année 140 millions d’euros de royalties à la junte qui fait aujourd’hui l’objet de l’indignation mondiale. Quant à Areva, elle remplit les caisses d’un régime
qui opprime ses opposants et mène une répression sanglante contre les populations Touaregs, là où se trouvent justement les gisements d’uranium.
Voilà qui explique sans doute la tartufferie du président Français qui, au lendemain de la condamnation de la « dame de Rangoon », appelait à des sanctions
« tout particulièrement dans le domaine de l’exploitation du bois et des rubis »... Mais qui s’empressait d’oublier le pétrole, pour mieux protéger Total et nos approvisionnements en
hydrocarbures si nécessaires à notre société de consommation à outrance. Après le référendum truqué du 4 août au Niger, silence radio. Le président Tandja peut tricher tranquillement, torturer ses
opposants, nous avons trop besoin de son uranium pour nos centrales nucléaires et pour affirmer haut et fort, sans craindre le mensonge d’État, que grâce à elles, nous sommes indépendants.
Autrement dit, pour poursuivre un mode de vie et de consommation, pour assumer des choix -comme le nucléaire-, qui n’ont jamais été débattus démocratiquement par la
société, nous nourrissons des dictateurs sanguinaires, qui tuent des moines, enferment un prix Nobel, font travailler des enfants et conduisent des guerres contre leurs minorités ; nous
sacrifions la liberté des peuples à nos intérêts mercantiles et à notre mode de développement. Au nom de la préservation de notre confort, nous sommes prêts à sacrifier les idéaux des Lumières.
L’égoïsme est devenue la valeur dominante qui efface toutes les autres. Et c’est ainsi que progresse l’apartheid planétaire qui ruine les sociétés et menace la Terre elle-même, soumise à l’appétit
insatiable des prédateurs sans foi ni loi. C’est pourtant dans ce monde que nous vivons, où les plus pauvres, les « damnés de la terre », voient leurs libertés de plus en plus menacées et
leur survie de plus en plus incertaine ; où les victimes des injustices sociales et les plus démunis sont aussi les premières victimes des injustices environnementales ; où 20% des
habitants de la planète consomment 80% de ses ressources. À cause de ces inégalités de plus en plus insupportables, de plus en plus révoltantes, la vulnérabilité du monde prospère et, avec elle, la
montée des incertitudes, des peurs, des violences, symboles de la fragilité d’une puissance que nous pensions capable de tout maîtriser.
Ce monde-là est en faillite. Si nous tentons de le préserver tel qu’il est, nous courons tous à notre perte, riches comme pauvres ; l’avenir radieux que nous
promettaient les Trente Glorieuses et, aujourd’hui la « croissance verte » - nouveau logo du capitalisme aux abois - virera au cauchemar. On ne peut donc s’accommoder de
« bricolages » sur une maison lézardée ou de pansements verts appliqués à un grand corps malade. Le rétablissement d’un monde plus juste pour nos générations et celles qui vont nous suivre
est au prix d’une véritable révolution écologique et sociale. C’est bien ce que proposent les écologistes depuis des décennies, derrière des penseurs comme Illich, Ellul, Gorz, Fournier, Charbonneau,
Jouvenel, Dumont... Qui se souvient de La Gueule Ouverte, premier journal écologiste français qui, dans la confidentialité militante de l’époque, prônait le modèle de société que nous avons défendu
avec succès au cours des dernières élections européennes ? Nous n’avons rien inventé, nous n’avons rien dit d’autre que ce que nous répétons élection après élection, colloque après colloque,
débat après débat... Mais, pour la première fois dans notre courte histoire politique, notre imaginaire a rencontré la société. En nous écoutant parler de notre projet, du monde dont nous rêvons pour
nos enfants, les Français nous ont dit « chiche ! » et nous ont donné les moyens de peser beaucoup plus fort dans les débats politiques d’aujourd’hui et de demain. Nous devons saisir
cette main tendue et nous battre avec les moyens de la démocratie pour que l’écologie ne soit plus considérée comme une figure politique de catégorie B, mais comme un outil de transformation
politique et sociale à part entière, au même titre que le socialisme le fut au début du XXe siècle. Il ne s’agit pas de se lancer dans une bataille de concurrence qui serait suicidaire pour toute la
gauche française, mais de montrer que la conversion écologique de nos sociétés est le passage obligé vers un monde moins injuste et plus respectueux de son environnement indispensable à la survie des
hommes.
Voilà pourquoi les semaines et les mois qui viennent vont être déterminants pour l’avenir de l’écologie politique. Nous devons tenir et tenir encore sur la ligne du
rassemblement, ne pas nous laisser emporter par nos petites querelles de chapelle. Chacun sait que le diable niche dans les détails et si nous avions dû en rester là pour la composition des listes
aux élections européennes, jamais nous n’aurions pu présenter cette alliance des belles personnes qui, de Dany à Eva, de José à Yannick, de Jean-Paul à Michèle, a conquis les Français. Les Verts ont
fait preuve d’une grande intelligence politique à cette occasion, qu’ils ne l’oublient pas au moment des élections régionales ! Nous devons rester les moteurs du rassemblement des écologistes et
de tous ceux qui croient en notre projet de société mais qui ne veulent pas entendre parler de parti. C’est à nous, tous ensemble, de définir les contours de ce nouvel objet politique, si nous ne
voulons pas qu’il reste dans l’histoire comme un joli météore qui traversa la galaxie politique en ce début d’été 2009 et disparut dans la magma des accords d’appareil. La profondeur de la crise
écologique et sociale que nous traversons est telle que nous ne pouvons rater ce rendez-vous avec l’histoire. À nous d’être à la hauteur de cette lourde, mais exaltante, responsabilité.
L’un des enjeux de la crise actuelle est la refondation d’un anticapitalisme moderne, d’un double point de vue, théorique et politique. Il s’agit de montrer que cette crise touche
aux fondements mêmes du capitalisme, qu’il est dans une impasse dont on ne peut sortir que par une remise en cause des rapports sociaux essentiels de ce système. C’est une tâche urgente et
prioritaire dans la conjoncture actuelle : avec la crise, une course de vitesse est ouverte entre la barbarie et la transformation sociale et cette alternative est d’autant plus centrale que la
crise écologique surplombe l’ensemble.
Malheureusement, parmi ses nombreux dommages collatéraux, la crise suscite depuis quelques mois une série de contributions placées sous le signe d’un dogmatisme contre-productif et
assez décourageant. Fidèle à un principe élémentaire d’économicité (l’allocation optimale des ressources rares) ce texte se dispensera d’une discussion détaillée ; il cherche plutôt à dégager
les principaux points d’appui de ce nouveau dogmatisme et à montrer comment il débouche assez logiquement sur une posture politique incantatoire.
Le taux de profit baisse, c’est dans Marx
Le point commun des contributions en discussion (1) est de faire référence à l’interprétation orthodoxe de la loi de la baisse tendancielle du
taux de profit. Plusieurs d’entre elles l’opposent frontalement à la thèse, baptisée «sous-consommationniste» selon laquelle la crise actuelle proviendrait au contraire d’un excès de profit.
Commençons par le côté pratique des choses. Depuis plusieurs années, un profond sentiment d’indignation monte chez les travailleurs, face aux «salaires» indécents des patrons, aux
bénéfices extravagants des sociétés du Cac40, au comportement des entreprises qui licencient même quand elles font des profits. Que font les savants marxistes ? Ils leur expliquent doctement,
œuvres complètes de Marx en bandoulière, que la crise provient de la baisse du taux de profit. Telle est la théorie qui permettrait aux travailleurs de mieux comprendre ce qui leur tombe dessus.
Si c’était vrai, il faudrait évidemment le dire, quitte à aller à l’encontre des perceptions spontanées. Mais, en l’occurrence, il y a plus de compréhension du capitalisme quotidien
chez les salariés révoltés par la rapacité des possédants que chez les exégètes du Capital. Marx, Lénine ou Boukharine, pour prendre quelques noms fameux, passaient une bonne partie de leur temps à
consulter les statistiques «bourgeoises» de leur époque. Plus près de nous, Ernest Mandel avait pensé utile de batailler contre les dogmatiques de l’époque qui s’obstinaient, contre toute évidence, à
défendre et illustrer la thèse de la «paupérisation absolue».
Aujourd’hui, l’évidence est flagrante : le taux de profit augmente tendanciellement depuis le milieu des années 1980. Toutes les sources statistiques conduisent à un constat
identique. Pour maintenir le dogme de la baisse tendancielle, il faut corriger ces statistiques de manière à restituer le «vrai» taux de profit, celui qui baisse. Mais ceci n’est possible qu’au prix
d’erreurs conceptuelles. Ainsi Alan Freeman (2) n’exhibe un taux de profit en baisse qu’en oubliant que le capital constant transmet sa valeur au produit. Robert
Brenner (3) liquide la théorie de la valeur à partir d’un modèle où les gains de productivité font baisser les prix et rognent le profit à
proportion (4). Même Chris Harman (5), pourtant désireux de rétablir le dogme, est obligé d’admettre que «les taux de profit se sont rétablis à
partir environ de 1982 - mais seulement d'environ la moitié du déclin qui avait eu lieu dans la période précédente». Cette réserve n’est même pas vérifiée dans le cas de l’Europe, si l’on se réfère
aux évaluations de Duménil et Lévy (6).
Pourtant, les données brutes disponibles livrent un constat sans ambigüité. Si on rapporte l’excédent net d’exploitation au stock de capital net, on fait apparaître une très nette
tendance à l’augmentation du taux de profit dans les principaux pays capitalistes. Cette évolution est suffisamment prononcée pour que l’on ne puisse pas espérer l’infléchir significativement par des
correctifs plus ou moins appropriés (graphique 1).
D’un point de vue plus théorique maintenant, et quitte à paraître iconoclaste, force est de constater que la version classique de la loi de la baisse tendancielle pose
problème : il y a en effet une tendance mais aussi des contre-tendances. La tendance découle de l’augmentation du capital par tête (de plus en plus de «machines» pour un nombre donné de
salariés). Comme la plus-value est proportionnelle au travail exploité, elle tend à se réduire si on la rapporte au volume de capital engagé.
Mais, parmi les contre-tendances, il y a la productivité du travail qui permet de réduire le coût des «machines». Et cette contre-tendance peut compenser l’augmentation du nombre de
«machines» de telle sorte que l’évolution de la composition organique est indéterminée. C’est exactement ce qu’écrit Marx quand il examine les «causes qui contrecarrent la loi» : «La même
évolution qui fait s’accroître la masse du capital constant par rapport au capital variable fait baisser la valeur de ses éléments par suite de l’accroissement de la productivité du travail, et
empêche ainsi que la valeur du capital constant, qui pourtant s’accroît sans cesse, n’augmente dans la même proportion que son volume matériel. Dans tel ou tel cas, la masse des éléments du capital
constant peut même augmenter, tandis que sa valeur reste inchangée ou même diminue» (7).
Marx précise un peu plus loin que «les mêmes causes qui engendrent la tendance à la baisse du taux de profit modèrent également la réalisation de cette tendance». Mais,
précisément parce qu’il s’agit des «mêmes causes» (la productivité du travail), il n’y a aucune raison a priori de penser que la tendance l’emporte systématiquement sur la contre-tendance.
La productivité du travail est susceptible de compenser à la fois, de manière parfaitement symétrique, la progression du salaire réel et l’alourdissement du capital
physique» (8). Ou bien, il faudrait postuler que la productivité du travail progresse systématiquement moins vite dans la section des biens de production
que dans celle des biens de consommation, mais c’est la configuration inverse qui est la plus répandue.
Autrement dit, le numérateur et le dénominateur du taux de profit peuvent rester constants, et par conséquent le taux de profit lui-même. Il faut donc restituer l’énoncé de
Marx dans une analyse de la dynamique longue du capitalisme et présenter une version de long terme de la loi qui pourrait s‘énoncer ainsi : «Les conditions de fonctionnement du
capitalisme peuvent être réunies pendant une période assez longue, mais les dispositifs assurant leur obtention ne sont pas stables ou en tout cas ne peuvent être reproduits
durablement» (9).
Une crise absolument classique ?
En insistant sur le côté «classique» de cette crise de surproduction, les orthodoxes passent à côté de son caractère systémique. Le terme de crise est d’ailleurs trompeur parce
qu’il désigne plusieurs niveaux qu’il faut en réalité bien distinguer. Pour simplifier, on peut repérer dans l’histoire du capitalisme - et dans l’analyse de Marx - trois types de
crises :
- les crises cycliques qui correspondent au fonctionnement normal du capitalisme et dont l’on sort par le jeu de mécanismes «endogènes», autrement dit internes au
système ;
- les grandes crises (pour reprendre l’image de Robert Boyer) qui marquent la fin d’une onde longue expansive (pour reprendre le concept de Mandel) : pour sortir
de ces crises, il faut redéfinir, de manière «exogène» (non automatiques), les conditions de l’exploitation et de reproduction du système ;
- les crises systémiques, quand ce sont les principes mêmes de fonctionnement du capitalisme qui sont en cause.
Passer de l’un à l’autre de ces niveaux, c’est passer d’un marxisme simple voire simpliste à un marxisme complexe et radical. Au fond, les analyses ici qualifiées (sans doute à
tort) d’orthodoxes ne dépassent pas le niveau de la crise cyclique et rapetissent la dimension de cette crise en la réduisant aux déterminants habituels du cycle, qui s’appliquent par exemple à la
baisse du taux de profit aux Etats-Unis entre 1997 et 2000.
Pour franchir la seconde étape, il faut intégrer l’apport de la théorie des ondes longues et accéder à une compréhension historicisée du capitalisme, bref à une conceptualisation
concrète. Elle fait la plupart du temps défaut aux «orthodoxes» qui accumulent les citations de Marx, comme si les changements intervenus dans le capitalisme étaient purement accessoires. Ou bien,
ils se réfèrent plus ou moins explicitement à une périodisation «trotskiste» où, selon la formule fameuse, «les forces productives ont cessé de croître» depuis que Trotsky l’a dit.
Dans une polémique déjà ancienne mais très révélatrice, François Chesnais rappelait que, pour Marx, «l’élévation du taux général de plus-value estune propriété
générale du système capitaliste pris comme tel ». Il en tirait argument pour soutenir que la récession de 1974-75 n’avait introduit aucune rupture dans l’évolution de la productivité et du taux
de plus-value (10). Pourtant l’analyse du capitalisme contemporain doit intégrer, parmi d’autres, ces deux ruptures : à partir des années 80, les gains de
productivité ralentissent et le taux d’exploitation se met à augmenter tendanciellement. Cette double rupture correspond au passage du capitalisme «fordiste» au capitalisme néo-libéral, autrement dit
la fin de l’onde longue expansive d’après-guerre.
Toute analyse relevant d’un marxisme vivant est bien vite taxée de «régulationniste», dès lors qu’il cherche à dégager une périodisation fondée sur un agencement différent des
schémas de reproduction. A ses débuts, l’école de la régulation avait pourtant apporté beaucoup quant à la compréhension du capitalisme contemporain, mais elle a ensuite bifurqué vers une sorte de
recherche systématique d’harmonie (11).
Mais le plus grave est sans doute l’incompréhension de la nature de la crise qui peut s’expliquer par une lecture partielle de Marx. Quitte à simplifier, c’est dans les
Grundrisse, et assez peu dans Le Capital, qu’on trouve les éléments d’une analyse de la crise systémique, celle qui survient non pas seulement parce que le profit baisserait, mais
parce que le mode d’efficacité économique propre au capitalisme apparaît comme «étriqué», compte tenu des progrès de la productivité. Le capitalisme, écrit Marx, «prétend mesurer les gigantesques
forces sociales ainsi créées d'après l'étalon du temps de travail, et les enserrer dans des limites étroites, nécessaires au maintien, en tant que valeur, de la valeur déjà produite. Les forces
productives et les rapports sociaux – simples faces différentes du développement de l'individu social – apparaissent uniquement au capital comme des moyens pour produire à partie de sa base
étriquée» (12)
Du point de vue de la critique du capitalisme, l’un de ses traits les plus significatifs, et qui est à la racine de la financiarisation, est que le taux de profit monte, mais que le
taux d’accumulation ne suit pas. Pour aller vite : le capitalisme préfère ne pas répondre aux besoins sociaux dès lors que cela ne lui garantirait pas une hyper-rentabilité.
Cette explication est balayée d’un revers de main par Isaac Johsua : «Au total, la thèse des profits abandonnant l’investissement pour la finance ne paraît pas très
assurée. Celle d’une crise des débouchés non plus. Je crois plus juste d’attribuer la crise actuelle à l’instabilité chronique du capitalisme» (13). La
tautologie est ici élevée au rang de théorie : il y a crise, en raison de la «foncière instabilité du capitalisme» et «la survenue d’une crise [me] paraît
logique».
Patrick Artus, un économiste peu suspect de radicalisme ou de marxisme, est finalement plus proche de la compréhension de cette contradiction entre logique de profit et satisfaction
des besoins sociaux quand il explique que le capitalisme devrait «accepter un rendement plus faible des placements, une rentabilité plus faible du capital» (Flash Natixis n°42, 29
janvier 2008), et la finance renoncer aux «actifs artificiels dont le sous-jacent n’aboutit pas au financement d’investissements utiles» (Flash Natixis n°87, 29 février 2008). C’est
au fond très juste, et en même temps extrêmement naïf puisque, par nature, le capitalisme ne peut accepter une telle recommandation.
Surproduction ou sous-consommation : il faut choisir
Cette discussion démontre surtout que le dogmatisme est irréconciliable avec la dialectique et que là où Marx articulait de manière lumineuse la création de la plus-value et la
nécessité de sa réalisation, nos marxistes arrivent très vite à un ultimatum. Soit vous affirmez que cette crise est une crise classique de surproduction et de suraccumulation, et vous êtes en droit
de vous réclamer du marxisme ; soit vous insistez sur les difficultés de la réalisation, et vous n’êtes que de pauvres keynésiens. Il est lassant de répondre à ce déluge argumentaire fait de
«copier-coller» de citations du Capital, très souvent interprétées à contre-sens, et on se bornera ici à renvoyer à un texte d’Ernest Mandel où il insiste sur le fait que les crises
combinent toujours ces différents facteurs qu’il est absurde de séparer et surtout de hiérarchiser(14).
Tout récemment, deux textes d’Alain Bihr (15) et de Marcel Roelandts (16) plaident de manière convaincante et
documentée pour une approche multidimensionnelle des crises, sans pour autant rien renier du cadre d’analyse marxiste, qu’ils contribuent au contraire à restituer dans toute sa richesse.
Les schémas étriqués de la mono-causalité conduisent à une analyse inversée de la finance. Elle serait parasitaire, prédatrice, etc. autrement dit ponctionnerait indûment la
plus-value, empêchant ainsi le capitalisme d’accumuler du capital. Si l’on voulait être polémique, on dirait que cette analyse ne se différencie pas clairement du fier slogan de Sarkozy :
«Au capitalisme financier il faut opposer le capitalisme des entrepreneurs» (17).
Cela donne lieu en tout cas à des développements théoriques étonnants dont on peut donner quelques exemples. Duménil et Lévy expliquent que « le taux d’accumulation est commandé
par le taux de profit retenu» et que «la remontée du taux de profit, avant versement des intérêts et dividendes, fut confisquée par la finance»(18).
Certes, le ciseau entre profit et accumulation disparaît si l’on raisonne sur ce taux de profit retenu par les entreprises. Mais c’est une explication tautologique, et c’est une curieuse conception
de la dynamique du capital et du taux général de profit qui est normalement le déterminant de l’accumulation, indépendamment de sa répartition entre les différentes catégories de capitalisme.
On peut ici convoquer Marx qui expliquait très clairement pourquoi c’est précisément ce qu’il ne fallait pas faire : «C’est à dessein que nous présentons cette loi [la
baisse tendancielle du taux de profit]avant d’aborder la division du profit en diverses catégories indépendantes. Que l’on puisse exposer cette loi indépendamment de cette répartition du profit
entre diverses catégories de personnes prouve d’emblée qu’elle est, dans sa généralité, indépendante de cette division et des relations mutuelles entre les catégories de profit qui en découlent. (…)
La baisse du taux de profit traduit donc le rapport décroissant entre la plus-value elle-même et la totalité du capital engagé ; elle est donc indépendante de toute espèce de répartition de
cette plus-value entre les diverses catégories.» (19)
C’est en tout cas passer à côté de la véritable question : pourquoi le capitalisme contemporain n’investit plus à proportion de la plus-value qu’il dégage ? La réponse ne
se trouve pas non plus du côté de la théorie marxiste du «capital fictif» que François Chesnais présente comme un concept essentiel à la compréhension du capitalisme financiarisé. Là encore, déluge
de citations à l’appui, il est fait à certains (dont l’auteur de ces lignes) le reproche de ne pas saisir l’importance de ce concept. Or, il est intégré depuis longtemps aux analyses - dont les
miennes - montrant que la valorisation des actifs financiers est une forme virtuelle de richesse, fictive si l’on tient à ce terme, dont la réalité n’est confirmée qu’au moment où s’effectue le
grand saut périlleux dans la sphère réelle (20). De ce point de vue, les crises financières doivent être comprises comme autant de rappels à l’ordre de la loi de la
valeur. Il ne devrait y avoir, et il n’y a, aucune divergence sur ce point entre marxistes.
La rupture, sinon rien
Il est des polémiques dont on aimerait se dispenser. Ainsi, dans un texte soumis au Groupe de travail économique du NPA, Robert Rollinat souligne une erreur que j’aurais
commise en écrivant que : «A partir du moment où le taux de profit augmente grâce au recul salarial sans reproduire des occasions d’accumulation rentable, la finance se met à jouer un rôle
fonctionnel dans la reproduction en procurant des débouchés alternatifs à la demande salariale» (21). On voit mal, explique Rollinat, «comment la «demande
salariale», en baisse relative (et même absolue), compte tenu des processus décrits ci-dessus, pourrait constituer un «débouché» de la finance. Cette vision se rapproche en fait de celle développée
pendant un temps par Michel Aglietta et d’autres sur le «capitalisme patrimonial» (on parlait aussi de «capitalisme actionnarial») : les salariés pourraient accéder, eux aussi, en achetant des
actions, au marché boursier».
Cet amalgame fondé sur un contre-sens est décourageant. Quand on explique que la finance procure des débouchés alternatifs à une demande salariale dont on vient de montrer qu’elle
est compressée, il se trouvera donc toujours un Rollinat pour comprendre que la finance va permettre aux salariés d’accéder à la Bourse pour compenser le gel de leurs salaires. Ce que je m’évertue à
expliquer depuis pas mal de temps, c’est que la consommation de plus-value des rentiers contribue à assurer la reproduction du système. C’est parfaitement conforme aux schémas de la reproduction où
Marx introduit la plus-value consommée comme débouché pour la section des biens de consommation. Quant à la théorie du capitalisme patrimonial, il se trouve que j’y ai consacré un chapitre critique
dans un livre paru en 2000 (22).
Peut-être dira-t-on que c’est consacrer beaucoup de temps à un médiocre épigone. Mais Rollinat a le mérite de synthétiser une posture malheureusement commune dans la gauche
radicale. Dans une autre note en bas de page, il cite cette «règle des trois tiers» que j’opposais à la «proposition baroque» de Sarkozy : «un schéma de sortie de crise fondé sur une
augmentation de la part salariale [qui] pourrait obéir à une autre règle des trois tiers : 1/ revalorisation des salaires ; 2/ ressources nouvelles pour la protection sociale ; 3/
nouveaux emplois créés par la réduction du temps de travail. La viabilité d’un tel programme serait assurée par la baisse des dividendes et un recours accru au crédit pour le financement des
entreprises, sans toucher aux capacités d’investissement, ni même à la sacro-sainte compétitivité».
Pour Rollinat, je «semble succomber dans [sic] les pires illusions» parce que «dans le contexte actuel de la crise, on voit mal comment ce «programme» pourrait
être mis en œuvre sauf à rompre totalement avec la logique du capital». C’est à peu près du niveau de Denis Clerc qui, dans une autre polémique, découvre, ou feint de découvrir, que je
«postule implicitement une société qui n'est plus capitaliste du tout » (23). Cette position est très grave, y compris les guillemets mis à programme.
Imaginez un super-marxiste intervenant à la porte d’une entreprise en train de licencier. Que dirait-il aux salariés ? D’abord la théorie : vous allez être licenciés parce que le taux de
profit des capitalistes baisse (tendanciellement) depuis 20 ans. On imagine l’air un peu effaré de l’assistance. Viennent ensuite les propositions qui tiennent en une formule magique : «rompre
absolument avec la logique du capital». On aimerait être sûr qu’il s’agisse d’une caricature.
Les dogmatiques sont décidément les rois de la rupture : après avoir rompu avec la tradition d’un marxisme vivant, ils jettent par dessus bord toute réflexion stratégique et en
particulier la logique transitoire, pour reprendre la terminologie trotskiste. De quoi s’agit-il ? C’est assez simple : toute la question est de mettre en avant des revendications qui
répondent aux besoins majoritaires tout en portant en elles une remise en cause potentielle du capitalisme. Par exemple, l’idée de siphonner les dividendes pour financer les emplois créés par
réduction du temps de travail est une idée juste qui désigne un objectif pratique. La question de savoir a priori s’il peut être imposé au capitalisme ou implique son renversement est d’une
certaine façon secondaire. Ce qui compte, c’est la capacité de mobilisation et d’intervention active des travailleurs dont un tel mot d’ordre peut être porteur.
Relisons Rollinat pour bien comprendre ce qu’il énonce : «dans le contexte actuel de la crise, on voit mal comment ce «programme» pourrait être mis en œuvre». On peut
retourner cette phrase dans tous les sens : elle veut dire que «dans le contexte actuel de la crise» on ne peut rien demander d’autre que l’éradication du capitalisme. Mais on tourne en rond
chaque fois que l’on en revient ainsi à la pure incantation («A bas la propriété ! A bas le capitalisme !»).
On retrouve de manière sous-jacente une critique récurrente, développée notamment par Chesnais, selon lequel la perspective d’une autre répartition des richesses serait au fond la
version moderne des illusions réformistes les plus classiques. Seuls les mots d’ordre mettant en cause la propriété capitaliste auraient un véritable contenu anticapitaliste. Il y a évidemment un
lien avec la lecture théorique de la crise, comme si, en dehors de la vulgate «orthodoxe» (baisse tendancielle du taux de profit et suraccumulation), les autres analyses en restaient cantonnées
- dans la sphère de la réalisation - à un simple problème de répartition des revenus.
C’est, encore une fois, ne pas comprendre que le refus de répondre aux besoins sociaux parce qu’ils ne sont pas suffisamment rentables constitue l’essence de cette crise et
correspond à un dysfonctionnement fondamental du système. Le pointer ne débouche pas sur un programme «keynésien» de relance salariale, mais sur la remise en cause de la logique de profit à partir de
l’affirmation de droits élémentaires. L’explication qu’il faut mettre en avant est assez simple : «nos vies valent mieux que leurs profits» et il faut organiser autrement l’économie et donc la
société.
La stratégie doit consister ensuite à mettre en avant des revendications justes, à montrer que c’est économiquement possible et que ce sont des intérêts sociaux minoritaires qui s’y
opposent. C’est une méthode en somme expérimentale : demandons ce qui est légitime et possible, mais demandons le jusqu’au bout et avec énergie. On verra bien si le capitalisme est capable de
répondre à nos revendications (nous nous pensons que non).
Pour sortir du cercle vicieux (le capitalisme n’a rien à offrir, mais comment s’en débarrasser ?), il faut mettre en avant l’idée de contrôle. Comment de toute manière imaginer
une irruption dans la propriété sans l’auto-activité des travailleurs décidant de contrôler sur le terrain les licenciements et les embauches ? Comment interdire les licenciements : par une
loi tombée du ciel ou arrachée sous la pression des luttes sociales ? Seule la mobilisation peut décrocher une telle avancée, mais penser qu’on peut l’enclencher à partir de mots d’ordre
abstraits dénués de tout objectif concret est une véritable régression qui redouble l’ossification théorique, tout en s’appuyant évidement sur elle. Tel est peut-être le fond du débat : faut-il
s’attacher au purisme du mot d’ordre, plutôt qu’à sa capacité à enclencher les luttes sociales et à leur donner un sens et une cible ? Bref, comme le proposaient Marx et Engels dans
L’idéologie allemande, il faut décidément appeler «communisme le mouvement réel qui abolit l'ordre actuel».
2. Alan Freeman, «The Case for Simplicity : a Paradigm for the Political Economy of the 21st Century» dans A. Freeman, A. Kliman, J. Wells
(Editors), The New Value Controversy and the Foundations of Economics , Edward Elgar, 2004.
3. Robert Brenner, «The Economics of Global Turbulence», New Left Review n°229, 1998.
10. François Chesnais, « Quelques éléments de réponse aux remarques de Claude Serfati », Carré rouge n°3, 1996 ; voir aussi Michel
Husson, «Contre le fétichisme de la finance», Critique communiste n°149, 1997, http://hussonet.free.fr/finance97.pdf
11. Michel Husson, «L'école de la régulation, de Marx à la Fondation Saint-Simon: un aller sans retour ?» dans J. Bidet et E. Kouvelakis,
Dictionnaire Marx contemporain, PUF, 2001, http://hussonet.free.fr/regula99.pdf
12. Karl Marx, Fondements de la critique de l'économie politique [Grundrisse], Editions Anthropos, 1968, tome 2, p.223.
13. Isaac Johsua, La grande crise du XXIe siècle, La Découverte, 2009.
15. Alain Bihr, «Pour une approche multidimensionnelle des crises de la production capitaliste», site A l’encontre, juin 2009, http://tinyurl.com/bihr69
Israël est l’opium du peuple, et autres tabous arabes
dimanche 4 janvier 2009, par Mona Eltahawy
Une intellectuelle arabe en colère contre l’hypocrisie et les tabous du monde arabe. Elle la crie en rappelant certains faits enfouis au nom d’une cause palestinienne que tous les pays arabes,
d’une façon ou d’une autre, ont contribué à démolir, tout en maintenant une posture de circonstance, bien utile aux dictateurs pour se maintenir au pouvoir. Aujourd’hui, Mona Eltahawy sera haïe un
peu partout et qualifiée de traître. Comme tous ceux, d’où qu’ils viennent, qui font la part des choses, qui préfèrent le critique à l’apologétique et pour qui la réalité n’est pas monochrome
« Pourquoi vous, une Arabe, n’écrivez-vous pas sur Gaza ? »
Les messages ont commencé à arriver peu après que les bombardements israéliens sur Gaza eurent tué près de 300 Palestiniens. Implicitement, on me pressait de tracer la ligne : le
Hamas, c’est bien, Israël, c’est mal. Dites-le ! Dites-le ! Sinon, vous n’êtes pas assez arabe, pas assez musulmane, pas assez !
Mais que dire d’un conflit qui, depuis 60 ans, nourrit le sentiment des Arabes et des Israéliens d’être des victimes et leur attente que tout s’arrête et qu’on fasse attention à eux,
car que vaut un massacre ailleurs, au Congo ou au Darfour, comparé à leur sort ? Tout n’a-t-il pas été déjà dit ?
Et puis, le suicide d’un cycliste en Irak a déclenché quelque chose en moi qui m’a décidé à écrire, pour pleurer la faillite morale née de l’amnésie qui sévit au Moyen-Orient.
Dimanche dernier, un homme sur une bicyclette s’est fait sauter lors d’une manifestation anti-israélienne dans la ville irakienne de Mossoul. Cette technique, légitimée par des
dirigeants religieux dans le monde arabe en tant qu’arme contre Israël, s’est détraquée et s’est retournée contre des Arabes qui manifestaient contre les bombardements israéliens sur Gaza.
Ce cercle vicieux, qui se termine dans les rues de Mossoul, ne peut être compris qu’en paraphrasant Karl Marx : Israël est l’opium du peuple. Comment expliquer autrement
l’amnésie collective qui frappe le Moyen-Orient ?
Tzipi Livni, la ministre israélienne des affaires étrangères, a-t-elle oublié qu’il y a à peine un an, elle avait failli se débarrasser de son premier ministre Ehoud Olmert pour sa
gestion catastrophique de la guerre d’Israël de 2006 au Liban, déclenchée dans des circonstances furieusement similaires à celles qui ont précédé le bombardement de Gaza ? Et pourtant, elle fait
le tour des médias américains en expliquant pourquoi Israël devait agir contre le Hamas. Israël veut-il faire du Hamas des héros, comme il l’a fait avec le Hezbollah ?
Tiens, et en parlant du Hezbollah : Hassan Nasrallah a-t-il oublié que, alors qu’il fulmine contre l’Egypte qui contribue au blocus de Gaza, il vit dans un pays (le Liban) qui
garde plusieurs générations de réfugiés palestiniens dans des camps qui sont des prisons virtuelles ?
Et les manifestants en Jordanie et au Liban ? Qui leur rappellera qu’en 1970, la Jordanie a tué plusieurs dizaines de milliers de Palestiniens en tentant contrôler des groupes
palestiniens (épisode connu sous le terme de Septembre Noir, ndt), forçant ainsi l’OLP à s’exiler au Liban où, en 1982, les milices phalangistes, des Libanais chrétiens, ont massacré 3 000 réfugiés
palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila ?
Pas un seul phalangiste n’a répondu de ce massacre. Une commission d’enquête israélienne, en 1983, a reconnu Ariel Sharon, alors ministre de la défense, indirectement responsable des
tueries perpétrées lors de l’invasion du Liban par Israël en 1982. Mais vous pouvez être tranquilles : il n’y aura pas d’enquête arabe. C’est Israël qui donne un sens à notre victimisation. Les
horreurs que nous nous infligeons les uns aux autres ne comptent pas.
Il est difficile de critiquer les Palestiniens au moment où tant d’entre eux ont trouvé la mort ces derniers jours, mais les maîtres du Hamas de Gaza ne sont que les derniers d’une
longue liste de leaders à démolir leur cause. Pour ceux d’entre nous qui regrettons que la religion ne soit pas séparée de la politique, le Hamas a confirmé nos craintes : les islamistes se
soucient davantage d’un affrontement avec Israël que du sort de leur peuple. Où était la colère quand deux fillettes palestiniennes ont été tuées à Gaza quand des roquettes du Hamas, dirigées contre
Israël, sont tombées trop près, la veille du début des bombardements israéliens ?
Quant à l’Egypte, le président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981, est responsable d’une politique désastreuse qui, d’un côté, maintient en vigueur un traité de paix signé en 1979
par Anouar Sadate avec Israël et, de l’autre, laisse les médias d’Etat exprimer leur furie contre Israël en suscitant ainsi une haine quasi hystérique contre ce pays chez l’Egyptien moyen.
Oui, l’occupation par Israël de terres arabes met en colère les Egyptiens, mais il n’existe absolument aucun espace dans les médias égyptiens ni dans les cercles intellectuels
permettant de discuter d’Israël autrement que comme d’un ennemi. M. Moubarak tire les marrons du feu d’une politique qui consiste à monter les camps les uns contre les autres, de manière à se
rendre indispensable.
Mais ma question est : où est la colère des Egyptiens et des autres, partout dans la région, contre les violations des droits de l’homme et contre l’oppression dans leurs
pays ? Si de si grosses foules s’étaient rassemblées chaque semaine dans chacune des capitales arabes, cela fait longtemps que leurs dictateurs auraient été renversés.
C’est un déshonneur suprême fait à la mémoire des Palestiniens tués ces trois derniers jours que d’appeler à davantage de violences. Cela a échoué depuis 60 ans.
Nous honorons les morts en frappant, jusqu’à nous heurter aux tabous, et continuons à frapper. Parler au Hamas ? Israël doit le faire s’il veut en finir avec la violence. Se
concentrer sur les questions intérieures dans chaque pays arabe en ignorant l’opium qu’est Israël ? Les Egyptiens, les Jordaniens, les Libanais et les Syriens doivent le faire, avant que leurs
pays n’échouent au nom de la Palestine.
Les Palestiniens n’ont pas encore leur Etat. Quelle honte ce serait si les pays arabes, les uns après les autres, tombaient au nom de la Palestine.
Mona Eltahawy est d’origine égyptienne et habite New York. Après avoir écrit pour le quotidien londonien en langue arabe Asharq al-Awsat, elle publie régulièrement des tribunes dans Al Masry
Al Youm (Egypte) et Al Arab (Qatar).
7 août 2009 ...Israël est l'opium du peuple, et autres tabous arabes vendredi 7 août 2009 (09h45) 1 commentaire. Israël est l'opium du peuple, et autres...
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Taxe carbone ou taxe pétrolière ?
Pour une taxation des compagnies pétrolières
On parle de plus en plus de la mise en place de la taxe carbone, taxe destinée en priorité aux énergies fossiles dont le pétrole. L’idée, défendue depuis quelques
temps par Nicolas Hulot ou Jean-Marc Jancovici, vise à renchérir le prix de l’énergie pour le consommateur afin de faire évoluer ses comportements. Un double avantage est attendu de la mesure :
diminution des émissions de CO2 et préparation de la population à la raréfaction de la ressource pétrolière. Mais qui oserait parler de la taxation des compagnies pétrolières ?
Car la crise que l’on connaît paraît-il en ce moment et pour encore un bon bout de temps ne touche pas tout le monde de la même manière… Les constructeurs automobiles
et les banques ont connu l’année dernière et cette année certes un léger passage à vide, mais l’ordonnance du docteur Etat a permis aux traders et autres incompétents de l’industrie automobile de
continuer à faire n’importe quoi sans se soucier de l’avenir.
Du côté des compagnies pétrolières, vous savez ces gangs internationaux qui vous fournissent périodiquement votre dose de pétrole raffiné pour faire avancer votre
cercueil en métal et plastique, la crise est passée semble-t-il quelque peu inaperçue l’année dernière….
En effet, le magazine américain « Fortune » vient de publier son classement des 500 premières entreprises mondiales selon le chiffre d’affaires pour l’année
2008, c’est-à-dire pour l’année où la crise des subprimes puis la crise automobile ont donné le meilleur de leur jus.
Et surprise, les compagnies pétrolières occupent 7 des 10 premières places mondiales du palmarès (Shell, Exxon, BP, Chevron, Total, Conoco, Sinopec). Et dans ce top
10, apparaît The China Petroleum and Chemical Corp, plus connue sous le nom de Sinopec, jusqu’alors 16ème.
Mieux encore, la Royal Dutch Shell passe même de la troisième place mondiale à la première place, détrônant le géant américain de la grande distribution Wal-Mart… avec
un chiffre d’affaires supérieur à 450 milliards de dollars, assorti de plus de 26 milliards de profits. Shell se place ainsi juste devant le pétrolier américain Exxon Mobil et renvoie à la 3ème place
le précédent leader du classement Wal-Mart Stores.
Du côté de la France, la première entreprise classée est sans surprise Total. Au 6ème rang (contre 8ème dans le classement précédent), le pétrolier a engendré des
profits à hauteur de 15 milliards de dollars et a profité de ses bénéfices pour réduire une partie de sa dette. Dans le même temps, le pétrolier français licenciait en masse, en particulier en
Grande-Bretagne où les salariés avaient eu le culot de faire grève sans prévenir… Ce bouleversement du classement mondial des plus
grands exploiteurs de la planète n’a rien d’étonnant. En 2008, le prix de l’« or noir » n’a cessé de flamber, faisant la part belle aux sociétés pétrolières.
Et que font les compagnies pétrolières de tout cet argent ? Elles compensent leurs émissions de CO2 ? Elles financent des projets alternatifs pour anticiper
la fin du pétrole ? Elles distribuent à leurs salariés de copieux dividendes ? Elles embauchent en masse, conscientes de leur rôle social durant cette période de crise ? Euh, non…
En fait, elles réduisent pour certaines une partie de leur dette. Elles investissent des centaines de milliards de dollars dans l’extraction extrèmement polluante des
sables bitumineux du Canada afin de fournir les dernières
gouttes de pétrole que vous pourrez mettre dans votre réservoir. Et pour l’essentiel, elles rémunèrent grassement une poignée d’actionnaires qui roulent tous en 4×4 et qui se foutent complétement de
l’avenir du climat ou de la planète… Mais je vous rassure, ils regardent quand même le film “Home” de Yann Arthus-Bertand et même parfois les émissions de Nicolas Hulot sur le lecteur DVD de série de
leur 4×4 dernier cri…
Mais heureusement, la taxe carbone fera participer aussi les actionnaires et autres cols blancs à la lutte contre le réchauffement climatique… Avec quelques centaines
d’euros à payer pour leur 4×4 énergivore, cela va sans aucun doute représenter un effort financier énorme pour ces actionnaires dans le besoin…
Ils auront en plus la bonne conscience d’avoir apporté leur écot à une noble cause, l’environnement, qui en outre s’avère de plus en plus être un formidable facteur de
croissance et de profits. Au détriment de… l’environnement, mais bon, on ne peut pas tout avoir et l’essentiel, c’est quand même de maintenir les taux de profit !
Les derniers déboires de la première secrétaire du PS, Martine Aubry, illustrent la crise dans
laquelle son parti est plongé. La nécessaire indépendance vis-à-vis du PS n’en est que plus évidente.
Après le spectacle affligeant du congrès de Reims et la défaite des européennes, la spirale de la crise
interne du PS prend un tour épistolaire. Les échanges d'amabilités entre Martine Aubry et Manuel Valls n'échappent pas à la règle générale du débat interne au PS: un maximum de rivalité, un minimum
de divergence politique. Obsédés du pouvoir pour le pouvoir, les socialistes s'empoignent pour le leadership, se déchirent sur le type d'alliance à nouer. Quand ils manient (rarement)
l'antisarkozysme, c'est uniquement pour la forme : le PS n’émet aucune critique radicale et globale de la politique du gouvernement et ne formule aucune contre-proposition.
Henri Weber (membre du bureau national du PS) se penche sur les raisons pour lesquelles, en Europe, la
« vague bleue » a succédé à la « vague rose » : « Ce reflux a des causes multiples, mais la principale est l'échec relatif […] des politiques sociales-démocrates face à la
mondialisation libérale. […] Le peuple de gauche [en] a surtout retenu la colonne négative: l'augmentation du chômage et de la précarité, la stagnation du pouvoir d'achat, l'affaiblissement et/ou la
privatisation des services publics.»1 Rien n'indique à la masse des salariés et des jeunes la différence entre la droite et la gauche ou les contours d'une alternative susceptible de
mobiliser pour le changement. Weber ne propose aucun remède à cette situation. Rompre avec le système est la seule alternative possible, mais cela n'est pas dans les canons de la pensée des
dirigeants socialistes.
Quant au débat sur les alliances, il demeure ouvert au sein du PS. Certains demandent de se tourner vers
le Modem – parti de droite, comme en témoignent certains de ses accords électoraux. Ce n'est pas, dans l'immédiat, la voie prônée ouvertement par Martine Aubry, qui vient d'adresser un courrier à
toutes les formations de gauche – mais pas au NPA2 – dans le but de reconstituer un nouvel avatar d'Union de la gauche.
A gauche, la question est posée: que peut-on faire ou non avec le PS? La direction du PCF tente
régulièrement de convaincre qu'il faut rassembler la gauche sur un «programme réellement ancré à gauche». Elle appelle souvent le NPA à la « responsabilité », lui qui se complairait dans
une posture protestataire et minoritaire. En réponse à l'invitation de Martine Aubry, Marie-George Buffet cultive ainsi l'ambiguïté: «La question, c'est de rassembler le plus largement possible la
gauche sur un projet audacieux au niveau des régions. » Elle propose d'élargir le Front de gauche, sans préciser à qui. Ces zigzags permanents génèrent des divisions internes, dont l’épisode des
municipales partielles d’Aix-en-Provence en est la dernière illustration : au second tour, alors que la liste PCF-NPA-PG ne donnait, à juste titre, aucune consigne de vote, la fédération des
Bouches-du-Rhône, contre l’avis de sa section, a appelé à voter pour la liste PS-Modem-Verts-Divers droite, comprenant d'anciens adjoints de la mairie UMP.
Ce pseudo-réalisme a amené le PCF à gouverner à maintes reprises avec le PS, que ce soit
au sommet de l'Etat ou dans les collectivités territoriales. Au lieu de tirer le PS vers la gauche, c'est le PCF qui s’est retrouvé dans la position d'avaler des couleuvres. Pour conserver une chance
de rebattre les cartes, il faut choisir l'indépendance, populariser un projet anticapitaliste et œuvrer ensemble au changement du rapport de forces. Dans la rue, dans les urnes, dans les
institutions.
Frédéric Borras
1. Tribune libre publiée par Le Figaro du 16 juillet.
2. En n'adressant pas son courrier au NPA, Martine Aubry souligne une réalité : il n’y a pas de dénominateur commun
entre le programme du PS et celui du NPA.
On a échappé à la nomination au gouvernement de Claude Allègre, qui de l'aveu de tous les observateurs, jusqu'à Nicolas Hulot - pourtant peu suspect de sectarisme -
aurait été un « bras d'honneur » à la communauté scientifique à la veille du sommet de Copenhague.
On n'échappera pas en revanche à celle de Christian Jacob, désormais président de la toute nouvelle Commission « développement durable » à l'Assemblée nationale.
Ce proche de l'agrobusiness, ancien président du Centre National des Jeunes Agriculteurs, avait organisé la destruction de l'amendement "Chassaigne" sur les OGM qui
garantissait le respect « des structures agricoles, des écosystèmes locaux et des filières de production qualifiées "sans OGM" et en toute transparence ». Voilà qui nous garantit des débats en toute
indépendance...
Par ailleurs, on apprend que l'énergie ne relèvera pas de cette commission mais restera du ressort de la commission des affaires économiques. Comment ? L'énergie ne
relèverait donc pas des problématiques du « développement durable » mais uniquement du domaine économique ? Etrange.
Au même moment, Christine Lagarde se fend d'un communiqué officiel pour se féliciter de l'entrée à hauteur de 15% d'actionnaires privés dans le capital d'Areva ! La
privatisation de l'énergie se poursuit... Et ce, au moment même où EDF réquisitionne ses agents, qui précisément exercent leur droit de grève pour dénoncer les dérives liées à la libéralisation et à
la sous-traitance dans les centrales nucléaires.
On le voit une fois de plus, l'énergie est considérée par la droite comme une source de profits et un « produit » monnayable et exportable, et non comme un droit
fondamental. Une fois de plus, les intérêts économiques priment sur le respect des individus et des éco-systèmes.
Claude Allègre, toujours lui, vient d'ailleurs d'annoncer le lancement de sa « Fondation pour l'écologie productive », qui « bénéficiera du soutien de grandes
entreprises ». Voilà qui a le mérite d'être clair. Aucune remise en cause du système, du capitalisme vert, encore et toujours.
Le Parti de Gauche rappelle que l'urgence écologique n'est pas soluble dans le capitalisme et le productivisme, et que l'accès à l'énergie est un droit fondamental, à
préserver des logiques du marché et de la libre concurrence.
Nous nous prononçons pour un pôle public de l'énergie, seul capable de réduire la fracture énergétique et de planifier de manière démocratique la nécessaire transition
énergétique face aux risques du nucléaire, à la nécessaire diminution des émissions de gaz à effet de serre et à la raréfaction des ressources naturelles.
L’Histoire vue par
Sarkozy,
arme de
destruction
massive
de l’imaginaire
Décidément Nicolas Sarkozy aime l’Histoire nationale. Après Jaurès, Blum, Guy Môquet, il nous a fait le coup la semaine passée du Conseil National de la
Résistance et de Mitterrand.
Le recyclage permanent des icônes de la gauche française par cet héritier des droites nationales et anglo-saxonnes, est devenu un classique du style de gouvernance
qu’il prétend incarner. Mais, crier au scandale face à la cascade de références au combat émancipateur de la gauche qui fut mené, d’abord, contre tous les Sarkozy de toutes les époques, ne suffit
pas. Il faut s’interroger sur les raisons et les effets de cette stratégie de la tension historique que les discours d’Henri Guaino nous infligent. Cette confusion, voulue et assumée par le
sarkozysme, s’apparente à un empoisonnement de longue durée. Il vise à détruire les résistances immunitaires de la gauche. Dans une nation, le lien social est constitué par la géographie, la langue,
la culture et l’histoire. Sans ces éléments interdépendants, nous ne sommes plus que des êtres virtuels, flottant sur l’océan sans aucune boussole. En nous faisant perdre nos repères historiques, en
transformant l’histoire en une bouillie pour les chats, le sarkozysme prend à témoin la majorité de la population pour lui dire qu’il n’y a plus besoin ni de fidélité à un camp, ni de respect des
valeurs... Bref, que tout se vaut dans un monde où tout s’achète. En achetant comme un nom de domaine, le patronyme « F.Mitterrand.fr », Nicolas Sarkozy se comporte en contrebandier de
l’Histoire ; il s’approprie un peu de l’aura de celui qui, venu de la droite, construisit l’Union de la gauche, abolit la peine de mort, fit adopter la retraite à soixante ans et la cinquième
semaine de congés payés, créa les radios libres... Il annexe l’histoire de la gauche au moment où sa politique consiste à anéantir les conquêtes du CNR en détruisant le service public, en insufflant
le débat sur la retraite à soixante-sept ans, en contrôlant l’audiovisuel public et privé, du sol au plafond. Cette perversion ressemble à la stratégie de la triangulation de Tony Blair qui
s’appuyait sur les valeurs de droite pour « moderniser » la gauche. Sarkzoy modernise la droite en utilisant les valeurs de la gauche, pour la faire disparaître . Peu importe, dès
lors, qu’il ne soit pas parvenu à faire entrer un nouveau socialiste dans son gouvernement. L’arrivée de « F.Mitterrand.fr » au Ministère de la Culture est suffisante pour brouiller les
cartes.
L’enfumage continue, il n’y a plus ni gauche ni droite, mais un pays anesthésié, abruti par le désordre des esprits, entretenu volontairement par la cellule de
communication du marionnettiste de l’Elysée. La gauche officielle a beau crier au voleur, elle n’est pas entendue, mais discréditée par ses atermoiements. Elle vient écouter le discours de
Versailles, mais au lieu de répondre, elle s’en va. Comme les Verts et les communistes, elle aurait pu faire de son boycott une arme politique. Au lieu de cela, elle rajoute du trouble au
confusionnisme ambiant. Billancourt n’existe plus mais elle continue à désespérer les enfants des ouvriers de Renault. Elle dit « respecter les institutions », pourtant, Mitterrand et
Mendès-France les combattirent et les refusèrent des années durant sans que personne, à gauche, ne trouve à y redire. En fait, la gauche se comporte avec les institutions comme avec ses valeurs
fondamentales, l’égalité et la justice sociale : Elle les conserve dans la naphtaline de l’histoire, les gèlent dans la nostalgie pour mieux s’en détourner lorsqu’elle accède au pouvoir. Sarkozy
les embaume pour mieux s’asseoir dessus. Que les salariés, les classes populaires, les jeunes et une partie des classes moyennes, victimes du précariat, se réfugient dans le radicalisme ou
l’abstention, se détournent de la politique, personne ne s’en étonnera. Sarkozy se nourrit des abandons successifs de cette gauche-là , de ses petites et grandes trahisons, de son immobilisme et de
son conservatisme. Il apparaît - et c’est un autre des traits de sa stratégie de récupération historique - comme au-delà des traditions de la gauche et de la droite, comme un passeur entre deux
mondes : j’adapte d’autant mieux la France aux canons de la mondialisation libérale que je suis le seul dépositaire de l’Histoire nationale, transformée en bandes dessinées à ma gloire. Oyez,
fils de la République, vous me croyez vaticaniste, je suis laïc. Oyez, fils de la Sociale, vous me croyez libéral, je suis keynesien. Oyez, les écolos, vous me pensiez productiviste, je suis le
chantre du développement durable... Et ainsi de suite. Le sarkozysme pourrit tout ce qu’il touche, car il transforme en farce l’histoire et les idéologies, produits de la tragédie humaine. Pour
Sarkozy, l’Histoire, c’est un peu comme Second Life : cela ressemble à la réalité, cela a l’image de la réalité, mais elle est tellement reconstituée qu’elle se transforme en une succession
d’images pixelisées sans rapport avec la réalité. Ce faisant, le sarkozysme tue ce qui restait de lien social sans faire réapparaître une histoire européenne, ni même une histoire locale. En fait,
chez Sarkozy, l’histoire n’est qu’un alibi, elle n’existe pas. Elle n’est qu’un habillage, un montage désincarné. Elle ne vise qu’à annihiler l’adversaire. Elle a pourtant une deuxième fonction,
démontrée par le discours de Versailles : Elle sert de présentoir, au sens propre, à un Sarkozy qui écrit la première page d’un nouveau livre à sa gloire. Avant lui, il n’y avait rien, hormis
des personnages désincarnés lui servant de faire-valoir. Après lui, sans doute, il n’y aura rien non plus, sinon peut être son propre fils, donc une dynastie qu’il aurait fondée un soir de bringue au
Fouquet’s.
Qui n’a pas de passé, n’a pas d’avenir. Lorsqu’on joue avec l’histoire en la brûlant comme un pompier-pyromane, on atteint l’âme même du pays. On désintègre ce qui se
trouve enfoui au plus profond d’une nation, son rapport aux générations passées et futures, ce qui fait sens et société, au-delà des contingences du temps présent. En fin de compte, Nicolas Sarkozy
n’aime pas l’histoire. Il l’instrumentalise pour la dépolitiser, pour neutraliser ses symboles historiques. Ce nouveau syncrétisme historique est une captation d’héritage par un voleur de grand
chemin.
Accepterons-nous plus longtemps de voir Blum, Jaurès, Guy Môquet, la Résistance et tous ceux qui se sont battus pour les valeurs de la République, être assassinés une
seconde fois, au petit matin, par un usurpateur ?
Noël Mamère, le 29 juin 2009
110ème semaine de Sarkofrance :
Sarkozy, monocrate mais minoritaire.
Nicolas Sarkozy a démarré sa 110ème semaine à l'Elysée triomphant: il avait soit-disant gagné les élections européennes. Qu'importe si 6 millions de votes s'étaient évaporés depuis
2007. L'UMP reste en tête dans un paysage politique désolant et abstentionniste.
Minoritaire
Les élections européennes ont renforcé le dispositif élyséen en vue de la réélection du monarque en 2012. Rien n'est perdu pour l'opposition, mais le chemin est encore long. Lundi, Sarkozy ne s'est
pas trompé en saluant le "succès" de l'UMP au scrutin de dimanche. Qu'importe si son camp est rétréci à un niveau inégalé au sein des grandes démocraties européennes
(Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni) ! Le président a expliqué que : "ce succès aux élections européennes commande d'aller plus loin. L'Europe doit changer. Les réformes doivent continuer.
Le président de la République prendra dans les jours qui viennent des initiatives ouvrant de nouveaux chantiers".
Jeudi, le président français a rencontré à nouveau Angela Merkel. Ont-ils comparé leurs scores respectifs (38% pour
la CDU, 28% pour l'UMP) ?
Lundi, Sarkozy souriait donc. Il avait brillamment neutralisé l'élection européenne : abstention record (surtout parmi les classes populaires, les plus touchées par la crise), UMP en tête, PS et
Modem KO. Que du bonheur ! Il pouvait même laisser Fadela Amara déclarer que Daniel Cohn-Bendit, l'autre vainqueur du scrutin, avait toute sa place au gouvernement lors du prochain remaniement, et
Brice Hortefeux draguer Marielle de Sarnez. Le résultat de dimanche est le signal d'une offensive sarkozyenne. Le président a rapidement fait savoir qu'il convoquait les parlementaires en Congrès à
Versailles le 22 juin prochain. Il pousse le cérémonial au maximum pour ouvrir la seconde partie de son mandat. Combien de parlementaires de l'opposition auront le cran de boycotter cette allocution
à sens unique ? Sarkozy se saisit de ce pouvoir, offert à lui depuis la réforme constitutionnelle de juillet 2008. Il convoque, les députés et sénateurs godillots doivent accourir. Tout au plus,
pourront-ils débattre, sans vote, une fois que le Monarque aura quitter la salle. Aux Etats-Unis, le président américain peut également s'adresser aux élus du Congrès. Mais la séparation des pouvoirs
a une sacrée valeur là-bas. En son temps, Bill Clinton à peine élu avait lamentablement échoué à convaincre le Sénat et la Chambre des Représentants à voter sa loi sur la protection sociale. Le
président doit s'exprimer pour convaincre. En France, Sarkozy est un petit monarque qui vient faire le fier devant des députés et sénateurs UMP qui tiennent leurs élections que de lui.
Boycottez-le !
Le 23 juin, Nicolas Sarkozy devrait ensuite annoncer son remaniement gouvernemental. Il cherche toujours l'ouverture et les symboles. A défaut de trouver des "gros
poissons", il se rabattra sur du menu fretin, comme Paul Giacobbi, député radical de gauche de Haute-Corse, ou encore Christophe Girard, adjoint de Bertrand Delanoë qui a déjà dit qu'il était
d'accord. Côté symbole, Sarkozy aurait trouvé ses nouvelles Rachida Dati Nora Berra, eurodéputéeUMP, et Fatine Layt, une ancienne associée de Jean-Marie Messier. Dans quelques années, on expliquera à ces
débauchés de l'ouverture qu'ils n'ont été que les suppositoires d'une casse sociale sans précédent.
Hypocrite
Mardi, faux hasard, le monarque se déplaçait en Savoie pour parler "énergies renouvelables". Qu'importe si le Monarque parle davantage qu'il n'agit. Cela ne l'empêche pas de s'auto-proclamer premier écolo
de France : «La croissance durable, j’ai fait campagne sur ce thème avec Jean-Louis Borloo, nous avons inventé le Grenelle de l’environnement». On n'oubliera pas la grève de la faim, à
l'automne 2007, pour faire craquer le gouvernement sur le moratoire d'un maïs transgénique, la liberté de produire OGM, le rejet à l'Assemblée Nationale de deux projets de lois écolos, l'un sur "l’empreinte écologique de la
France," (en janvier), l'autre sur la "transformation écologique de l'économie" (en avril); le compromis minimaliste sur l'engagement européen de réduction des émissions carbone à l'horizon 2020
(autrement dénommé "Paquet
Energie Climat"), ou le circuit de formule 1 de Flins dans les Yvelines à proximité d'une zone de collecte d'eau
potable.
Mardi, donc, Sarko l'écolo nous a vendu que la France dépenserait désormais autant pour les énergies renouvelables que pour le nucléaire. On pourrait lui rappeler que son propre plan de relance le
contredit sur ce point. Deuxième (et dernière) proposition concrète: la création d'une taxe carbone. L'ennemi est dans le détail, Sarkozy veut taxer les pollueurs plutôt que le travail ou les
entreprises. On objectera que cette nouvelle fiscalité (1) sera de moins en moins rentable à fur et à mesure que les comportements deviendront vertueux; et (2) frappera sans équité les foyers les
plus modestes.
Autre lieu, autre jour, autre hypocrisie. Vendredi aux "24 heures du
bâtiment", Nicolas Sarkozy était ovationné par quelques centaines de chefs d'entreprises du bâtiment. Le secteur est l'un
des grands bénéficiaires du plan de relance. Devant eux, le monarque s'est déclaré en faveur de « l'allègement du droit de l'urbanisme et la simplification du droit juridique » : toutes ces
règles censées protéger paysages et cadres de vie, définir des normes de construction ou d'habitation, quel fatras ! « C'est trop long, c'est trop lourd, c'est trop paralysant. Ça ne protège pas
l'environnement, ça ne protège pas le paysage, ça a conduit à un certain nombre d'horreurs».
Sarko écolo ? La belle affaire.
Escamoteur
Le président français veut surtout escamoter les mauvaises nouvelles de Sarkofrance. Non seulement le monarque est ultra-minoritaire dans l'opinion, mais en plus le contexte social est désastreux:
premier problème, le pôle emploi est submergé. Le président du du comité d'évaluation de Pôle emploi a violemment critiqué cette semaine le nouveau service issu de la fusion des Assedics et de l'Anpe
: service surchargé, équipes bousculées, directeur incompétent. La charge est rude. Autant que les destructions d'emplois : 2 000 par jour depuis janvier... Quelques 187 800 emplois ont été détruits
au premier trimestre 2009 d'après l'INSEE (175 000 d'après le pôle emploi). Tous les secteurs ont souffert (industrie, tertiaire) comme tous les statuts (intérim, CDD, CDI). Pour faire face, le pôle
emploi embauche 500 CDD pour renforcer les plates-formes téléphoniques de son service, avant d'installer une sous-traitance privée dès septembre.
Seconde inquiétude, le Revenu de Solidarité Active est menacé de surchauffe budgétaire à peine en vigueur, : c'est " l'embouteillage à la CAF !" rapporte
l'Express. Et l'emploi n'est pas là. Conçu pour les périodes de croissance, le RSA dépasse les prévisions. En septembre 2008, le plan gouvernemental tablait sur 1,1 millions de bénéficiaires, antérieurement tous au RMI. Plus de 3 millions de travailleurs pauvres, subventionnés de quelques centaines d'euros, seront bientôt disponibles "à bas coût". Attention à l'effet d'aubaine ! Le Mouvement national des chômeurs et précaires rappelle que le RSA va renforcer la précarité des allocataires les plus démunis. Autre nouvelle de la semaine, les prix en France ont ... baissé en France, pour la première fois depuis 1957: -0,3% sur 12 mois glissants.
Christine Lagarde parle de "repli de l'inflation", plutôt que de déflation. Sacrée Madame la ministre ! Tout pour rassurer ! Selon un expert, cette stabilité à la baisse, sur plusieurs mois,
«est le signe tangible d'une déflation». Or le risque est là: les prix qui baissent démotivent les entreprises à investir, les salaires n'augmentent plus, la consommation chute, le chômage
enfle. De fait, les producteurs de lait s'impatientent, l'immobilier s'effondre un peu plus.
Le déficit de la Sécu, lui, explose à plus de 20 milliards d'euros. Mais Nicolas Sarkozy a son idée : Trois jours avant le scrutin européen, il avait annoncé l'une de ces casses sociales volontaires
qu'il affectionne : transférer la prise en charge des maladies longues aux mutuelles, pour alléger la charge
de la Sécurité Sociale. Espérons que l'électorat âgé du monarque soit aisé. Cinq millions de foyers français n'ont aucune mutuelle.
Combien d'entre eux votent encore en conscience pour l'UMP ? Autre sujet de préoccupation, le SMIC n'augmentera que du strict minimum le 1er juillet prochain : +1,05%. Brice Hortefeux nous avait prévenu il y a 2 mois. Il n'y a que les émoluments de Sarkozy qui peuvent encore
bénéficier d'une augmentation à deux chiffres ! Les salaires stagnent ou baissent en période de crise. L'État subventionne l'apprentissage, les stages, les "contrats de
professionnalisation". Vendredi, lors des "24 Heures du Bâtiment", Martin Hirsch se réjouissait de ces exonérations au micro de BFM: "ces emplois ne coûtent presque rien
aux entreprises !". Il croit bien faire. A la faveur de la crise, le gouvernement entend bien réajuster à la baisse le coût du travail. Quand l'entreprise Osram, filiale de Siemens Eclairage, menace 108 employés de
licenciement économique s'ils ne réduisent pas leur salaire, personne ne bronche au gouvernement. Chez Hertz, les cadres ont cédé, et accepté une baisse temporaire de leur salaire.
Menaçant
Côté libertés publiques, ce n'est pas mieux. La France glisse tranquillement vers un état autoritaire. Lundi dernier, l'Assemblée Nationale étudiait en effet ces nouvelles dispositions de la loi de
programmation militaire 2009-2014, proposée par Hervé Morin. Un débat à l'image de notre pays. Alors que l'Amérique tente de faire le bilan de 8 années d'administration Bush marquées par un
rétrécissement des libertés publiques sous couvert de lutte contre le terrorisme, Nicolas Sarkozy engage la France, avec retard, sur le même dangereux chemin: fusion des services de renseignement
(2008), préparation de la loi Loppsi 2 en matière de cybersurveillance (2009), exemption au secret des sources journalistiques (2008), installation des peines planchers (2007), et maintenant
renforcement du secret défense. La Sarkofrance aime la manière forte. Le projet d'Hervé Morin comble un vide juridique: un juge devra demander l'autorisation au Parquet de perquisitionner tout lieu
sensible "abritant un secret de la Défense Nationale". Après des débats houleux, le compromis est tombé : ces "lieux sains" ne le seront que pour 5 ans, et leur liste sera
connue.
Laquais
Mardi prochain, Nicolas Sarkozy ira saluer la dépouille d'un autre monarque. Omar Bongo était l'ami de la France, un président à vie, corrupteur et corrompu. L'an passé, il avait fait virer
l'idéaliste Jean-Marie Bockel, éphémère secrétaire d'État à la Coopération qui croyait pouvoir en finir avec la Françafrique. Alain Joyandet,
son successeur, s'était précipité au Gabon prêter allégeance. Toujours sous le coup d'une colère, Omar Bongo ne le reçu même pas ! Bernard Kouchner sera aussi du voyage, mardi prochain. Il ira rendre
hommage à un ancien client. En France, on ne sait pas encore si ce décès si nationalement célébré libèrera les procédures judiciaire en cours sur les avoirs détenus en France par la famille Bongo,
suspectée de détournements de fonds, qu'ils auraient par la suite investi en France. La morale peut attendre. Elle n'a rien à faire dans les affaires africaines de la France.
Nicolas Sarkozy apparaît tel qu'il est: un monocrate, mais minoritaire, qui a solidemment conforté sa position, tant politique, institutionnelle que sécuritaire. Le 22 juin, clou du spectacle, il
aimerait qu'on l'écoute, lors d'une cérémonie bonapartiste ridicule dont seule une certaine France est encore capable.
Iran : une élection sans grand espoir
NPA 10 juin 2009
46 millions d’électeurs iraniens sont appelés aux urnes, le vendredi 12 juin, pour élire leur
président.
Même si le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, est le personnage le plus puissant de la
République islamique, l'« élection » présidentielle revêt une importance particulière. Trois candidats, autorisés par le régime, affrontent le président sortant, Mahmoud Ahmadinejad. Comme
toujours en République islamique, les candidats sont des caciques du régime, qui représentent des intérêts différents. Il s’agit d’une lutte d’influence acharnée entre les factions au pouvoir.
L’enjeu est le contrôle de la rente pétrolière, de l’import-export et de l’économie plus largement.
Ainsi, à Ahmadinejad, il faut rajouter Mohsen Rezaï, actuellement membre de l'Assemblée des
experts, chargée de superviser l'activité du Guide suprême. Rezaï a dirigé, de 1981 à 1997, le corps des Pasdaran (gardiens de la révolution), l’armée d’élite de la République islamique. Il est visé
par un mandat d’arrêt international lancé par l’Argentine pour son rôle présumé dans l'attentat à la bombe commis en 1994 contre le siège de l’organisation juive Amia (85 morts). Autre candidat,
Mehdi Karoubi a été président du Parlement à deux reprises (1990-1992 et 2000-2004). Enfin, le challenger le plus sérieux, Mir Hossein Moussavi a été Premier ministre de 1981 à 1989, en pleine guerre
Iran-Irak, puis conseiller des présidents Akbar Hachemi Rafsandjani (1989-1997) et Mohammed Khatami (1997-2005). Il a le soutien du camp dit « réformateur ». C'est le candidat le plus
bienveillant à l’égard des intérêts occidentaux. Une partie de la jeunesse issue des classes moyennes et citadines sera tentée de voter pour Moussavi, afin d’en finir avec Ahmadinejad qui, durant son
mandat, n’a pas hésité à réprimer les mouvements étudiants et à interdire les journaux critiques à l’égard du pouvoir.
Cependant, les chances de victoire d’Ahmadinejad sont réelles. Il conserve, notamment par sa
rhétorique pieuse, nationaliste et populiste, une capacité de mobilisation importante au sein des couches les plus pauvres de la population. Il dispose de véritables soutiens au sein des Pasdarans,
dont il est le garant des intérêts. Enfin, il est le candidat du Guide suprême. Ce dernier élément indique clairement que tout sera fait pour qu’Ahmadinejad puisse remporter ce
scrutin.
Bien entendu, ces élections n’ont rien de démocratique. Les tricheries sont monnaie courante
et la victoire ira au camp qui aura le plus bourré les urnes. D’où un désintérêt important des Iraniens et l’enjeu pour le régime d’afficher un taux de participation conséquent. A tel point que, pour
la première fois, le pouvoir a organisé des débats télévisés entre les candidats.
Avec près de 40% de chômeurs, 30% d’inflation, 12 millions de personnes vivant sous le
seuil de pauvreté, la grande majorité de la population voit son pouvoir d’achat chuter. Les Iraniens n’attendent pas grand-chose de ce scrutin. Aucun des candidats ne s’attaquera au chômage massif, à
l’inflation ou à la corruption. Aucun des candidats n’accordera aux travailleurs le droit de se syndiquer et de lutter. Aucun des candidats ne condamne la répression à l’égard des femmes, de la
jeunesse, des intellectuels ou des travailleurs. Tous entendent maintenir le régime dictatorial et patriarcal en place.
Ces élections se déroulent dans un climat de tension important. Tensions dont en
témoignent les arrestations de travailleurs, pour avoir osé organiser des initiatives le 1er Mai, ou d’enseignants en lutte pour obtenir le paiement de leurs salaires. D’autres événements,
comme l’attentat de la mosquée de Zahedan (sud-ouest de l’Iran), qui a coûté la vie à 23 personnes, montrent l’instabilité qui règne dans certaines régions peuplées par les minorités nationales et
religieuses réprimées par la mollahrchie. Dans ces circonstances, les résistances multiformes qui s’expriment en Iran sont le seul espoir dans le combat pour la justice sociale, la démocratie,
l’égalité et la laïcité.
Parti socialiste : grande claque et gueule de bois...
NPA mardi 9 juin 2009
Avec 16,48% des votes, le PS se retrouve talonné par les Verts, et à 11 points de l'UMP. Il n'incarne en rien une
opposition crédible à Sarkozy.
Le score du PS est historiquement bas, mais pas qu'en France : la social-démocratie recule, en particulier dans les pays
où elle est au pouvoir, au Royaume-Uni, où la gifle est magistrale (15,30% contre 28,60% pour la droite), au Portugal (26,6% contre 40,1%), dans l'Etat espagnol (38,51% contre 42,23%). Même constat
en Allemagne, où les sociaux-démocrates obtiennent un de leurs scores les plus faibles (20,8% contre 30,7% pour la droite). Le PS semble s'effondrer donc en France, même dans les régions qui lui sont
historiquement acquises. L'électorat socialiste a fait défaut, cette fois, s'abstenant ou glissant aussi en partie chez les Verts de la liste Europe écologie. Pourquoi ces résultats, que les
socialistes n'ont pas entièrement vu venir, même si des dirigeants, dont Martine Aubry, avaient pris les devants en expliquant qu'un score autour de 20% serait honorable ?
Dans une campagne atone voulue par l'UMP, on ne peut pas dire que la campagne du PS ait été particulièrement vigoureuse!
Dans le contexte de la crise, et dans lequel l'Europe n'apparaît pas pour une majorité protectrice mais au contraire porteuse de dérégulations et de casse sociale, le PS a été inaudible, lui qui a
participé à la mise en place de cette Europe-là, comme l'ensemble des partis sociaux-démocrates européens.
Fini le bénéfice du vote sanction ou du vote utile, le PS n'a pas pu faire oublier qu'il dirigeait lors de la signature
des traités libéraux, qu'il était un ardent partisan du « oui » en 2005, qu'il s'est assis comme la droite sur le vote majoritaire du « non » à la Constitution européenne et qu'il
s'est « opposé » plus que mollement au pouvoir de Sarkozy depuis deux ans. Ce que retient l'opinion, ce sont les divisions intestines, les guerres de clans et de chefs, et le catastrophique
congrès de Reims à l'automne dernier.
Alors, au PS, on cherche des responsables, des explications à cet échec cinglant : la faute à Martine Aubry, il faut
« rénover », se débarrasser des éléphants, donner plus de place aux quadras, changer de langage. E,t bien sûr, si « la gauche a échoué », c'est parce « qu'elle était
divisée »! La vieille tarte à la crème de la division et du syndrome du 21 avril !
Mais on n'a pas entendu de dirigeants socialistes tirés le bilan de la politique du PS, de son accompagnement du
capitalisme, de l'appui aux politiques libérales au sein des institutions européennes, au détriment des peuples et du monde du travail. Non, décidément, cela n'est pas l'habitude de la maison. Alors,
même si la claque a été magistrale et la gueule de bois douloureuse, au vu de l'abstention, il faut être prudents quant à la recomposition du paysage politique à gauche, même si le PS est certes
affaibli à l'issue de ce scrutin, et qu'il va sans doute traverser, en interne, une zone de turbulences pour un bon bout de temps.
Depuis 2005, et la campagne victorieuse contre la constitution européenne, des aspirations unitaires sont nées à la gauche du PS. Si le "non" l'a emporté, c'est en bonne part parce que la gauche
antilibérale s’était fédérée face à la mise en concurrence des salariés, au démantèlement des services publiques et des droits sociaux, à la stigmatisation des étrangers que cette Europe met en
oeuvre.
L'aspiration à l'unité portée par tant de militants anticapitalistes lors des présidentielles a ensuite été mise en échec. Ces derniers mois, l'unité dans les luttes - soutenue par les trois quarts
de la population - et la soif d'une vraie alternative à gauche face aux ravages de la crise auraient dû faire naître une liste unitaire de la gauche radicale pour les élections européennes de juin.
Pourquoi les directions des partis politiques ne l'ont-elle pas souhaitée ? Les raisons invoquées sont-elles fondées ? Et si on pense l'unité nécessaire, comment y contribuer ?
La soif d’unité est grande
Un front unique électoral, composé du PCF, du Parti de Gauche (PG), du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), et des autres forces altermondialistes aurait clairement permis d'élever la confiance de
classe. L'arme la plus puissante des classes dominantes contre nous est la division. C'est pourquoi, dans nos quartiers, dans les luttes et aux élections - qui ne sont pour nous qu'un porte-voix,
nous devons nous unir.
Un bon score aurait permis de crédibiliser davantage l'anticapitalisme. Une campagne unitaire aurait entraîné de nouvelles forces dans la bataille politique. Quoique laborieuse, elle aurait y compris
permis aux révolutionnaires d’argumenter auprès de militants proches dans les luttes quotidiennes. Nous aurions pu ainsi construire une bipolarité dans la gauche, contre des partis socio-libéraux qui
ont édifié l'Europe libérale avec la droite.
Le PG et le PCF ont proposé de rassembler autour du "Front de Gauche" tous les partis à la gauche du PS, écoutant ainsi les demandes d'unité réitérées par leurs militants et sympathisants. Le NPA
s'est simultanément construit sur la volonté de fédérer un maximum de militants de tous horizons, au détriment d'ailleurs d'une identité clairement révolutionnaire.
Pourquoi l’unité n’a pas eu lieu ?
Les directions du NPA et du PCF ont respectivement et à leur hauteur une responsabilité dans l’absence d’unité. Lors du congrès fondateur du NPA, une résolution adoptée à une large majorité affirmait
"la volonté de rassembler tous les anticapitalistes"... Quelques jours plus tard, son premier Conseil Politique National décide de ne pas y donner suite. Il a en premier lieu considéré impossible de
s'allier avec un PCF qui, attaché à ses élus, continuera aux élections régionales suivantes à faire cause commune avec le PS.
Il donne deux arguments :
- “ L'unité doit porter un projet anticapitaliste au contenu précis ” ; en l'espèce, la mise en avant de la question du nucléaire, bien que juste, représente-elle un motif de rupture pertinent
?
– L'unité ne doit pas être “ un cartel électoral sans lendemain ”. Cet argument n'a jamais été utilisé auparavant lors d'innombrables alliances électorales faites par la LCR. Cela sent l'argument de
circonstance. D'autre part, notons que les Alternatifs, avec qui le NPA espérait s'allier, ont aussi cogéré des exécutifs municipaux avec le PS, comme à Nantes.
Cet apparent souci de fermeté, pour l'instant plébiscité par les nouveaux militants du NPA, ne pouvait que rendre l'alliance impossible. La direction du NPA espère qu'avec ce positionnement, il
atteindra un bon score électoral qui aidera à construire le parti. C'est probable, mais il y avait une autre voie, plus utile pour la lutte de classe.
De son côté la direction du PCF si elle se présente comme unitaire, c’est avant tout dirigé contre le NPA. Depuis l’appel à la constitution du Front de Gauche, la Fédération (qui regroupe des
militants individuels ainsi que des organisations et associations comme les Alternatifs, Alternative Démocratie Socialisme, la Coordination Nationale des Collectifs Unitaires antilibéraux, les
Communistes Unitaires, les alterekolos, Ecologie Solidaire et le Mouvement Utopia) a répondu positivement mais s’est vu opposer un refus catégorique du PCF. En effet la direction buffetiste a refusé
en particulier la présence des Communistes Unitaires au PCF par crainte du développement d’une opposition à sa politique sur sa gauche. La Fédération a tenté à plusieurs reprises des discussions pour
rejoindre le Front de Gauche et si le PG n’y était pas opposé, le PCF à coupé court à ces tentatives.
La concurrence électorale tue la fraternité du débat
Des débats fermes mais fraternels au cours d'une campagne commune auraient permis de tirer devant un public beaucoup plus large le bilan des participations du PCF à la gestion des régions avec le PS
: elles ne servent pas les intérêts de notre classe. La question doit être expliquée politiquement, plutôt qu'être lancée comme un anathème entre militants. Le PCF aurait davantage payé son très
probable ralliement au PS dans le cadre d’un front électoral commun. Le PG de Mélanchon est dans une situation un peu plus incertaine ; il n'a scissionné du PS que récemment. Même si ses dirigeants
sont ouvertement réformistes et qu'ils envisagent de changer le système depuis les institutions existantes, ses militants, notamment les nouveaux, auront plus de difficulté à s'allier avec le
PS.
Les luttes et les débats doivent être au centre de la stratégie des anticapitalistes. S’il est assurément plus confortable de rester entre mêmes sensibilités que de prendre les risques d'une campagne
unitaire, ce n'est pas à la hauteur des enjeux. Même si à moyen terme, une alliance vraiment durable est difficilement possible, car lors d'une crise sociale majeure, la direction du PCF ne fera
jamais les mêmes choix que les révolutionnaires, l'enjeu est de préparer une force pour renforcer la combativité et élever la conscience politique.
Une lecture de classe du vote : des aspirations convergentes
Le Front de gauche et le NPA, en s'opposant à Sarkozy, à l'Europe capitaliste et au traité de Lisbonne, sont sur des créneaux très proches. Notre lecture de ce vote doit être une lecture de classe.
Malgré la participation de Mélanchon ou Buffet à un gouvernement avec le PS, et l'inscription dans une longue tradition de gestion du capitalisme, ceux qui voteront pour cette liste le feront pour
défendre radicalement les droits sociaux. Dans le tract du Front de Gauche distribué dans les cortèges le 19 Mars, M.-G. Buffet déclare : “ La seule issue à la crise c'est l'appropriation sociale des
marchés et la prise de pouvoir des salariés dans les entreprises ! ”. Pour mesurer le degré de résistance des travailleurs, il est pertinent d'additionner les votes pour ces deux listes. Ce regard
global ne doit pas pour autant gommer une divergence fondamentale sur les moyens d'arriver au même but.
Le socialisme par les urnes ou par les luttes ?
Le NPA se construit sur une base anti-institutionnelle : l'assurance de ne jamais se compromettre avec le PS pour participer à des exécutifs. Il y a une grande différence entre présenter des
militants pour porter les revendications des mouvements dans les instances et le fait de devoir assumer une solidarité de gestion avec le PS. Même s'il est possible d'obtenir quelques nouveaux droits
(par exemple, les élus alliés au PCF au conseil régional d'Île-de-France ont obtenu la carte de transport gratuite pour les chômeurs), dans le même conseil, l'adjoint PCF chargé de l'économie avait
voté la subvention à Danone qui venait de licencier les ouvriers de LU. A contrario, les élus que la LCR avait obtenu à Clermont-Ferrand en réalisant une fusion technique de sa liste avec celle du PS
au second tour, s'intégraient dans un accord PS-LCR clair : aucune discipline commune de vote. L'invasion du conseil municipal par les manifestants a même été organisée lors d'un débat sur
l'implantation d'un incinérateur. Dans cette campagne, le Front de gauche défend la nécessité de contrôler la production, sans aborder le problème de la mainmise de la bureaucratie étatique. Plus
grave, ils entretiennent l'illusion que le vote est “ une chance exceptionnelle (...) d'exercer le pouvoir qui leur est partout refusé. ”
Le pouvoir collectif des travailleurs est la finalité autant que le moyen de réaliser le socialisme. Sur ce point, le NPA, qui organise par exemple dans le sud-ouest des manifestations régionales
pour donner des suites aux journées d'actions nationales, est absolument clair. L'élection n'est qu'une occasion éphémère d'exprimer notre résistance permanente. Mais si cette divergence est à
prendre en compte, elle ne justifie pas la division.
Clarifier et agir pour l’unité
Nous souhaitons que les élections européennes soient l'occasion d’un immense référendum contre Sarkozy, l'Europe capitaliste et tous les responsables de la crise. Seul le combat contre le capitalisme
permettra de les renverser définitivement. Comme le PS reste un obstacle à dépasser et que la progression de l'anticapitalisme ne peut se baser uniquement sur l'auto-construction des organisations
respectives, il faut maintenir le cap de l'unité.
Nous appelons donc à voter et à faire campagne pour le NPA car il entretient une saine distance par rapport au PS et que sa pratique est anti-électoraliste. Mais nous comprenons parfaitement ceux
pour qui l'unité des anticapitalistes et des antilibéraux prime, et qui se battent dans le Front de Gauche. Nous lirons les votes pour ces deux listes comme l'expression convergente de la volonté de
la classe à changer la société.
En terme militant, si nous appelons en priorité à rejoindre le NPA, et à participer à la construction d'une sensibilité unitaire en son sein, Marxistes Unitaires est une association qui rassemble des membres de tous les partis de la gauche anticapitaliste et antilibérale. En entretenant la fraternité durant la
campagne, en prenant malgré les divisions électorales des initiatives communes dans la lutte de classe et en préparant mieux les prochains épisodes politiques, nous contribuerons à construire encore
l'unité.
Dans une conférence organisée par l’école de formation politique du FFS, rapportée par "el watan" du 2.5.2009 en page 2, Mustapha Bouchachi, le président de la LADH (Ligue Algérienne des Droits de l'Homme) branche FFS (Front des Forces Socialiste) affirme :
« si des centaines de jeunes préfèrent la mort en mer à la vie en Algérie, ce n’est pas pour fuir la faim ou
le chômage, mais pour fuir l’absence de démocratie et de liberté. Lorsqu’il est permis pour un jeune d’espérer devenir président (de la république s’entend), il ne peut tenter la mort en
mer ».
Les jeunes fuient donc l’Algérie pour absence de liberté et de
démocratie. Et qu’est ce que cette Liberté et cette Démocratie qui empêcherai les jeunes de tenter la mort en mer ? C’est la « permission pour un jeune d’espérer devenir
président »
Pour le FFS donc les jeunes épris de liberté et de démocratie
préfèrent tenter la mort que de lutter pour imposer des espaces de liberté et de démocratie !
Pour l’école idéologique du FFS la faim et le
chômage n’ont rien à voir avec la démocratie et la démocratie n’a rien à voir avec le chômage et la faim. Pour le FFS la démocratie c’est l’espoir de devenir un jour président
c'est-à-dire l’alternance au pouvoir. En fait, c’est le fameux et creux slogan d’Ait Ahmed « le droit d’avoir des droit ».
Le passage cité plus haut suggère que la lutte contre le chômage
et la faim n’a rien à voir avec la démocratie et que ceux qui y luttent sont, en fait, manipulés par les laboratoires des services secrets. C’est comme ça que les militants du FFS expliquent
toutes les émeutes qui éclatent aux quatre coins du pays.
Le pouvoir donc réprime les gens non parce qu’ils posent des problèmes
sociaux, politiques et autres, mais parce qu’ils revendiquent l’espoir d’accéder un jour au pouvoir. Ce n’est pas la misère des masses populaires qui inquiète le FFS et qui explique sa méchanceté à
l’égard du pouvoir mais la marginalisation politique de son leader et son impossibilité d’accéder au pouvoir. Rappelons qu’Ait Ahmed s’est réjoui d’avoir placé Hocine Bénissad comme ministre de
l’économie sous le gouvernement Ghozali. Il a même déclaré que le gouvernement Ghozali applique le programme du FFS.
A l’école du FFS donc, on enseigne que la démocratie politique, la
démocratie formelle est la finalité de la lutte politique quand elle n’est chez nous qu’un outil qui permet aux masses populaires de formuler leurs revendications et d’organiser leurs luttes dans de
meilleures conditions.
Laurent Joffrin, la gauche, le MODEM… le grand débarras !
Coup de tonnerre dans un climat politique sans couleur ni saveur : Laurent Joffrin, directeur de Libération, le 5 mai 2009, en un long éditorial renverse la table et bouscule les règles, révélant le moyen qui, seul, peut
permettre de se débarrasser de Sarkozy !
La formule miracle ? La constitution d’un « espace politique » allant de Mélenchon à de Villepin, incluant le Parti socialiste, les Verts et le MODEM,
avec pour héros François Bayrou ! Voilà qui est résolument moderne. Et donc implique, à gauche, d’écarter quelques archaïsmes : le Parti communiste, qui ne peut plus peser,
et le NPA qui ne le veut pas…
Laurent Joffrin, érigé en penseur de politique, distribue les bons et mauvais points. Aubry ? Trop ringarde ! Hollande ? Le plus intelligent des
socialistes ! Royal ? Originale et proche du peuple ! Mais la palme d’or est réservée à Bayrou, dont on sait d’où il vient, mais qu’on peut imaginer aller loin…
N’avons-nous pas là un de ces articles, rares, qui marquent leur époque et consacrent leur auteur ? Un article qui pulvérise les petitesses journalistiques et les
médiocrités politiciennes, bref un véritable ordre de mission ! Un objectif : 2012. Un chemin : une coalition PS-MODEM, qui rende obsolète le clivage gauche/droite et prépare un
second tour Sarkozy/Bayrou. Avec le risque probable que celui-là l’emporte sur celui-ci, mais l’assurance que la gauche française s’en trouverait définitivement détruite…
Quelle hauteur de vue, Monsieur Joffrin, et quelle ingéniosité stratégique !
Nous avouerons pourtant quelque déception, de voir notre penseur céder à quelques facilités intellectuelles. Pourquoi, en effet, accompagner un
discours si acéré d’enjolivements un tantinet baroques ? Tel cet axe vertical censé recouper l’axe horizontal gauche/droite, et qui traduirait la proximité ou l’éloignement au regard du peuple
et des élites ? Craignons que Laurent Joffrin soit bien le seul où savoir y placer respectivement Aubry et Royal, Bayrou et Villepin, voire Sarkozy et Raffarin…
Et que penser de cette autre théorisation qui, postulant que l’après-Sarkozy sera aussi l’après crise, décrète que la politique de cette coalition sera celle d’un
capitalisme ayant rompu avec l’ultralibéralisme ? Certes, le capitalisme moralisé de Sarkozy ce n’est rien, mais cet alter capitalisme dont Joffrin se fait le chantre qu’est-il ?
Bref, on aurait aimé que Laurent Joffrin abatte plus brutalement ses cartes et affirme plus nettement tout ce dont sa proposition de grande coalition permet de se
débarrasser.
Nous ne pensons pas trahir sa pensée si nous y voyons une opération triple.
1- D’abord se débarrasser des élections européennes. Tout le monde voit que, loin de correspondre au schéma proposé, elles réactivent le clivage gauche/droite, et au sein
de la gauche celui entre le oui et le non à l’ultralibéralisme européen. Bref, elles autorisent le Front de gauche à jouer un rôle un peu plus porteur que celui concédé au dernier des Mohicans.
Ce pourquoi, en écho à bien d’autres, Laurent Joffrin décide qu’elles ne sont en rien intéressantes et qu’il convient de les zapper. Pour se tourner dès maintenant vers la présidentielle de 2012.
Pour en convaincre ses lecteurs, il convient de considérer que la situation de 2012 sera dans l’exacte continuité de celle d’aujourd’hui (la crise en moins, pour
cause de sortie…), où domine la question qui passionne le Parti socialiste, sinon le monde, à savoir l’alliance avec le MODEM.
2- Raisonnant de la sorte on se débarrasse de la crise et des bouleversements dont elle est porteuse. Inutile de se pencher sur les propositions
(ou l’absence de propositions) des uns et des autres concernant par exemple le chômage (selon la Commission européenne, 26,5 millions de personnes pourraient être touchées d’ici 2010 au sein de
l’Europe des Vingt-sept, soit un accroissement de plus de 50%, avec 8,5 millions d’emplois supplémentaires détruits )… Mieux vaut disserter à l’infini sur les qualités personnelles de
François Bayrou !
3- Enfin, last but not least, ne plus parler des enjeux européens et oublier les défis de la crise autorise à faire taire la gauche, ce qu’il
reste de gauche, ce que devrait être la gauche…
L’idée géniale de Laurent Joffrin d’une grande coalition allant du Parti socialiste aux secteurs de l’UMP critiques par rapport au sarkozysme, revient à se débarrasser
de la gauche.
Ne voit-on pas poindre le modèle italien ? Si rien ne permet d’assurer que les électeurs choisiront la formule de la grande coalition au centre au nom de l’unique
souci d’écarter la droite autoritaire (Berlusconi là-bas, Sarkozy ici), il est sûr en revanche que la gauche en sera détruite. Et c’est dans Libération qu’on nous en annonce la
promesse !
C’est dire que pour la gauche, celle qui ne rêve pas chaque minute du MODEM, il y a sérieusement péril en la demeure. Et qu’il convient d’urgence de se
bouger :
- En combattant la droite, sous ses diverses variantes.
- En militant pour une autre Europe que celle que nous impose l’ultralibéralisme.
- En affrontant la crise capitaliste, pour opposer l’urgence sociale, démocratique, écologistes et de paix à la volonté de faire payer les travailleurs et les
peuples
C’est-à-dire en opposant à la coalition des puissants le front vigoureux du « Que vive la gauche ! »…
Crise capitaliste et radicalisation des luttes
ouvrières
Une vaste campagne d’opinion est en cours sur le thème de la « montée de la violence » dans les entreprises. Les « retenues» de cadres dirigeants chez Molex-Villemur,
Caterpillar-Grenoble, Sony (Landes), 3M (Loiret), Scapa (Ain)… Les occupations de sites de production, les blocages des accès par les grévistes (Toyota -Onnaing, Faurecia-Auchel,
Continental-Clairvoix…) font la une des medias. Disons que le contexte de crise redonne de la consistance à la « question sociale ». Il n’est donc pas indifférent que la question des formes de
luttes, des moyens les plus efficaces pour se défendre contre les plans de licenciements, le chômage partiel et les baisses consécutives de salaires, apparaissent sur la place publique.
Le gouvernement et le patronat mènent avec virulence l’offensive contre la « violence » et l’ « illégalité » des luttes ouvrières. Ce n’est pas une affaire de
circonstance ou un simple dérivatif commode aux problèmes cruciaux de chômage, de pouvoir d’achat même si cet aspect existe. Plus profondément, cette campagne s’inscrit dans un projet conscient
des possédants de criminalisation durable des conflits de classes. La volonté de Sarkozy, dans la foulée de sa loi anti-grève dans les transports ou l’éducation, est de remodeler complètement les
rapports sociaux, en mettant hors-la-loi ou en réduisant au maximum une série de pratiques de luttes anciennes ou récentes telles que les occupations d’usines, les piquets de grève, les assemblées
générales sur les lieux de travail, les actions de blocage de la production ou de la circulation.
Alors que le pouvoir avait précisément le projet de limiter drastiquement les capacités de révolte et d’action des classes populaires, on assiste pourtant à un
renouveau de la combativité, stimulée par la brutalité et la soudaineté des attaques du patronat (licenciements « minute », phénomène des « patrons voyous »), et encore avivée par les scandales en
cascade touchant le monde de la finance et des grandes compagnies (parachutes dorés, stock-options, émoluments pharaoniques,spéculation…).
S’est installé le sentiment que ce n’est plus possible d’en supporter d’avantage. Que les salarié(e)s sont moralement et matériellement fondés à réclamer
directement des comptes à ces gens-là, à leur faire payer concrètement le prix de leur duplicité et de leur violence de nantis. On peut donc s’attendre à des affrontements de plus grande
ampleur, tant le sarkozysme est cohérent dans sa volonté de « refondation sociale » réactionnaire et tant monte l’exaspération populaire.
Les années 1970 furent riches en actions de ce type, avec souvent un niveau d’organisation supérieur (Lip bien sûr, et bien d’autres encore) avec des méthodes d’action
plus élaborées. Mais c’était dans une phase de mobilisations à caractère offensif, sur des revendications d’un niveau élevé, dans une conjoncture économique, sociale et culturelle bien
différente.
Aujourd’hui, les commentateurs extérieurs au mouvement social relèveraient plutôt le caractère désespéré de l’action ouvrière, accomplie le dos au mur face à un plan social, une fermeture
d’usine, une délocalisation, une réduction des salaires. Le discours patronal relayé par une partie des media n’en paraît que plus déplacé. Les enquêtes d’opinion font état d’une « compréhension «
majoritaire de la part des sondés sur la questions des « retenues de dirigeants », une fraction non-négligeable (autour de 30%) approuvant même le mode d’action !
Pour autant, les mouvements sociaux d’aujourd’hui sont loin d’avoir livré tout leur potentiel : chez Continental, un comité de lutte a vu le jour et loin de s’apaiser
la colère ouvrière s’aiguise (saccage de la sous-préfecture de Compiègne). C’est bien une radicalisation de la lutte ouvrière qui est en cours, s’illustrant à la fois par le recours à des
méthodes d’action non-conventionnelles et par la mise en avant de revendications fortes : indemnisation totale du chômage partiel, interdiction des licenciements, augmentation substantielle des
salaires. Dans le cas de plans sociaux déjà entamés, les salarié(e)s agissent « vigoureusement » (comme chez Scapa ou Sony) pour faire « cracher au bassinet » le plus possible le patron sous forme
d’indemnités.
Bien loin des vociférations des possédants contre « les violents » nous saluons les salarié(e)s en luttes et leur apportons notre soutien sans
réserves. Mais ce que dessine aussi « en creux » cette vague d’actions spectaculaires du salariat, c’est l’urgence d’une convergence consciente des mobilisations autour de revendications
communes de haut niveau et de perspectives d’actions unitaires et interprofessionnelles. L’exemple des coalitions de luttes de la Guadeloupe, de Martinique, de la Réunion est vivant dans les esprits.
Les fronts locaux, regroupant syndicats, partis politiques , associations et collectifs qui se sont constitués au Havre, en Haute-Loire… témoignent de la possibilité d’avancer dans cette voie.
Une version réduite de ce texte a été publiée par Le Monde du 2 mai 2009 sous le titre « Le dirigisme libéral a échoué. Sortons-en ! »
Le marché permet-il le progrès économique et social ? Les tenants du libéralisme économique le pensent. D'autres estiment que s'il peut faire bien des choses, il ne peut ni subvenir à une
série de besoins sociaux, ni assurer le plein emploi, la réduction des inégalités ou encore un développement respectueux de l'environnement. L'intervention publique est nécessaire. Qui a
raison ? Le débat est ouvert tant chez les économistes que parmi les citoyens. Ce qu'on peut reprocher aux traités européens est avant tout cela : au lieu de se contenter d'établir un cadre
institutionnel permettant aux citoyens de faire des choix, ils tranchent le débat en amont.
N. Sarkozy s'enorgueillit d'avoir obtenu qu'avec le traité de Lisbonne, la libre concurrence ne figure plus dans les « objectifs » exposés à l'article 3 du Traité de l'Union
européenne, à l'inverse de ce qui prévalait dans le projet de Constitution. Pourtant, un Protocole, partie intégrante du Traité, stipule : le « marché intérieur tel qu'il est défini à
l'article 3 [...] comprend un système garantissant que la concurrence est libre et non faussée ».
De façon méthodique, le Traité de Lisbonne, à la suite des traités en vigueur en Europe, organise la soumission de tous les instruments d'intervention publique aux principes du marché.
Ainsi en va-t-il de la politique budgétaire et monétaire : celle-ci doit être « conduite conformément au respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est
libre, favorisant une allocation efficace des ressources ». Même lorsqu'ils prêtent beaucoup de vertus aux mécanismes de marché, la plupart des économistes admettent que, dans bien des
cas, la concurrence libre n'est pas possible et n'est donc pas en mesure de permettre cette « allocation efficace ». Les traités disent l'inverse.
Le débat sur l'opportunité qu'il y a, ou non, à mettre en œuvre des protections commerciales concertées est d'emblée écarté, tandis que « toutes les restrictions aux mouvements de
capitaux [...] sont interdites ». De même, la politique industrielle est en grande partie empêchée. Elle doit être menée « conformément à un système de marchés
ouverts et concurrentiels » et à l'« exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres ». Cette dernière condition,
ajoutée par la défunte Constitution, est reprise dans le Traité de Lisbonne.
Quant aux services publics, la prémisse retenue par l'Union est claire : le privé est tout aussi compétent pour assumer des missions d'intérêt général. D'ailleurs, les traités se bornent à
régler le sort des Services d'intérêt économique général, qui doivent être ouverts à la concurrence. Les services publics non marchands (services « non économiques » selon le vocabulaire
symptomatique de l'Union) n'y sont pas mentionnés. Tant que la prémisse retenue prévaudra, il n'est d'ailleurs pas sûr qu'ils gagnent à l'être. On retrouve le même type de difficulté pour l'Europe
sociale. Par la « méthode ouverte de coordination », l'Union intervient dans les domaines de la politique de l'emploi et de la protection sociale qui ne comptent pas parmi ses compétences
traditionnelles. D'aucuns y ont vu les germes d'une Europe sociale en formation. A regarder de près les préconisations prises en son nom (flexibilisation du droit du travail, retraite par
capitalisation, etc.), il est permis d'en douter.
La crise a deux principales sources : l'austérité salariale qui a conduit à l'explosion de l'endettement privé et la libéralisation financière qui a transformé cette dette en bulle
spéculative. Mais où sont les plans européens de réglementation drastique de la finance et de relance des salaires et des prestations sociales ?
Les traités sont aujourd'hui transgressés. Les déficits publics crèvent le plafond des 3 % du Pib, la dette publique celui des 60 % ; la Banque centrale européenne, avec beaucoup
d'atermoiements, se résigne à intervenir sur les marchés financiers pour dénouer une crise que l'initiative privée s'avère incapable de surmonter ; des banques sont nationalisées, etc. Ces
transgressions pourront servir de point d'appui pour un gouvernement qui serait soucieux de rompre avec le libéralisme : au nom de quoi seraient-elles acceptables pour sauver la banque et la
finance, et non pour les domestiquer afin de satisfaire les besoins du plus grand nombre ? On ne peut pour autant soutenir que les traités ne sont que des tigres de papier. Juridiquement, ils
s'imposent aux Etats membres. Ils expliquent, pour une part, que l'Europe, et singulièrement la zone euro, soit à la traîne en matière de relance.
Financière et économique, la crise est aussi sociale et écologique. Elle exige une redéfinition de la construction européenne. Pour ne citer que cet exemple, un vaste plan financé par l'emprunt en
faveur du ferroviaire et de la rénovation thermique des bâtiments permettrait de concilier écologie et soutien à l'activité et à l'emploi. Mais les traités n'autorisent pas cette solution puisqu'ils
interdisent à l'Union toute possibilité d'emprunt.
Les gouvernements usent depuis longtemps de l'Union européenne pour introduire des mesures qu'ils peuvent difficilement imposer directement faute d'assentiment populaire. C'est une première
entorse à la démocratie. Il en est une autre aussi grave qui renvoie au jeu propre des institutions européennes. Au fil des décennies, s'y est constituée une véritable bureaucratie pour laquelle le
libéralisme économique est devenu une seconde langue. Sachant que le ralliement des gouvernements est potentiellement fragile, puisqu'ils sont soumis à la sanction des élections, elle leur impose le
plus étroit des corsets. On comprend ainsi ce qu'il importe d'expliquer : la frénésie de détails des traités. Le libéralisme économique et le dirigisme politique font décidément bon ménage.
L'art de gouverner suppose des compromis. La crise ne peut être une méthode permanente de gouvernement. Au risque de l'enlisement, il est néanmoins des situations qui ne peuvent être débloquées
que par des crises. La construction européenne relève clairement de ce cas de figure. Le « non » lors du référendum de mai 2005 a été une étape en ce sens. Malgré les menaces agitées, il ne
s'est pas traduit par un cataclysme économique. Ce dernier est venu ensuite, et chacun s'accorde à dire qu'il vient du libéralisme... que les traités élèvent au pinacle. De même, un plan B était
possible. Les gouvernements en ont trouvé un, à leur façon, avec le Traité de Lisbonne que les partis socialistes soutiennent explicitement. Le mépris pour la souveraineté du peuple aidant, ce
Traité, loin d'être « simplifié », reprend la quasi-totalité des dispositions de la Constitution. Comme toujours dans l'histoire, c'est donc aux citoyens qu'il revient, à nouveau, de dire
« stop ».
Les prochaines élections européennes en offrent l'opportunité. Les signataires de ce texte sont des économistes non libéraux qui n'étaient membres ni du Parti communiste, ni des courants du Parti
socialiste ayant donné naissance au Parti de gauche. Avec d'autres, ces partis ont lancé un Front de gauche pour les élections européennes afin de prolonger la dynamique unitaire du référendum.
L'urgence qu'il y a à dessiner des alternatives au capitalisme libéral mérite mieux en effet que la priorité donnée à son pré-carré. En gardant notre indépendance d'esprit, nous soutenons et appelons
à soutenir cette initiative. Notre pays a connu un beau débat de fond à l'occasion du référendum. Dans un contexte, celui de la crise, qui l'exige plus encore, les élections européennes gagneraient à
ce qu'il en soit de même.
Bruno Amable (Paris 1), Mathieu Béraud (Nancy II), Anne Eydoux (Rennes II), Florence Jany-Catrice (Lille I), Thierry Kirat (Cnrs), Jérôme Maucourant (St-Etienne), Jacques Mazier (Paris
XIII), Matthieu Montalban (Bordeaux IV), Stefano Palombarini (Paris VIII), Christophe Ramaux (Paris I), Jacques Sapir (EHESS), Richard Sobel (Lille I), Nadine Thévenot (Paris I), Bruno Tinel (Paris
I), Franck Van de Velde (Lille I).
Oeuvrer à la convergence....
De partout, monte la colère des travailleurs victimes des fermetures d’usine, des licenciements, du chômage partiel, des
bas salaires, de la dégradation des conditions de travail…
A côté des travailleurs de Caterpillar, Continental, Toyota, Lear, ce sont aussi les électriciens et les gaziers qui se
mobilisent pour les salaires, les postiers contre les suppressions de postes et la dégradation du service public. Le 28 avril, à Paris, le personnel hospitalier sera en grève et dans la rue. Depuis
onze semaines, les enseignants des universités et les chercheurs sont en lutte. La contestation s’exprime dans l’ensemble de l’éducation nationale, « de la maternelle à
l’université »…
En réponse, le gouvernement et le patronat multiplient les agressions, les actions en justice, les menaces pour faire
taire. Fillon a qualifié les séquestrations de patrons ou les coupures de courant par les électriciens de « sabotage ». Quel cynisme!
Des saboteurs, les salariés d'EDF et de GDF qui réclament leur dû alors que leurs directions viennent de distribuer plus
de 9 milliards de dividendes ? Fillon et les patrons d’EDF et de GDF invoquent « l'esprit de service public ». Quel culot de la part de ceux qui l’ont privatisé et
démantelé.
« Entrave àla libertéde travailler », voilà le chef d’accusation sous le coup
duquel se retrouvent dix-neuf travailleurs de Caterpillar. Mais qui empêche qui de travailler ? Ceux qui licencient ou ceux qui se battent pour garder leur emploi ? Les saboteurs sont ceux
qui ferment les usines, licencient, démantèlent les services publics pour pouvoir sauvegarder les profits des financiers et des patrons.
Dans le privé comme dans le public, grandit la conscience de la nécessité de généraliser les luttes pour mettre un coup
d’arrêt au sabotage de la société par le patronat et le gouvernement. Oeuvrer au succès des manifestations du 1er mai pour en faire une démonstration de force et de détermination, c’est,
dès maintenant, préparer la suite pour, tous ensemble, faire reculer les saboteurs.
21.04.2009
Européennes :
la gauche radicale, unie, pourrait faire mieux que le PS
22 mars 2009
Et si la gauche radicale faisait mieux que le PS ?
C'est un des principaux enseignements du sondage Ifop sur les intentions de vote aux élections européennes du 6 et 7 juin prochain, la percée
de la gauche radicale,qui bénéficie :
- de la décridibilisation duParti Socialiste
- des perspectives sombres de l'économie mondiale
- ainsi que des répercussions sociales de la crise.
Le NPA, le Front de Gauche (PCFet
PG),les Vertset Lutte Ouvrière rassemblent ainsi à eux quatre, 23% des intentions de
vote, soit un score identique que celui du Parti Socialiste.
Le PS accuserait 3% de retard sur l'UMP (26%), et, fait marquant, voit son score chuter de plus de 5% par rapport aux échéances européennes de 2004. Un affaiblissement marquant
au vu de la position dans laquelle le Parti Socialiste aborde ces élections européennes, celui d'une formation en opposition à un exécutif aussi impopulaire que ne l'était le tandem Chirac-Raffarin à
la même époque (43,5% d'opinions favorables pour Fillon et Sarkozy contre 44,5% pour Raffarin et Chirac).
La crise économique et ses conséquences sociales ont pourtant crée une forte vague de mécontentement dans l'opinion, 75% des français approuvent ainsi la mobilisation du 19 mars face à l'action
du gouvernement, selon un sondage BVA-Les Echos.
En 2004, les listes socialistes avaient réuni 28,9% des suffrages ; le climat politique et social n'était pourtant pas différent d'aujourd'hui (taux de chômage de 9,2% contre
8% aujourd'hui), si ce n'est que les perspectives économiques étaient moins sombres, et l'exécutif tout aussi impopulaire en raison de nombreuses réformes avortées.
A l'heure actuelle, l'ensemble des conditions semblent donc requises pour assurer au Parti Socialiste une performance égale, si ce n'est meilleure, que les 28% obtenus en 2004. Comment donc
expliquer ces sondages défavorables, qui le place derrière le parti de la majorité ? Le score élevé qu'obtiendrait une gauche radicale réunie (23% ; contre 15,9% en 2004) explique pour
beaucoup ce désarroi, par ailleurs influencé par une décridibilisation du Parti Socialiste. Martine Aubry n'a pas réussi jusqu'à maintenant a panser les plaies du Congrès de Reims, et les guerres
internes, remises au goût de jour à l'heure de l'élaboration des listes européennes, se sont hâtées de dégouter une branche de l'électorat socialiste du PS.
La confiance vis à vis du premier parti de France en termes d'élus s'érode ainsi de jour en
jour.
- 76% des français estiment qu'il n'a pas de réponses face à la crise
- et 39% pensent qu'il a des dirigeants de qualité selon un sondage IFOP-JDD.
Les querelles intestines qui nuisent à sa crédibilité sont pour beaucoup dans cette défiance de l'opinion vis à vis du PS. La crise idéologique dans laquelle il est plongé constitue un autre élément
défavorable en ces temps de crise, où les propos discordants des différents chefs de file ne permettre pas d'imposer une ligne claire. La cohabitation entre sociaux-démocrates et socialistes
convaincus s'avère relever du surréalisme. C'est pourtant la situation dans laquelle le PS est embourbée, scindé en deux branches bien distinctes. L'une souhaite accomplir un virage vers la social
démocratie jugé inéluctable au vu de la politique menée par les derniers gouvernements socialistes, l'autre souhaite que le PS s'ancre dans les fondamentaux d'antan (voir mon article sur la crise
idéologique du PS).
Face à la crise, le PS a perdu en légitimité, et voit ainsi la gauche radicale lui contester son autorité à gauche de
l'échiquier politique.
La radicalisation des mouvements contestataires et le dégoût vis à vis des patrons voyous, la "racaille du XVIème", deux phénomènes amplifiés par la crise sont exprimées avec plus de vigueur par la
gauche radicale.
La redistribution des richesses, l'interdiction des licenciements en cas de bénéfices sont des propositions qui ne peuvent être qu' appréciées
alors que les fermetures d'usines se succèdent.
La suppression de 655 postes par le groupe Total, dont les bénéfices ont excédé les 14 milliards d'euros l'an passé, se sont hâtées de mettre l'huile sur le
feu. Et la gauche radicale, qui a fustigé des années durant le capitalisme sans règles ni morales s'en est retrouvé légitime.
Si les cinq formations de la gauche radicale pourraient devancer le Parti Socialiste, leur union reste-t-elle
inenvisageable. ?
° La proposition adressée à Olivier Besancenot de rejoindre un "front de gauche" n'a pas séduit le facteur trotskiste, qui préfère s'assurer son aura médiatique en faisant
cavalier seul.
° La gauche radicale pourrait cependant s'inspirer de l'union de la famille écologiste, qui, au lendemain de la claque des présidentielles 2007
aborde ces échéances européennes dans une configuration inédite. Qui aurait pu croire que José Bové, Daniel Cohen-Bendit et Nicolas Hulot s'engageraient sous une bannière commune ? Les querelles
de personnes ont été reléguées au second plan, et la question d'une candidature commune aux élections présidentielles 2012 est d'ores et déjà évoquée, les Verts pourraient alors céder la place à
Nicolas Hulot.
Depuis 21 avril 2002 douloureux puis des débats sur le référendum du TCE tout aussi douloureux, la gauche dans son ensemble semble en bien mauvais état. Et les aventures du PS, du PCF, des Verts
et de la LCR ne font qu’accentuer la multiplication des initiatives…
Allons de droite à gauche…
Le PRG semble pour une partie pencher de plus en plus à droite, seront ils les prochains admis chez Sarkozy ?
Au PS, les drôles de dames divisent. Et c’est le cas Royal qui fait école.
Yaura t’il 2 candidatures issus du PS en 2012 ? Une scission programmée à parti de Désir d’Avenir ? Et un rapprochement entre Royal et Bayrou ?
Toujours issus du PS, Melenchon a récemment crée le PDG, et c’est avec un PCF affaibli qu’il pourrait essayer de dépasser les 5 % aux européennes de 2009
Le MCR de Chevènement mais aussi d’autres groupuscules dits “républicains”, que l’on a pu retrouvé du côté du Non en 2005 se tatent également… On peut citer le MARS et autres
SEGA… Des formes de restes de certaines dissidences communistes et socialistes…
Rappelons d’ailleurs au passage à l’amusant Melenchon que celui ci avait bien voté pour Maastricht qui est le véritable traité “source” du TCE puis du TME…
Toujours du côté PCF on peut citer l’amicale Hue qui nous sort une association “Nouvel Espace Progressiste” (Hue fait parti des communistes plus favorables au
alliance avec le PS)
Pendant ce temps là ça se divise bien au PCF : Trois listes alternatives étaient déposées face à celle de Buffet…
Pas très loin la “sympathique” Clémentine Autain révèle dans Libération les contours de la Fédération pour une alternative sociale et écologique, qui sera présentée le
17 décembre. Selon elle : Jean-Luc Mélenchon est pour une révolution par les urnes. Le NPA met l’accent sur les luttes sociales. Il faut raccorder les deux. Les Alternatifs rouge et vert, les
«communistes unitaires» et les collectifs [ex-antilibéraux et ex-bovétistes, ndlr], et les écolos radicaux ont décidé de mettre leurs forces en commun…
But du jeu faire en sorte que le NPA, le PG, le PCF et tout leurs “proches” partent tous ensemble aux européennes…
Parallèlement Politis remet le couvert, avec un nouvel appel, un peu plus précis que précédement “Pour une autre Europe” signé par Autain et d’autres… essentiellement issus du “Non de gauche” et
dans les combats semblent toujours ciblés sur le TCE puis le TME…
(correction, depuis que j’ai commencé à écrire cet article, Autain and Co ont finalement revelé leurs projets, on en parle plus bas…)
Coté NPA les choses ne semblent pas aussi simples… Si le NPA doit voir le jour en janvier prochain, les adhésions réels ne semblent pas suivre les “promesses d’adhésions”… et les
prochaines élections : s’allier ou non divisent…
Deux textes devraient finalement être présentés au congrès, qui tranchera. Le premier, il faut bien l’avouer majoritaire au CAN, veut soumettre toute alliance à l’acceptation d’un programme
ostensiblement anticapitaliste. Le second privilégie la recherche de listes unitaires.
La surprise est venue de jeunes recrues du NPA qui ont rejoint, à leur façon, Christian Picquet, animateur de la sensibilité Unir, en se montrant sensibles au Front proposé par PG mais aussi par le
PCF.
En s’élargisant la LCR a pris le risque d’être “pris” par des “nouveaux militants” pouvant désirer une plus grande ouverture.
Enfin côté Ecolo 2 cordes discordantes :
Cochet and co pronant toujours un dépassement des Verts pouvant tourner à l’environnementalisme , pendant qu’une autre petite partie prone une “écologie radicale” :
de quoi se rapprocher avec les Alternatifs et d’autres “proches ecolos” qui ont essayé de s’entendre à Miremont, mais qui sembleraient ensuite préférer se rapprocher des “rouges” au
risque de “vendre” l’écologie comme cela avait été le cas dans les collectifs unitaires…
Alors que Europe Ecologie et tout particulièrement les “proches de Bové”, et Bové lui même, auraient justement besoin que les “écolos radicaux” donnent de la voix avec eux, et non “ailleurs”…
Alors même qu’une prochaine rencontre devrait voir lieu entre “dits ecolos radicaux” (ceux qui se sont rencontrés à Miremont) , certains (Billard, Bavay en tête…) se proposent
déjà de participer à une fédération avec Autain alors qu’aucune décision n’était finalement ressorti et que les “écolos radicaux” se “divisaient” entre plusieurs solutions : coloriser Europe
Ecologie, une fédération “noniste gauche et autres” , un rapprochement avec le NPA… (cf tentatives de synthèses ici même, en bas de page…)
Notons tout de même que pour le moment les Verts sont ceux qui s’en sortent le mieux côté division… La synthèse “Duflot” a été voté à 71% , score presque
stalinien, alors que le PCF n’a reconduit Buffet à moins de 70 % et que le PS s’est divisé pendant plusieurs semaines (échouant à faire synthèse puis se divisant en 2)
***
Mais reparlons d’Autain, et plutôt de tout ce qui est à la gauche du PS (Verts non compris puisque Europe Ecologie semble bien parti)
* Nous avons donc le POI (ex Parti des Travailleurs) et LO qui a trop tardé à trouver une remplaçante à Laguiller (La LCR fera t’elle la même erreur avec
Besancenot, erreur déjà faites avec Krivine ?)
* NPA futur ex LCR divisé en 2 : le congrès futur en dira plus sur le poids des uns et des autres… Mais l’ouverture pourrait presque être “fatale” aux anciennes stratégies
renforçant ceux qui étaient minoritaires…
d’un coté ceux plutôt ex LCR, Anticapitalistes… très critique envers le PS et contre toute forme d’amités avec… Critique au point de ne pas souhaiter une “amitié” avec d’autres : PCF, PG, …
de l’autre ceux qui ne seraient pas contre une ouverture, des futurs dissidents comme en a connu et connait encore le PCF ? Propice à un rassemblement allant de l’ex LCR au PG de Melenchon…
* Là vient de se placer Autain et ses amis, qui souhaitent justement que tout le monde se rassemble… sur une ligne très Non de gauche…
* Un peu plus tôt là vient se placer le PG de Melenchon , toujours un peu proche du PS, mais qui a déjà commencé un rapprochement avec le PCF, éventuellement le
MRC et d’autres…
* Puis le PCF , qui a “rejetté” finalement une possibilité d’ouverture trop large (allant jusqu’au NPA)
et lui a préféré pour le moment une ouverture seulement avec le PG de Melenchon…
Il faut dire que le PCF supporte peut être mal de voir ailleurs (côté Autain and Co) des communistes dissidents ou des futurs dissidents…
Nous nous retrouvons donc avec 2 “extremes” ,
un bout de NPA non favorable à une alliance trop large (voir plutôt propice à partir tout seul, le congrès en dira plus)
et un PCF qui pour le moment a choisi le PG (et quelques proches) comme allié pour les Européennes…
Et au milieu de tout ça un PG (qui ne plait pas forcément à tout le monde surtout coté NPA) et une “fédération” (Autain and Co) qui iraient bien à une alliance très large (et issu du Non de
gauche) pour les Européennes de 2009
Autain, après avoir un brin “abandonné” l’appel de Politis, puis fricoté avec le NPA, avait bien compris qu’il y avait un coup à jouer…
Elle a du surement s’inspirer de ce qui se passait côté Europe Ecologie et Verts… Puis elle a en mémoire les précédents essais avortés…
En proposant une fédération très ouverte, et en s’appuyant sur les désirs d’ouvertures qui existent du NPA au PCF en passant par tout les autres, elle sait qu’il y a des possibilités, surtout que
les européennes sont plus faciles à se partager que des élections présidentielles : plusieurs euro régions, donc plusieurs candidats…
Regardons donc cette fédération :
Sur les ruines des collectifs unitaires du non à la constitution européenne, et grâceau ciment de l’Appel Politis, diverses figures de la campagne référendaire de 2005 ont choisi de dépasser leurs éternelles réunions de discussions, entamées depuisl’appel “Ramulaud” de 2003.
Une sorte de future AREV ? (pour le moment plus rouge que rouge et verte, mais passons…
le “futur programme” depuis les “collectifs unitaires” de fin 2006 a j’espère un brin évolué… ) , on peut d’ailleurs un instant revenir sur cet AREV :
Issu pour partie des comités soutenant le communiste rénovateur Pierre Juquin (qui passera chez les Verts) (composés du PSU, de la LCR, de la Nouvelle gauche pour le
socialisme et l’autogestion et de militants non encartés) à l’élection présidentielle de 1988.
Une bonne partie des anciens membres du PSU, dissout en novembre 1989, et de la Nouvelle gauche issue des comités Juquin participent alors à la création de l’AREV. Le parti compte plus de 6
000 membres à sa création, mais finit peu à peu par être absorbé par d’autres organisations (Verts, LCR, associatifs) à cause du manque de débouché politique et de la stratégie très unitaire de cette
organisation. En 1998, l’AREV ne compte plus que 300 militants.
Pour échapper à une mort politique à court terme et pour ouvrir un espace pour un parti écologiste ancré à la gauche de la gauche, L’AREV et une dissidence de la Convention pour une
alternative progressiste fondent le 29 mars 1998 les Alternatifs.
L’idée est là… en tout cas… Et nous en sommes peut être pas si loin…
Nous retrouvons en effet :
Martine Billard et Francine Bavay , Vertes, qui ne souhaitent pas participer à Europe Ecologie, et qui donc préfèrent déjà la dissidence et la construction d’une fédération “non de gauche”
Autain qui un temps avait souhaité être candidate, mais qui ne l’avait point été… Préférant laissé Bové, la LCR, le PCF et d’autres se chamailler…
Des communistes “unitaires” : Patrick Braouezec, François Asensi et Pierre Zarka
Mais aussi : divers mouvements nés autour de la mobilisation anti-constitution, vivotant depuis tant bien que mal: Les Alternatifs, leMai, le collectif du Limousin Alternative-Démocratie-Socialisme. Enfin, le président d’honneur de lafondation Copernic, Yves Salesse, en tant que représentant
desCollectifs unitaires
(rappelons au passage que Limousin Alternative Démocratie Socialisme est en faites l’ex CAP dont je parlais plus haut…)
Nous retrouvons donc bien avec d’anciens “camarades” dont une partie est issus de AREV : les Alternatifs, les communistes dissidents, l’ex CAP, … sont autant de camarades de la gauche de la gauche
qui ne se sont finalement jamais réellement quitté, même si chacun avait fini par rejoindre PS, Verts, LCR ou PCF ou apparentés…
Patrick Braouezec, député PCF et président de la communauté urbaine de Saint-Denis, voit l’entreprise comme «un relais à
l’intérieur des organisations, une sorte de “go-between” entre les différents partis de transformation sociale, en vue des européennes. On espère aboutir à des listes couvrant l’ensemble du spectre,
de Besancenot à Buffet en passant par Mélenchon. Si cela ne débouche pas, on présentera peut-être nos propres listes, mais ce n’est pas l’objectif premier. Les échéances électorales ne sont qu’un
moment du mouvement social». Et d’assurer: «La fédération n’a pas vocation qu’à vivre dans le temps électoral.»
Yves Salesse explicite “la théorie de la passerelle”, développée à demi-mot
par chacun des protagonistes: «Faisons un peu de realpolitik en tenant compte du désastre de la candidature unitaire à la présidentielle! Trois ou quatre listes anti-libérales, ce serait
grotesque!» Requinqué, il veut croire que «les sourires amusés de la presse sont les mêmes qu’au début de la campagne du non».
En revanche, il botte en touche quand on demande une réaction sur l’absence
de José Bové, pour qui ils ont tous fait campagne en 2007 et qui a préféré s’engager auprès de Daniel Cohn-Bendit pour les européennes. «Ce n’est pas la question du jour». Toutefois,
l’ancien directeur de campagne bovéiste, le communiste du Val-de-Marne Jacques Perreux veut croire que «les portes restent grandes ouvertes à José, et les choses qui semblent impossibles ne le
seront peut-être plus si notre rassemblement prend».
José Bové de son côté à déjà heureusement répondu : il préfère Europe Ecologie et les Verts… on se demande bien pourquoi : certains parleront de
trahison, d’autres d’appats du gain, d’autres enfin se rappeleront toutes les difficultés qu’avaient eu les plus écologistes à exister au sein de “collectifs unitaires” qui avaient abouti à la
désunion… Ce même José se rappele peut être des mésaventures, trahisons, maladresses voir “coups foireux” qui avaient composé les collectifs puis sa propre campagne…
Avec un PS affaibli par les divisions, un NPA fort de la popularité médiatique de Besancenot, la gauche, les gauches, se décomposent et se
recomposent…
Autain pourrait bien avoir tenté le coup qu’il fallait tenter, un coup du même type que Cohn Bendit et autres Verts : obliger coute que coute l’union !
Le PCF comme le NPA se retrouvont ils piégés ? Obligé d’accepter une alliance aux européennes ? Au risque d’être soit présenté comme des traitres (fricotant avec des “partis” x ou y) soit comme
diviseurs… Et quels rôles auront les “unitaires” de ces 2 partis ? Et les éventuels futurs dissidents ?
Adresse à la gauche radicale pour un Front populaire du 21è siècle
Les dissensions existant aujourd’hui à la gauche de la gauche entre Front de gauche et NPA (sur l’unité aux prochaines élections notamment) rappellent à certains égards les
débats que d’autres révolutionnaires eurent au début du 20è siècle. Pour qu’un Front populaire du 21è siècle puisse se constituer en France n’est-il pas temps de laisser de côté les vieilles chimères
du passé et de construire l’Unité en ancrant sa réflexion dans la réalité d’aujourd’hui ?
L’histoire est en marche. Le moment est venu d’entendre le cri du peuple français qui est descendu massivement dans la rue jeudi 19 mars 2009 pour hurler sa colère et son désarroi face à la
politique de casse systématique des acquis sociaux de la classe ouvrière et des services publics menée par le gouvernement de droite portée au pouvoir par 53% de votants en juin 2007, un des
gouvernements les plus à droite que la France ait connu depuis Pétain et la collaboration.
Le 29 janvier était un coup d’essai à côté de la déferlante à laquelle nous allons assister !
Il est fort à parier qu’une partie des électeurs qui ont mis Sarko 1er au pouvoir étaient aussi dans la rue ce jeudi, car subissant également les dégâts d’une politique prédatrice
pour tous les travailleurs, qui par ses choix et sa défense viscérale du chacun pour soi et de la loi du fric depuis des décennies est directement responsable de la crise internationale qui a éclaté
et dont les effets s’amplifient de jour en jour...
Depuis la journée du 29 janvier, un mois et demi s’est écoulé. Un délai qui a été jugé trop long par certains militants ou observateurs de la gauche radicale pensant et écrivant qu’un
mouvement durable pouvait être impulsé en France dès le mois de février 2009.
Soit, mais pour quel débouché politique ?
Bien sûr, la situation n’est pas en tous points comparable aux dissenssions existant chez les révolutionnaires d’Octobre 1917. Mais qu’on veuille lire attentivement ces lignes de
Lénine :
« Dans le courant du printemps et de l’été prochains écrivent les « communistes de gauche » dans leurs thèses, doit commencer l’écroulement du système impérialiste,
écroulement que la victoire éventuelle de l’impérialisme allemand dans la phase actuelle de la guerre ne peut que différer, et qui revêtira alors des formes encore plus aiguës. » La formule est
ici encore plus enfantine et inexacte, en dépit de tout son appareil pseudo-scientifique. C’est le propre des enfants de « comprendre » la science comme si elle pouvait prévoir en quelle
année, au printemps, en automne ou en hiver, « doit commencer l’écroulement ». Ce sont des tentatives ridicules de connaître l’inconnaissable. Aucun homme politique sérieux ne dira jamais
quand « doit commencer » l’écroulement d’un « système » (d’autant plus que l’écroulement du système a déjà commencé, et qu’il s’agit de dire quand se produira l’explosion dans les
divers pays). Sur l’infantilisme de gauche et la propriété petite-bourgeoise, Lénine, 1918.
Les “communistes de gauche” s’opposaient aux Bolchéviks sur la question de la poursuite ou non de la guerre contre l’Allemagne. Les communistes de gauche, jusqu’auboutistes (c’est
un terme employé par lénine) se prononçaient pour la poursuite de la guerre par soi-disant “pureté” révolutionnaire et les Bolchéviks (dont Lénine) pour la paix (Paix de Brest-Litovsk) dans l’intérêt
de la Révolution. Lénine explique pourquoi dans ses écrits.
Les partisans de la gauche radicale acepteront-ils seulement de discuter et de débattre de la question de la construction d’un mouvement populaire uni et adulte politiquement, c’est à
dire ayant pris le temps de l’élaboration de solutions révolutionnaires, sans crier à la trahison et sans trépigner d’impatience infantile (le terme est aussi de Lénine) devant la molesse des
syndicats (7,5% de syndiqués parmi les salariés !) et des partis de la gauche de la gauche, tous mis dans le même sac des “traitres à la cause” des travailleurs ?
Ces militants et observateurs accepteront-ils seulement l’idée qu’à regarder ce que nous enseigne l’histoire, une Révolution se fait avec tout un peuple et pas avec une minorité
d’avant-gardistes le plus souvent autoproclamés ? Et que ceux qui manifesteront jeudi ne sont pas des professionnels de la politique mais des citoyens qui en ont marre et qui ont envie que les
choses changent. L’idéal serait qu’ils aient envie de changer les choses. Mais en sommes-nous déjà là ?
“Pour devenir le pouvoir, les ouvriers conscients doivent conquérir la majorité : aussi longtemps qu’aucune violence n’est exercée sur les masses, il n’existe pas d’autre chemin
pour arriver au pouvoir. Nous ne sommes pas des blanquistes, des partisans de la prise du pouvoir par une minorité. Nous sommes des marxistes, des partisans de la lutte de classe prolétarienne ;
nous sommes contre les entraînements petits-bourgeois, contre le chauvinisme jusqu’auboutiste, la phraséologie, la dépendance à l’égard de la bourgeoisie”. Lénine, sur la dualité du pouvoir, avril
1917.
Ces partisans de la gauche radicale voudront-ils entendre qu’à notre avis, les solutions à apporter contre les ravages du capitalisme et les fondements de la société socialiste à
construire, ses institutions, ses lois, doivent être les fruits d’une volonté et d’une élaboration populaire la plus large possible, c’est à dire de la majorité des citoyens et de la
démocratie ?
Voudront-ils seulement entendre qu’au 21è siècle, en France, si l’on tire les leçons de l’histoire et des graves dérives des régimes socialistes du bloc soviétique dans les décennies
qui ont suivi la révolution d’Octobre, une Révolution ne vaincra qu’à travers l’adhésion d’une majorité de citoyens adultes à même de se prononcer pour de vrais bouleversements
révolutionnaires ?
L’exemple du Vénézuela et des multiples élections organisées par son président Hugo Chavez, celui de la Bolivie devraient pourtant donner des idées à ces penseurs de la Révolution qui
écrivent des articles à grands coups de références historiques (Lénine parle de “phraséologie”) en oubliant bien souvent d’ancrer leur réflexion dans la réalité contemporaine (Pour Lénine, “un vrai
communiste est plus tourné vers l’avenir que vers le passé”).
Entendent-ils que les modèles du passé servent à être critiqués et dépassés ? Que l’histoire doit servir à apprendre et à eviter les écueils d’hier, mais qu’elle ne peut figer
l’esprit dans un récit mystificateur (encore une expression de Lénine) de ce que devrait être la Révolution et quant elle doit avoir lieu, en s’appuyant sur des textes écrits il y cent ans ou
plus ? Que la Révolution se construit jour après jour au sein même des institutions bourgeoises pour former les esprits à la résistance et à la combativité, pour tirer partie de ce que le
capitalisme a construit, tirer partie de ses faiblesses, et transformer peu à peu le rapport de forces en faveur d’un changement radical (oui, nous sommes d’accord !) du système politique et
économique.
Quel marxiste-léniniste prétendrait aujourd’hui vouloir faire la Révolution sans actualiser, prolonger les pensées de Marx et de Lénine en les confrontant aux nombreuses connaissances
accumulées tout au long du 20e siècle sur le mouvement ouvrier, la lutte des classes, la nature même du système capitaliste, les expériences heureuses ou malheureuses du socialisme du 20è
siècle ?
Sans mesurer les forces aujourd’hui en présence en France (et dans le monde) dans le camp révolutionnaire et en tirer les conséquences quant à la stratégie à adopter pour faire
grandir la Révolution ? Le niveau d’éducation des citoyens dans la France d’aujourd’hui ne peut-il être un levier pour une Révolution socialiste qui s’épanouirait dans la rue et dans les urnes,
comme une promesse de jours meilleurs ?
Etre révolutionnaire n’est-ce pas avant tout se projeter dans le futur et imaginer la société que l’on veut construire ? Peut-on sèrieusement penser aujourd’hui l’avènement d’une
société socialiste, révolutionnaire, sans recours fréquent au vote, à l’expression démocratique qu’il constitue et qui reste une des plus grandes conquête de l’homme moderne devenu citoyen contre les
despotes ?
Bien sûr, donner aux travailleurs des droits inédits de réunion, d’élaboration de la stratégie de l’entreprise sur leur lieu de travail, nationaliser les moyens de production,
orienter l’argent vers l’emploi et les progrès humains sont autant d’objectifs essentiels, primordiaux de la Révolution. Mais la Révolution du 21ème siècle ne vaincra pas par le sang et les larmes
mais par la conviction du plus grand nombre que le capitalisme a fait son temps et qu’une ère nouvelle doit s’ouvrir plus humaine et plus solidaire.
Elle vaincra par la démocratie la plus poussée – articulation de la démocratie directe et de la démocratie représentative - et par la faculté du peuple de substituer aux institutions
capitalistes des institutions socialistes, de restituer l’héritage de l’ancien système à tous les travailleurs et d’ organiser la société nouvelle au profit de tous. Aujourd’hui, la question du vote,
de la prise de décison collective et l’organisation d’élections à tous les niveaux – assemblées élues et référendums - ne peut être considérée comme le détail (encombrant) d’un projet politique
révolutionnaire...
C’est pourtant ce que semble nous dire les partisans de cette gauche radicale qui rappelle à plusieurs égards les “communistes de gauche” du temps de Lénine et qui, tout en présentant
des candidats aux présidentielles et aux européennes explique qu’élire des représentants au parlement européen a finalement peu d’intérêt et que “le fruit est mûr” pour une Révolution dans la rue,
sans l’unité nécessaire à l’édification de solutions politiques.
“Des ignorants ou des renégats du marxisme, tels que M. Plékhanov et ses pareils, peuvent crier à l’anarchisme, au blanquisme, etc. Qui veut penser et apprendre ne peut manquer
de comprendre que le blanquisme est la prise du pouvoir par une minorité, tandis que les Soviets des députés ouvriers, etc., sont notoirement l’organisation directe et immédiate de la majorité du
peuple. Une action ramenée à la lutte pour l’influence au sein de ces Soviets ne peut pas, ne peut littéralement pas verser dans le marais du blanquisme. Elle ne peut pas, non plus, verser dans le
marais de l’anarchisme, car l’anarchisme nie la nécessité de l’Etat et d’un pouvoir d’Etat durant l’époque de transition qui va de la domination de la bourgeoisie à la domination du prolétariat. Je
défends, au contraire, avec une clarté excluant toute équivoque, la nécessité, durant cette époque, de l’Etat, non pas d’un Etat parlementaire bourgeois ordinaire, mais, en accord avec Marx
et avec l’expérience de la Commune de Paris, d’un Etat sans armée permanente, sans police opposée au peuple, sans fonctionnaires placés au-dessus du peuple." Lénine ; Lettre sur la tactique.,
avril 1917.
A cette gauche-là, nous disons que la démocratie représentative est une avancée humaine si importante qu’aucun révolutionnaire n’a le droit de la poser en concurrente déloyale de la
démocratie directe. (Exclure l’une ou l’autre serait condamner la Révolution au despotisme...) Et que nous appelons la démocratie directe de nos voeux aussi chèrement qu’eux. Que ces deux formes
d’expression politique doivent être associées, articulées tant par un gouvernement révolutionnaire que dans le combat qui construit patiemment l’esprit de la Révolution en s’appuyant sur les réalités
présentes. Et l’une des données de la réalité présente en France, c’est qu’une partie du PS, emmenée par Jean-Luc Mélenchon, fait scission avec ce parti libéral hégémonique à gauche !
A cette gauche radicale, nous disons que dans ce combat pour la Révolution des consciences, elle qui veut prétendument nous faire gagner du temps en appelant à l’insurrection sans
l’unité politique du camp révolutionnaire, négligeant du même coup la force que recèle la démocratie représentative pour fragiliser l’ordre capitaliste dominant, eh bien cette gauche-là nous en fait
perdre - du temps - en suscitant des attentes que la “pureté” de son isolement ne pourra satisfaire.
Pour cela, nous ne lui disons pas merci ! Mais nous l’appelons à laisser derrière elle ses vieilles chimères et à nous rejoindre dans le combat unitaire pour une Europe politique
sociale et solidaire et pour tous les combats à venir afin de débarasser le monde de l’aigle capitaliste.
Pour un Front Populaire du 21ème siècle !
P.S. Les mots qui peuvent blesser ou être perçus comme désobligeants ne sont pas de moi...
Pendant ce temps, du côté des classes dirigeantes…
La crise actuelle complique les projets de la classe dominante. Elle contraint d’abord le pouvoir politique à
théâtraliser un pseudo-divorce avec le patronat et à substituer un discours "moralisateur" au discours "décomplexé". Surtout, au-delà des belles paroles, la classe dominante navigue à vue, tiraillée
entre deux stratégies qui s’exprimeront lors du sommet du G20 le 2 avril.
D’un côté certains, comme l’économiste en chef de l’OCDE, Klaus Schmidt-Hebbel, estiment que « la
débâcle dans le secteur financier ne remet pas en question les effets bénéfiques des réformes recommandées des marchés de produits et du marché du travail ». De fait, le G20 ne traitera que du
secteur financier. Et derrière la vieille rengaine de la compétitivité et de la flexibilité, il y a l’injonction à se mettre en ordre de bataille pour la reprise en 2010. En France, l’accroissement
des déficits induit par la crise sert indirectement de justification à la RGPP (non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux) où aux attaques contre l’hôpital public (loi Bachelot). L’économiste
sarkozyste Nicolas Baverez n’écrivait-il pas cet automne que « le libéralisme est le remède à la crise » (Le Monde, 15/10/08) ?
D’un autre côté, l’inquiétude gagne la classe dirigeante. Non seulement l’incertitude est grande
concernant la reprise, mais les prévisions pour 2009 sont continuellement revues à la baisse. Par exemple en Allemagne, le Ministère de l'économie, qui déclarait en janvier que la contraction
du PIB serait de l’ordre de 2,25% en 2009, reconnaît aujourd’hui que ce diagnostic est dépassé. La Commerzbank (2ème banque du pays) estime même que le PIB pourrait y reculer de 7%. De son
côté, le FMI a indiqué, dans une note préparatoire à la réunion du G20, qu'il prévoit désormais une baisse du PIB mondial comprise entre 0,5 % et 1 %. La contraction serait de 2,6 % aux USA, et de
5,8 % au Japon. La classe dominante est en train de prendre la mesure d’une crise générale, systémique.
Alan Greenspan, l’ancien Président de la FED, a prévenu, dans un entretien accordé au Financial Times,
que la nationalisation du système bancaire américain sera nécessaire. Alors qu’il jubilait avant la crise parce que « l'hyper-capitalisme est hyper-sympa» (Le Monde, juin 2007), le
journaliste ultralibéral Eric Le Boucher déchante et lance un appel à l’aide: « le système financier occidental est sur le point de mourir. Il est donc temps que les gouvernements
prennent la mesure de cette dépression qui vient, adoptent des plans de sauvetage monstrueux et, probablement, nationalisent l'ensemble des banques mondiales, ou presque » (Les Echos,
13/01/09). De même, Jacques Attali, qui souhaitait en novembre 2008 « que les champions de la finance puissent s’exprimer et influencer » les autorités de régulation, insiste à
présent sur le risque d’effondrement général1.
Ces déclarations résument bien le désarroi de la bourgeoisie. Dans ces conditions, certains essayent de
jouer les sauveurs suprêmes. Dans une lettre ouverte à ses « amis de la classe dirigeante » (Le Figaro, 23/03/09), Alain Minc leur prodigue ses bons conseils non sans avoir rappelé avec
lucidité : « nul ne peut me soupçonner d'être votre ennemi ». Il appelle le patronat à la modération (« mesurez-vous que le pays a les nerfs à fleur de
peau ? ») et rappelle les vertus de la collaboration de classe : « les syndicats essaient de canaliser tant bien que mal le mécontentement et donc de préserver l'ordre
social. » Ne cachant pas son mépris pour « le grondement populiste », Minc se garde bien de rappeler que l’explosion des inégalités est à l’origine d’une crise de
surproduction ! Quand bien même le patronat écouterait les appels de son laquais à prendre garde au « poids des symboles », quand bien même le G20 prendrait quelques mesures
pour la « transparence » et la « surveillance » des marchés financiers, cela ne peut suffire à faire repartir ce système fondé sur l’exploitation.
NPA MARS 2009
Le Front de gauche, combien de divisions ?
PAR Denis
Sieffert
jeudi 5 mars 2009
Où en est-on à gauche de la gauche ? Comme le lecteur l’apprendra en se reportant un peu plus loin dans ce journal, les jours prochains seront décisifs. Que cela ne nous empêche pas de dire
ici nos espérances et nos craintes. La langue française est ainsi faite que les unes et les autres tiennent dans la même interrogation : le Front de gauche, combien de divisions ? Autant
dire que, pour une fois, c’est l’acception militaire qui aurait notre préférence… On connaît le champ de bataille : ce sont les élections européennes du mois de juin prochain. On connaît
l’enjeu : la présence du « non de gauche » au Parlement européen. La présence de députés hostiles au traité de Lisbonne, et partisans d’une autre Europe démocratique, écologiste et
sociale. Mais, au-delà, il en va de toute une dynamique qui pourrait aboutir à une recomposition du paysage politique à gauche. C’est donc un enjeu doublement démocratique. Qui comprendrait que cette
partie de l’opinion française qui fut majoritaire lors du référendum européen de 2005 ne soit pas représentée à Strasbourg ? On peut aussi poser le problème différemment. Il s’agit de la
représentation politique de l’immense majorité de ceux qui ont manifesté dans les rues de nos villes le 29 janvier, et qui s’apprêtent à recommencer le 19 mars prochain.
Peut-on imaginer un tel divorce entre les parlementaires, fussent-ils en l’occurrence européens, et la rue ? Inutile donc d’insister : les enjeux sont considérables. Pour notre part, au
mois de mai dernier, nous nous sommes engagés avec l’Appel de Politis dans la voie de l’unité (Nous tiendrons un bureau d’animation de l’Appel le 28 mars à Politis.). Au long cours,
avec un travail de convergence sur les idées ; et à échéance rapprochée, pour des listes unitaires aux européennes. Nous avons pu vérifier depuis dix mois combien cette démarche unitaire
correspondait à l’aspiration de nombre de nos concitoyens. Où en sommes-nous aujourd’hui, en tout cas à horizon visible, c’est-à-dire dans la perspective des européennes ? Il apparaît assez
clairement, à moins d’être obtus, que le Nouveau Parti anticapitaliste agit en fonction d’un autre agenda qui lui est propre. Ce choix peut se lire de plusieurs façons. Le NPA considère-t-il qu’il
dispose du meilleur candidat pour la présidentielle, et qu’en attendant il s’agit de faire grossir les rangs de son mouvement ? Ou qu’il doit créer avec ses futurs partenaires un rapport de
forces qui lui sera totalement favorable ? Ou encore que les joutes électorales ne sont pas si importantes, et que l’essentiel se joue ailleurs ? Après tout, ce qui se passe aux Antilles et
se prépare peut-être pour le 19 mars peut légitimer ce point de vue. Quoi qu’il en soit, il y a peu de chances de voir à brève échéance le NPA rallier un front de gauche.
Et pourtant ce Front existe, Marie-George Buffet et Jean-Luc Mélenchon en sont convaincus. Le PCF et le Parti de gauche (PG) sont d’ailleurs engagés dans une série de meetings en commun. Après
Frontignan et Marseille, ils font escale ce dimanche au Zénith, à Paris. Le dynamisme et la force de conviction de Mélenchon font à chaque fois merveille. Bien entendu, le leader du PG et les
responsables communistes multiplient les déclarations pour nous convaincre que la porte est grande ouverte à un élargissement du Front. À qui ? Au NPA, si celui-ci change d’avis. Aux
Alternatifs, qui représentent pour nous une famille importante, moins par leurs effectifs (mais on ne voudrait pas les désobliger) que par leur apport déjà très ancien au débat, à la croisée du
social et de l’écologie. Ce point de rencontre qui est le berceau même de Politis. Aux Collectifs antilibéraux, issus de la dernière présidentielle, et qui correspondent aussi à des
sensibilités et surtout à des formes d’organisation nouvelles, et à une force réelle. Tous ces courants, et quelques autres, dont la gauche des Verts (Écosolidaires et Alter Ekolo) et l’association
des Communistes unitaires, ont constitué au mois de décembre une Fédération. Or, celle-ci, c’est le moins que l’on puisse dire, peine à se faire reconnaître, notamment du PCF. Dans l’entourage de
Marie-George Buffet, on n’apprécie guère d’avoir à négocier avec des communistes qui revendiquent une double appartenance. Et pourtant cette complexité reflète assez bien les évolutions et les débats
d’aujourd’hui, y compris sur les formes mêmes d’organisation. La direction du PCF décidera-t-elle de passer outre, au nom de la nécessaire unité, et de l’intégration dans le futur processus de femmes
et d’hommes de valeur ? Ou bien campera-t-elle sur ses positions ? Notre souhait est connu. Mais nous ne sommes ni des donneurs de leçons ni des conseilleurs. Tout au plus peut-on espérer
que chacun prenne la mesure des enjeux évoqués plus haut. Évidemment, on peut toujours s’en tirer en affirmant que la mobilisation ne dépend pas d’alliances « au sommet ». Mais nul n’ignore
que la mobilisation n’est jamais indifférente à l’offre, et que l’unité est, selon la formule, un « puissant levier ». La question reste donc entière : le Front de gauche, combien de
divisions ?
L'antisarkozysme est de retour. Ce qui n'était encore qu'une réaction des milieux les plus militants et radicaux aux débuts de la présidence de Nicolas Sarkozy devient un sentiment plus répandu dans l'opinion. Alors qu'il peine à convaincre de la pertinence de son plan anticrise, le chef de l'Etat cristallise un
mécontentement croissant.
Ce dernier s'exprime dans les grèves ouvrières contre les fermetures d'usines, mais aussi dans des catégories jusqu'ici relativement protégées : magistrats, avocats, médecins, enseignants,
étudiants et cadres. "On assiste à une déception incontestable de l'électorat. Elle ne s'est pas encore transformée en désaffection. Mais la crise et la remontée du chômage ne peuvent que
générer un mouvement social qui va se traduire par un antisarkozysme plus marqué", analyse Denis Pingaud, vice-président exécutif de l'institut Opinionway.
Le refus d'une société mise en fiches, déshumanisée et au service de l'argent roi, s'est élargi. Multiforme, la contestation va des altermondialistes aux Verts, en passant par les militants
anti-OGM et les opposants à l'incarcération de Julien Coupat dans l'affaire des sabotages des lignes SNCF.
L'"Appel des appels" en est la traduction. Depuis son foyer d'origine (les milieux psychanalytiques), il a su fédérer une multitude de mécontentements via les collectifs "Non au fichier
Edvige", "Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans", "Sauvons l'hôpital public", "Sauvons les Rased" (réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté), "Sauvons la recherche",
"Sauvons l'université"... L'initiative surfe sur les réformes tous azimuts voulues par M. Sarkozy.
"Le temps est venu, de coordonner ces différents mouvements et d'en tirer tout le sens politique", préviennent les signataires de ce manifeste qui a déjà conquis 71 000 personnes. L'un
de ses initiateurs, Roland Gori, psychanalyste, souhaite, lors d'une réunion à Paris, le 22 mars, transformer la pétition en "cahier des charges, comme les
cahiers de doléances de 1789" et constituer un front uni des protestations.
"CONVERGENCE DES LUTTES"
D'autres expériences militantes témoignent de ce changement de climat. Leila Chaibi, une des animatrices de "l'Appel et la pioche", collectif de jeunes précaires et salariés proches du
Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), assure que les actions de réquisition qu'elle organise dans des supermarchés attirent de plus en plus de monde. "Les gens
sentent bien que le pouvoir se fout d'eux etqu'on peut repousser les limites de la désobéissance civile", explique-t-elle.
Le même écho provient des militants de Génération précaire, qui dénoncent les stages gratuits, ou de Jeudi noir dans le domaine du logement. "Les mauvaises réponses à la crise fédèrent contre
Sarkozy, et le ras-le-bol monte", confirme Julien Bayou, qui participe à ces mouvements. Les politologues notent que Nicolas Sarkozy n'a plus le monopole du
"mouvement" sur la scène politique, dont il disposait encore à l'automne 2008 malgré une popularité en baisse. L'aggravation de la crise économique et le sentiment que le plan de relance n'est
pas à la hauteur ont changé la donne.
"La logique du mouvement perpétuel voulue par Sarkozy est arrivée à épuisement. Elle ne marche plus parce que le mouvement social a réussi à faire le lien entre des mobilisations aussi
différentes que celle des enseignants-chercheurs, celle contre les licenciements dans l'automobile ou dans le secteur hospitalier", résume Vincent Tiberj,
chercheur à l'Institut d'études politiques de Paris.
La montée de la contestation sociale, sectorielle, puis nationale avec l'entrée en scène des confédérations syndicales, a, semble-t-il, donné un sens au ressentiment anti-Sarkozy. La grande
manifestation interprofessionnelle du 29 janvier en a été, à ce jour, l'expression la plus forte. "L'antisarkozysme fédérait tout", remarque Annick Coupé,
porte-parole de Solidaires.
Le 29, s'est exprimé le rejet du mépris ressenti de la part du président. Le slogan "tu l'as vu ma grève ?" en était le symbole", renchérit Jérome Fourquet, directeur de l'IFOP.
"C'est l'expression d'unanti-sarkozysme par le bas, d'un nouvel imaginaire politique inscrit dans le mouvement social", assure encore Stéphane
Rozès, directeur général de l'institut CSA. Un climat dont profite la gauche radicale, M. Besancenot en tête. La victoire du Collectif LKP en Guadeloupe s'est inscrite dans ce paysage.
Le maître mot est désormais la "convergence des luttes". Prochain rendez-vous : le 19 mars, nouvelle journée de mobilisation interprofessionnelle.
Le débat démocratique est l'oeuvre de consensus, de compromis, de négociations. Mais il arrive des moments où il faut savoir trancher. Aujourd'hui la question, schématisée, se pose en ces termes
:
Soit nous voulons poursuivre le capitalisme libéral actuel qui se dope à la croissance perpétuelle et à la destruction des ressources.Soit nous voulons résoudre la crise écologique
qui menace les équilibres planétaires fondamentaux (biodiversité, ressources en eau et en pétrole, climat, sécurité alimentaire, etc).
La double contrainte "économie de croissance / écologie", personnifiée dans l'expression oxymorique "développement durable" est donc une impasse intellectuelle et physique. (ici) "L'effet rebond" est une des démonstrations les plus flagrantes de ce
paradoxe (ici).
Un enfant de cinq ans comprend que la croissance économique infinie - sur laquelle repose le capitalisme et même les projets de gauche "moderne" - est, en soi, parfaitement incompatible avec un
monde aux ressources limitées tel que nous le connaissons. Mais cette double injonction, qui nous pousse à faire croître de manière exponentielle la production et de consommation tout en voulant
sauver la planète s'avère surtout impossible à mettre en oeuvre dans les faits.
Impossible de concilier les intérêts des grands semenciers pourvoyeurs d'OGM (Monsanto, etc.) et la biodiversité, comme l'a montré la loi pro-OGM votée hier en France. (ici)
Impossible de réduire les émissions de CO2 liées aux transports tout en n'imposant aucune contrainte aux constructeurs automobiles allemands (pour ne prendre qu'eux), comme le montre la réticence
allemande aux lois européennes sur l'automobile, alors que la même Allemagne poussait à Bali pour des mesures ambitieuses. (ici) Impossible même de réduire nos
émissions de CO2 en continuant à vendre toujours plus de voitures, mêmes "moins polluantes".
Impossible d'envisager une réduction des consommations superflues dans un système économique où tout repose précisément sur l'injonction à consommer, relayée par une publicité omniprésente.
(ici)
Impossible de développer de véritables politiques de sobriété énergétique dans un monde où la privatisation galopante contamine les marchés de l'électricité, laissant s'y infiltrer des entreprises
qui ont tout à perdre à ce que la population réduise sa consommation.
Impossible encore de transférer les marchandises de la route au rail, lorsque les entreprises s'en chargeant sont privatisées et réduites à une logique de pure rentabilité économique (CFF
Cargo).
Impossible de continuer la croissance d'un canton comme Genève sans continuer à bétonner, à polluer et à motoriser toujours plus. (ici)
Impossible de réduire l'empreinte écologique de l'occident sans décroissance.
Impossible d'imaginer un monde écologiquement soutenable où les pays riches consommeraient toujours 1000 fois plus que leurs frères africains. Encore plus impossible si l'on imagine les pays du Sud
accéder au niveau de vie européen en terme de motorisation, de voyages en avion, de consommation de viande, etc.
Impossible de concevoir un projet de société écologique où le travail d'un seul homme pourrait valoir 1000 fois le travail d'un autre comme c'est tellement souvent le cas aujourd'hui.
On pourrait multiplier les exemples à l'envi pour montrer que l'écologie libérale ou le capitalisme vert n'existeront jamais sérieusement. Il n'y aura pas de véritable solution à la crise
écologique globale sans une remise en cause radicale de la société de consommation, car la crises écologiques, économiques, sociales, culturelles et démocratiques qui traversent nos sociétés sont
intimement liées, et doivent être traitées dans leur globalité.
Même Nicolas Culot - le super hélicologiste financé par le capitalisme sauvage de TF1, de L'Oréal et des lobbies autoroutiers - est entrain de s'en rendre compte, puisqu'il réalise (enfin!) qu'il
faut en finir avec le libéralisme. Il le disait il y a quelques jours dans une interview au Journal du Dimanche. Il se sentirait même proche de... Besancenot! (ici)
Comme quoi, même les pires éco-tartuffes, lorsqu'ils branchent leur cerveau, finissent par réaliser que "non, tout n'est pas possible".
En ne se fiant qu’aux déclarations de Nicolas Sarkozy, nombreuses, tapageuses, souvent contradictoires, certains pouvaient en douter. Désormais, les faits sont là : sa majorité
met en œuvre une politique cohérente qui allie ultralibéralisme et contrôle social. Bien avant l’élection du président de la République, en mars 2004, Regards consacrait un dossier de une, dans l’un
de ses numéros les mieux vendus des dernières années, au « concert libéral-populiste » de Sarkozy (1). Nous y sommes.
Le paquet fiscal adopté à l’été 2007, en tout début de mandature, est la première pierre d’un édifice cohérent servant le capitalisme et les plus riches, au détriment des catégories populaires et
des insoumis. Depuis, le patient détricotage des acquis nés de l’après-guerre touche de nombreux domaines. C’est l’âge de la retraite repoussé à 70 ans, les franchises médicales ou la libéralisation
du travail le dimanche. Signe aussi que nous ne sommes pas totalement dupes du décalage entre certains discours et la politique concrètement menée. Face à la crise, Sarkozy a eu beau déclamer :
« Le marché qui a toujours raison, c’est fini » et plaider pour la « moralisation du capitalisme », c’est bien un plan de relance qui fait la part belle aux
banques et laisse sur le carreau les bas salaires qui a été adopté. Les minima sociaux n’ont même pas été augmentés alors que le pouvoir d’achat de ses allocataires est plombé depuis de nombreuses
années. Une petite prime unique leur est consacrée, pour 3 % du total du plan de relance ! La misère... Le démantèlement des services publics, comme La Poste, soumise à une privatisation
rampante, ou les universités promises à « l’autonomie », participe également de la politique de casse des solidarités collectives.
Servir le monde de la finance et diminuer les protections, cela va de pair avec un contrôle social accru. Il faut bien que se légitime et s’exerce la puissance de l’Etat… D’où le développement de
l’autoritarisme. Au menu : surveillance de nos libertés, normalisation des comportements, remise au pas des insoumis, culpabilisation des vaincus du système. Concrètement, cette mise au pas se
traduit par la création de fichiers en tout genre, une augmentation des violences policières et des incarcérations, l’instauration de peines planchers et de la rétention de sûreté, la pénalisation
accrue de la récidive, la refonte des services de renseignement, la mainmise sur les médias à l’occasion de la réforme de l’audiovisuel, le mélange des genres, sécuritaire et médical, pour la
psychiatrie... Sans compter l’oppression des sans-papiers et la poursuite de ceux qui les soutiennent, mise en œuvre par un « ministre de l’Identité nationale ». Le contrôle accru et répété
des chômeurs et des précaires, toujours présentés comme « profitant du système » vient parfaire ce triste tableau.
Contrairement aux apparences des mots, Nicolas Sarkozy démontre que le libéralisme économique n’est décidément pas le meilleur allié des libertés publiques. Et s’il continue, allez savoir ce qui
peut se passer… D’après Le Figaro, les révoltes en Grèce lui ont donné des cauchemars : c’est par peur de la contagion qu’il aurait exigé de remettre à plus tard la réforme Darcos,
combattue avec ardeur par les lycéens. Le président serait revenu du dernier Conseil européen à Bruxelles avec le sentiment que les conditions pouvaient être réunies d’un « Mai-68 européen ». Et
pourquoi pas ?
Les récentes reconfigurations de la gauche française effraient sans doute les stratèges socialistes mais elles montrent qu'un débat idéologique est en cours. Le Nouveau Parti Anticapitaliste,
le Parti de Gauche, le Nouvel Espace Progressiste sont autant de démarquages à l'égard de partis dont la seule stratégie reste le maintien de leurs bastions électoraux. Cependant ce regain
politique se développe sur le terrain plutôt balisé d'un marxisme orthodoxe jamais disparu en France et qui retrouve de la vigueur en dénonçant pêle-mêle la compromission libérale des
sociaux-démocrates et l'hérésie du gauchisme soixante-huitard.
La gauche libertaire est la grande absente de la redistribution des formations progressistes. Mais que désigne au juste ce mot de "libertaire" un peu flou, repris tant par des anarchistes
révolutionnaires que par des libertariens de droite? On peut en rappeler le spectre à travers les concepts et les combats qui l'ont porté il y a quarante ans: l'autogestion, la critique du
travail, l'émancipation des mœurs, l'anti-étatisme. Cette inspiration fédérait des luttes hétérogènes : celles des ouvriers de Lip, des régionalistes, des féministes, des homosexuels, des
immigrés. Elle accueillait ces mouvements revendicatifs sans les reléguer à des contradictions secondaires du capitalisme.
Cette frange libertaire a subi un laminage idéologique depuis deux décennies. Son éviction s'est exercée sur deux fronts. Par le côté gauche elle a été renvoyée à l'anarchisme de l'ultra gauche
(les anarchistes "purs" comme les monarchistes purs qu'on désignait par ce terme d'ultras). Anti-pouvoir, destructionniste, cette mouvance politique indéfinissable (car "le drapeau noir, c'est
encore un drapeau", déplorait Léo Ferré) s'apparente à une tradition nihiliste venue du XIXe siècle avec ses Ravachols, ses légendes russes ou, pour les plus glorieux, à ses héros de la guerre
d'Espagne. N'en reste plus que le drapeau de la CNT dont la nostalgie flotte sur les manifestations étudiantes.
Mais c'est par le côté droit que l'inspiration libertaire a connu son plus fort matraquage. Elle a été associée au libéralisme, du moins dans son sens français, exclusivement économique, au
détriment des diverses pensées libérales anglaises et de ce que signifie politiquement le terme de "liberal" outre-Atlantique. Le républicanisme français, qui domine tant à gauche qu'à droite, a
promu cet amalgame selon lequel le libéralisme économique aurait réalisé les idéaux de mai 68, avec sa critique de l'autorité et son ambition émancipatrice, ouvrant la porte à l'enfant-roi et à
la dépense incontrôlée, à l'individualisme et aux profits immoraux.
Des dizaines d'auteurs et des centaines de livres, de la psychanalyse à la science politique et à la philosophie, déclinent ce thème inlassablement, criant à la débâcle et appelant implicitement
à la restauration. Il est piquant de constater que le président Sarkozy a repris cette rengaine aussi bien à la droite conservatrice qu'à la gauche anticapitaliste la plus orthodoxe (et dont
Serge Audier a montré l'alliance objective dans La pensée anti-68). À cause de cette OPA négative, "antilibéral" et "antilibertaire" sont devenus synonymes. S'appuyant sur quelques
doctes sociologues, les marxistes orthodoxes sont revenus à leurs fondamentaux, une analyse classiste et déterministe des mouvements sociaux, reléguant les autonomies libertaires à des
revendications petites-bourgeoises. Cependant, faute d'identifier clairement un prolétariat uniformément dominé, c'est l'État qu'ils défendent désormais contre le capitalisme.
Depuis le thatchérisme, une logique libérale visant à briser les services publics et toutes les protections sociales a gagné l'Europe. L'empire du marché et la dérégulation généralisée ont été
promus sous les noms de la modernisation et de la liberté. Quoi de plus naturel alors que d'être suspicieux face à toute réforme qui se pare de l'autonomie quand son but réel consiste à
démanteler les organismes destinés au bien commun? Cependant il s'agit encore d'un rapt idéologique : car la liberté du capitalisme se présente en une version pauvre et passive, celle d'une
absence de contrainte, avatar d'une vieille lune, la liberté d'indépendance. En revanche la liberté active de l'esprit libertaire suppose la responsabilité, elle promeut l'invention de formes
sociales fondées sur l'assentiment individuel et collectif.
La préservation urgente des services publics menacés a conduit la gauche à une stratégie exclusivement défensive et étatiste. Conservatrice par force, elle en est venue à défendre ce qu'autrefois
elle contestait. Dans l'éducation, domaine autrefois privilégié pour la réflexion de gauche, les motifs de la contestation ont été inversés: les lycéens manifestent contre le contrôle continu au
baccalauréat et contre l'abandon des filières disciplinaires, les étudiants contre l'harmonisation européenne des diplômes puis contre l'autonomie des universités, les professeurs contre la fin
des concours nationaux et des tutelles ministérielles. Encore une fois les réformes contestées suivent des logiques comptables à court terme que la gauche doit condamner. Mais celle-ci a perdu sa
puissance de contre-proposition et n'a plus d'autre argument que de s'en remettre au modèle de l'État surpuissant qui contrôle, protège et légitime. Où sont passés les modèles alternatifs qui
étaient la marque d'une pensée de gauche?
La solitude de certains penseurs qui ont continué à imaginer ces alternatives témoigne d'un tel effacement. Parmi eux, André Gorz (1923-2007), découvert par les médias à l'occasion de son
suicide, a pourtant réfléchi au-delà des utopies 68, avec ses Adieux au prolétariat (1980) ou ses Métamorphoses du travail (1988), à une écologie politique fondée sur des
pratiques d'autonomie à tous les niveaux de la société. Il n'avait pas besoin de jouer Bakounine contre Marx pour penser la sortie du capitalisme sans le retour du tout-État. Formé à la
philosophie sartrienne, il savait qu'on peut être marxiste tout en affirmant la liberté pratique des humains dans l'Histoire.
L'oubli de la gauche libertaire dans la recomposition politique française n'est pas surprenant car elle n'a pas vocation à s'inscrire dans un parti, même si autrefois le PSU l'incarnait. On la
retrouve parfois dans la constellation écologiste, et surtout dans la société civile et les associations qui luttent sur des terrains négligés par les partis institués. La résistance qui
s'organise contre la traque des étrangers ou les mobilisations sur Internet contre les mesures sécuritaires du gouvernement, notamment dans le domaine psychopathologique, manifestent cette
inspiration anti-autoritaire à la marge d'un républicanisme français dévoyé en étatisme, voire en nationalisme. La liberté y retrouve son sens politique, elle dit moins l'absence de règles que
l'espoir d'une autre civilité.
Lettre ouverte à tous les « dirigeants » des partis, mouvements, associations de gauche
La crise actuelle, sa complexité, financière, économique, écologique, sociale, humaine nous conduit, nous, citoyens de base, adhérents ou non à un parti (PCF, PG, LCR, LO,
POI), adhérents ou non à un mouvement (Alternatifs, Alter-Ekolos, MARS, PRS, Communistes Unitaires, Gauche des Verts, Collectifs antilibéraux, Altermondialistes de « Mai », signataires de l’Appel de Politis...), à exiger, de ceux qui sont à la tête ou à l’initiative des différents partis, groupes et courants de gauche, qu’ils prennent exactement
la mesure du danger que nous courons tous en ce moment, et qu’ils s’engagent à se constituer en une structure unique capable de peser.
Nous avons entendu bien des propositions, émanant de mouvements et partis de gauche différents, qui se donnent pour objectif commun la lutte contre le capitalisme (sous toutes ses
formes). Or, nous venons de voir naître des partis ou mouvements nouveaux à gauche du PS. Nous venons, également, d’assister à la création d’une nouvelle fédération à gauche. Nous allons bientôt voir
arriver dans le paysage le NPA d’Olivier Besancenot... Nous avons envie de dire, maintenant, ça suffit ! Un peu de « raison suprême » ! Un peu de hauteur de
vue ! Où allons-nous ? Voulez-vous recréer les conditions de l’échec assuré ?
Nous avions su partager nos expériences, faire fi de nos différences, et nous engager, tous, y compris des citoyens n’appartenant à aucun corps constitué, dans la bataille pour le
« Non » au référendum, en 2005. Cet engagement collectif nous a permis de triompher. Pourtant, les tenants du « Oui » disposaient de
toutes les armes, des médias radio et TV, de la grande majorité de la presse écrite, de l’argent pour s’offrir une campagne de pub. immonde. Malgré ce combat très inégal, nous avons gagné.
Nous avons gagné parce que nous avions pris le texte, nous avions méticuleusement expliqué ce qu’il contenait, et ce que les « capitalistes » européens
voulaient nous vendre à tout prix ! Nous avons gagné parce que le peuple que nous constituons ensemble s’est associé à cette campagne parallèle, a effectué un travail souterrain, un travail
solidaire d’information et de formation.
Ce « Non » était un « Non » pensé, mesuré, réfléchi... quoiqu’il en ait été dit dans le camp des « Ouistes »... Il était le reflet de ce que le peuple uni peut produire en coalisant ses efforts.
Dans quelques mois vont se dérouler les élections européennes.
Bien que, dans les textes adoptés à notre insu lors du Congrès de Versailles du printemps dernier, le Parlement européen ne dispose que de peu de pouvoirs face au Conseil européen et
à la Commission européenne, si nous savons regrouper toutes les forces de gauche véritable, refaire le travail patient de pédagogie militante que nous avions effectué au moment du référendum de 2005,
nous pourrons obtenir des sièges de députés en nombre suffisant pour infléchir les politiques européennes dans un sens plus social, plus écologique, plus féministe, dans le sens d’une économie
maîtrisée... dans le sens opposé à « l’économie de marché », « à la concurrence libre et non faussée » qui broie les êtres humains et
met à sac la planète. Si cette cohésion se fait, nous pourrons prétendre être enfin représentés...
Si tout l’arc des forces de gauche véritable, du NPA au POI, en passant par le PCF, le PG et tous les courants, Verts, Alternatifs, Gauche Républicaine, MAI... se fédère pour ces
Européennes futures, nous serons en ordre de marche pour faire Front à ceux qui nous confisquent tout.
Nous faisons appel à votre raison, mesdames, messieurs les responsables des partis et mouvements pour mesurer la responsabilité qui est la vôtre : Unis dans un même combat contre
le seul véritable ennemi commun, nous pouvons réussir, comme en 2005... Éparpillés, nous n’obtiendrons rien. Vous le savez aussi bien que nous !...
Certains d’entre-vous portent déjà la lourde responsabilité du régime qui nous gouverne. Ce passé récent doit nous servir, à tous, de leçon. Il doit vous guider dans la décision que
vous allez prendre... A droite, on se gausse déjà de cette gauche incapable ! Ne donnez pas raison à nos adversaires ! Ayez le respect des citoyens (nes) de base, de vos électeurs qui, eux,
sont toujours dans la dynamique d’un « AUTRE MONDE EST POSSIBLE » ! Considérez que le sort de chacun de nous tous dépend de cette nécessaire union des forces de
« la gauche de gauche », que la décision que vous prendrez engage notre avenir commun, et que cette « union » est une mesure de salut
public !
Gardez en mémoire ces paroles de Churchill (à propos des pilotes de la RAF, en 1940) :
« Jamais, dans l’histoire, le sort de tant de gens n’a reposé sur la volonté commune d’un si petit nombre d’entre
eux ! »
Le NPA et la recomposition de l’autre gauche
J’ai été sollicitée par la revue Critique communiste de la LCR pour une contribution à son dernier numéro, qui paraîtra mi-janvier, consacré au NPA. Voici
cette contribution. Bonne lecture !
Clémentine 31 décembre 2008
Le NPA et la recomposition de l’autre gauche
Le processus de constitution du Nouveau parti anticapitaliste n’est pas simple à saisir. Très souvent, j’entends préciser au sujet du NPA : « … enfin, ce que je crois comprendre qu’est
le NPA…». Certains y voient un projet entièrement ficelé et manipulé par la direction de la LCR, qui ne produirait in fine qu’une LCR élargie grâce à l’effet Besancenot mais sans bougé sur le
fond et la stratégie. D’autres, ou parfois les mêmes à un autre moment, y voient une totale dilution de la culture de la Ligue dans un nouveau parti sans queue ni tête, ayant pour seules
boussoles la révolte et la fidélité à « Olivier ». D’autres encore y perçoivent le lieu à partir duquel toute la gauche radicale va se recomposer, le reste des forces étant alors
perçues comme mortes ou maintenues en respiration artificielle. Cette grande diversité de points de vue n’aide pas à appréhender clairement ce qui se produit… Le processus enclenché par la
LCR recèle une part d’aventure, avec des contradictions qui seront tranchées en marchant. Et ce d’autant que tous les acteurs1 de cette nouvelle force ne projettent pas le même dessein. S’il
est bien difficile de prédire quel sera son avenir et son impact sur l’ensemble de la gauche du PS, tenons-nous en ici et aujourd’hui au souhaitable.
Heureuse que la popularité d’Olivier Besancenot débouche sur le dépassement de la LCR, j’ai cherché avec d’autres à dialoguer avec le NPA, sans a priori ni sectarisme2. Les préoccupations qui
m’animent depuis le début ont trait essentiellement à deux enjeux, que l’on pourrait résumer ainsi : est-ce que la question du rapport au pouvoir sera appréhendée de manière renouvelée, sans
copié-collé avec la matrice trotskyste, pour laisser ouverte la réflexion sur les formes et les conditions de l’indépendance vis-à-vis du Parti socialiste ? En outre, est-ce que la
convergence entre les différents courants et traditions de la gauche radicale sera recherchée, manière de constituer une force large porteuse d’un projet neuf ? Depuis le lancement du
processus NPA, la sortie de Jean-Luc Mélenchon du PS, avec la création du Parti de Gauche, et la mise en mouvement de sensibilités alternatives jusqu’ici éparpillées – Alternatifs, Collectifs
unitaires, Communistes unitaires, Alter-Ekolos – au sein d’une « Fédération » donnent une actualité nouvelle à ces préoccupations. « Nous n’avons de partenaires »,
disaient en cœur les initiateurs du NPA quand nous regrettions qu’il ne se constitue qu’à partir de la LCR comme cadre organisé. Force est de constater que la donne a changé, ce qui
interpelle de fait les militants sur l’orientation stratégique du NPA.
C’est aussi et surtout la crise du capitalisme et la floraison de mobilisations sociales contre une droite ultra libérale et autoritaire qui donne à l’autre gauche une responsabilité
particulière. Si les sociaux-libéraux ne peuvent pas apporter de réponses justes aux crises économique, écologique, sociale, culturelle et politique que nous traversons, ne sommes-nous pas
sommés de tracer nous-mêmes des perspectives crédibles et utiles à toutes celles et ceux qui souffrent d’un monde qui marche à l’envers ? Dès lors, l’enjeu est de savoir comment
rassembler le plus de forces possibles sur une ligne politique clairement alternative - non soluble dans le projet du PS. L’heure est bien aux ruptures avec l’ordre dominant. L’ambition
transformatrice ne saurait être revue à la baisse tant les inégalités se creusent, les peurs grandissent, le pouvoir se concentre toujours dans les mains de quelques-uns, notre modèle de
développement est dangereux, les oppressions, dominations et aliénations prospèrent… Mais l’éparpillement des forces qui portent cette ambition transformatrice est pénalisant et sans doute
mortifère pour tous. La logique politique voudrait que les deux grandes orientations à gauche (rupture ou accompagnement) trouvent leur expression dans deux grands espaces politiques
cohérents. Le rassemblement de l’autre gauche m’apparaît comme la seule stratégie permettant, à terme, de remettre en cause l’hégémonie des sociaux-libéraux à gauche. Travaux pratiques :
pour les élections européennes, quelles différences programmatiques et stratégiques séparent sérieusement le PCF, le PG, la nouvelle « Fédération » et le NPA pour justifier de faire
listes à part ? La LCR n’a jamais argué de divergences de fond pour claquer la porte des Collectifs unitaires en 2006 et il n’y a aucun risque de gouvernement commun de l’Europe avec la
social-démocratie puisqu’elle travaille avec la droite. L’unité permettrait de créer une dynamique, d’obtenir davantage d’eurodéputés, de donner une résonnance politique aux révoltes. Sans
cultiver la nostalgie du « non de gauche » au Traité constitutionnel européen, il serait tout de même fort de café que nous ne jouions pas ensemble le match retour.
De nombreux camarades de la LCR avancent qu’il faut une stratégie commune à toute une séquence électorale. Ce point, discutable, apparaît comme un argument pour légitimer le refus de faire un
Front de gauche avec d’autres, à un moment où le NPA a le vent en poupe et croit pouvoir se permettre de mépriser ses partenaires potentiels. Pour autant, je prends très au sérieux l’argument
de la clarification des relations avec le PS, potentiellement clivant. Cette question doit être affrontée et ouvertement mise en débat. En évitant autant que possible la répartition figée
entre, d’un côté, ceux qui assument les responsabilités et font gagner la gauche et, de l’autre, ceux qui n’ont pas les mains sales et restent fidèles aux luttes… Les évolutions du rapport de
force au sein de la gauche et l’orientation actuelle du PS obligent à réinterroger la pertinence des alliances avec ce dernier, à chaque échelon. La satellisation actuelle des forces
partenaires du PS3 montre le besoin de reconquérir une indépendance. Pour l’avoir expérimenté à la Ville de Paris, je sais combien la présence de quelques communistes ou verts dans une
majorité dominée par les socialistes présente comme limites. Notre faiblesse se situe également sur le contenu : que ferions-nous si nous étions majoritaires à la tête des assemblées
territoriales ? Comment repenser le projet politique à l’échelle du territoire ou, dit autrement, comment traduire le projet émancipateur et anticapitaliste que nous appelons de nos
voeux à l’échelle locale ? Ce travail est devant nous. On ne saurait se satisfaire de laisser à la droite et au PS le soin de « gérer » nos villes, nos départements, nos régions.
Pour autant, soyons clairs : il n’est pas question de gouverner avec un PS dominé par le social-libéralisme. Après les désillusions des années Mitterrand, le bilan de la gauche plurielle -
même si ce n’est pas celui que nous laissera Sarkozy ! – n’a rien d’enthousiasmant… Mais, pour construire partout des politiques anticapitalistes, féministes et écologiques dans un
contexte de globalisation, ressasser des slogans révolutionnaires ne suffira pas. Comment faire l’impasse sur la perspective majoritaire ? Dans quelle mesure le NPA s’attèlera-t-il à être non
seulement un porte-voix des luttes mais aussi un outil pour ce travail d’élaboration d’un projet et d’une stratégie renouvelés ? Le manque de « débouché » politique des grands
mouvements sociaux de 1968 ou 1995, même s’ils ont en eux-mêmes beaucoup apporté, n’invite-t-il pas le champ proprement politique à prendre très au sérieux la question de l’alternative ?
Le XXe siècle a produit des clivages à gauche qui doivent être revisités. Trotskysme versus stalinisme, pour n’en prendre qu’un exemple : l’opposition a vécu, elle ne constitue pas des
points de repères pour la majeure partie des nouvelles générations militantes. Les expériences du « socialisme réel » ont mis sévèrement à mal l’idéal de dépassement du capitalisme.
Or, revendiquer un changement de société renvoie aujourd’hui encore aux échecs passés, à la bureaucratie d’Etat, à un système économique défaillant en termes de production de richesses… Cette
histoire exige un retour critique global, notamment sur le pouvoir et la démocratie, les rythmes et les modalités de la transformation dans un contexte de globalisation. L’internationalisme,
qui m’apparaît délaissé ou mérité lui aussi d’être reformé et dynamisé, pourrait être davantage un point d’appui. Par ailleurs, une nouvelle force devrait en finir avec le primat de
l’économie sur tout le reste des champs de la vie, sur l’écologie, le féminisme ou l’antiracisme. L’émancipation humaine n’est pas soluble dans l’anticapitalisme. L’articulation entre
l’apport de la tradition du mouvement ouvrier et celle des courants politiques écolos, féministes, antiracistes ou anticonsuméristes qui se sont développés avec les mouvements sociaux du XXe
siècle est un défi majeur pour une force nouvelle. De ce point de vue, le mélange des cultures et traditions de la gauche critique m’apparaît, sur le fond, comme un élément décisif pour
reconstruire un projet de transformation sociale digne du XXIe siècle, à même de susciter un élan populaire. Il s’agit d’articuler et non de juxtaposer les apports. Enfin, une force nouvelle
peut-elle se mouler dans la forme parti traditionnelle ? Une organisation collective démocratique et efficace est indispensable mais nous avons à en finir avec la culture bolchévique et
répondre aux modes de vie militants contemporains. Et il ne suffit pas d’avoir en son temps dénoncé le bolchévisme pour être totalement exempts de ce travail critique. S’émanciper réellement
des vieux schémas n’est pas simple…
De ce point de vue, l’appel à de nouvelles générations militantes est un gage de réussite. C’est l’une des forces du NPA. A condition, me semble-t-il, de ne pas faire l’impasse sur les
courants politiques organisés de la gauche critique. Si une culture (trotskyste en l’occurrence) domine largement face à de nouveaux militants, majoritairement sans expérience ni
structuration politique, le risque est grand d’aboutir à une organisation où cette identité primera et donnera le ton. Et croire que des pans entiers de militants communistes ou écolos
pourraient répondre spontanément et massivement à l’appel venant uniquement de la LCR est sans doute naïf. Vouloir dominer les autres ou espérer prospérer sur leur atonie voire leur mort
lente est-il le meilleur moyen de donner naissance au grand parti de la gauche radicale dont nous avons besoin ?
Clémentine Autain, féministe, co-directrice du mensuel Regards
Les anticapitalistes, grands vainqueurs de la crise ?
[EXTRAITS]
FRANCE : "A nous d'accueillir les nouveaux combattants à bras ouverts"
John Mullen est un militant du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) du sud-ouest de la France.
"Depuis plus de vingt ans, on nous répète que le profit privé est une garantie de stabilité et de prospérité. Les grandes banques et les compagnies d'assurance ont fait campagne pour contrôler
nos fonds de retraites, les gouvernements de droite ou de gauche ont privatisé les industries auparavant nationalisées et les services publics.
Et là, tout d'un coup, on voit qu'on nous a menti. Leur système est complètement pourri : la dictature du profit n'amène pas la stabilité, mais la panique de la récession. Pourtant, au lieu de
réduire le pouvoir des grands capitalistes, on propose de nationaliser les dettes tout en laissant les profits aux riches ! Et cette fois, on trouve des milliards d'euros ! Alors que les caisses
étaient vides pour les retraites, pour l'éducation, pour la santé, elles débordent aujourd'hui pour sauver la peau des criminels qui dominent notre société.
Les gens ordinaires sont furieux et ne croient plus ces clowns prétentieux déguisés en "experts économiques". Le travail du NPA et de la gauche radicale est de redonner de l'espoir,
d'encourager les résistances - contre la privatisation de la Poste, contre les suppressions de postes dans l'enseignement, pour une augmentation forte du Smic, etc.
Sarkozy a dit récemment que l'anticapitalisme n'est pas une solution. Pour lui et ses amis en Mercedes et en yacht, c'est vrai. Pour les gens ordinaires, c'est la seule solution. Le NPA
suscite énormément d'intérêt. A nous d'accueillir les nouveaux combattants à bras ouverts. Dans d'autres pays aussi, nos amis se mobilisent contre le capitalisme. Une manifestation au sein de la City
et une autre à Wall Street ont eu lieu ces dernières semaines. Mais il reste énormément de travail si nous voulons remplacer la dictature de l'argent par une société humaine."
GRANDE-BRETAGNE : "La crise pourrait remettre les nationalisations au goût du jour en Grande-Bretagne"
Charlie Kimber milite au sein du Parti des travailleurs britannique au Royaume-Uni (extrême-gauche).
"Depuis une trentaine d'années, tous les partis politiques qui se sont succédés au pouvoir nous ont dit que tout irait bien tant que le marché serait libre de s'autogérer. Cette affirmation a
vécu, plus rien ne sera comme avant pour les gens, qui vont se poser des questions. Pourquoi l'Etat, qui a trouvé de l'argent pour se protéger des effets de la crise, ne débloque-t-il pas plutôt des
fonds pour créer des emplois, pour lutter contre la misère, pour améliorer la protection sociale ou encore soutenir les retraites ? Et dans le cas où c'est l'Etat qui vole au secours du secteur
bancaire, les banques ne devraient-elles pas agir dans l'intérêt du plus grand nombre plutôt que dans celui d'une minorité ? Cette crise pourrait remettre au goût du jour les nationalisations en
Grande-Bretagne, alors que ce terme était honni depuis des lustres.
Gordon Brown a profité de la crise, parce qu'elle a rappelé à l'opinion à quel point pouvaient être néfastes les relations étroites qu'entretient le Parti conservateur avec le secteur bancaire
et les élites.
J'aimerais qu'à la suite de cette crise toutes les forces à la gauche du Parti travailliste se rassemblent pour former une 'Ligue communiste révolutionnaire', telle qu'elle existe en
France."
CHINE : "L'intervention [du gouvernement] leur sauve la peau [des capitalistes] et sacrifie le peuple"
Zuangchen est un blogueur chinois.
"En quelques jours, tous les Etats sont intervenus pour soutenir les marchés et empêcher que l'économie réelle ne soit touchée. Mais leur intervention maintient aussi les prix élevés sur le
marché immobilier. Et ça, ce n'est pas uniquement dans l'intérêt du gouvernement, c'est pour protéger les capitalistes. Cette intervention leur sauve la peau et sacrifie le peuple. Car avec un tel
marché immobilier, il faut trente ans pour que le Chinois moyen rembourse son emprunt. Et il empêche les jeunes d'accéder à la propriété. L'intervention du gouvernement n'a pas été uniquement une
mesure économique, ce fût aussi un geste politique."
FABRIQUE DES IDÉES. Pour Naomi Klein, la droite profite de chaque crise (financière, environnementale, etc.) pour aller plus loin dans son programme de libéralisation.
Décryptage de ce qu’elle nomme le "capitalisme du désastre". 8 février 2008.
Moody’s, une agence de notation de grandes entreprises en fonction du risque et de la valeur de leurs investissements, affirme que la réduction drastique des dépenses du programme de
Social Security (le programme fédéral de retraites) est la clef pour résoudre les préoccupations économiques des États-Unis. De son côté, la National Association of Manufacturers, une organisation
patronale, estime que la balle est dans le camp du gouvernement fédéral, qui devrait accepter la liste de nouvelles réductions d’impôts qu’elle lui propose. Pour le quotidien Investor’s Business
Daily, la meilleure façon de stimuler l’économie serait de chercher du pétrole dans la réserve de faune nationale en Alaska.
Mais de toutes les manœuvres cyniques visant à faire passer des vols au profit des entreprises pour des mesures de relance économique, la palme doit être attribuée à celle que propose
Lawrence B. Lindsey, ancien assistant du président Bush pour la politique économique et conseiller lors de la récession de 2001. Le plan de Lindsey consiste à résoudre la crise déclenchée par de
mauvais prêts en offrant encore plus de crédits douteux. Ainsi, « l’une des choses les plus faciles à faire serait de permettre aux industriels et aux commerçants au détail » – notamment
Wal-Mart – « d’ouvrir leurs propres institutions financières, leur permettant d’emprunter et de prêter de l’argent », écrit-il dans le Wall Street Journal.
Peu importe que de plus en plus d’Américains soient en défaut de paiement sur leur carte de crédit, pillent leurs propres plans de retraite et perdent leur maison. Si Lindsey était
écouté, au lieu de perdre des ventes, Wal-Mart pourrait prêter de l’argent à ses clients pour qu’ils continuent à acheter, dans un circuit commercial duquel on ne sort pas.
Ce n’est pas un hasard si ce genre d’opportunisme ne nous est pas étranger. Depuis quatre ans, je fais une recherche sur une dimension peu connue de l’histoire économique :
comment les crises ont ouvert la voie à la révolution économique que mène la droite à l’échelle planétaire. Une crise surgit, la panique se répand, les idéologues de droite s’engouffrent dans la
brèche et remodèlent nos sociétés dans l’intérêt des grands acteurs du monde de l’entreprise. J’appelle cette manœuvre « le capitalisme du désastre » (disaster capitalism).
Parfois les désastres nationaux qui la rendent possible prennent la forme d’agressions physiques contre les États : guerres, attentats terroristes, désastres naturels. Le plus
souvent il s’agit de crises économiques : spirales d’endettement, hyperinflation, chocs monétaires, récessions.
Il y a plus d’une décennie, l’économiste Dani Rodrik, qui enseignait alors à Columbia University, a étudié les circonstances dans lesquelles les gouvernements adoptaient des
politiques de libre-échange. Le résultat de son enquête est frappant : « Aucun cas significatif de réforme du commerce dans un pays en développement n’a eu lieu dans les années 1980 en
dehors d’un contexte de crise économique grave ». Les années 90 lui ont dramatiquement donné raison. En Russie, l’effondrement économique a préparé la voie à la privatisation des entreprises
publiques, bradées à prix cassé. Plus tard, la crise asiatique (1997-1998) a exposé les « tigres asiatiques » à une frénésie de rachats d’entreprises par des capitaux étrangers, dans un
processus que le New York Times a baptisé « les plus grandes soldes au monde ».
Bien sûr, les États désespérés font généralement ce qu’il faut pour obtenir un plan de secours. L’atmosphère de panique offre aux dirigeants politiques l’occasion de mener dans la
hâte des changements radicaux qui, en d’autres circonstances, seraient trop impopulaires, tels que la privatisation de services essentiels, l’affaiblissement de la protection sociale des salariés, ou
la signature d’accords de libre-échange. Lors d’une crise, on peut présenter débat public et procédures démocratiques comme un luxe qu’on ne peut s’offrir.
Les politiques néolibérales (free-market) présentées comme des remèdes d’urgence ont-elles vraiment pour effet de résoudre les crises qui surgissent ? Pour les idéologues qui
promeuvent ces solutions, la question a peu d’importance. Ce qui compte, c’est que le « capitalisme du désastre » soit une tactique politique efficace. L’économiste Milton Friedman, chantre
de la liberté du marché, a présenté cette stratégie de la plus claire des manières, dans la préface à la réédition de 1982 de son manifeste Capitalism and Freedom (Capitalisme et liberté) :
« Seule une crise, réelle ou perçue, produit du vrai changement. Lorsque cette crise se produit, les actions entreprises dépendent des idées qui traînent dans la société. Voilà, je crois, notre
vraie fonction : élaborer des alternatives aux politiques existantes, les maintenir en vie et disponibles jusqu’à ce que le politiquement impossible devienne politiquement inévitable ».
Une décennie plus tard, John Williamson, un important conseiller du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale (celui-là même qui a forgé l’expression « consensus de
Washington »), est allé plus loin encore. Au cours d’une réunion de grands décideurs politiques, il s’est demandé « s’il n’y avait pas un sens à provoquer délibérément une crise afin
d’enlever les obstacles politiques à la réforme ».
Plus souvent qu’à son tour, l’administration Bush administration a profité des crises pour écarter tout obstacle qui pourrait faire obstacle aux dispositifs les plus radicaux de son
programme économique. Une récession (2001) a d’abord servi d’excuse à des baisses d’impôts généralisées. Plus tard, la « guerre contre le terrorisme » a inauguré une ère de privatisations
sans précédent des fonctions militaires et sécuritaires. Après l’ouragan Katrina (2005), l’administration a multiplié les exonérations fiscales, fait reculer les acquis sociaux des salariés, fermé
des logements sociaux et participé à la transformation de la Nouvelle Orléans en laboratoire pour les charter schools (écoles publiques gérées indépendamment des autorités scolaires publiques), tout
cela au nom de la « reconstruction » après le désastre.
Étant donné ces précédents, les lobbyistes de Washington avaient toutes les raisons de penser que la crainte d’une récession allait permettre une nouvelle distribution de cadeaux aux
entreprises. Et pourtant il semble que les Américains commencent à comprendre les tactiques du « capitalisme du désastre ». Bien sûr, le paquet de mesures, dont le montant s’élève à 150
milliards de dollars, que propose l’administration Bush pour relancer l’économie, n’est rien d’autre qu’un cadeau fiscal à peine déguisé, incluant une série de nouvelles « incitations » aux
entreprises. Mais les Démocrates ont dit non à une tentative plus ambitieuse du Parti républicain de profiter de la crise pour rendre permanente les exonérations fiscales de Bush et s’en prendre à la
sécurité sociale. Pour l’instant tout se passe comme si cette crise, provoquée par le refus obstiné de réglementer les marchés, ne saurait être « résolue » sans donner à Wall Street une
nouvelle occasion de dilapider l’argent public.
Pourtant, tout en résistant (péniblement) à ces mesures, les Démocrates de la Chambre des représentants semblent avoir abandonné la lutte pour que l’augmentation des allocations de
chômage, le financement du programme des bons d’alimentation pour les pauvres (food stamps) et le programme d’assurance Medicaid soient inclus au plan de relance. De plus ils ne parviennent
absolument pas à utiliser la crise pour proposer des solutions alternatives à un statu quo marqué par des crises en série, qu’elles soient environnementales, sociales ou économiques.
Le problème n’est pas un manque d’idées « en vie et disponibles » comme le dit Friedman. Beaucoup sont disponibles, du système de santé garanti par l’État à des lois rendant
obligatoire un « salaire décent » (living wage). Des milliers d’emplois pourraient être créés pour reconstruire l’infrastructure publique, vétuste, et la rendre plus compatible avec les
réseaux de transport en commun et avec les énergies renouvelables. Des capitaux sont nécessaires pour démarrer ? Vous n’avez qu’à supprimer la niche fiscale (loophole) qui permet aux managers
des grands fonds spéculatifs de ne payer que 15% d’impôts sur les gains de capital plutôt que 35% d’impôts sur le revenu ; ainsi qu’à adopter la taxe, proposée depuis longtemps, sur le commerce
international des devises. Avantage supplémentaire : un marché moins volatile, moins exposé aux crises…
Notre manière de réagir aux crises est toujours hautement politique : c’est une leçon que les progressistes semblent avoir oublié. Il y a là une ironie historique : les
crises ont ouvert la voie à certaines des politiques les plus progressistes de l’histoire des Etats-Unis. Après l’échec dramatique du marché en 1929, la gauche était préparée et n’attendait que de
pouvoir mettre en œuvre ses idées : le plein emploi, les grands projets de travaux publics, les grandes campagnes de syndicalisation. Le système de Social Security que Moody’s a tellement envie
de démanteler a été conçu comme réponse directe à la Dépression.
Chaque crise est aussi une opportunité, que quelqu’un exploitera. Mais la question qui nous est posée : les turbulences actuelles serviront-elles de prétexte pour transférer
encore plus de richesses publiques dans des mains privées et effacer les derniers vestiges de l’Etat-Providence, au nom de la croissance économique ? Ou bien ce nouvel échec de marchés
fonctionnant sans entrave sera-t-il l’élément déclencheur dont nous avons besoin pour ranimer l’esprit de l’intérêt public et chercher des solutions sérieuses aux crises de notre temps : les
inégalités béantes, le réchauffement planétaire, la défaillance des infrastructures publiques ? Les capitalistes du désastre tiennent les rênes du gouvernement depuis trois décennies. Le moment
est revenu de promouvoir un « progressisme du désastre ».
Traduction française : Jim Cohen et Nicolas Haeringer, pour Mouvements.
Cet article est disponible en anglais sur le site web de
Naomi Klein. Il a été publié dans le Los Angeles Times le 27 janvier 2008.
Vers une Fédération pour une alternative sociale et écologique
L’annonce d’une nouvelle formation politique ne peut se suffire à elle-même ni reposer uniquement sur l’intention d’être ensemble. D’un
point de vue public à quelle dynamique politique prétend-elle correspondre ?
Nous avons besoin de prendre en compte comme un changement de portée anthropologique un processus d’autonomisation croissante de la personne - c’est-à-dire la nécessité de reconnaître
sa part de créativité et de responsabilisation dans tous les domaines. Et il nous concerne dans la mesure où à mon avis, il est au cœur de la crise politique et de la crise de la démocratie. Et pour
tout dire, je ne suis pas sûr que quelle que soit la diversité de nos cultures politiques nous puissions nous exempter d’un travail pour en tirer les conséquences pratiques.
Ce qui caractérise les mobilisations telles que les « non-organisés » les mènent, je veux parler des plus nombreux et donc du mouvement réel, c’est qu’elles sont
ponctuelles, se projettent sur des résultats immédiats et donc aisément lisibles. C’est le moyen de s’assurer que l’on n’est pas manipulé. C’est la manière largement dominante par laquelle les moins
de quarante ans interviennent dans le débat politique. Mais, de ce fait, ces mouvements n’offrent pas par eux-mêmes le moyen de converger et demeurent fragmentés aussi bien dans le sens de leur
combat que dans le temps ; ainsi ils ne permettent de passer aucunement à la permanence qu’exige le passage à la vie politique.
Cet état de fait a de lourdes conséquences sur le rapport entre exigences sociales, écologiques, démocratiques et la réalité du fait institutionnel. En 1968, ce rapport fait des
élections le contraire de ce qu’a été le mouvement (dans un sens comme dans l’autre : élection piège à cons ne valait pas mieux que de s’y enliser) ; en 1995 le mouvement social tente son
unité entre travailleurs, chômeurs, étudiants, intellectuels et revendique « Nous sommes la gauche » ; et les élections deux ans plus tard le réduisent à la gauche plurielle ; le
fait électoral affadit le mouvement… on connaît la suite. La suite c’est que la colère de gauche débouche sur un second tour à la Présidentielle concentré entre toutes les droites. En 2003 lors du
mouvement en faveur des retraites, Raffarin lance « La rue a parlé, maintenant c’est le tour du Parlement » et le fait est que, dès que le Parlement se saisit du projet gouvernemental, les
manifestations s’arrêtent. Je ne parle pas du NON au référendum et de la manière dont cela s’est traduit au Parlement en 2008. En revanche, je m’arrêterai volontiers sur la béance qui existe entre
les jeunes de banlieue et la réalité institutionnelle. Faut-il dire à tous ceux-là qu’ils se trompent lors des élections ou ne faut-il pas s’interroger sur notre propre rapport au fait
institutionnel ? Pour l’instant le recours au fait institutionnel gèle régulièrement toute dynamique populaire.
On peut toujours faire appel à faire reculer le délégataire mais ces dernières caractéristiques en renouvèlent les contours. On peut penser, c’est mon cas, que c’est là la conséquence
de la faillite des idéaux forgés au cours du siècle précédent qui ont fini par sombrer et décevoir : il y a incontestablement une panne de visée d’avenir qui empêche de situer où doivent être
les points de rupture avec le capitalisme. Et les exigences réelles exprimées par les mouvements n’exonèrent pas de ce travail. Mais deux questions : de quoi s’agit-il ? Quelle peut être la
méthode ?
Et aujourd’hui, si nous prenons en compte la dimension historique de ce qui a échoué, nous devons accepter que cette expérience de l’Histoire soit à reconstruire par les intéressés.
Or, dans ce qui a échoué, il y a le contenu des utopies bien sûr, mais aussi indissociablement la démarche, la méthode qui les a produites. Cela implique que l’on ne se mettra pas dans la posture du
pédagogue qui expliquerait à ces « jeunes inexpérimentés » comment rejoindre d’où nous venons mais de prendre en compte que plus personne ne viendra à la politique par les chemins empruntés
par ceux qui aujourd’hui ont plus de quarante ans. Et je crois que ce comment est à repenser. Je suis personnellement incapable de sortir une solution de mon chapeau ; je souhaite simplement
attirer l’attention sur le fait qu’il ne s’agit là aucunement d’une question abstraite et purement philosophique mais de l’obstacle fondamental qui existe devant nous. A mes yeux, les questions
posées par les refus du PC, la question du NPA ou posée par Mélenchon sont ce qui émerge de cet état de fait.
Je ne suis capable que de soumettre ce qui, pour moi, représente des pistes.
Je dois dire que je ne crois pas à la vertu du « bon « programme. Il ne permet pas de passer de situations sociales et de représentations idéologiques éclatées à la
production d’un mouvement commun : le fonctionnaire peut aller y chercher ce qui l’intéresse, et celui qui considère les fonctionnaires comme des privilégiés peut aussi aller y chercher ce qui
l’intéresse, mais sans pour autant changer d’avis sur les fonctionnaires. Du coup, le programme ne le convainc pas. Et je ne suis pas sûr que pour avoir conscience de la possibilité d’affronter
l’organisation de la société, il n’en faille pas plus que l’augmentation des salaires, même aux yeux de celles et de ceux qui en ont besoin. Ce n’est pas pour la galerie qu’on nous a sorti « la
fin de l’Histoire ». Toute autre est l’Utopie, qui ne s’enferme pas dans un texte mais qui consiste en axes emblématiques qui se construisent au fur et à mesure. A mon sens pour une grande part,
ils tournent autour de la liberté, de l’émancipation et donc, dans les conditions actuelles, autour des questions afférentes au pouvoir.
C’est donc avec l’arrière pensée de déboucher un jour sur « une image de marque aisément identifiable » que j’aborderai le sujet
d’aujourd’hui.
L’apport du mouvement féministe au combat de tous, a été d’englober toutes les dominations dans un même regard. De plus son originalité est de considérer que l’on commence à
s’émanciper par la lutte émancipatrice avant même que celle-ci n’atteigne son but. Ce qui suppose cependant que les caractéristiques de celle-ci le permettent. Cela suppose que ce sens émancipateur
du combat soit matériellement partagé par tous et ne dissocie plus ceux qui le pensent, ceux qui y participent et ceux qui n’en seront que bénéficiaires. Ce sens ne peut nous être donné, il est à
construire. Et cette construction ne peut être le fait d’une élite, même relativement massive, au risque que le processus d’émancipation se transforme en sentiment de supériorité, puis en privilèges,
ne serait-ce que symboliques, et en ascension sociale. Et de fait, cela met ces acteurs dans une position de pouvoir à l’égard du citoyen « moyen ». La notion d’Avant-garde, la perspective
d’expliquer aux masses ce que l’on a pensé en dehors d’elles sont, de fait, des concepts contre-révolutionnaires. Sans doute pas dans la volonté, mais dans les faits, au sens où ils dressent une
barrière inconsciente entre la construction de pensée et d’action révolutionnaires et ceux qui peuvent y participer. Y participer, pas simplement y accéder.
Peut-être avons-nous tendance à oublier que les institutions sont pensées pour que le type de démocratie qu’elles inspirent conduise à ne pas en demander d’avantage ? Nous
oublions qu’elles sont conçues pour empêcher que tout mouvement social ou politique devienne un mouvement transformateur.
Loin de moi la volonté de nier le rôle des institutions ; mais qui a pensé ce rôle ? Elles ont été conçues sur le mode de la dépossession. Or tous les partis actuels, même
ceux qui prétendent le plus à la révolution, sont nés sur le modèle de la prise du pouvoir et non de la transformation de sa nature profonde. Leur crédibilisation est toujours passée par là ;
l’exemple de la LCR est là pour le confirmer. Et tous, finissent dans la posture du prof qui explique aux « ignorants » dépourvus de responsabilités. Et ce, alors que la principale source
de crédibilité est devenue l’expérience partagée.
Qu’est-ce qui doit déterminer la vie politique, aussi bien ses objectifs que ses rythmes ? Plus précisément : où sont les repères du cheminement vers l’émancipation ?
Dans des objectifs institutionnels pour construire enfin un « bon » pouvoir ? Ou l’objectif revendiqué de tout acte politique, y compris d’une élection, ne doit-il pas être le
mouvement lui-même ? De ce point de vue, je serais personnellement, - j’insiste sur le côté personnel - tenté de réhabiliter la seule notion qui rejette sans équivoque toute démarche
délégataire : « la révolution permanente ». Non pas comme un grand saut mais au contraire comme processus incessant qui est l’expression d’un mouvement incessant de la société. Je
comprendrais aisément que tous les participants à la constitution d’une fédération ne partagent pas ce point de vue ; mais tous doivent savoir qu’il existe parmi eux.
Je reviens au début de mon propos sur l’apport du féminisme. N’est-ce pas dans la transformation des mouvements en lieux de pouvoirs, de transformations du réel, mais aussi de
soi-même que la permanence de la politique et de l’action émancipatrice peut devenir un sens partagé, construit - toujours péniblement, toujours de manière chaotique - et un objet immédiat et
aisément lisible ?
Cela implique de redéfinir ce que nous entendons par démocratie.
Cela appelle une coopération consciente et quasi-organique avec des élus comme nouvelle normalité de la vie démocratique. Je ne prends pas pour modèle les expériences de démocratie
participative. Quels que soient les mérites de leurs initiateurs, actuellement, elles résultent de l’initiative de l’espace institutionnel qui « veut bien » accorder du droit à la parole
sur les questions et lors des moments décidés par lui. Le résultat est que les participants ne sont ni plus ni moins celles et ceux qui ont déjà des rapports relativement étroits avec l’institution,
que ces rapports soient bons ou mauvais. Je pense donc plutôt à une démarche dont les mouvements eux- mêmes seraient le point de départ : ils prennent l’initiative, « convoquant »
l’élu, même si c’est avec sa complicité. Ce renversement de rapport revient à modifier l’enjeu de l’élection et change la nature du « vote utile ». Elire un représentant que l’on reverra
plus tard (peut-être) ou élire un partenaire avec lequel on va co-élaborer et co-intervenir ne sont pas identiques. Dans un cas, on vote pour celui qui est déjà le plus fort, dans l’autre, on vote
pour celui qui nous rend plus fort. Cela ne supprime ni élections, ni mandat, ni l’Etat mais appelle à ce que ce mandat soit dans la vie, continuellement renouvelé par des mouvements auxquels l’élu
participe, pour une mission bien délimitée. Cela réduit continuellement la distance entre Etat et citoyens. Le rôle de la représentation et des organisations étant de rendre cet exercice possible et
permanent même si ses acteurs, eux, varient suivant les thèmes et les moments. Il s’agit pour les mouvements de ne pas s’arrêter à la porte des institutions et d’investir les lieux de pouvoirs. Le
mouvement populaire peut progressivement prétendre aux « compétences » jusqu’à présent réservées au seul Etat.
Cela a des conséquences directes sur la conception de l’organisation. Si son objet est de prendre le pouvoir d’Etat au service des dominés, alors l’accord de toutes et tous sur tout
est indispensable. Si son objet est de créer les conditions que les citoyens - je veux dire tout le monde - s’approprient les données des problèmes et les moyens de décider réellement du cours des
choses, le rôle de l’organisation devient d’animer, d’instruire le débat démocratique et de proposer les actes qui rendent possible un exercice réel de pouvoirs ; alors non seulement l’accord
sur tout n’est pas indispensable, mais sur la base du sens posé de manière précise que nous donnons à cet exercice ; c’est-à-dire en considérant que tout pas vers l’émancipation implique de
s’attaquer à toute forme de domination sur les hommes et de maltraitance sur la nature - ce qui est fondamentalement lié à la même culture - sur cette base, la pluralité d’approches pour faire que
l’acte de décision en toute connaissance de cause soit bien le moment clé de l’émancipation, cette pluralité est même indispensable pour jouer ce rôle.
Je ne dis pas que cela est simple ; il faut l’envie et le temps de se changer soi-même au fur et à mesure que l’on change le monde, mais tout autre chemin a mis un siècle pour
nous démontrer qu’il finissait en cul de sac.
L'autre gauche doit se rassembler. Maintenant.
La crise est d’une ampleur exceptionnelle. Elle bouleverse la donne politique. Elle disqualifie absolument les choix de la « dérégulation » ultralibérale. Elle vieillit brutalement les stratégies
d’adaptation au capitalisme, dites « sociales-libérales » depuis l’exemple anglais. Nous devrions savoir désormais que nous ne nous en sortirons ni par un toilettage, ni par un retour mythique
aux cycles vertueux de l’État keynésien. Le réalisme, que cela plaise ou non, est aujourd’hui du côté de la rupture et non de la conservation, de la répétition ou de l’incantation. Il faudra
bien, d’une façon ou d’une autre, changer en profondeur les moteurs de la créativité, les modes de développement, les mécanismes d’allocation des ressources, les finalités et les formes de la
décision collective. Ou alors, nous décidons de nous enfermer à jamais dans le balancement stérile de la concurrence libre et non faussée et de l’État administratif. Le parti pris radicalement
transformateur est le seul raisonnable.
Politiquement, s’affrontent les obstacles persistants à l’initiative critique forte et les potentialités de son expansion. Le Parti socialiste reste dominant à gauche ; mais nous le voyons
s’épuiser dans des querelles de clan qui n’empêcherons pas son recentrage, sous une forme brutale ou sous une forme plus prudente. L’autre gauche est aujourd’hui dispersée, éclatée, ce qui nuit
sur sa lisibilité, sa capacité à faire réellement du neuf, sa possibilité de disputer à terme l’hégémonie à gauche à la ligne d’accompagnement. L’appel lancé par Politis a donné à voir
la profondeur et la permanence du désir de rassemblement de la gauche antilibérale, la LCR a choisi de se dissoudre dans un nouveau parti anticapitaliste qui la dépasse, Jean-Luc Mélenchon et
Marc Dolez ont choisi courageusement de quitter le PS, le PCF semble répondre positivement à cette dernière initiative, d’autres courants alternatifs veulent se fédérer… : notre espace politique
est en mouvement car les clivages actuels sont obsolètes pour répondre aux défis de notre temps. C’est à la convergence la plus large de toutes celles et ceux qui souhaitent changer d’horizon
économique, social et sociétal qu’il faut plus que jamais travailler.
Les militants déboussolés, qui se battent sur le terrain, mais que désespère l’absence de grand mouvement politique collectif, sont légion. Les militants syndicaux ou associatifs, qui se battent
pour les droits et les avancées sociales, mais se désolent de ne pas trouver de correspondance politique à la hauteur, sont légion. Les féministes, les altermondialistes ou les anticonsuméristes,
qui combattent pied à pied mais enragent de ne pouvoir adosser leur action sur une dynamique politique conséquente, sont légion. À un moment où tout bouge, les potentialités critiques sont
incommensurables. Et politiquement, nous restons l’arme au pied. C’est folie que d’en rester là. Que ce mouvement préserve sa diversité, qu’il cesse de rêver à l’enfer du monolithisme et aux
impasses des avant-gardes éclairées, est une chose. Que chacun pense d’abord à cultiver son propre jardin en est une autre. Et que chacun s’imagine qu’il va être le centre des rassemblements à
venir est une sinistre plaisanterie. Ou nous nous mettons tous ensemble, comme nous avons su le faire en 2005, ou nous nous résignons à être des supplétifs, roues de secours ou aiguillon de
majorités dominées par la social-démocratie.
Il y a des différences persistantes ? C’est une chance. Des divergences insurmontables ? L’expérience montre que, quand on en a la volonté politique, aucune divergence ne peut empêcher le
rassemblement. Que l’on n’aille pas nous faire croire qu’il y a des lignes de fracture plus importantes à la gauche du PS que dans la social-démocratie ou à l’intérieur de la droite ! De ce
côté-là, on sait faire la part du fondamental et de l’accessoire. Quand allons-nous enfin nous décider à en faire de même à la gauche de gauche ?
Convaincre tous ensemble ou nous enliser tous séparément : il n’y a pas de voie médiane. Profitons de l’échéance européenne, qui s’y prête à merveille, pour faire nos travaux pratiques.
Clémentine Autain et Roger Martelli (co-directeurs de Regards)
Pour sortir de la crise, en finir avec le capitalisme
Par Eric Toussaint le dimanche, 30 novembre 2008
Le gouvernement a tout faux dans le sauvetage de Fortis, Dexia et autres. Le coût de l’opération est entièrement supporté par l’Etat (donc essentiellement les travailleurs
salariés qui sont les principaux contribuables). Or cette crise du système capitaliste entraîne une réduction des recettes publiques alors que le service de la dette augmente et qu’en conséquence le
gouvernement voudra limiter les dépenses sociales. Les partis de droite, du centre et de la gauche traditionnelle ont appuyé le sauvetage favorable aux grands actionnaires sous le fallacieux prétexte
qu’il fallait protéger l’épargne de la population et le système de crédit.
Contre l'union sacrée destinée à sauver les banquiers
Or il était parfaitement possible d’agir autrement en prenant le contrôle de Fortis et Dexia et en récupérant le coût de cette opération sur le patrimoine des grands
actionnaires et des administrateurs. Nous aurions ainsi un instrument public pour financer des projets socialement utiles, respectueux de l’environnement, générateurs d’emplois et de revenus, tout en
garantissant l’épargne des particuliers.
L’Etat doit également entamer des poursuites légales notamment contre les grands actionnaires et les administrateurs responsables du désastre financier, afin d’obtenir à la
fois des réparations financières (qui vont au-delà du coût immédiat du sauvetage) et des condamnations à des peines de prison si la culpabilité est démontrée.
Il faut une nouvelle discipline financière. Il faut ouvrir les livres de compte des entreprises à des audits externes (notamment aux délégations syndicales des employés de
banque) et permettre aux agents du fisc de lever le secret bancaire. Il faut règlementer tous les produits financiers. Il faut interdire aux entreprises d’avoir quelque actif ou transaction que ce
soit avec ou dans un paradis fiscal.
Une politique pour sortir de la crise
La crise va entraîner un chômage accru. L’Etat doit mettre en œuvre un vaste plan de création d’emplois : rénovation et construction de logements, transports publics,
chauffage collectif public, enseignement, santé… (1) Le pôle public du crédit jouerait un rôle clé dans le financement en plus d’un impôt de crise sur les grandes
fortunes dans le cadre d’une fiscalité plus juste socialement. Alors que le capital s’est taillé la part du lion dans le revenu national au cours des 25 dernières années, il faut augmenter fortement
la part qui revient aux salaires. L’aggravation de la crise remet à l’ordre du jour des propositions écartées durant la longue nuit néolibérale:
- l’arrêt des privatisations et de la déréglementation pour, au contraire, promouvoir les biens et services publics;
- le transfert d’entreprises privées vers le secteur public, comme la production et la distribution de l’énergie en Belgique, ce qui permettrait de favoriser les énergies
renouvelables et de sortir du nucléaire;
- la réduction radicale du temps de travail pour améliorer les conditions des travailleurs, pour créer de l’emploi et pour assurer le financement des retraites en
augmentant le nombre de cotisants et sans allonger l’âge de départ.
Pour une révolution politique: la Constituante
Les citoyens de la Belgique et de l’Union européenne se voient cantonner dans un rôle tout à fait passif par le gouvernement belge, ses collègues européens et la Commission
européenne qui refusent tout véritable processus constituant et tentent sans succès d’imposer par le haut une réforme de l’Etat fédéral belge et un traité constitutionnel à l’échelle européenne aux
orientations clairement néolibérales.
Les peuples européens qui ont pu s’exprimer, ont manifesté leur refus. Pendant ce temps, trois pays d’Amérique du Sud (Venezuela, Equateur, Bolivie) nous montrent l’exemple
car ils ont reformé leur régime politique en le démocratisant en profondeur. Dans chacun des cas, les citoyens ont élu au suffrage universel une Assemblée constituante afin d’élaborer un projet de
nouvelle Constitution. Ce projet a été discuté avec les mouvements sociaux et soumis à l’ensemble de la population qui l’a approuvé par voie de référendum (2).
Dans ces trois pays, grâce à ces nouvelles Constitutions, les électeurs ont le droit de révoquer tous les mandataires politiques à mi-mandat (3). Aucune
Constitution européenne ne prévoit un tel mécanisme hautement démocratique. Les citoyens de Belgique et d’Europe doivent prendre le pouvoir politique qui leur est confisqué.
Pour la démilitarisation et le désarmement
Une nouvelle course aux armements est en cours. Les Etats-Unis et leurs alliés n’hésitent pas à attaquer et occuper des pays qui ont une place stratégique dans
l’approvisionnement en pétrole et autres matières premières dont ils ont besoin. La Belgique fait partie de l’OTAN, alliance militaire agressive qui doit disparaître. La Belgique doit quitter l’OTAN
: Belgique hors de l’OTAN ! OTAN hors de Belgique ! Les Etats-Unis ont des missiles nucléaires en Belgique. Il faut interdire les armes nucléaires sur le territoire de la Belgique. La Belgique doit
retirer ses troupes d’Afghanistan.
Pour une nouvelle architecture démocratique internationale
Le G8, le FMI, la BM et l’OMC traversent une profonde crise de légitimité, parfaitement justifiée : les politiques qu’ils ont imposées, ont abouti au désastre actuel. Il
faut en tirer les conclusions. Il faut les remplacer par de nouvelles institutions internationales aux choix radicalement différents et soutenir des initiatives telles que la création d’une Banque du
Sud par sept pays d’Amérique du Sud (Argentine, Bolivie, Brésil, Equateur, Paraguay, Uruguay et Venezuela) qui envisagent aussi la création d’un Fonds monétaire du Sud et d’une monnaie du Sud. Il
s’agit pour eux de se doter d’instruments pour autofinancer une intégration régionale qui favorise la garantie des droits humains fondamentaux.
Les pays concernés doivent rapatrier leurs importantes réserves de change (340 milliards de dollars) essentiellement prêtées aux Etats-Unis (4) afin de les placer dans la Banque du Sud. Parmi les grands projets à financer : une réforme agraire en vue de la souveraineté alimentaire, la souveraineté énergétique, le
développement des moyens de communications (surtout le train), la construction de logements… Il faut promouvoir un audit de la dette publique comme l’a fait le gouvernement équatorien et décréter
l’annulation de la dette publique illégitime afin de libérer le développement humain.
Les pays du Nord doivent respecter leurs engagements internationaux en arrêtant de piller les ressources naturelles du Sud, en augmentant l’aide publique au développement
(qu’il faut rebaptiser « contribution à la réparation ») et en appliquant la déclaration universelle des droits de l’homme, notamment en ce qui concerne le droit de libre circulation des personnes
(article 13).
La crise est une opportunité pour créer un autre système
Le capitalisme, pas seulement sa version néolibérale, plonge l’humanité dans une profonde crise multidimensionnelle : financière, économique, climatique, alimentaire et
énergétique, sans oublier les guerres et la course à l’armement. Le capitalisme ne disparaîtra pas de lui-même : seule l’action consciente des citoyens peut le remplacer par un autre système qui aura
pour objectifs la satisfaction des droits humains et la protection de la nature.
En rupture avec la tragique caricature stalinienne que nous avons dénoncée et combattue vigoureusement, il s’agit d’en finir avec le capitalisme et de réinventer un projet
socialiste, ancré dans la réalité du 21e siècle, qui garantisse une entière liberté. Doivent y coexister diverses formes de propriété qui ont une fonction sociale positive : la petite propriété
privée, la propriété publique, la propriété coopérative, la propriété communale et collective… Le socialisme doit viser la fin de toute forme d’oppression et garantir l’égalité entre les femmes et
les hommes. Pour aller dans cette direction, il faut construire une nouvelle force politique anticapitaliste et participer activement aux mobilisations sociales et citoyennes.
Notes:
(1) Les niveaux de qualification des travailleurs seraient très diversifiés et permettraient d’améliorer les conditions de vie des
nombreuses familles qui vivent dans des logements sans confort, de fournir des commandes à différentes industries, d’améliorer le niveau d’éducation et de santé.
(2) Ce processus a eu lieu en 1999 au Venezuela et en 2007 en Equateur. Quant à la Bolivie, le projet de nouvelle Constitution sera
soumis au suffrage universel le 27 janvier 2009. En décembre 2007, un second projet de réforme constitutionnelle a été rejeté au Venezuela. Le gouvernement a respecté le verdict populaire et, à la
différence des gouvernements européens, n’a pas essayé de le faire passer d’une autre manière. Pour une analyse détaillée des trois expériences, voir Eric Toussaint, Banque du sud et nouvelle crise
internationale, CADTM-Syllepse, 2008, chapitres 6 à 8.
(3) En 2004, l’opposition au président Chavez a eu recours à ce mécanisme. Elle a récolté les signatures de 15% des électeurs sur une
pétition pour obtenir que l’Etat convoque un référendum révocatoire. Le président Chavez en est sorti plébiscité avec 60% de non à la révocation. Il en a été de même en Bolivie en 2008.
(4) A part le Venezuela qui a placé ses réserves en Europe ou a acheté de l’or, les banques centrales des pays d’Amérique du Sud
achètent des bons du Trésor des Etats-Unis.
De Tarnac à de Filippis
Edito du 1er décembre 2008
Le libéralisme en crise accouche toujours de l’autoritarisme. Nicolas Sarkozy est un spécialiste de l’instrumentalisation de la peur comme variable
d’ajustement de la gouvernance. Il vient de le montrer récemment avec l’affaire des « neuf de Tarnac ».
Le 11 Novembre 2008, la police procède à quinze interpellations et, par la suite à la mise en examen de neuf personnes, dont cinq sont jetés en prison dans le cadre
d’une enquête concernant la pose d’engins ayant détruit des caténaires sur les voies de TGV.
Cette affaire mobilise trois appareils au service d’un pouvoir qui organise l’orchestration d’une campagne sécuritaire d’Etat. Premier dispositif concerné : la
police, bien sûr. Mais pas n’importe quelle police. C’est la DCRI, nouvelle mouture de la DST depuis le décret du 27 juin 2008, qui a organisé l’opération. Or, la DCRI a étendu ses compétences à la
surveillance de groupes et individus dont le caractère radical pourrait porter atteinte à la sécurité nationale. Cette extension porte en germe l’assimilation de tout groupe un peu décalé à une
« entreprise terroriste » ce qui a été fait dès l’arrestation des neuf jeunes présumés coupables le 11 novembre au matin.
L’appareil judiciaire a pu embrayer ensuite sans la moindre distance. Les juges parlent de « noyau dur » et mettent cinq personnes en examen pour
« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Le procureur de la république parle du village de Corrèze comme d’un « camp d’endoctrinement ». Mais ce
qui m’a le plus frappé dans cette affaire, c’est la propension du cinquième pouvoir, la presse, à s’engager dans ce que je n’hésite pas à appeler un lynchage médiatique en règle. Dans un premier
temps, la multiplication des incidents est présentée comme la résultante d’une forme nouvelle de terrorisme. Dans un deuxième temps, après avoir montré du doigt les cheminots, l’arrestation
médiatique de jeunes est présentée comme celle d’héritiers de Jean-Marc Rouillan et d’Action Directe. Sans aucune preuve, on jette en pâture aux médias des bribes d’informations sur des faits
invérifiables, une brochure néo situationniste, « L’insurrection qui vient », en vente depuis des mois dans plusieurs librairies, des photos du « leader » du groupe et de sa
compagne. Les Verts sont même mentionnés en raison de la présidence, quelques mois durant, de la Fédération européenne des Jeunes écologistes par un des inculpés. La presse a rapporté sans retenue la
version politique de la ministre de l’Intérieur. Elle a assimilé la mouvance autonome, anarchiste, en la caractérisant d’un épithète, « l’ultra gauche », en l’amalgamant au terrorisme. Elle
a présenté le paisible village de Tarnac comme une base arrière d’un complot organisé contre l’Etat. Ce grand délire a été tempéré par la suite, faute de preuves convaincantes. Mais le mal est fait
une fois de plus. Comme à Outreau. La mémoire collective se souviendra d’abord de la mise en scène du lynchage virtuel. Pourtant, la presser devrait prendre garde à se lancer dans des prospectives
hasardeuses. L’affaire de la perquisition contre le responsable de Libération, Vittorio de Fillipis l’atteste. Ce genre de campagne peut être étendu à la liberté d’expression des journalistes.
Nicolas Sarkozy, qui a rétabli le crime de lèse majesté avec l’histoire des poupées vaudou et la reprise ironique de sa réplique du Salon de l’agriculture (« casse toi pauv’con ») pourra
l’étendre à la lettre de cachet. L’Histoire nous apprend qu’un pouvoir aux abois n’hésite jamais à franchir la frontière entre le délit de contestation sociale et l’accusation d’acte de
terrorisme.
Évidemment, je condamne les actes de vandalismes commis sur les caténaires, qui ont paralysé des milliers d’usagers du train. Ils n’ont rien à voir avec de la
désobéissance civile et n’ont servi dans un premier temps qu’à jeter l’opprobre sur les cheminots soupçonnés d’avoir porté atteinte à leur outil de travail. Mais l’abus de langage que constitue
l’accusation de ces neuf personnes "d’entreprise terroriste" et les procédures d’exception mise en œuvre dans ce cadre ne correspondent pas aux normes d’une justice respectueuse des droits humains.
Cette affaire est inquiétante, car elle est exemplaire d’une stratégie de la tension, organisée par un État qui cherche à détourner l’attention de la récession qui s’annonce après la crise financière
mondiale. Cette opération est disproportionnée. En l’absence de preuves formelles, elle a un objet et un seul : construire de nouveaux ennemis de l’intérieur. Le fait d’avoir stigmatisé une
petite communauté, qui prône l’anti-consumérisme et un autre modèle de société, est symptomatique de la période. Alors qu’avec la guerre menée en Afghanistan , la France n’a jamais été aussi menacée
par les groupes liés à Al Qaïda, on construit maintenant une nouvelle figure sociale du « terrorisme » : le jeune intellectuel qui prétend s’opposer au capitalisme et à ses
conséquences. Avec l’aide d’Alain Bauer, son criminologue en chef, Sarkozy a saisit l’intérêt de cette nouvelle étape du tout sécuritaire. Après l’intimidation contre les sans-papiers, après la
diabolisation des musulmans, assimilés à des islamistes intégristes, voilà que c’est la jeunesse contestataire de l’ordre en place qui subit les foudres du pouvoir d’Etat. Cette stratégie qui ne fait
qu’exacerber les tensions et ne respecte pas les libertés publiques est d’autant plus grave qu’elle intervient au moment où avec plus de deux millions de chômeurs, une baisse drastique du pouvoir
d’achat et la récession qui s’annonce, nombreux pourraient être ceux qui basculent dans une action violente, désespérés par l’impuissance des politiques. Le spectacle effarant du PS lors de son
dernier congrès et l’émiettement à gauche, ne donnent pas beaucoup d’espoir à la jeunesse d’aujourd’hui. Sarkozy et MAM jouent aux apprentis sorciers. Attention, danger !
Les déclarations médiatiques de la Ministre de l’Intérieur et l’acharnement à condamner ces citoyens en l’absence d’indices clairs bafouent le principe fondamental de
la présomption d’innocence... Une justice digne de ce nom ne doit s’attacher qu’aux faits et faire en sorte que la justice puisse être rendue, en l’absence de pressions politiques. Comme de
nombreuses personnalités, en l’absence de preuves formelles, j’appuie la demande de remise en liberté des cinq détenus en attendant leur jugement. Les opérations policières disproportionnées qui ont
été menées de Villiers-le-Bel à Tarnac, en tentant souvent d’instrumentaliser les médias, doivent cesser. Les démocrates de tout bord doivent s’interposer et refuser cette logique de la tension.
Noël Mamère, le 1er décembre 2008
Le marché ne sauvera pas l’environnement – Le mythe du « capitalisme vert »
Commençons par une mise au point : qu’on cesse de nous bassiner les oreilles avec cette euphémique « crise financière ». C’est une crise du capitalisme que nous
vivons. C’est quoi le capitalisme ? Un système de production généralisée de marchandises. Cette définition ne va-t-elle pas comme un gant au monde qui nous entoure ? Et c’est quoi, le
capital ? Une somme d’argent à la recherche d’une plus-value. L’activité bancaire relève-t-elle d’une autre logique ? Il s’agit non seulement de capitalisme, mais de capitalisme
chimiquement pur. Car le capital bancaire pousse à la perfection cette illusion capitaliste qui fait croire que l’argent est source de richesse, alors qu’il n’est que mesure de valeur.
Dans la banque, à la bourse, l’argent semble engendrer spontanément plus d’argent. Mais sur quoi spécule-t-on en définitive ? Sur l’évolution de l’économie réelle, qui
sous-tend le château de cartes. En définitive, plus d’argent ne peut gicler durablement que s’il y a plus d’exploitation. Les fonds d’investissement exigent un « return » de 15% alors que
la croissance n’est que de 2%. Il y a donc transfert de richesse. Les riches deviennent plus riches, les pauvres plus pauvres. « En France, par exemple, les dividendes versés
aux actionnaires en 2007 représentaient 12,4% de la masse salariale, contre 4,4% en 1992 » [1]. Dans les coulisses sombres de l’économie virtuelle, loin
du clinquant des marchés, on trouve les salaires bloqués, la précarité, la flexibilité, la baisse du salaire indirect (cotisations sociales), le démantèlement des services publics… En bref toutes les
conditions, directes et indirectes, de la hausse du profit capitaliste.
Et c’est de ces coulisses que la crise jaillit. Inévitablement : car toute cette camelote de marchandises, toute cette surproduction, comment l’écouler, si ceux qui sont
censés l’acheter doivent constamment se serrer la ceinture ? Cette contradiction-là a déjà éclaté plusieurs dizaines de fois au cours des 250 années écoulées. C’est cela, la crise – la crise
capitaliste. Pour en sortir, il ne suffit pas de réguler un peu plus les activités bancaires. Il faut renverser la logique de la distribution des richesses : augmenter les salaires, en finir
avec la précarité et la flexibilité, abolir les diminutions des charges sociales offertes aux employeurs, refinancer le secteur public… En bref, attaquer le capitalisme, sans quoi le capitalisme fera
payer son gâchis à la collectivité.
Le lien avec la politique environnementale ? Le voici : toute la politique environnementale est basée fondamentalement sur les mécanismes de marché. Pillage des
ressources ? Yaka donner un prix aux services rendus par les écosystèmes, et laisser faire le marché. Pollutions ? Yaka internaliser les coûts, et laisser faire le marché. Epuisement des
énergies fossiles ? Yaka libéraliser l’énergie, distribuer des primes, et laisser faire le marché. Changement climatique ? Yaka créer des droits et des crédits d’émission, et laisser faire
le marché du carbone. Yaka, yaka, yaka !… Eh bien, la crise actuelle est l’occasion de dire : non, ça ne marche pas, il faut une autre politique.
Car ça ne marche pas. Prenez le changement climatique : plus de 30 ans après les premiers cris d’alarme, seize ans après Rio, onze ans après Kyoto, où en est-on ?
Selon le Global Carbon Project, depuis 2000, les émissions ont crû en moyenne de 3,5% par an, soit quatre fois plus vite qu’entre 1990 et 2000. Les niveaux d’émissions se situent un peu au-dessus des
scénarios de développement les plus pessimistes du GIEC [2]. On va droit dans le mur. Car que faut-il faire, selon le GIEC, pour éviter une perturbation dangereuse
du climat ? Réduire les émissions de 80 à 95% dans les pays développés en 2050, en passant par 30 à 45% de réduction en 2020. C’est la condition majeure pour que les émissions globales diminuent
de 50 à 85% d’ici 2050. Notez que cet objectif est inclus dans la fameuse « note de bas de page » de la « feuille de route de Bali » [3],
adoptée à l’unanimité en décembre dernier. Mais on ne s’en rapproche pas, on s’en écarte. Car les paroles sont une chose, les actes une autre. Le G8, en juillet dernier, a opté pour 50% de réduction
des émissions globales en 2050 et le « paquet énergie-climat » de l’UE –considéré comme trop radical par plusieurs Etats membres – ne vise que 20% de réduction en 2020…
Ah, le marché du carbone ! Voyons à travers un exemple comment fonctionne ce dernier-né de la marchandisation, censé nous prémunir contre l’apocalypse climatique.
Certains pays asiatiques (Chine, Corée,…) abritent des usines qui fabriquent des produits réfrigérants. La production dégage un déchet : un gaz, le HFC23, dont le « pouvoir radiatif »
(la contribution à l’effet de serre) est 11.700 fois supérieur à celui du gaz carbonique. Dans le cadre du « mécanisme de développement propre » (MDP), qui permet à une entreprise d’un pays
développé de remplacer la réduction de ses émissions chez elle par un investissement réduisant les émissions dans un pays en développement, on considère que la destruction d’une tonne de HFC23
équivaut à la non-émission de 11.700 tonnes de CO2. Donc donne droit à 11.700 « crédits de carbone ». La destruction d’une tonne de HFC23 coûte environ un Euro. Les crédits sont vendus 12
Euros sur le marché européen des droits d’émission. L’affaire est si juteuse que certains producteurs sont soupçonnés de fabriquer plus de réfrigérant afin de détruire plus de HFC23. Mais voyons
maintenant à quoi servent les crédits issus de la destruction de ce gaz. Un des plus gros acheteurs est RWE, un producteur allemand d’électricité. Comme la plupart de ses concurrents, RWE a profité a
fond de la surallocation des droits d’émission offerts par l’Union Européenne : ses bénéfices ont grimpé jusqu’à 1,8 milliards d’Euros il y a quelques années. N’empêche que RWE détient le record
européen des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur de l’électricité. Ce n’est pas près de changer : l’entreprise est en train de construire la plus grande centrale au lignite du
monde… Bonjour les dégâts. Le « capitalisme vert » est un mythe.
Une autre politique environnementale, ce serait quoi ? Un marché plus régulé ? Mais nous sommes déjà dans un marché régulé. La politique environnementale est même un
des exemples de régulation les plus remarquables : normes, quotas, etc. Certes, on peut toujours réguler davantage, réguler mieux, c’est utile et nécessaire. Mais on se heurte tôt ou tard à un
mur patronal et on s’aperçoit que la régulation ne permet pas de relever les défis. Le fond du problème est que la course incessante au surprofit nourrit une tendance permanente à la surproduction,
donc à la surconsommation. Un tel système ne peut être bénéfique à la fois « pour les entreprises, pour le social et pour l’environnement ». Le « win-win-win » est une illusion.
Ici aussi, le cas du changement climatique est éloquent : il est totalement illusoire d’espérer que des mécanismes de marché permettent de réduire les émissions de pays développés de 80 à 95%
d’ici 2050, comme le GIEC le recommande. Cet objectif extrêmement élevé ne peut pas être atteint par plus de régulation du marché, mais en sortant des mécanismes de marché. En appliquant un plan. En
réduisant radicalement le temps de travail (sans perte de salaire). En créant une entreprise publique pour isoler, rénover, améliorer les logements. En mettant le secteur de l’énergie sous statut
public sans indemnité pour les gros actionnaires, afin que le droit à l’énergie – solaire – soit enfin reconnu à chacune et chacun. En investissant massivement dans des transports publics gratuits et
de qualité. Alors commencera à se dessiner l’image d’une société généreuse et solidaire, dans laquelle les relations humaines riches et la gestion précautionneuse de la nature procureront des joies
infiniment plus grandes que les mirages consuméristes.
TANURO Daniel
Notes
[1] Pierre Khalfa dans Le Monde, 2/10/08
[2] Le Monde, 27/9/08
[3] Contribution du groupe de travail III au rapport 2007 du GIEC, page 776.
* Paru en Belgique dans le Journal du Mardi du 7 octobre 2008.
Faut-il sauver le capitalisme en sacrifiant l’humanité ?
Paul Ariès, Politologue
Jean-Louis Borloo vient de faire voter sa loi Grenelle. Tout confirme que nous avions eu raison de nous associer au contre-Grenelle de l’environnement. En effet, si le Grenelle était bien
sarko-compatible, l’écologie, elle, n’est pas toujours écolo-compatible. Ce n’est pas que le compte n’y est pas, contrairement à ce qu’ont déclaré certaines ONG environnementalistes, mais la
direction prise est franchement mauvaise avec le choix de faire payer la crise écologique aux pauvres, la foi que si un peu de croissance pollue, beaucoup dépollue et l’idée que la solution serait un
nouveau capitalisme vert.
Les antiproductivistes sous-estiment gravement la capacité du capitalisme à survivre à l’effondrement environnemental au prix éventuellement d’un véritable désespècement. Le « capitalisme vert »
n’est pas une simple opération de greenwashing destinée à repeindre en vert les guérites de la société industrielle et de l’hyperconsommation, mais correspond au projet de modifier
profondément la planète et l’humanité. L’idéologie du développement durable est ainsi en train de connaître une mutation. Le « développement durable » à la Nicolas Hulot, qui reposait sur une logique
de bons sentiments, était certes un marché de dupes puisqu’il consistait à « polluer un peu moins pour pouvoir polluer plus longtemps », mais restait encore trop critique. Pour preuve : le gentil
Nicolas ne vient-il pas de déclarer que « le capitalisme est obsolète » ? Bolchevique ! C’est pourquoi Laurence Parisot, patronne du Medef, et Claude Allègre, ex-ministre socialiste,
proposent, eux, de passer d’une écologie dénonciatrice et culpabilisatrice à une écologie réparatrice, c’est-à-dire de marier croissance et écologie, capitalisme et écologie. Ce « capitalisme vert »
est celui qui triomphe depuis le Grenelle de l’environnement : sa devise est de « polluer pour pouvoir dépolluer », avec l’objectif de créer de nouveaux marchés tout aussi juteux que ceux qui ont
permis jusqu’alors « la domination des uns sur les autres et de tous sur la planète ». Ce « capitalisme vert » repose sur une fuite en avant dans la destruction/création qui caractérise la logique
même du capitalisme...
Retrouvez la suite de cet article dans le numéro 9 du "Sarkophage", en kiosque à partir du 15 novembre.
Tous se félicitent du succès de la réunion organisée par Politis le
11 octobre et de la perspective des Assises du changement pour début 2009. Ils ont constaté aussi que l'aspiration à la constitution d'une nouvelle force politique de transformation sociale et
écologique s'est puissamment exprimée lors de cette assemblée.
L'idée de franchir une première étape en ce sens, à travers la création d'une "fédération de forces et de militants", dont l'intitulé fait partie du débat, intéresse largement.
Les réflexions ont commencé, dans diverses villes et départements ; de fait, le processus de discussion est d'ores et déjà engagé en faveur d'une « fédération de forces et de militants », dont il est
de plus en plus demandé quels contours et quelles formes de vie collective elle pourrait avoir.
Il est souhaitable que les animateurs des divers courants, réseaux, organisations et les militant-e-s des combats sociaux, écologiques, féministes, altermondialistes et antiracistes discutent d'une
telle démarche de construction, évolutive, largement ouverte à toutes personnes et aux forces et courants de la gauche de transformation sociale et écologique.
Il s'agit que toutes celles et tous ceux qui veulent partager ces objectifs se concertent et se rassemblent localement, participent d'ores et déjà à des actions communes et tiennent des réunions
communes dans les villes, département et régions, pour que ce projet commun puisse être largement débattu. Les formes de lancement et de développement d'un tel processus, ouvert et transparent,
doivent être discutées et précisées par le plus possible de forces et de militant-e-s
Des contributions individuelles ou collectives devraient, dans les semaines qui viennent, permettre que la discussion soit la plus collective et la plus large possible.
Il a été convenu de mettre en place des réunions régulières, ouvertes, permettant de faire le point sur les discussions en cours.
COMMUNIQUE DE LA LIGUE DES DROITS DE L'HOMME
12 novembre 2008
Rendre justice aux fusillés de 14-18 : une intervention incomplète du Président de la République
Le Président de la République a évoqué à
Douaumont, pour le 90e anniversaire de l’armistice de 1918, le sort des « fusillés pour l’exemple ». Il a reconnu que ces hommes n’étaient pas des lâches et ne s’étaient pas
déshonorés. Cette déclaration est un progrès par rapport aux positions prises par ses amis politiques lorsque Lionel Jospin, Premier ministre, avait à juste titre demandé en 1998 que l’histoire de
toutes les victimes des tribunaux militaires réintègre pleinement la mémoire de la première guerre mondiale.
Mais ce progrès est nettement insuffisant.
Nicolas Sarkozy, loin de reconnaître l’effroyable injustice des décisions prises par les conseils de guerre, a déclaré que « cette guerre totale excluait toute indulgence, toute
faiblesse », reprenant ainsi l’argumentation des fusilleurs. Et il présente les victimes comme des hommes qui n’auraient pas eu la force nécessaire pour continuer de se
battre.
Or la vérité doit être faite sur les conditions
inacceptables dans lesquelles ces hommes ont été « jugés ». Ils ont été « les victimes » non pas « d’une fatalité » mais de cette justice militaire dont Clemenceau
lui-même disait qu’elle était à la justice ce que la musique militaire était à la musique. Nombre d’entre eux ont été non pas des hommes « faibles » mais au contraire ceux qui ont eu le
courage de s’opposer, au péril de leur vie, à des ordres injustes, arbitraires et souvent inhumains.
La Liguedes Droits de l’Homme considère que la mémoire de ces hommes demande non de la compassion mais tout simplement le rétablissement de la justice. Elle continue
plus que jamais à demander la réouverture de leurs dossiers, l’accès des historiens à l’ensemble des archives et la réhabilitation pleine et entière des « fusillés pour
l’exemple ».
"QUE FAIRE FACE A LA CRISE FINANCIERE ? NATIONALISER LE SECTEUR BANCAIRE !"
La crise financière a, aux États-Unis, ses ressors dans la généralisation du crédit et dans l’afflux de dollars sur les marchés internationaux. Faire face, en tenant compte de l’économie
"réelle" passe par une véritable socialisation du secteur bancaire.
Par Michèle Brand.
Aujourd’hui, en pleine tempête et face à la panique déclenchée par la crise, plus personne ne croit au dogme “néolibéral”, selon lequel les marchés fonctionnent à leur optimum quand on les laisse
libres et que le gouvernement n’intervient pas dans l’économie. Rappelons, au passage, que le gouvernement américain, censé être le plus libéral de tous, n’a jamais “laissé faire” l’économie. Il
l’a toujours régulée de près, que ce soit en accordant des subventions préférentielles aux entreprises, par la création puis le contrôle de l’énorme industrie de défense et de guerre ; ou
encore via un protectionnisme accru, la mise en marche de la planche à billets pour payer les dettes externes, la pression sur les autres gouvernements pour garder l’hégémonie financière et
soutenir l’addiction au crédit, et ainsi de suite. Les interventions récentes, si elles sont plus dramatiques, ne sont en rien plus “socialistes” que les précédentes. Il faut être un idéologue
néolibéral pour croire que toute intervention gouvernementale, comme le plan Paulson de renflouage [1], est une forme de socialisme. Mais si cette crise
détruit l’idéologie libérale, comme une victime collatérale, un obstacle à la construction de solutions aura disparu – et ce d’autant plus que cette idéologie est peut-être plus ancrée chez ses
opposants, qui pensent qu’elle se réfère à une réalité, que chez ses défenseurs, qui ne l’utilisent opportunément que pour justifier leurs intérêts de classe – ou l’abandonnent dès lors qu’elle
n’est plus utile, comme ils le font actuellement.
Il y a donc consensus : l’intervention gouvernementale massive dans l’économie est à l’ordre du jour, et le plus rapidement possible. Intervention… mais de quelle sorte ? La réponse
apportée dépendra de l’appréhension de la réalité dans l’économie à la fois financière et générale… et des priorités que l’on a. La “re-régulation des marchés”, intervention minime prônée par des
penseurs de droite comme de gauche, ne suffit clairement pas dans ce moment de crise extrême, alors que les marchés financiers sont en proie à des convulsions spasmodiques. Lors des sommets du
weekend dernier les dirigeants ou ministres des G7, G20 et Eurozone ont attesté du fait qu’une intervention chirurgicale d’ampleur est nécessaire. Suivant la formule britannique de la semaine
dernière, lundi 13 octobre les États-Unis et certains pays européens comme la France ont adopté des mesures qui permettent la recapitalisation des banques directement par les États (des
“nationalisations partielles”) et, pour ces pays européens, une sorte de garanti des prêts interbancaires. Les 27 seront appelés à harmoniser ces mesures lors du sommet européen le 15 et 16
octobre. Mais malgré la hausse des bourses lundi 13, il n’est pas du tout sûr que ces mesures suffiront pour guérir le patient, ni même pour dégeler les marchés du crédit. La seule solution, qui
s’impose d’urgence, est la nationalisation du secteur bancaire entier. Mais, avant de justifier en quoi cette option est la seule viable, dans l’intérêt de tous, il convient de diagnostiquer le
mal dont souffre l’économie.
Crise financière, crise de l’économie réelle
Prenons, pour cela, le cas américain, indéniablement le stade le plus extrême et avancé de la maladie. Les dirigeants européens ont en effet beau protester amèrement et expliquer que la crise
financière est une importation toxique issue des États-Unis, sans effet sur les fondamentaux économiques en Europe, mais certaines des mêmes dynamiques critiques sont à l’oeuvre sur les deux
rives de l’Atlantique. Dans différents dégrés selon les pays, les difficultés que connaît l’économie réelle ne sont pas uniquement une “contagion” de la crise financière – même si celle-ci les
aggrave exponentiellement – mais sont en fait à l’origine de la crise.
On assiste en fait à la conjonction de deux crises différentes mais liées, ce qui rend plus complexe et difficile la situation. Chronologiquement, la crise financière, déclenchée par les défauts
de paiement sur les prêts “subprimes” n’est que la seconde. La première, moins médiatisée mais non moins dramatique, est la dégradation sévère de l’économie réelle, entamée il y a plus de 25 ans.
Ces signes sont (aux États-Unis comme ailleurs, mais ici on prendra le cas des EU) : la lente destruction de la base industrielle par les délocalisations successives ; le remplacement
de ces emplois par des jobs moins bien payés dans le secteur des services, qui ne crée pas de richesse ; la stagnation des salaires réels depuis 35 ans ; l’augmentation du
chômage [2] ; le surendettement des ménages par l’économie de consommation basée sur le crédit (la consommation représente 70% du PIB des EU) ;
la hausse des prix de l’énergie et des frais pour les soins de santé ; l’intensification de la grande misère [3], etc. Le cycle qui s’achève ainsi
est inédit : c’est en effet la première fois qu’une phase expansion économique prend fin sans que la situation des classes moyennes n’ait été améliorée.
L’éclatement de la bulle immobilière qui avait fait flotter l’économie depuis 3 ans a entraîné l’effondrement de l’important secteur de la construction, marquant ainsi le début de la phase
descendante. Il est survenu plus d’un an avant la crise des “subprimes” en août 2007, et n’est donc pas dû à cette dernière. (Ici on voit une différence avec l’Europe, où l’éclatement de la bulle
est survenu presque simultanément avec la crise financière, provoquant l’idée erronée que celle-ci soit la cause de l’effondrement du marché immobilier.) Et la crise financière, qui va bien
au-delà du gel des marchés de produits titrisés mais saccage les fondements du système économique mondial, provoque ou renforce à son tour l’étouffement de l’économie par le manque de crédit et
la baisse de consommation ; la chute libre des bourses ; l’effondrement des fonds de pensions investis en bourse (qui constituent la plupart des fonds de retraite personnelle aux
USA) [4] ; la baisse des commandes industrielles ; le crash plus grave de l’immobilier (un ménage sur six doit rembourser un prêt dont le
montant est supérieur à la valeur du bien, et cela pourrait bitentôt atteindre 40% des ménages, selon Deutsche Bank). Les effets de ces dégâts sont déjà visibles. Ainsi, la grande crise du
logement due aux saisies immobilières a-t-elle pour conséquence la généralisation de la suroccupation des logements (plusieurs ménages vivant sous le même toit), alors que les Américains sont de
plus en plus nombreux à loger dans leur propre véhicule et que les camps de sans-abris foisonnent. Les licenciements records et un envol des chiffres du chômage n’arrangent en rien la situation,
alors que l’évaporation de l’accès au crédit pour les individus, les entreprises et les entités publiques (états, comtés, villes) fait planer de nouvelles menaces, le crédit étant nécessaire à
leur survie.
Ce tandem de crise, l’une financière, récente, l’autre, plus ancienne, affectant l’économie réelle, ont créé une spirale destructrice : la baisse de la consommation entraîne licenciements et
faillites, qui viennent à leur tour renforcer la baisse de la consommation – le tout dans une économie fondée sur la consommation à crédit bien plus que sur la production.
Crise du crédit, crise de la dette
Avant même la crise des subprimes, qui a levé le voile sur les titrisations magiques tout en faisant éclater la bulle du crédit, une croissance basée sur la consommation à crédit était une
aberration. Et comme la consommation américaine à crédit constitue le grand moteur économique mondial, sa déstabilisation entraîne celle du système entier. Pour le comprendre, il faut regarder de
plus près les dynamiques de l’inflation du crédit depuis 20 ou 25 ans, qui a entraîné l’inflation de la valeur des biens et des actifs. En 1994, la dette non-financière totale a augmenté de 578
milliards de dollars. Elle s’est depuis accrue chaque année pour arriver à une expansion de 1 000 milliards en 1998, 2 000 milliards en 2004 et 2 561 milliards en 2007 [5]. Mais son expansion commence a freiner : 1 726 milliards au premier semestre 2008, 1 127 pour le deuxième, alors que la bulle est maintenant en train d’imploser
entièrement. L’expansion de la dette financière suit un schéma semblable, alors la dette publique ne cesse d’exploser (on y reviendra) [6].
Ce crédit facile (ou “asset inflation”) a permis l’expansion de l’économie alors que la production et les exportations baissaient, par l’inflation chimérique de la valeur des biens de toutes
sortes, la croissance soutenue, les grandes dépenses privées et publics, les bénéfices financiers et l’augmentation du pouvoir d’achat. Mais le crédit ne crée pas de richesses, bien au
contraire : il ne fait qu’engendrer l’inflation fantomatique de la valeur. Le ménage américain moyen a un taux d’épargne négatif : il dépense 120% de ce qu’il gagne ; les 20% de
trop sont financés par le crédit. Désormais, à cause de l’effondrement du crédit, l’économie n’a plus les moyens de continuer à maintenir un même niveau de dépenses. Sans accès aux financements
habituels, les ménages, les entreprises et les entités publiques surendettés ne pourront pas respirer. C’est ce grand réajustement inévitable et douloureux qui est aujourd’hui à l’œuvre. On parle
d’une “crise de crédit”, mais comme le crédit s’est évaporé, on devrait plutôt l’appeler par son véritable nom : crise de la dette.
Pourquoi le crédit avait-il commencé à s’évaporer il y a à peu près un an, ouvrant la crise dite des subprimes ? En août 2007, quand BNP-Paribas avait annoncé ne pas pouvoir mettre une
valeur sur certaines des obligations titrisées qu’elle détenait, faute d’acheteurs, la vraie faiblesse de l’économie réelle s’est heurtée à la force fictive de l’économie financière. Les prêts
“subprimes”, accordés à des personnes démunies, avaient été vendus par leurs courtiers, groupés avec d’autres prêts moins risqués, puis revendus encore et encore sur le grand marché mondial des
obligations titrisées… jusqu’au jour où les saisies immobilières ont commencé à toucher ce marché. Or ces saisies ne concernent pas uniquement les prêts subprimes aux plus démunis, et elles n’ont
d’ailleurs pas commencé avec ces prêts. La vague de saisies avait commencé en 2006, et était principalement due aux problèmes économiques globaux : les Américains ne pouvaient plus
s’endetter sans produire ; ce grand moteur économique mondial est en panne. Les prêts les plus problématiques sont ceux dont le taux, initialement attractif, est réajusté vers le haut après
quelques années. Accordés en très grand nombre à des emprunteurs de toute sorte, ils constituent une bombe à retardement, qui n’a toujours pas complètement explosé.
Rétrospectivement, il apparaît aberrant d’avoir laissé se créer des prêts du genre des subprimes. Mais cela n’a, en fait, rien d’illogique : les marchés du crédit avaient besoin de cette
dérégulation pour soutenir leur propre croissance. Tous les autres secteurs de la population américaine avaient déjà accès à des prêts immobiliers, lorsque la menace d’une grande récession, en
2001, avait été détournée par la baisse des taux d’intérêt directeurs ramenés à 1% en 2002. Alan Greenspan, alors gouverneur de la Banque Fédérale, entendait ainsi donner du souffle à la bulle
immobilière pour remplacer celle du dot-com. Vendre toujours plus de prêts et de produits dérivés devenait alors nécessaire au maintien des mêmes bénéfices du secteur financier – et les ménages
sans travail, sans épargne et sans bien, était un marché vierge.
Pour donner une idée claire de la gravité de la situation aux EU, prenons la ville de Cleveland qui est, depuis deux ans, l’un des endroits les plus touchées par la crise. Dans certains quartiers
autrefois très vivants, les huissiers procèdent à deux saisies quotidiennes, condamnant ainsi les maisons de rues entières, toutes murées. Quand une maison est vide, sa valeur plonge. Elle est
squattée, puis pillée : tout ce qui a de la valeur (cuivre, plomberie, etc.) est volé, entraînant la chute de la valeur de toutes les maisons voisines. La valeur tombe jusqu’à devenir
négative : les maisons sont invendables, et les raser coûte trop cher à la municipalité. Depuis deux ans Cleveland, soucieuse d’enrayer l’insalubrité, a dépensé 12 millions de dollars pour
raser des maisons saccagées. Les foyers de sans-abris affluent, les familles se séparent : les enfants sont souvent envoyés chez des tantes, etc. On ne peut pas concevoir une destruction
plus totale d’un quartier ouvrier, rendu à des champs. La ville poursuit en justice 21 banques d’investissement de Wall Street, qu’elle juge responsables de cette destruction. C’est le degré
extrême de la transformation de la pourriture fictive de Wall Street en pertes réelles [7] .
Le point de contact entre la défaillance de l’économie réelle et la finance frankenstein surdopée était inévitable, même sans l’invention des prêts prédateurs pour les plus démunis. En effet,
malgré le décrochage de la finance du monde des salariés et des chômeurs, les obligations échangées sur les marchés de titres dérivés avaient une base dans la réalité. La valeur de ces actifs,
fondés sur le remboursement des prêts de toutes sortes, dépend tout de même de la bonne santé de l’économie réelle. Minée par la perte de production industrielle, et par la création du grand
secteur de services qui ne fait que recycler une partie des bénéfices obtenus dans le monde de la finance, l’économie réelle est à bout de souffle, et ne peut plus absorber de dettes. Les
américains en général ne vivent pas au-delà de leurs moyens ; très souvent ils ont besoin de deux emplois et n’arrivent pas à boucler les fins du mois sans s’endetter plus [8]. Ce n’était qu’une question de temps, alors, avant que le mal n’infecte la finance encore euphorique. Pour toutes ces raisons, les discours sur la “re-régulation”, de
même que les tentatives re-gonfler la bulle de crédit avec des récapitalisations des banques et garantis des prêts interbancaires, ne sont en rien à la hauteur du problème. La véritable crise a
ses racines dans l’économie réelle bien plus que dans l’économie parasitaire de la finance.
Que font les autorités ?
Les saisies ont commencé à se faire massives aux États-Unis à partir de 2006, rendant les obligations titrisées basées sur ces prêts invendables, autrement dit “toxiques”, au cours de l’été 2007.
Cette “toxicité” c’est immédiatement traduite en crise de liquidité. La densité de l’interdépendance des institutions financières internationales fait que le risque, qu’on avait pensé minime
parce que bien distribué, était en fait, pour cette raison même, maximalisé. Les banques ont commencé à garder leur propre argent, pour soigner leurs bilans. Or le robinet de crédit à court terme
est nécessaire aux activités quotidiennes des banques, qui se prêtent mutuellement de l’argent. Les défauts de paiement des prêts immobiliers, pourtant en proportion relativement faibles, ont
donc eu un effet extraordinairement disproportionné. De fait, les banquiers ont commencé à ne plus rien prêter, sauf à des taux très élevés, car tout emprunteur risque de faire faillite. Ce qui
avait figuré sur les bilans comme des actifs (les obligations titrisées devenues invendables) se transforme tout à coup en passif, sans valeur. Le montant total des pertes (“write-downs”) a
désormais dépassé les 635 milliards de dollars ; le FMI estime que ce chiffre va atteindre 1.400 milliards, et d’autres économistes vont jusqu’à 3.000 milliards. Comme ces obligations
n’arrivent que peu à peu à leur terme, l’hémorragie est constante et continue. Elles ne changent donc que progressivement de colonnes dans les bilans, des actifs vers les passifs, alors que les
institutions bancaires ne peuvent pas emprunter l’argent nécessaire pour les refinancer (“roll them over”). Elles ne sont pas encore toutes arriver à terme : les pertes n’ont donc pas encore
été toutes déclarées. Les bilans des banques sont impossibles à équilibrer dans ces conditions. Les banques centrales ont injecté des centaines de milliards de dollars de liquidité dans le
secteur bancaire depuis plus d’un an, sans pouvoir combler le trou noir et arrêter l’effet de “deleveraging”, ou dégonflement du crédit.
Les autres interventions n’ont pas non plus réussi à éviter la crise, pour les mêmes raisons : les institutions financières, sous-capitalisées et en proie à cet effet de “deleveraging”,
offrent du crédit uniquement à des taux de plus en plus élevés, et menacent de fermer le robinet entièrement. La décision de la Fed et du Trésor d’ouvrir, et d’agrandir progressivement, la
fenêtre de réescompte (ce qui donne des prêts à court terme à certaines institutions, avec pour contrepartie, entre autres choses, ces mêmes obligations titrisées), ainsi que de jouer le rôle de
courtier dans la vente de Bear Stearns, et de mettre sous tutelle ou de nationaliser Fannie, Freddie et AIG, n’ont pas pu réinspirer la confiance au marché interbancaire. Ces décisions ont au
contraire fait peur, en montrant la gravité de la crise. Pendant un temps, après le sauvetage de Bear Stearns en mars dernier, ces mesures ont pu repousser la panique et la menace d’effondrement.
Elles ne l’ont fait que jusqu’à un certain degré, en faisant croire que les grandes banques étaient “too big to fail” (trop grandes pour qu’on les laisse faire faillite) et que la Fed empêcherait
toujours le risque de se transformer en perte totale. Mais avec les faillites de Lehman et de Washington Mutual en septembre, les acteurs ont vu que la menace était bien réelle – le risque n’est
pas proportionnel aux rendements, comme dans la formule classique, mais bien l’inverse, le risque c’est bien du risque. Ainsi s’est ouverte une nouvelle étape de la crise, plus aiguë.
Les 17 et 18 septembre, en réponse à la faillite de Lehman, les transactions interbancaires ont été temporairement complètement stoppées, un phénomène dont la menace plane toujours. Ce faisant,
tous les acteurs, y compris les banques, les entreprises ou les entités publiques encore solvables, ont été empêchés de remplir leurs obligations de court-terme, puisqu’ils ne pouvaient eux-mêmes
plus emprunter. Cette situation d’apnée financière ne pouvait pas durer plus de quelques jours sans que le système ne s’effondre totalement. Mercredi 17, Paul Donovan, économiste chez UBS, a
souligné, dans un entretien sur CNBC que “le système financier est en train d’arrêter de fonctionner ; il nous faut une intervention gouvernementale. Si on ne l’obtient pas,
c’est fini le capitalisme”.
Cette paralysie du système capitaliste entier a été partiellement soignée le 19 septembre par l’annonce du Trésor américain du plan de sauvetage, dit le plan Paulson. Mais après le rejet initial
du plan par la chambre des représentants le 29 septembre, une même dynamique d’effondrement s’est mise en marche, jusqu’à ce qu’il soit finalement adopté, le 3 octobre. Nous ne nous attarderons
ici pas sur les détails de ce très médiocre plan, ce qu’il lui manque comme ce qui lui a été rajouté inutilement – surtout parce que le déploiement du plan est en évolution et sa réalisation sera
très différente des intentions affichées et votées par les élus. Nous n’analyserons pas plus les débats qui ont fait rage dans la population américaine et parmi ses représentants – Bush et
Paulson allant même jusqu’à présenter le plan de manière très anti-démocratique, jouant sur le climat de peur, comme s’il s’agissait d’un “Patriot Act économique [9]”. Notons simplement que certains élus ont rejeté le plan (la première fois) parce qu’il ne renfloue que les banquiers et non pas les simples citoyens, eux aussi
endettés ; d’autres parce qu’il representait, à leurs yeux, une intervention “socialiste” de trop. D’autres encore l’ont rejeté pour ses fondements économiques : 700 milliards de
dollars ne permettent en effet pas de remplir le trou noir réel, à savoir le manque de liquidité dont souffrent les institutions bancaires. Une représentante du Trésor a même avoué à Forbes.com
le 23 septembre que “[le montant de 700 milliards de dollars] n’est pas basé sur des données particulières. On voulait tout simplement choisir un très grand chiffre”.
Certains économistes estiment que les liquidités nécessaires à “racheter” la confiance interbancaire s’élèvent plutôt à 5 000 milliards de dollars. Chaque jour de la dernière semaine de
septembre, les banques ont emprunté en moyenne la somme record de 368 milliards à la Fed, et ce uniquement pour pouvoir continuer leur activité ; des montants analogues sont sortis de la
BCE. 700 milliards de dollars ne sont donc qu’une goutte d’eau en comparaison du montant total des difficultés que connaissent les institutions en perte de confiance.
Mais les bourses mondiales ont commencé leur chute libre le jour même de l’acceptation du plan Paulson, l’accompagnant ainsi de la reprise de la dynamique de gel total des marchés interbancaires.
Les nouveaux plans de sauvetage des banques sont alors apparus au niveau international. Les banques centrales internationales ont baissé ensemble le taux directeur d’un demi-point. Le mardi 7
octobre, la Fed a annoncé une nouvelle mesure radicale : elle achètera les dettes de court-terme (“commercial paper”) de certaines entreprises, contournant ainsi le secteur bancaire,
fournisseur de prêt habituel. Ceci constitue une mesure désespérée pour sauver les entreprises de la faillite qu’entraîne le manque d’accès au crédit ; la Fed achetera ces dettes jusqu’à un
certain seuil pour chaque entreprise, mais avec un budget national illimité (ou inconnu). La banque centrale d’Angleterre a annoncé le 7 octobre son plan pour la partielle nationalisation des
banques et le garanti des prêts interbancaires. Ce plan a été copié, à des degrés différents par les États-Unis, le 13 octobre, puis par plusieurs pays de l’Europe. Le G7 a en effet annoncé, le
10 octobre, à Washington, son intention, collective, de sauver de la faillite les “institutions financières d’importance systémique”, de débloquer le crédit et de garantir les dépôts. Washington,
pour sa part, a annoncé vouloir utiliser 250 milliards de dollars, tirés du fonds créé par le plan Paulson, pour injecter du capital directement dans les veines du secteur bancaire et ainsi
acheter des actions préférées dans les banques “saines” mais “à risque” – un plan de “nationalisation partielle”. Neuf banques “saines” seront contraintes de participer à ce programme, et les
autres, plus petites et moins importantes, auront le choix. Mardi 14, Paulson a supplié les banques qui recevront cet argent de le “déployer” dans des prêts et non pas le stocker pour renforcer
leurs bilans souffrants – sans pouvoir l’exiger de leur part. Les États-Unis ont aussi annoncé la garantie illimité des dépôts bancaires sans intérêt, c’est-à-dire ceux des entreprises. Bientôt
la Fed prônera probablement une solution pour sauver les entités publiques au bord de la faillite. Le 2 octobre, le gouverneur de la Californie (Arnold Schwarzenegger) a averti Paulson que son
État était proche de l’insolvabilité et avait besoin d’un prêt d’urgence de 7 milliards de dollars, et plus récemment, il a dit que cet argent pourrait être quémandé directement des investisseurs
étrangers. Sans cela, il ne pourrait poursuivre ses activités publiques et faire fonctionner les écoles, la police, les hôpitaux, entretenir ses infrastructures, etc., et n’aurait d’autre choix
que de licencier des employés. D’autres États, comme New-York ou la Floride sont d’ores et déjà dans la même situation, tandis qu’un comté dans l’Alabama est en défaut de paiement sur ses dettes.
Dans l’Eurozone, les principes abstraits annoncé par le G7 se sont concrétisés dimanche soir lors de la réunion à l’Elysée des ministres de finance des 15. Les montants colossaux (1 700 milliards
d’euros jusqu’au moment présent, annoncés par Paris, Berlin, Madrid, La Haye, Vienne et Lisbonne) seront essentiellement affectés à la garantie des prêts interbancaires pendant un an, et dans un
moindre dégré, à la recapitalisation des banques. En France, 40 milliards d’euros ont été accordés pour injecter directement dans des banques, avec exigeance qu’elles “rendent des comptes” au
gouvernement ; et 320 milliards sont destinés à faciliter les prêts interbancaires. Les détails du dernier projet, qui vise le dégel des marchés de crédit et la restauration de la confiance,
ne sont pas encore clairs, surtout quand il s’agit de prêts internationaux garantis par des Etats nationaux. En France, ceci implique la création d’une entité nouvelle : une “caisse de
refinancement des étabilissements de crédit”, qui empruntera “sur les marchés financiers” de l’argent qu’elle prêtera ensuite à un taux un peu plus élévé aux banques, selon Le Figaro. Apparemment
cette agence se substituera au marché du crédit interbancaire, pour les banques françaises.
Ces mesures internationales, qui ont eu l’effet salutaire désiré sur les bourses pendant 2 jours, seront bientôt précisées. Mais il est dès à présent douteux qu’elles suffiront pour débloquer le
crédit interbancaire entièrement, en même temps que le crédit pour les entreprises et consommateurs, lui aussi gélé. Et il est sûr qu’elles ne permettront pas de faire face à l’enjeu le plus
important, la guérison l’économie réelle, même si elles arrivent à faire circuler l’argent. Car même en rendant le crédit plus facile (et il ne sera jamais plus aussi facile qu’il ne l’était
avant la crise) la récession entraîne la baisse de la demande de crédit. Des mesures semblables annoncées par l’Angleterre déjà le 7 octobre n’ont pas eu d’effet sur le marché de crédit. Le
Libor, le taux des prêts interbancaires, très élévé depuis mi-septembre, n’a que peu baissé dans les deux jours suivants les annonces du 13. Encourager, plutôt que d’exiger des bnaques qu’elles
prêtent (et non ne stockent) les liquidités mises à leur disposition est, venant des autorités, risible.
Bulle du crédit, bulle du dollar
Deuxième problème et facteur très important : qui payera toute cette largesse, et d’où viendra cet argent promis par les grands pays pour sauver leurs banques et rechauffer le marché de
crédit ? Il n’est pas réaliste de penser que la France va emprunter sur “les marchés financiers” afin de renflouer ces mêmes marchés gélés. Et les gouvernements européens ont insisté sur le
fait que les contribuables ne seront pas touchés. Ils n’entendent pas plus augmenter la dette publique. En fait, les pays les plus industrialisés ont obtenu de la Fed américaine un accès illimité
à sa planche à billets. Le 13 octobre, la Fed a annoncé qu’elle donnera à la BCE, à la Banque d’Angleterre età la Banque Nationale Suisse, la possibilité d’offrir des prèts illimités à un taux
fixe contre une contrepartie “appropriée”, aux banques européennes [10]]. Les banques nationales emprunteraient apparemment l’argent de la BCE pour leurs
plans de sauvetage. Il semble que le G7 s’est mis d’accord pour inonder les marchés avec de nouveaux dollars. Si le marché interbancaire se remet, ce sera plutôt grâce à cette saturation de
dollars qu’aux “garanties” nationales. La bulle de crédit est ainsi directement transférée sur la bulle du dollar.
On ne doit pas sous-estimer les capacités d’innovation désespérée d’un régime américain en faillite financière et morale, qui plus est en fin de mandat : les dirigeants ne seront bientôt
plus responsables, et légueront le desordre à leurs successeurs. Mais l’innovation prendra principalement la forme de l’invention ex nihilo de nouveaux dollars : comme l’a dit Ben Bernanke,
chef de la Fed, en novembre 2002 : “le gouvernement américain a une technologie, qui s’appelle une planche à billets”. Rien qu’avec le plan Paulson, le plafond de la
dette public s’élève à 11 300 milliards de dollars – 8 000 milliards de plus qu’il y a un an – soit 70% du PIB. Acheter la dette des entreprises, comme annoncé le 7 octobre, y ajoutera une somme
encore inconnue, ainsi que les garantis des dépôts et les assurances des prêts immobiliers des agences nationales de logement Fannie et Freddie. Et l’argent devra bien venir de quelque part quand
il faudra sauver les États, comtés, et autres municipalités. Notons bien qu’on ne dit ici rien d’une nécessité quelconque de renflouer les citoyens de leurs dettes et difficultés.
Mais dire aux américains que les contribuables paieront le prix accablant de ce renflouage du système bancaire mondial, qui s’apparente à un achat général de l’économie américaine et l’inondation
des autres économies avec de la liquidité, n’est pas tout à fait juste : ce sont plutôt leurs enfants, qui le feront, si toutefois le dollar se maintient à un niveau semblable et que le pays
ne fait faillite. À court terme, les acheteurs étrangers des bons de trésor américains vont (peut-être) financer ces dépenses, via des ventes de bons neufs émis spécialement pour l’occasion. 40
milliards seront émis dans les prochains jours, et d’autres suivront.
Mais, et c’est ici le coeur du problème : la planche à billets américaine est paradoxalement la source historique du problème qu’il est maintenant appelé à résoudre. La bulle du crédit est
liée à l’augmentation extraordinaire du nombre de dollars en circulation, sans fondement réel, depuis 40 ans. Quand le président américain Richard Nixon avait enterré en 1971 l’étalon-d’or qui
fondait le système financier international de Bretton Woods, à cause des difficultés économiques américaines et de l’impossibilité de soutenir la mesure d’équivalence du dollar avec l’or, il a
créé une situation abérrante et insoutenable. Désormais, les nouveaux dollars émis par le Trésor ne sont fondés que sur de la “confiance” et non sur l’or. On en paie aujourd’hui le
prix [11]]. L’hégémonie américaine est donc une hégémonie à crédit, historiquement accordée par ses alliés européens et japonais, à cause du risque perçu
émanant de l’URSS. Les chinois ont ensuite pris le relais quand cet arrangement (dit “Bretton Woods II”) leur convenait pour soutenir leur croissance – au moment où l’Europe créait sa devise
rivale –, poussant une situation insoutenable jusqu’à son issue explosive actuelle.
Rappelons que la source du financement du budget national américain en général, y compris ses interventions militaires, est l’exportation du dollar. La valeur du dollar est fondée sur sa position
hégémonique depuis un demi-siècle comme monnaie de réserve mondiale. Tant que les banques centrales des autres pays voudront garder des dollars dans leurs réserves nationales, cette monnaie sera
demandée. C’est cette demande qui soutient, depuis des décennies, sa valeur (et non pas la solidité de son économie comme dans les autres pays). Ceci a permis au dollar de rester fort, ou plutôt
surévalué, même quand l’économie souffrait d’énormes dettes. Tout autre pays aussi endetté serait entré en crise il y a bien longtemps. Le déficit commercial s’élève aujourd’hui à 700 milliards
de dollars par an : l’Amérique consomme presque 2 milliards de plus par jour que ce qu’elle ne produit. Pour compenser, Washington fait tourner la planche à billets. Ces nouveaux dollars,
émis sous la forme de bons des agences nationales comme le trésor et les agences nationales pour le logement, remplissent les réserves des pays partenaires commerciaux, surtout en Asie. La moitié
des bons de trésor, et les deux tiers des autres bons nationaux, n’appartiennent pas aux Américains. Le principal produit exporté par les États-Unis est donc le dollar lui-même. Une partie de ces
dollars revient sous la forme d’investissements et d’achats d’infrastructure et de biens américains : non seulement l’Amérique est déficitaire, mais elle vend son capital. Elle vend tout ce
qui est possible de vendre, sauf dans les secteurs “sensibles” comme le high-tech et la défense – et cette dynamique ne pourra que se renforcer dans l’avenir.
Depuis quelques années les banques centrales mondiales affichent un désir de “diversifier” leurs réserves. Cet été elles ont sévèrement diminué leurs achats des bons émis par les agences
nationales pour le logement (Fannie et Freddie), débouchant sur la nationalisation in extremis de ces agences. Il n’est de ce fait pas du tout donné que les créanciers étrangers seront disposés à
financer toutes les largesses actuelles, alors même que l’efficacité de la solution est douteuse. Les solutions bricolées par les autorités américaines dans le désarroi, pour essayer d’acheter la
confiance des banques trop timides pour se prêter de l’argent l’une à l’autre, alors que la maison brûle, ne seront d’aucun effet sur la confiance des créanciers. Car l’origine de la crise est
l’expansion de la quantité des dollars, nécessaire à compenser la dette externe, qui a permis la dynamique d’inflation de la valeur et de la consommation à crédit. La plus grande bulle, celle du
dollar lui-même, n’a pas encore éclaté. Malgré les hésitations exprimées récemment par des investisseurs étrangers, le dollar résiste et se renforce même depuis quelques semaines. Ce phénomène
pervers est dû à son rôle traditionnel de monnaie de réserve mondiale, devise dans laquelle 70% des échanges mondiaux sont toujours faits. Quand les bourses chutent, quand les marchés des
matières premières sont en baisse à cause de la baisse de la demande, et quand la zone euro montre qu’elle n’est en rien immunisée contre la crise et à la récession, le dollar revient comme le
fantôme sans poids et sans chair qu’on ne peut pas tuer. Jusqu’à quand ?
Que faire ?
L’économie parasitaire de la finance ne ne survivra pas sans un sauvetage de l’économie réelle. La santé économique d’un pays est équivalente à la santé et la stabilité économique de tous les
ménages, et elle est fondée sur l’égalité, le plein-emploi, la production réelle, l’accès aux services publics essentiels. Le secteur bancaire, au lieu d’être un parasite, doit être l’un des
services publics. La réponse nécessaire et urgente à cette crise est donc la nationalisation et la réappropriation du secteur bancaire entier, pour le mettre au service des besoins de la
population et non des actionnaires et des dirigeants. On ne peut pas en même temps soigner les bilans des banques, comme essaient de faire les plans de sauvetage, et les plaies ouvertes de
l’économie réelle. Le soin obsessionnel des bilans financiers est même devenu un facteur d’aggravation aiguë de l’abcès dont souffre l’économie réelle. Et la nationalisation ne doit évidemment
pas être faite, comme on a souvent vu, avec le but de tout reprivatiser une fois le secteur assaini.
La crise de liquidité et de confiance interbancaire est le symptôme de l’éclatement de la bulle de crédit, et non la source du problème. Toute “solution” qui vise à re-gonfler la bulle, et qui ne
s’attaque qu’aux seuls symptômes de la crise, sera vouée à l’échec. Aux appels desespérés à la restauration du crédit, nous devrons répondre oui, mais temporairement, et dans une juste mesure,
pour s’assurer que l’économie ne suffoque pas, comme un drogué en cure de désintoxication. Car il nous faut bien décrocher de la drogue du crédit, ce qu’on ne peut faire sans nationaliser le
secteur bancaire, puis sans refonte du système financier international, qu’il faut libérer de la surabondance de dollars.
L’appropriation publique du secteur bancaire ne serait pas sans perte, évidemment. Mais les avoirs des banques seraient également nationalisés, et non leurs seules pertes. Car, si dans les
discussions quotidiennes relayées par la grande presse, on parle constamment des pertes subies par les institutions financières, on ne devrait pas oublier conservent malgré tout beaucoup
d’avoirs. Actionnaires et dirigeants des banques devront subir les pertes, et non les citoyens. Pour compenser le parasitage de ces institutions depuis la financiarisation de l’économie, le
secteur public doit vraiment socialiser Wall Street et toutes les banques et institutions d’investissement, et non pas uniquement les “socialiser” entre guillemets en
avalant les pertes, sans s’approprier leurs avoirs.
Les nationalisations partielles ne touchent donc pas le fond du problème. Nationaliser le secteur bancaire (ce qui ne peut se faire qu’à l’échelle nationale, et non pas européenne, comme le
reflètent les plans de sauvetage en cours, entraînant bientôt des discussions difficiles sur le futur de l’euro) a plusieurs fondements. Les problèmes que connaissent les banques sont doubles, de
l’ordre de la confiance interbancaire et de la sous-capitalisation. En présence d’entités naturellement concurrentes, la confiance ne peut être rétablie dans un contexte de pertes extrêmes et
continues. De fait, la principale cause de la pourriture des actifs n’est que le manque de confiance entre banques : la plupart des prêts immobiliers, malgré les circonstances extrêmes, sont
toujours solides, et, on peut l’espérer, le resteront un certain temps encore. Résoudre le problème de la confiance doit donc se faire en supprimant la nécessité de se faire confiance, par
l’arrêt de la rivalité et de la concurrence. La timidité qu’engendre ce manque de confiance a aujourd’hui un coût qu’on ne peut plus se permettre de payer. Il est donc indispensable de
nationaliser les banques en bloc. Mais, c’est le deuxième point, le système est largement sous-capitalisé. Vouloir forcer des baques concurrentes, qui doivent soigner leurs bilans, à continuer à
lutter entre elles pour des bribes de capital, entrainant ainsi l’effet de “hoarding” ou stockage, pour ensuite s’y suppléer (afin de relancer les prêts interbancaires) n’a aucun sens. Certaines
banques ne pourront pas survivre dans cet environnement, mais ce n’est pas tragique. Le secteur bancaire est déjà hypertrophié et parasitaire. Les plans de nationalisation partielle, qui visent à
sauver toutes les institutions de la faillite, ne feront que saigner les banques centrales, et gonfler astronomiquement la quantité de dollars en circulation. En plus, les garantis publiques
élèvent le seuil des risques privés. Sans concurrence, il y aura toujours des pertes, mais l’Etat pourrait commencer à guérir l’économie. Comme la valeur des produits titrisés créés par la
finance était un mirage créé par la bulle de crédit, leur non-valeur devrait l’être aussi. La dernière des choses à faire serait de les transformer en perte réelle sur le compte public quand
elles ne sont que fantomatiques. Le marché énorme des “credit default swaps”, de l’ordre de 60.000 milliards de dollars, échangés irrationnellement entre les institutions financières pour les
assurer mutuellement des pertes subies par les défauts de paiement, aura besoin d’être défait de façon ordonnée par les gouvernements, et non dans la panique de la concurrence. Les bilans
extraordinairement complexes et frankensteiniens des institutions financières doivent être dissous et transférés à une agence publique, gérée – et ceci est évidemment l’indispensable – par un
gouvernement prêt à agir dans l’intérêt public.
La nationalisation du secteur bancaire est la seule voie à la fois égalitaire et pragmatique, et l’unique solution stable de cette crise. La conflagration qui arrive n’est pas une solution, pas
plus les discours sur la re-réglementation de la finance : cette dernière présuppose que le secteur de finance fonctionne. La financiarisation de l’économie il y a 25 ans n’était que la
naissance d’un parasite monstre. Prétendre éviter, par les réglementations, que les banques prennent des risques, n’a aucun sens : prendre des risques est dans la nature même des banques
privées, puisque c’est dans le risque que réside le profit. À l’opposé de ce qui est un peu partout répété, sauver les banques et les banquiers-joueurs n’est en rien nécessaire. L’intervention
publique est néanmoins essentielle, mais avec plus de radicalité. L’unique entité financière qui ne prendrait aucun risque – risque dont on voit maintenant clairement la dangerosité – serait une
agence financière nationale, à but non lucratif, qui agirait dans l’intérêt public. La concurrence entre banques privées donne lieu à une duplication et un gaspillage extrordinaire de ressources.
Il faut dégager l’argent coincé “en haut” et le forcer à revenir en bas de l’économie, pour qu’il circule encore.
L’argument normalement cité contre la nationalisation entière est que cela créerait une agence nationale monstre difficile à gérer. Mais en comparaison avec la violence ingérable du monstre
agonisant de la finance, cet argument relève de la pure idéologie. Comme l’a dit une banquière anglaise pour contrer les hésitations autour des nationalisations récentes, “en temps de crise,
l’idéologie est un produit de luxe qu’on ne peut pas s’offrir”. Il en va de même pour les arguments sur les coûts d’un tel programme : il suffit de mettre ces coûts en rapport avec le
montant du renflouage public actuellement à l’œuvre.
Il nous faudra ensuite financer au plus vite, avec les avoirs des banques et l’appui du budget public, la stabilisation de l’économie réelle. Celle-ci implique, entre autres choses l’institution
d’un “new new deal” pour créer immédiatement des emplois, par la rénovation de l’infrastructure publique américaine (actuellement dans un état abominable) ; la création
d’une agence publique qui faciliterait les prêts à court terme aux entreprises et les entités publiques défaillantes, pour leur donner immédiatement de la liquidité ; la mise en place de
mesures destinées à revaloriser, refinancer et garantir tous les prêts immobiliers, pour que les foyers puissent rester chez eux ; la garantie des dépôts ; la création d’un fonds public
pour les retraites, pour compenser les pertes subies avec la chute de la bourse ; la mise en place d’un système d’assurance santé universelle (une étude préliminaire a montré qu’au moins la
moitié des saisies immobilières américaines sont dues à des incapacités de payer des frais de santé) [12]] ; et la subvention des activités de
production réelle, pour donner l’impulsion vers une économie plus stable et durable. Certaines de ces mesures ne sont pas très différentes de celles déjà en cours ou proposées par certains des
élus et par les candidats à la maison blanche : elles sont à toute évidence nécessaires ; mais une fois la crise passée, le candidat élu les remettrait en cause. Cette solution urgente,
nécessaire et immédiatement pratique, à condition d’être inscrite dans la durée, peut alors être considérée comme une première étape vers une socialisation plus générale de l’économie.
16 octobre 2008
NOTES :
[1] Proposé par Henry Paulson, sécretaire du Trésor américian, et voté le 3 octobre, il prévoit d’octroyer 700 milliards de dollars aux banques pour éponger
leurs pertes.
[2] Il est difficile de calculer le véritable taux de chômage aux États-Unis : seuls les indemnisés sont comptabilisé, et l’indemnisation ne dure que 6
mois. Passé ce délai, il faut chercher "activement" du travail pour être compté. En outre, la population carcérale n’est pas prise en compte. On peut estimer le taux de chômage à au moins 8 ou
9%.
[3] Selon un rapport du groupe McClatchy Newspapers de février 2007, la grande pauvreté a augmenté de 26% entre 2000 et 2006. 16 millions de personnes étaient
touchées, avant la crise des subprimes.
[4] Les placements des particuliers dans les fonds de pensions quotés en bourse ont perdu 2 000 milliards de dollars en 15 mois, selon le Washington Post du 9
octobre.
[5] Selon Doug Noland, “The Wall Street Bust”, Credit Bubble Bulletin, 2 octobre
[6] Le déficit budgétaire risque de s’éléver à 2.000 milliards de dollars en 2009, soit 12,5% du PIB, selon Bloomberg (10 octobre).
[7] Un tiers des saisies concernent des immeubles locatifs, détenus par des propriétaires qui avaient spéculé pendant l’euphorie. Les locataires souvent
solvables sont alors expulsés, parfois même à leur insu.
[8] Voir le blog de l’ancien sécretaire du travail, Robert Reich.
La crise financière nous montre bien ce qu’est le système capitaliste : construit sur du vent et la recherche de profits. Mais quand tout s’écroule, ce sont
toujours les travailleuses et les travailleurs qui épongent les pertes. Ces derniers jours, ce sont des centaines de milliards d’euros qui ont disparu. Des milliers de milliards depuis un peu plus
d’un an. Aujourd’hui, ironie du sort, les ultralibéraux d’hier demandent aux Etats d’intervenir pour sauver l’économie-casino.
Privatisation des profits et socialisation des pertes
Les spéculateurs sont comme des joueurs de pokers qui ont une « cave » illimitée. Et pour cause : c’est avec notre travail qu’ils jouent, et ils s’en donnent à cœur
joie ! Que ce soit par la dilapidation de l’argent public, les pressions directes des entreprises sur les salarié-e-s (licenciements, salaires bloqués) ou l’inflation galopante, ce sont les
travailleuses et travailleurs qui vont payer.
Et quand la crise sera passée, que les banques, les compagnies d’assurance et autres boursicoteurs recommenceront à dégager du profit, les États en feront cadeau aux capitalistes,
comme il l’a déjà fait en privatisant EDF-GDF, en cassant le système de retraites par répartitions au profit d’un système de retraites par capitalisations, comme il compte le faire en introduisant la
Poste en bourse, etc.
Les bouffonneries de Sarko, Strauss-Kahn et leurs amis
Les gesticulations des dirigeants politiques et économiques pour essayer de trouver une sortie à cette crise sont pitoyables. A quelques nuances près, ils sont tous d’accord - le PS,
l’UMP, le gouvernement américain, les libéraux en tout genre - pour dire qu’il faut une intervention de l’Etat, donc qu’il faut faire trinquer les travailleuses et les travailleurs, mais qu’il faudra
penser un jour à /« moraliser le capitalisme », à « rendre la finance plus transparente ». Quelle blague ! Le capitalisme repose sur la privatisation des profits et la
socialisation des pertes, comment peut-il être moral ? La finance (le poker) repose sur l’opacité des comptes (du jeu) de chacun, comment peut-elle être transparente ? Ces déclarations,
c’est de la poudre aux yeux.
Le capitalisme, c’est la crise permanente
La seule « vraie » solution trouvée par nos dirigeants pour sortir de la crise c’est de continuer la fuite en avant… vers la prochaine crise. En effet, en injectant
plusieurs centaines de milliards de dollars sur le marché, l’État américain va permettre aux boursicoteurs de recommencer à spéculer, mais avec encore plus d’argent, dans une économie toujours plus
mondialisée. Le capitalisme va ainsi de crises en crises, toujours plus grosses, mais jusqu’à quand ?
Les libéraux prétendent que le capitalisme est la fin de l’histoire, mais en vérité le capitalisme va droit dans le mur. A nous de provoquer la seule vraie crise qui ait du
sens : la chute pure et simple du capitalisme.
La seule économie morale, c’est celle où les richesses reviennent à celles et ceux qui les produisent : les travailleuses et les travailleurs. Le seul contrôle possible d’une
économie, c’est le contrôle direct par la population, c’est-à-dire l’autogestion socialiste. La seule solution pour en finir définitivement avec les crises financières, c’est la révolution.
C’est la crise ! Mais, si on y réfléchit un instant, c’est tout le temps la crise ! Avons-nous connu depuis 30 ans des périodes où ce n’était pas la
crise ?
Et même avant. Je suis né au début de ce qu’on a appelé « les Trente glorieuses ». Mais elles étaient glorieuses pour qui ? Pour les mineurs dont on fermait les
charbonnages ? Pour les ouvriers de la sidérurgie dont on fermait les usines ? Pour tous les autres qui ont du attendre le plus grand mouvement social de l’après guerre, Mai 68, pour
recevoir enfin quelques miettes des profits engrangés par le patronat ?
Et même quand, soi-disant, ce n’est pas la crise. Quand les taux de croissance montent. Quand les entreprises font des profits. C’est quand même la crise pour celles et ceux qui
subissent les fusions-acquisitions, les restructurations, les délocalisations, les dérégulations, les suppressions d’emplois dans des boites qui font pourtant des bénéfices.
Et enfin, pour des millions de gens qui, quand ils ont payé leurs charges, n’ont que 50 euros par mois pour se nourrir, n’est-ce pas, et depuis longtemps, la crise tous les
jours ?
La vérité, c’est que le capitalisme, c’est la crise. C’est un système qui génère les crises. Il y a des crises financières, des crises économiques, des crises sociales, des crises
alimentaires, des crises sanitaires, des crises écologiques. Et chaque fois, au nom de ces crises, le capitalisme impose ses solutions, des solutions qui maintiennent les inégalités, des solutions
qui entretiennent l’exploitation, des solutions qui protègent l’accumulation des profits par un petit nombre. Et quand la crise ne suffit pas, il fait la guerre. Rappelez-vous ce que disait
Jaurès : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ». Là où le capitalisme ne peut exploiter en toute liberté, il provoque la guerre. Bien des guerres en
Afrique qu’on nous présente comme des guerres civiles ou tribales sont en fait des guerres provoquées par le capitalisme. La guerre en Irak est une guerre du capitalisme.
En 1991, lors de l’effondrement de l’empire soviétique, le discours dominant a consacré l’échec du communisme. Nul ne peut nier que le capitalisme d’Etat, bureaucratique et policier,
a échoué à réaliser l’idéal communiste. Mais cet échec nous condamne-t-il à nous résigner au capitalisme ?
N’est-ce pas le moment de dire haut et fort aux capitalistes : quel est votre bilan ? Quels sont, pour le plus grand nombre, les résultats du capitalisme ?
Quand près de trois milliards d’humains n’ont pas accès au savoir, aux nouvelles technologies et aux nouveaux savoir-faire qui pourraient améliorer leur niveau de vie, quand deux
milliards de personnes n’ont pas accès aux médicaments essentiels, quand un milliard et demi de gens vivent avec quatre-vingt dix centimes d’euro par jour, quand un milliard de personnes souffrent de
la famine, quand un milliard d’adultes dont deux tiers sont des femmes sont analphabètes, quand plus de 150 millions d’enfants n’ont pas accès à l’école primaire, dont la moitié sont des filles,
quand 44% de la jeunesse du monde en âge de travailler sont au chômage, quand, dans une Europe si riche, il y a 50 millions de pauvres et 18 millions de chômeurs, n’est-on pas en droit de
demander : capitalistes où est votre succès ?
Le capitalisme a bénéficié, avec les dérégulations massives décidées au niveau mondial comme au niveau européen, d’une liberté comme jamais il n’en avait connu depuis le 19e siècle.
Et voilà son bilan. Certains vous diront. : « Vous vous trompez. Regardez en Chine, depuis qu’ils sont passés à l’économie de marché, 400 millions de Chinois sont sortis de la
pauvreté ». Ils oublient de dire qu’un milliard de Chinois sont restés dans la pauvreté. Parce que, fondamentalement, c’est cela le capitalisme : c’est l’organisation de l’inégalité ;
c’est l’exploitation de la majorité par un petit nombre.
Face à cette réalité, on observe deux comportements. Il y a ceux qui considèrent que le capitalisme fait partie de l’ordre naturel des choses et que la crise d’aujourd’hui n’est qu’un
dérapage de mauvais capitalistes qu’il faut punir pour revenir au bon capitalisme, que la démocratie libérale et l’économie de marché, sont le moins mauvais de tous les systèmes, comme le disait
avant hier soir sur France 2 le ministre des finances de Belgique.
Ceux-là, on les trouve à droite, bien entendu, au centre évidemment, mais également, à gauche. Ce sont en effet des sociaux-démocrates qui, à partir des années 80, en France comme
dans le reste de l’Europe, ont accompagné et très souvent initié ce qu’on appelle la mondialisation, cette transformation du monde en un marché global où la puissance publique s’efface devant les
acteurs économiques et financiers, où les humains sont traités comme des marchandises soumis aux lois d’une concurrence qui doit être libre et non faussée. La loi de déréglementation financière est
une loi du PS. L’Acte unique européen et le traité de Maastricht, proposés par Jacques Delors, sont l’œuvre des sociaux-démocrates. La gauche plurielle partage avec onze autres gouvernements
sociaux-démocrates la responsabilité de la stratégie de Lisbonne et des décisions de Barcelone sans lesquelles le démantèlement des services publics et du droit du travail n’aurait pas été possible.
Et on a trouvé à la direction du PS les plus ardents défenseurs du traité constitutionnel européen préparé sous la direction de Giscard d’Estaing. Les mêmes souhaitent aujourd’hui ardemment qu’entre
en vigueur ce copié collé du TCE qu’est le traité de Lisbonne pourtant rejeté par le seul peuple qui ait pu s’exprimer, les Irlandais.
Face à ces libéraux de droite et de gauche auxquels s’ajoutent ceux qui les suivent pour ne pas perdre les mandats que leur accorde l’alliance avec le PS, il y a ceux qui sont
convaincus que le capitalisme n’est pas l’horizon indépassable de l’humanité. Ceux qui ne se résignent pas à voir le drapeau de la révolte tomber des mains de Rosa Luxemburg dans celles de Ségolène
Royal.
On les trouve parmi celles et ceux qui ont fait campagne et ont soutenu le non de gauche au TCE. On en trouve parmi celles et ceux qui ont soutenu l’un ou l’autre des cinq candidats à
la gauche du PS lors des présidentielles de l’an passé. Et on en trouve même, je tiens à le dire tout de suite, parmi les femmes et les hommes qui ont apporté leur voix au PS ou aux Verts. Faute de
mieux à leurs yeux. Et au-delà de celles et ceux qui accompagnent ou soutiennent un parti politique, on en trouve parmi ces dizaines de milliers de gens qu’on appelle parfois des non encartés,
altermondialistes, anti-nucléaires, écologistes, décroissants, faucheurs volontaires, militants des droits humains dont le grand rassemblement du Larzac, en août 2003, fut pour beaucoup, un moment
fondateur.
C’est à ces femmes et ces hommes qui ne se résignent pas au capitalisme que la LCR offre une perspective. Moi qui ne suis pas membre de la LCR, qui n’appartient pas à la culture
politique née de 1917, - ma culture politique, elle puise dans 1793 et 1871 et chez l’homme massacré en août 1914, au Café du Croissant à Paris - qui suis un de ces non encartés, je tiens à le
souligner ici avec force : la décision de la LCR de se dissoudre pour se fondre dans un mouvement politique qui la dépasse, qui embrasse à la fois la question sociale et la question écologique
et qui s’ouvre à toutes celles et ceux qui partagent ce projet écosocialiste, c’est une décision sans précédent dans l’histoire du mouvement ouvrier français.
Nous sommes, j’en suis convaincu, des millions à rêver d’une gauche qui ne se renierait pas chaque fois qu’elle arrive au pouvoir, d’une gauche qui affirmerait sans complexe :
« oui, il y a eu et il y a encore des exploiteurs et des exploités », d’une gauche qui reconnaît la réalité de la lutte des classes même si la composition des classes et les formes de la
lutte ont changé. Nous sommes des millions qui n’acceptons pas le capitalisme comme une fatalité. Nous sommes des millions à vouloir une alternative. Cette alternative, si nous le voulons tous
ensemble, avec le NPA, elle est maintenant possible.
Nous sommes à la tâche. Et nous sommes nombreux. Nous sommes riches de nos diversités, de nos cultures politiques respectives, de nos expériences et aussi de la fraîcheur et de la
créativité de celles et de ceux qui n’ont pas d’expérience, si ce n’est celle de leurs premiers pas dans la vie et de leurs premières confrontations avec le capitalisme.
J’ai qualifié le projet que nous portons d’une expression nouvelle dans le vocabulaire politique : écosocialisme. Qu’entendons-nous par là ?
On part d’un constat : le capitalisme exploite les humains et la terre. Il est à l’origine de la question sociale et de la question écologique. Comme l’a si bien observé François
Chesnais, Marx déjà constatait que « la production capitaliste ne se développe qu’en épuisant les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur » (Le Capital,
p.182). Et Chesnais a très justement déploré que « la pensée critique se réclamant du marxisme a été terriblement déficiente sur le plan des rapports à la nature ».
Une approche écosocialiste, cela signifie satisfaire les besoins sociaux de manière écologique. Et la satisfaction écologique des besoins sociaux ne peut se réaliser ni par des voies
autoritaires, ni par des voies fiscales.
Seule la délibération démocratique peut présider à la définition des choix. Ce qui implique de revisiter la démocratie pour en faire ce que, déjà, Jaurès appelait de ses vœux :
un outil révolutionnaire.
Mais le danger immédiat qui nous guette, c’est le traitement capitaliste des problèmes écologiques. Un capitalisme vert est en cours d’élaboration. On en a vu des prémisses avec le
Grenelle de l’Environnement et les multiples taxes envisagées par le gouvernement. C’est faire payer par le plus grand nombre le coût des dégâts écologiques provoqués par les profits de quelques-uns.
Ce sont les solutions avancées par la droite, mais aussi par les sociaux-libéraux, par les Verts et par tous ceux qui refusent d’accepter que la course au profit est à l’origine de la destruction de
l’environnement avec ses conséquences pour la santé, pour la préservation de la biodiversité, pour le maintien des grands équilibres et pour la survie même de la planète dans l’état où les
générations précédentes nous l’ont léguée.
C’est un immense chantier qui s’ouvre devant nous. C’est notre volonté de saisir à bras le corps le double impact social et écologique du capitalisme. Aucune solution n’est durable si
elle se contente d’aménager le système. C’est bien là que se trouve la justification de notre démarche anticapitaliste. Au regard de ce que nous voulons entreprendre, nous pouvons faire beaucoup plus
que de la politique. Nous pouvons écrire une page d’histoire.
Raoul Marc Jennar est membre d’un comité des Pyrénées-Orientales et animateur du mouvement altermondialiste.
(Intervention faite au meeting NPA 66, à Perpignan, le 18 octobre 2008)
Immanuel Wallerstein, chercheur au département de sociologie de l'université de Yale, ex-président de l'Association internationale de sociologie
Signataire du manifeste du Forum social de Porto Alegre ("Douze propositions pour un autre monde possible"), en 2005, vous êtes considéré comme l'un des
inspirateurs du mouvement altermondialiste. Vous avez fondé et dirigé le Centre Fernand-Braudel pour l'étude de l'économie des systèmes historiques et des civilisations de l'université de l'Etat de
New York, à Binghamton. Comment replacez-vous la crise économique et financière actuelle dans le "temps long" de l'histoire du capitalisme ?
Immanuel Wallerstein : Fernand Braudel (1902-1985) distinguait le temps de la "longue durée", qui voit se succéder dans l'histoire humaine des systèmes régissant les rapports de
l'homme à son environnement matériel, et, à l'intérieur de ces phases, le temps des cycles longs conjoncturels, décrits par des économistes comme Nicolas Kondratieff (1982-1930) ou Joseph Schumpeter
(1883-1950). Nous sommes aujourd'hui clairement dans une phase B d'un cycle de Kondratieff qui a commencé il y a trente à trente-cinq ans, après une phase A qui a été la plus longue (de 1945 à 1975)
des cinq cents ans d'histoire du système capitaliste.
Dans une phase A, le profit est généré par la production matérielle, industrielle ou autre ; dans une phase B, le capitalisme doit, pour continuer à générer du profit, se financiariser et se
réfugier dans la spéculation. Depuis plus de trente ans, les entreprises, les Etats et les ménages s'endettent, massivement. Nous sommes aujourd'hui dans la dernière partie d'une phase B de
Kondratieff, lorsque le déclin virtuel devient réel, et que les bulles explosent les unes après les autres : les faillites se multiplient, la concentration du capital augmente, le chômage progresse,
et l'économie connaît une situation de déflation réelle.
Mais, aujourd'hui, ce moment du cycle conjoncturel coïncide avec, et par conséquent aggrave, une période de transition entre deux systèmes de longue durée. Je pense en effet que nous sommes entrés
depuis trente ans dans la phase terminale du système capitaliste. Ce qui différencie fondamentalement cette phase de la succession ininterrompue des cycles conjoncturels antérieurs, c'est que le
capitalisme ne parvient plus à "faire système", au sens où l'entend le physicien et chimiste Ilya Prigogine (1917-2003) : quand un système, biologique, chimique ou social, dévie trop et trop souvent
de sa situation de stabilité, il ne parvient plus à retrouver l'équilibre, et l'on assiste alors à une bifurcation.
La situation devient chaotique, incontrôlable pour les forces qui la dominaient jusqu'alors, et l'on voit émerger une lutte, non plus entre les tenants et les adversaires du système, mais entre
tous les acteurs pour déterminer ce qui va le remplacer. Je réserve l'usage du mot "crise" à ce type de période. Eh bien, nous sommes en crise. Le capitalisme touche à sa fin.
Pourquoi ne s'agirait-il pas plutôt d'une nouvelle mutation du capitalisme, qui a déjà connu, après tout, le passage du capitalisme marchand au capitalisme industriel, puis du capitalisme
industriel au capitalisme financier ?
Le capitalisme est omnivore, il capte le profit là où il est le plus important à un moment donné ; il ne se contente pas de petits profits marginaux ; au contraire, il les maximise en constituant
des monopoles - il a encore essayé de le faire dernièrement dans les biotechnologies et les technologies de l'information. Mais je pense que les possibilités d'accumulation réelle du système ont
atteint leurs limites. Le capitalisme, depuis sa naissance dans la seconde moitié du XVIe siècle, se nourrit du différentiel de richesse entre un centre, où convergent les profits, et des périphéries
(pas forcément géographiques) de plus en plus appauvries.
A cet égard, le rattrapage économique de l'Asie de l'Est, de l'Inde, de l'Amérique latine, constitue un défi insurmontable pour "l'économie-monde" créée par l'Occident, qui ne parvient plus à
contrôler les coûts de l'accumulation. Les trois courbes mondiales des prix de la main-d'oeuvre, des matières premières et des impôts sont partout en forte hausse depuis des décennies. La courte
période néolibérale qui est en train de s'achever n'a inversé que provisoirement la tendance : à la fin des années 1990, ces coûts étaient certes moins élevés qu'en 1970, mais ils étaient bien plus
importants qu'en 1945. En fait, la dernière période d'accumulation réelle - les "trente glorieuses" - n'a été possible que parce que les Etats keynésiens ont mis leurs forces au service du capital.
Mais, là encore, la limite a été atteinte !
Y a-t-il des précédents à la phase actuelle, telle que vous la décrivez ?
Il y en a eu beaucoup dans l'histoire de l'humanité, contrairement à ce que renvoie la représentation, forgée au milieu du XIXe siècle, d'un progrès continu et inévitable, y compris dans sa
version marxiste. Je préfère me cantonner à la thèse de la possibilité du progrès, et non à son inéluctabilité. Certes, le capitalisme est le système qui a su produire, de façon extraordinaire et
remarquable, le plus de biens et de richesses. Mais il faut aussi regarder la somme des pertes - pour l'environnement, pour les sociétés - qu'il a engendrées. Le seul bien, c'est celui qui permet
d'obtenir pour le plus grand nombre une vie rationnelle et intelligente.
Cela dit, la crise la plus récente similaire à celle d'aujourd'hui est l'effondrement du système féodal en Europe, entre les milieux du XVe et du XVIe siècle, et son remplacement par le système
capitaliste. Cette période, qui culmine avec les guerres de religion, voit s'effondrer l'emprise des autorités royales, seigneuriales et religieuses sur les plus riches communautés paysannes et sur
les villes. C'est là que se construisent, par tâtonnements successifs et de façon inconsciente, des solutions inattendues dont le succès finira par "faire système" en s'étendant peu à peu, sous la
forme du capitalisme.
Combien de temps la transition actuelle devrait-elle durer, et sur quoi pourrait-elle déboucher ?
La période de destruction de valeur qui clôt la phase B d'un cycle Kondratieff dure généralement de deux à cinq ans avant que les conditions d'entrée dans une phase A, lorsqu'un profit réel peut
de nouveau être tiré de nouvelles productions matérielles décrites par Schumpeter, sont réunies. Mais le fait que cette phase corresponde actuellement à une crise de système nous a fait entrer dans
une période de chaos politique durant laquelle les acteurs dominants, à la tête des entreprises et des Etats occidentaux, vont faire tout ce qu'il est techniquement possible pour retrouver
l'équilibre, mais il est fort probable qu'ils n'y parviendront pas.
Les plus intelligents, eux, ont déjà compris qu'il fallait mettre en place quelque chose d'entièrement nouveau. Mais de multiples acteurs agissent déjà, de façon désordonnée et inconsciente, pour
faire émerger de nouvelles solutions, sans que l'on sache encore quel système sortira de ces tâtonnements.
Nous sommes dans une période, assez rare, où la crise et l'impuissance des puissants laissent une place au libre arbitre de chacun : il existe aujourd'hui un laps de temps pendant lequel nous
avons chacun la possibilité d'influencer l'avenir par notre action individuelle. Mais comme cet avenir sera la somme du nombre incalculable de ces actions, il est absolument impossible de prévoir
quel modèle s'imposera finalement. Dans dix ans, on y verra peut-être plus clair ; dans trente ou quarante ans, un nouveau système aura émergé. Je crois qu'il est tout aussi possible de voir
s'installer un système d'exploitation hélas encore plus violent que le capitalisme, que de voir au contraire se mettre en place un modèle plus égalitaire et redistributif.
Les mutations antérieures du capitalisme ont souvent débouché sur un déplacement du centre de "l'économie-monde", par exemple depuis le Bassin méditerranéen vers la côte Atlantique de
l'Europe, puis vers celle des Etats-Unis ? Le système à venir sera-t-il centré sur la Chine ?
La crise que nous vivons correspond aussi à la fin d'un cycle politique, celui de l'hégémonie américaine, entamée également dans les années 1970. Les Etats-Unis resteront un acteur important, mais
ils ne pourront plus jamais reconquérir leur position dominante face à la multiplication des centres de pouvoir, avec l'Europe occidentale, la Chine, le Brésil, l'Inde. Un nouveau pouvoir
hégémonique, si l'on s'en réfère au temps long braudélien, peut mettre encore cinquante ans pour s'imposer. Mais j'ignore lequel.
En attendant, les conséquences politiques de la crise actuelle seront énormes, dans la mesure où les maîtres du système vont tenter de trouver des boucs émissaires à l'effondrement de leur
hégémonie. Je pense que la moitié du peuple américain n'acceptera pas ce qui est en train de se passer. Les conflits internes vont donc s'exacerber aux Etats-Unis, qui sont en passe de devenir le
pays du monde le plus instable politiquement. Et n'oubliez pas que nous, les Américains, nous sommes tous armés...
Sortir du capitalisme ?
La crise financière envahit tout. Nous sommes devenus des addicts du CAC 40, des accros du Dow Jones, des drogués de la Bourse. Un climat de peur répandu par
ceux là même qui devraient faire preuve de sang froid, submerge la partie du monde où l’on ne crève pas de faim mais de crédit. Chaque jour qui passe nous montre que l’égotisme de nos dirigeants, la
cécité de la classe politique et médiatique équivaut à celle qui présidait en 1929, entre les deux guerres, quand la grande dépression prit à la gorge le monde occidental, précipitant la montée au
pouvoir des fascistes dans une grande partie de l’Europe et annonçant la guerre. Si nous n’en sommes pas encore là, le spectacle de ces milliards injectés à fonds perdus dans l’économie virtuelle
sonne le glas des illusions répandues par les libéraux, ultra, modérés, voire sociaux, qui depuis des années nous contaient fleurette.
"La crise est systémique et non conjoncturelle. Ceux qui pensent que tout redeviendra comme avant après la « purge », inventent une nouvelle fable. La vérité
est que si nous faute de s’attaquer aux racines du mal, la crise continuera. Après la crise asiatique, l’explosion de la bulle Internet, les « subprimes », le crash des banques, la
récession va maintenant s’attaquer à l’économie réelle. Ce ne seront plus les cotations boursières qui nous affoleront, mais les licenciements, les expulsions, le chômage de masse, l’endettement des
familles. Les mesures prises actuellement sont un pansement sur une jambe de bois. On s’attaque aux parachutes dorés de quelques grands patrons mais on ne fait rien contre les paradis fiscaux,
bastion des spéculateurs de tout poil. On nationalise les banques, mais sans mettre fin au secret bancaire et sans ouvrir les livres de compte pour rendre enfin transparent ce monde opaque de la
grande finance. On prend aux pauvres pour sauver les riches mais on ne taxe pas les transactions boursières et la circulation du capital. Résultat assuré : lorsque le déclin virtuel devient réel
et que les bulles explosent les unes après les autres, le système s’attaque directement à la vie des gens, les faillites se multiplient, le chômage progresse, et l’économie connaît une situation de
déflation réelle.
Plusieurs éléments différencient la phase que nous connaissons de la succession ininterrompue des crises antérieures :
1 - La crise que nous vivons correspond à la fin d’un cycle politique, celui de l’hégémonie américaine, commencé dans les années 1970. Les pays émergents, l’Europe,
même désunie, lui contestent son leadership. Les Etats-Unis, endettés jusqu’au coup, engagés dans une guerre mondiale contre le terrorisme qui contribue à cet endettement, sont incapables de
reprendre la main face au reste du monde.
2 - La convergence des crises financière, sociale, climatique, énergétique, alimentaire, amplifie la crise et lui donne un caractère inédit. En 1929, l’issue de la
crise, c’était la guerre plus la civilisation de l’automobile. Aujourd’hui, nous entrons dans la civilisation post- pétrolière.
3 - Le capitalisme ne parvient plus à "faire système", à retrouver l’équilibre. La situation devient chaotique, incontrôlable pour les forces qui la dominaient
jusqu’alors, et l’on voit émerger une lutte entre tous les acteurs pour survivre.
4 - Le capitalisme capte le profit là où il est le plus important, à un moment donné ; il ne se contente pas de petits profits marginaux mais il les maximise, en
constituant des monopoles, comme dans les biotechnologies et les technologies de l’information. Mais les possibilités d’accumulation réelle du système ont atteint leurs limites. Le penseur de la
mondialisation, Emmanuel Wallerstein, estime que « les trois courbes mondiales, des prix de la main-d’œuvre, des matières premières et des impôts, sont partout en forte hausse depuis des
décennies.
La courte période néolibérale qui est en train de s’achever n’a inversé que provisoirement la tendance : à la fin des années 1990, ces coûts étaient certes moins
élevés qu’en 1970, mais ils étaient bien plus importants qu’en 1945 ». Autrement dit, nous sommes entrés dans une crise de transition qui cumule l’effet conjoncturel et la longue durée. La
mutation ne fait que commencer, un peu à la manière de la sortie du féodalisme aux XVème et XVIème siècle. L’enjeu est de taille : transformer en son contraire un système entièrement basé sur le
profit. Notre génération qui a connu l’envers du capitalisme - c’est-à-dire le capitalisme d’Etat en Union soviétique imagine mal que le marché puisse se donner des instruments de régulation qui
réorientent le développement vers un autre possible. Pourtant, c’est de cela qu’il s’agit. Le capitalisme est le système qui a su produire le plus de biens et de richesses. Mais les destructions
sociales et environnementales qu’il a engendrées l’amènent droit dans le mur. Faire émerger de nouvelles solutions est notre tâche collective. Tout le reste n’est que cautérisation, certes utile pour
empêcher l’effondrement généralisé du système, mais qui ne fera que retarder l’échéance.
La crise est une chance. C’est le moment de réorienter la répartition des richesses, et d’utiliser les investissements au service de ceux qui en ont besoin. Ecologie
ou barbarie : nous sommes à la croisée des chemins.
Noël Mamère, le 13 octobre 2008
P.S. : Qui connaît Bernard Accoyer ? Ce monsieur est président de l’Assemblée nationale. Il a proposé sans rire la semaine
dernière l’amnistie fiscale pour les voleurs et les fraudeurs qui reviendraient placer leur argent en France. Il fallait oser. Il a osé, gagnant ainsi le prix de l’escroc politique du mois."
L’explosion des crises alimentaire, économique et financière en 2007-2008 montre à quel point sont
interconnectées les économies de la planète. Pour résoudre ces crises, il faut traiter le mal à la racine.
La crise alimentaire.
En 2007-2008, plus de la moitié de la population de la planète a vu se dégrader fortement ses conditions de vie car elle a été confrontée à une très forte hausse du
prix des aliments. Cela a entraîné des protestations massives dans au moins une quinzaine de pays dans la première moitié de 2008. Le nombre de personnes touchées par la faim s’est alourdi de
plusieurs dizaines de millions et des centaines de millions ont vu se restreindre leur accès aux aliments (et, en conséquence, à d’autres biens et services vitaux |1|). Tout cela suite aux décisions prises
par une poignée d’entreprises du secteur de l’agrobusiness (productrices d’agro-combustibles) et du secteur de la finance (les investisseurs institutionnels qui contribuent à la manipulation des
cours des produits agricoles) qui ont bénéficié de l’appui du gouvernement de Washington et de la Commission européenne |2|. Pourtant la part des exportations dans la
production mondiale des aliments reste faible. Une faible partie du riz, du blé ou du maïs produite dans le monde est exportée, l’écrasante majorité de la production est consommée sur place.
Néanmoins ce sont les prix des marchés d’exportation qui déterminent le prix sur les marchés locaux. Or les prix des marchés d’exportation sont fixés aux Etats-Unis principalement dans trois Bourses
(Chicago, Minneapolis et Kansas City). En conséquence, le prix du riz, du blé ou du maïs à Tombouctou, à Mexico, à Nairobi, à Islamabad est directement influencé par l’évolution du cours de ces
grains sur les marchés boursiers des Etats-Unis.
En 2008, dans l’urgence et sous peine d’être renversées par des émeutes, aux quatre coins de la planète, les autorités des pays en développement ont dû prendre des mesures pour garantir l’accès des
citoyens aux aliments de base.
Si on en est arrivé là, c’est que durant plusieurs décennies les gouvernements ont renoncé progressivement à soutenir les producteurs locaux de grains - qui sont en majorité des petits producteurs -
et ont suivi les recettes néolibérales dictées par des institutions comme la Banque mondiale, le FMI dans le cadre des plans d’ajustement structurel et des programmes de réduction de la pauvreté. Au
nom de la lutte contre la pauvreté, ces institutions ont convaincu les gouvernements de mener des politiques qui ont reproduit, voir renforcé, la pauvreté. De plus, au cours des dernières années, de
nombreux gouvernements ont signé des traités bilatéraux (notamment des traités de libre commerce) qui ont encore aggravé la situation. Les négociations commerciales dans le cadre du cycle de Doha de
l’OMC ont également entraîné de funestes conséquences.
Que s’est-il passé ?
1er acte.
Les pays en développement ont renoncé aux protections douanières qui permettaient de mettre les paysans locaux à l’abri de la concurrence des producteurs agricoles
étrangers, principalement les grandes firmes d’agro-exportation nord-américaines et européennes. Celles-ci ont envahi les marchés locaux avec des produits agricoles vendus en dessous du coût de
production des agriculteurs et éleveurs locaux, ce qui a provoqué leur faillite (nombre d’entre eux ont émigré vers les grandes villes de leurs pays ou vers les pays les plus industrialisés). Selon
l’OMC, les subsides versés par les gouvernements du Nord à leurs grandes entreprises agricoles sur le marché intérieur ne constituent pas une infraction aux règles anti-dumping. Comme l’écrit Jacques
Berthelot : « alors que, pour l’homme de la rue, il y a dumping si on exporte à un prix inférieur au coût moyen de production du pays exportateur, pour l’OMC, il n’y a pas
de dumping tant qu’on exporte au prix intérieur, même s’il est inférieur au coût moyen de production |3|. » Bref, les pays de l’Union européenne, les
Etats-Unis ou d’autres pays exportateurs peuvent envahir les marchés des autres avec des produits agricoles qui bénéficient de très importantes subventions internes.
Le maïs exporté au Mexique par les Etats-Unis est un cas emblématique. A cause du traité de libre commerce (TLC) signé entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, ce dernier a abandonné ses
protections douanières face à ses voisins du Nord. Les exportations de maïs des Etats-Unis au Mexique ont été multipliées par neuf entre 1993 (dernière année avant l’entrée en vigueur du TLC) et
2006. Des centaines de milliers de familles mexicaines ont dû renoncer à produire du maïs car celui-ci coûtait plus cher que le maïs provenant des Etats-Unis (produit avec une technologie
industrielle et fortement subventionné). Cela n’a pas seulement constitué un drame économique, il s’est agi aussi d’une perte d’identité car le maïs est le symbole de la vie dans la culture
mexicaine, notamment chez les peuples d’origine maya. Une grande partie des cultivateurs de maïs ont abandonné leur champ et sont partis chercher du travail dans les villes industrielles du Mexique
ou aux Etats-Unis.
2e acte.
Le Mexique qui dépend dorénavant pour nourrir sa population du maïs des Etats-Unis est confronté à une augmentation brutale du prix de cette céréale provoquée, d’une
part, par la spéculation sur les Bourses de Chicago, de Kansas City, de Minneapolis et, d’autre part, par la production chez le voisin du Nord d’éthanol de maïs.
Les producteurs mexicains de maïs ne sont plus là pour satisfaire à la demande interne et les consommateurs mexicains sont confrontés à une explosion du prix de leur nourriture de base, la tortilla,
cette crêpe de maïs qui remplace le pain ou le bol de riz consommé sous d’autres latitudes. En 2007, d’énormes protestations populaires ont secoué le Mexique.
Dans des conditions spécifiques, les mêmes causes ont produit grosso modo les mêmes effets. L’interconnexion des marchés alimentaires à l’échelle
mondiale a été poussée à un niveau jamais connu auparavant.
La crise alimentaire mondiale met à nu le moteur de la société capitaliste : la recherche du profit privé maximum à court terme. Pour les capitalistes, les
aliments ne sont qu’une marchandise qu’il faut vendre avec le plus de profit possible. L’aliment, élément essentiel du maintien en vie des êtres humains, est transformé en pur instrument de profit.
Il faut mettre fin à cette logique mortifère. Il faut abolir le contrôle du capital sur les grands moyens de production et de commercialisation et donner la priorité à une politique de souveraineté
alimentaire.
La crise économique et financière.
En 2007-2008 a également éclaté la principale crise économique et financière internationale depuis celle de 1929. Si ce n’était l’intervention massive et concertée des
pouvoirs publics qui se sont portés au secours des banquiers voleurs, la crise actuelle aurait déjà pris de plus amples proportions. Ici aussi, l’interconnexion est frappante. Entre le 31 décembre
2007 et fin septembre 2008, toutes les Bourses de la planète ont connu une baisse très importante, allant de 15 à 30% pour les Bourses des pays les plus industrialisés jusqu’à 50% pour la Chine en
passant par 40% pour la Russie et la Turquie. Le colossal montage de dettes privées, pure création de capital fictif, a fini par exploser dans les pays les pays les plus industrialisés en commençant
par les Etats-Unis, l’économie la plus endettée de la planète. En effet, l’addition des dettes publique et privée aux Etats-Unis s’élève en 2008 à 50 000 milliards de dollars, soit 350% du PIB. Cette
crise économique et financière qui a déjà touché l’ensemble de la planète affectera de plus en plus les pays en développement dont certain se croient encore à l’abri. La mondialisation capitaliste
n’a pas découplé ou déconnecté les économies. Au contraire, des pays comme la Chine, le Brésil, l’Inde ou la Russie n’ont pas pu se mettre à l’abri de cette crise et ce n’est que le début.
La crise climatique.
Les effets du changement climatique ont momentanément disparu de la une de l’actualité, supplantés par la crise financière. Néanmoins le processus est en cours à
l’échelle de la planète et ici aussi l’interconnexion est évidente. Certes les populations des pays « pauvres » seront plus fortement touchées que celles des pays « riches » mais
personne n’en sortira indemne.
La conjonction de ces trois crises montre aux peuples la nécessité de se libérer de la société capitaliste et de son modèle productiviste. L’interconnexion des crises
capitalistes met en avant la nécessité d’un programme anticapitaliste et révolutionnaire à l’échelle de la planète. Les solutions pour qu’elles soient favorables aux peuples et à la nature seront
internationales et systémiques. L’humanité ne pourra pas se contenter de demi-mesures.
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|1| En effet, afin d’acheter des aliments
dont le prix a fortement augmenté, les ménages pauvres ont réduit les dépenses de santé et d’éducation ainsi que les dépenses en matière de logement.
|2| Voir Damien Millet et Eric Toussaint
« Retour sur les causes de la crise alimentaire mondiale », août 2008 et Eric Toussaint « Une fois encore sur les causes de la crise alimentaire », octobre 2008
|3| Jacques Berthelot « Démêler le vrai
du faux dans la flambée des prix agricoles mondiaux », 15 juillet 2008, p.47
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